AYSE GUNAYSU - OUI A LA PAIX, MAIS ENTRE QUI, POUR QUOI FAIRE ET DANS QUEL CONTEXTE ?
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=74359
Publié le : 15-07-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire la traduction de Georges Festa d'un article en anglais
d'AyÅ~_e Gunaysu publié sur le site The Armenian Weekly, mise en
ligne sur le site Armenian Trends - Mes Arménies le 29 juin 2013.
Photo : © http://asbarez.com
Armenian Trends - Mes Arménies
samedi 29 juin 2013
AyÅ~_e Gunaysu - Oui a la paix, mais entre qui, pour quoi faire et
dans quel contexte ? / Yes, Peace, but Between Whom, for What, and
in What Context ?
par AyÅ~_e Gunaysu
The Armenian Weekly (Watertown, MA), 08.05.2013
Est-ce vrai ? Les choses changent-elles vraiment en Turquie, terre
de génocides, de pogroms, de répression et d'une guerre prolongée,
ces trente dernières années, contre ses propres citoyens kurdes ? La
guerre, qui a fait plus de 40 000 morts - des Kurdes, pour la plupart
- dans le Kurdistan turc, approche-t-elle de sa fin ? Ce cauchemar,
qui s'est déroulé non seulement dans les montagnes, mais aussi dans
les bourgades et les villes, est-il quasiment terminé, permettant
une existence normale - une existence que les enfants et les adultes
de moins de 30 ans n'ont jamais connue ?
Telles sont les questions cruciales non seulement au regard de l'avenir
du peuple kurde en Turquie, mais aussi pour tous ceux qui réclament
une véritable démocratie, le respect intégral des droits de l'homme,
de l'égalité, de la justice - bref, une vie meilleure. Pour nous,
le succès du combat des Kurdes signifie l'ouverture d'une voie
susceptible de nous conduire tous vers un avenir davantage prometteur.
Pour l'heure, cependant, tout semble flou et incertain. Comme si
nous marchions sur une corde raide et comme si, a tout instant, nous
pouvions tomber dans un gouffre sans fond. Les récentes déclarations
d'Abdallah Ocalan, dirigeant du P.K.K. [Parti des Travailleurs du
Kurdistan], lors des négociations et, dernièrement, sa lettre lue
a voix haute, en public, lors des célébrations du Newroz [Nouvel
An kurde], ont été pour beaucoup une déception.
Durant la guerre civile, le Newroz signifiait une intervention violente
des forces de sécurité, tantôt avec des armes a feu, tantôt avec
des gaz lacrymogènes et des canons a eau, provoquant des morts et des
blessés. Il s'agissait d'une époque faite d'incursions militaires
dans les villes et les villages ruraux, une époque où les villageois
étaient arrêtés en masse et raflés, où les civils étaient tués
lors d'opérations militaires. Les militants kurdes pour les droits
de l'homme, les avocats et journalistes kurdes étaient enlevés et
retrouvés morts au bord des routes, quand ils ne disparaissent pas
définitivement. Durant toutes ces années, plus de 3 000 villages
furent évacués et brÃ"lés. Plus de 3 millions de Kurdes ont dÃ"
abandonner leurs foyers et émigrer vers des villes et des localités
voisines, sans aucune ressource, sans emploi, dans l'incapacité de
gagner leur vie. Des forêts entières furent incendiées par les
militaires. Tout un paysage se transforma en désert - une terre nue
avec des images fantomatiques de villages détruits, des vestiges de
maisons noircies par les flammes.
Le Newroz, ces années-la, était invariablement associé a
la brutalité et a la perte de vies humaines. C'est durant les
célébrations du Newroz en 1992 que près de 140 civils furent
tués et des centaines d'autres blessés, suite aux attaques des
forces de sécurité contre les manifestants et aux manÅ"uvres qui
s'ensuivirent - accompagnées de bombardements - menées dans la
province de Å~^ırnak et son district de Cizre. Ces Â" célébrations
Â" cauchemardesques furent suivies d'une importante vague d'immigration
kurde vers des villes voisines.
Espoirs de paix
Les célébrations du Newroz, cette année, se sont tenues dans
un climat tout autre. Le soi-disant Â" processus de paix Â" a été
lancé ; des négociations avec Ocalan, a l'isolement en prison depuis
14 ans, sont en cours. Des députés du parti Paix et Démocratie
(B.D.P. - BarıÅ~_ ve Demokrasi Partisi) lui ont rendu visite a deux
reprises. Des lettres entre Ocalan et l'état-major du P.K.K. a Qandil,
dans le Kurdistan irakien, ont été échangées.
Partout, dans plusieurs provinces a l'Ouest, y compris Istanbul,
comme dans les provinces kurdes, en particulier a Diyarbakir, les
célébrations ont été spectaculaires. Ce fut pour la première fois
une véritable célébration avec des festivités enthousiastes. Des
centaines de milliers de gens se sont rassemblés, les femmes vêtues
de couleurs brillantes et les enfants dansant et chantant joyeusement.
Attendant tous que la lettre d'Ocalan fÃ"t lue a voix haute, en kurde
et en turc. Censé faire sa déclaration finale, aboutissement des
ses pourparlers de Â" paix Â" avec les autorités gouvernementales,
dans sa cellule.
Outre les Kurdes, et depuis la défaite de la gauche turque par le
régie militaire en 1980, des vétérans socialistes et communistes,
et d'autres qui luttent pour la démocratie, les droits de l'homme
et la liberté, ont tous placé leurs espoirs dans le combat des
Kurdes contre l'élite dirigeante en Turquie. Car le mouvement
politique kurde a réalisé quelque chose dont la gauche turque a
toujours rêvé, sans jamais y parvenir, durant ses longues années de
lutte. Le mouvement politique kurde a mobilisé des masses entières
de gens ordinaires, dans les zones tant rurales qu'urbaines, et
les ont intégré a leur combat. C'est ce combat qui a permis aux
forces démocratiques en Turquie de progresser - ne serait-ce que
modestement - dans la liberté d'expression. Ce n'est pas un hasard
si le génocide arménien a commencé a être débattu en Turquie
durant les années de révolte des Kurdes - une révolte qui n'a pu
être matée en trente ans par les forces armées turques, l'armée
la plus puissante d'Europe et la huitième du monde, la deuxième
seulement après celle des Etats-Unis dans l'O.T.A.N.
Ocalan appelle au repli
Lorsque la lettre d'Ocalan a été lue a Diyarbakir - devant une
assistance de plusieurs centaine de milliers de gens - sinon plus d'un
million - proclamant un cessez-le-feu et donnant l'ordre aux guérillas
du P.K.K. de se replier au-dela des frontières, il devint évident
qu'Ocalan était conscient des critiques visant ses déclarations dans
le compte rendu de sa rencontre avec les députés du B.D.P., lors du
processus de paix, divulgué a la presse, qui résonnaient comme une
opposition déclarée aux peuples non musulmans d'Asie Mineure. Il
prit donc soin d'inclure les Arméniens et autres peuples composant
la population d'Anatolie dans le cadre de sa tentative pour amener
la paix dans le pays.
Dans sa rencontre, rappelée plus haut, avec les députés du B.D.P.,
Ocalan présentait, par exemple, le Â" lobby arménien Â" comme une
force qui, historiquement, n'a jamais voulu la paix en Anatolie. Â"
Le lobby arménien est puissant. Ils veulent dominer l'agenda de
2015, Â" déclarait-il. Â" Les Kurdes ont été marginalisés durant
la création de la république de Turquie, suite aux efforts du Â"
lobby israélien, des Arméniens et des Grecs, qui ont décidé
que leur succès dépendait de la marginalisation des Kurdes,
Â" poursuivait-il. Â" Il s'agit d'une tradition millénaire, qui
continue. Â" Ajoutant : Â" Après l'islamisation de l'Anatolie, la
colère des chrétiens a duré mille ans. Les Grecs, les Arméniens
et les Juifs réclament des droits sur l'Anatolie. Ils ne veulent
pas renoncer a leurs profits sous prétexte de laïcité et de
nationalisme. Â"
En dépit de quelques références aux Arméniens et a d'autres
populations non musulmanes, la lettre de Newroz d'Ocalan - empreinte
d'une rhétorique enthousiaste sur la paix, la fraternité et la
coexistence pacifique entre des peuples aux croyances et aux origines
ethniques différentes, et une ère nouvelle de paix - ne fut en
rien un réconfort pour tous ceux qui, parmi nous, réclament une
véritable justice dans ce pays.
Une fraternité musulmane qui rappelle de sinistres souvenirs
L'aspect le plus inquiétant de cette lettre est l'accent mis sur la
fraternité musulmane, une fraternité qui a vu la mort, l'agonie,
le pillage et la destruction des enfants chrétiens de l'Asie
Mineure. Sa référence a Â" l'accord historique de fraternité et
de solidarité [des Turcs et des Kurdes] sous le drapeau de l'islam
Â" résonne a la manière d'une sombre prophétie. Son éloge de la
soi-disant Â" guerre de libération Â" de la Turquie, qui fut, en
fait, la continuation du génocide des Arméniens, des Assyriens et
des Grecs d'Anatolie, est un écho fidèle de la pensée officielle
turque. Â" Durant la Première Guerre mondiale, les soldats turcs
et kurdes tombèrent ensemble en martyrs aux Dardanelles. Ensemble,
ils combattirent pour la guerre d'indépendance de la Turquie, et
ensemble ils inaugurèrent l'Assemblée Nationale de 1920. Notre
passé mutuel illustre la nécessité réciproque de forger ensemble
notre avenir. L'esprit de l'Assemblée Nationale de 1920 éclaire
l'époque a venir, Â" a-t-il déclaré. Ce qu'il ne mentionne pas,
c'est que l'état d'esprit de 1920 fut un état d'esprit génocidaire,
décidé a achever le processus d'anéantissement des chrétiens,
tout en réprimant dans un bain de sang l'identité nationale kurde.
Le résultat est que, maintenant, les gens qui luttent en Turquie
pour les droits de l'homme, la démocratie et la paix, sont obligés
de choisir entre l'un de ces deux maux : être présenté comme
quelqu'un soit qui ne veut pas la paix, soit qui soutient quelque
chose qui peut être une réconciliation entre Kurdes et Turcs,
mais pas une véritable paix pour tous en Turquie.
Ocalan est-il vraiment représentatif ?
Je connais et je respecte le profond attachement de millions de
Kurdes envers leur dirigeant Ocalan. Mais je sais aussi qu'Ocalan
et les Kurdes politiquement conscients, ainsi que certains pans du
mouvement politique kurde, ne font pas qu'un. Il y a le mouvement
politique kurde, avec son parti politique, ses unités armées dans
les montagnes et ces millions de gens qui manifestent courageusement
au risque d'être abattus ; et puis il y a Ocalan, a l'isolement en
prison depuis 14 ans, déconnecté des réalités du terrain.
Après tout, c'est le peuple kurde qui a perdu des membres de ses
familles lors de meurtres non élucidés ; qui a pleuré quand
ses enfants rejoignaient le mouvement de la guérilla, et que l'on
retrouvait ensuite morts, a demi calcinés, les yeux arrachés ; et
qui a lutté sans armes contre des tanks et des Panzers, en révolte
contre la répression. Et ce sont les chefs de la guérilla qui ont
risqué leur vie pendant tant d'années dans les montagnes.
Lors d'un entretien avec le journaliste Hasan Cemal, Karayılan, un
des commandants en chef du P.K.K., a confirmé a plusieurs reprises
que s'ils sont fidèles a leur dirigeant, ils ont néanmoins quelques
réserves : Â" Il n'y aura aucun repli sans que l'Etat ne fasse
sa part.
[...] Les éléments de commandement intermédiaire, en particulier,
s'inquiètent ; nous devons les convaincre. [...] Hier j'ai parlé a
250 intermédiaires. Ils m'ont dit : Â" On est venus ici pour combattre
et on est la depuis dix ans. On est sur le point d'obtenir un résultat
et c'est la où on nous demande d'arrêter. Â" [...] Apo [Ocalan]
devrait s'impliquer dans le processus de persuasion. Voila pourquoi
un contact direct entre lui et l'état-major de Qandil devrait être
établi. Â"
Les critiques de Karayılan a l'égard du co-président du B.D.P.,
Selahattin DemirtaÅ~_, sont très inhabituelles. DemirtaÅ~_ a
récemment déclaré que 99 % de la lutte armée du P.K.K. est
terminée et que le règlement du 1 % restant était du ressort du
gouvernement. Â" Il s'agit d'un semblant d'approche par le B.D.P.,
commente Karayılan. Cela montre qu'ils sont incapables de comprendre
en profondeur le processus de repli. L'arrêt complet de la lutte
armée n'est pas une question aussi simple. Â"
Les Kurdes : a la fois perpétrateurs et victimes
Venons-en au point essentiel. Nombre de Kurdes d'Arménie Occidentale,
non seulement les chefs de tribus, mais aussi les simples villageois,
ont été, ainsi que les Turcs et autres peuples musulmans, les
perpétrateurs du génocide des Arméniens et des Assyriens. Ils ne
furent pas seulement des Â" instruments Â", Â" utilisés Â" par le
Comité Union et Progrès (C.U.P.), comme le soutiennent les dirigeants
politiques kurdes ; dans de nombreux endroits et dans de nombreux cas,
ils étaient pleinement conscients de ce qu'ils faisaient. Ils furent
non pas des décideurs, mais des acteurs, ignorant que rapidement
ils seraient victimes, et contraints de se révolter contre leurs
complices dans ce génocide - les successeurs de ce même pouvoir
avec lequel ils coopérèrent pour exterminer leurs voisins chrétiens.
L'histoire de la république de Turquie est l'histoire des
soulèvements des Kurdes et de leur répression violente dans un bain
de sang. La dernière révolte, qui fut la plus longue, ne se fondait
pas sur des aspirations purement nationalistes, mais impliquait des
éléments gauchistes, et même marxistes, l'accent étant mis sur
la liberté, l'égalité et les droits de l'homme, non seulement
pour les Kurdes, mais aussi tous les habitants de la Turquie. Ce fut
le premier et le plus durable mouvement d'opposition radicale dans
l'histoire de la république, lequel parvint non seulement a saper
la suprématie idéologique et morale de l'élite dirigeante, mais
aussi a contester avec un certain succès l'image intérieure d' Â"
invincibilité Â" de l'armée turque.
Aussi, ceux qui, dans les médias turcs, critiquent les déclarations
d'Abdullah Ocalan, dans le compte rendu de ses rencontres et dans sa
lettre appelant a un cessez-le-feu, invitent-ils l'opposition kurde a
ne pas conclure une trêve illusoire avec ce système de destruction
et de déni.
Peuvent-ils être aussi des bâtisseurs de paix ?
La responsabilité incombe naturellement aux membres de l'opposition
kurde qui tracent la voie menant a la reconnaissance de la complicité
du peuple kurde dans le génocide des peuples chrétiens d'Anatolie -
les Arméniens, les Assyriens et les Grecs - et prendre des mesures
pour réparer les pertes immenses qu'ils ont subi.
En l'absence de toute responsabilité assumée, la partie kurde en
cause ne pourra ni ouvrir la voie, ni exhorter l'Etat turc a accepter
une paix véritable - a savoir, le règne ultime de la justice dans
ce pays.
Les Kurdes sont a la fois perpétrateurs et victimes, victimes de
leurs compagnons d'armes lors du génocide. S'ils veulent être des
bâtisseurs de paix maintenant, ils doivent refuser l'offre d'Ocalan
d'une soi-disant Â" paix Â" entre Turcs et Kurdes, fondée sur le
dénominateur commun de la fraternité musulmane, cet élément
essentiel qui présida au génocide.
___________
Source :
http://www.armenianweekly.com/2013/05/08/gunaysu-yes-peace-but-between-whom-for-what-and-in-what-context/
Traduction : © Georges Festa - 06.2013 Avec l'aimable autorisation
de Khatchig Mouradian, rédacteur en chef de The Armenian Weekly.
Retour a la rubrique
Source/Lien : Armenian Trends - Mes Arménies
From: Baghdasarian
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=74359
Publié le : 15-07-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire la traduction de Georges Festa d'un article en anglais
d'AyÅ~_e Gunaysu publié sur le site The Armenian Weekly, mise en
ligne sur le site Armenian Trends - Mes Arménies le 29 juin 2013.
Photo : © http://asbarez.com
Armenian Trends - Mes Arménies
samedi 29 juin 2013
AyÅ~_e Gunaysu - Oui a la paix, mais entre qui, pour quoi faire et
dans quel contexte ? / Yes, Peace, but Between Whom, for What, and
in What Context ?
par AyÅ~_e Gunaysu
The Armenian Weekly (Watertown, MA), 08.05.2013
Est-ce vrai ? Les choses changent-elles vraiment en Turquie, terre
de génocides, de pogroms, de répression et d'une guerre prolongée,
ces trente dernières années, contre ses propres citoyens kurdes ? La
guerre, qui a fait plus de 40 000 morts - des Kurdes, pour la plupart
- dans le Kurdistan turc, approche-t-elle de sa fin ? Ce cauchemar,
qui s'est déroulé non seulement dans les montagnes, mais aussi dans
les bourgades et les villes, est-il quasiment terminé, permettant
une existence normale - une existence que les enfants et les adultes
de moins de 30 ans n'ont jamais connue ?
Telles sont les questions cruciales non seulement au regard de l'avenir
du peuple kurde en Turquie, mais aussi pour tous ceux qui réclament
une véritable démocratie, le respect intégral des droits de l'homme,
de l'égalité, de la justice - bref, une vie meilleure. Pour nous,
le succès du combat des Kurdes signifie l'ouverture d'une voie
susceptible de nous conduire tous vers un avenir davantage prometteur.
Pour l'heure, cependant, tout semble flou et incertain. Comme si
nous marchions sur une corde raide et comme si, a tout instant, nous
pouvions tomber dans un gouffre sans fond. Les récentes déclarations
d'Abdallah Ocalan, dirigeant du P.K.K. [Parti des Travailleurs du
Kurdistan], lors des négociations et, dernièrement, sa lettre lue
a voix haute, en public, lors des célébrations du Newroz [Nouvel
An kurde], ont été pour beaucoup une déception.
Durant la guerre civile, le Newroz signifiait une intervention violente
des forces de sécurité, tantôt avec des armes a feu, tantôt avec
des gaz lacrymogènes et des canons a eau, provoquant des morts et des
blessés. Il s'agissait d'une époque faite d'incursions militaires
dans les villes et les villages ruraux, une époque où les villageois
étaient arrêtés en masse et raflés, où les civils étaient tués
lors d'opérations militaires. Les militants kurdes pour les droits
de l'homme, les avocats et journalistes kurdes étaient enlevés et
retrouvés morts au bord des routes, quand ils ne disparaissent pas
définitivement. Durant toutes ces années, plus de 3 000 villages
furent évacués et brÃ"lés. Plus de 3 millions de Kurdes ont dÃ"
abandonner leurs foyers et émigrer vers des villes et des localités
voisines, sans aucune ressource, sans emploi, dans l'incapacité de
gagner leur vie. Des forêts entières furent incendiées par les
militaires. Tout un paysage se transforma en désert - une terre nue
avec des images fantomatiques de villages détruits, des vestiges de
maisons noircies par les flammes.
Le Newroz, ces années-la, était invariablement associé a
la brutalité et a la perte de vies humaines. C'est durant les
célébrations du Newroz en 1992 que près de 140 civils furent
tués et des centaines d'autres blessés, suite aux attaques des
forces de sécurité contre les manifestants et aux manÅ"uvres qui
s'ensuivirent - accompagnées de bombardements - menées dans la
province de Å~^ırnak et son district de Cizre. Ces Â" célébrations
Â" cauchemardesques furent suivies d'une importante vague d'immigration
kurde vers des villes voisines.
Espoirs de paix
Les célébrations du Newroz, cette année, se sont tenues dans
un climat tout autre. Le soi-disant Â" processus de paix Â" a été
lancé ; des négociations avec Ocalan, a l'isolement en prison depuis
14 ans, sont en cours. Des députés du parti Paix et Démocratie
(B.D.P. - BarıÅ~_ ve Demokrasi Partisi) lui ont rendu visite a deux
reprises. Des lettres entre Ocalan et l'état-major du P.K.K. a Qandil,
dans le Kurdistan irakien, ont été échangées.
Partout, dans plusieurs provinces a l'Ouest, y compris Istanbul,
comme dans les provinces kurdes, en particulier a Diyarbakir, les
célébrations ont été spectaculaires. Ce fut pour la première fois
une véritable célébration avec des festivités enthousiastes. Des
centaines de milliers de gens se sont rassemblés, les femmes vêtues
de couleurs brillantes et les enfants dansant et chantant joyeusement.
Attendant tous que la lettre d'Ocalan fÃ"t lue a voix haute, en kurde
et en turc. Censé faire sa déclaration finale, aboutissement des
ses pourparlers de Â" paix Â" avec les autorités gouvernementales,
dans sa cellule.
Outre les Kurdes, et depuis la défaite de la gauche turque par le
régie militaire en 1980, des vétérans socialistes et communistes,
et d'autres qui luttent pour la démocratie, les droits de l'homme
et la liberté, ont tous placé leurs espoirs dans le combat des
Kurdes contre l'élite dirigeante en Turquie. Car le mouvement
politique kurde a réalisé quelque chose dont la gauche turque a
toujours rêvé, sans jamais y parvenir, durant ses longues années de
lutte. Le mouvement politique kurde a mobilisé des masses entières
de gens ordinaires, dans les zones tant rurales qu'urbaines, et
les ont intégré a leur combat. C'est ce combat qui a permis aux
forces démocratiques en Turquie de progresser - ne serait-ce que
modestement - dans la liberté d'expression. Ce n'est pas un hasard
si le génocide arménien a commencé a être débattu en Turquie
durant les années de révolte des Kurdes - une révolte qui n'a pu
être matée en trente ans par les forces armées turques, l'armée
la plus puissante d'Europe et la huitième du monde, la deuxième
seulement après celle des Etats-Unis dans l'O.T.A.N.
Ocalan appelle au repli
Lorsque la lettre d'Ocalan a été lue a Diyarbakir - devant une
assistance de plusieurs centaine de milliers de gens - sinon plus d'un
million - proclamant un cessez-le-feu et donnant l'ordre aux guérillas
du P.K.K. de se replier au-dela des frontières, il devint évident
qu'Ocalan était conscient des critiques visant ses déclarations dans
le compte rendu de sa rencontre avec les députés du B.D.P., lors du
processus de paix, divulgué a la presse, qui résonnaient comme une
opposition déclarée aux peuples non musulmans d'Asie Mineure. Il
prit donc soin d'inclure les Arméniens et autres peuples composant
la population d'Anatolie dans le cadre de sa tentative pour amener
la paix dans le pays.
Dans sa rencontre, rappelée plus haut, avec les députés du B.D.P.,
Ocalan présentait, par exemple, le Â" lobby arménien Â" comme une
force qui, historiquement, n'a jamais voulu la paix en Anatolie. Â"
Le lobby arménien est puissant. Ils veulent dominer l'agenda de
2015, Â" déclarait-il. Â" Les Kurdes ont été marginalisés durant
la création de la république de Turquie, suite aux efforts du Â"
lobby israélien, des Arméniens et des Grecs, qui ont décidé
que leur succès dépendait de la marginalisation des Kurdes,
Â" poursuivait-il. Â" Il s'agit d'une tradition millénaire, qui
continue. Â" Ajoutant : Â" Après l'islamisation de l'Anatolie, la
colère des chrétiens a duré mille ans. Les Grecs, les Arméniens
et les Juifs réclament des droits sur l'Anatolie. Ils ne veulent
pas renoncer a leurs profits sous prétexte de laïcité et de
nationalisme. Â"
En dépit de quelques références aux Arméniens et a d'autres
populations non musulmanes, la lettre de Newroz d'Ocalan - empreinte
d'une rhétorique enthousiaste sur la paix, la fraternité et la
coexistence pacifique entre des peuples aux croyances et aux origines
ethniques différentes, et une ère nouvelle de paix - ne fut en
rien un réconfort pour tous ceux qui, parmi nous, réclament une
véritable justice dans ce pays.
Une fraternité musulmane qui rappelle de sinistres souvenirs
L'aspect le plus inquiétant de cette lettre est l'accent mis sur la
fraternité musulmane, une fraternité qui a vu la mort, l'agonie,
le pillage et la destruction des enfants chrétiens de l'Asie
Mineure. Sa référence a Â" l'accord historique de fraternité et
de solidarité [des Turcs et des Kurdes] sous le drapeau de l'islam
Â" résonne a la manière d'une sombre prophétie. Son éloge de la
soi-disant Â" guerre de libération Â" de la Turquie, qui fut, en
fait, la continuation du génocide des Arméniens, des Assyriens et
des Grecs d'Anatolie, est un écho fidèle de la pensée officielle
turque. Â" Durant la Première Guerre mondiale, les soldats turcs
et kurdes tombèrent ensemble en martyrs aux Dardanelles. Ensemble,
ils combattirent pour la guerre d'indépendance de la Turquie, et
ensemble ils inaugurèrent l'Assemblée Nationale de 1920. Notre
passé mutuel illustre la nécessité réciproque de forger ensemble
notre avenir. L'esprit de l'Assemblée Nationale de 1920 éclaire
l'époque a venir, Â" a-t-il déclaré. Ce qu'il ne mentionne pas,
c'est que l'état d'esprit de 1920 fut un état d'esprit génocidaire,
décidé a achever le processus d'anéantissement des chrétiens,
tout en réprimant dans un bain de sang l'identité nationale kurde.
Le résultat est que, maintenant, les gens qui luttent en Turquie
pour les droits de l'homme, la démocratie et la paix, sont obligés
de choisir entre l'un de ces deux maux : être présenté comme
quelqu'un soit qui ne veut pas la paix, soit qui soutient quelque
chose qui peut être une réconciliation entre Kurdes et Turcs,
mais pas une véritable paix pour tous en Turquie.
Ocalan est-il vraiment représentatif ?
Je connais et je respecte le profond attachement de millions de
Kurdes envers leur dirigeant Ocalan. Mais je sais aussi qu'Ocalan
et les Kurdes politiquement conscients, ainsi que certains pans du
mouvement politique kurde, ne font pas qu'un. Il y a le mouvement
politique kurde, avec son parti politique, ses unités armées dans
les montagnes et ces millions de gens qui manifestent courageusement
au risque d'être abattus ; et puis il y a Ocalan, a l'isolement en
prison depuis 14 ans, déconnecté des réalités du terrain.
Après tout, c'est le peuple kurde qui a perdu des membres de ses
familles lors de meurtres non élucidés ; qui a pleuré quand
ses enfants rejoignaient le mouvement de la guérilla, et que l'on
retrouvait ensuite morts, a demi calcinés, les yeux arrachés ; et
qui a lutté sans armes contre des tanks et des Panzers, en révolte
contre la répression. Et ce sont les chefs de la guérilla qui ont
risqué leur vie pendant tant d'années dans les montagnes.
Lors d'un entretien avec le journaliste Hasan Cemal, Karayılan, un
des commandants en chef du P.K.K., a confirmé a plusieurs reprises
que s'ils sont fidèles a leur dirigeant, ils ont néanmoins quelques
réserves : Â" Il n'y aura aucun repli sans que l'Etat ne fasse
sa part.
[...] Les éléments de commandement intermédiaire, en particulier,
s'inquiètent ; nous devons les convaincre. [...] Hier j'ai parlé a
250 intermédiaires. Ils m'ont dit : Â" On est venus ici pour combattre
et on est la depuis dix ans. On est sur le point d'obtenir un résultat
et c'est la où on nous demande d'arrêter. Â" [...] Apo [Ocalan]
devrait s'impliquer dans le processus de persuasion. Voila pourquoi
un contact direct entre lui et l'état-major de Qandil devrait être
établi. Â"
Les critiques de Karayılan a l'égard du co-président du B.D.P.,
Selahattin DemirtaÅ~_, sont très inhabituelles. DemirtaÅ~_ a
récemment déclaré que 99 % de la lutte armée du P.K.K. est
terminée et que le règlement du 1 % restant était du ressort du
gouvernement. Â" Il s'agit d'un semblant d'approche par le B.D.P.,
commente Karayılan. Cela montre qu'ils sont incapables de comprendre
en profondeur le processus de repli. L'arrêt complet de la lutte
armée n'est pas une question aussi simple. Â"
Les Kurdes : a la fois perpétrateurs et victimes
Venons-en au point essentiel. Nombre de Kurdes d'Arménie Occidentale,
non seulement les chefs de tribus, mais aussi les simples villageois,
ont été, ainsi que les Turcs et autres peuples musulmans, les
perpétrateurs du génocide des Arméniens et des Assyriens. Ils ne
furent pas seulement des Â" instruments Â", Â" utilisés Â" par le
Comité Union et Progrès (C.U.P.), comme le soutiennent les dirigeants
politiques kurdes ; dans de nombreux endroits et dans de nombreux cas,
ils étaient pleinement conscients de ce qu'ils faisaient. Ils furent
non pas des décideurs, mais des acteurs, ignorant que rapidement
ils seraient victimes, et contraints de se révolter contre leurs
complices dans ce génocide - les successeurs de ce même pouvoir
avec lequel ils coopérèrent pour exterminer leurs voisins chrétiens.
L'histoire de la république de Turquie est l'histoire des
soulèvements des Kurdes et de leur répression violente dans un bain
de sang. La dernière révolte, qui fut la plus longue, ne se fondait
pas sur des aspirations purement nationalistes, mais impliquait des
éléments gauchistes, et même marxistes, l'accent étant mis sur
la liberté, l'égalité et les droits de l'homme, non seulement
pour les Kurdes, mais aussi tous les habitants de la Turquie. Ce fut
le premier et le plus durable mouvement d'opposition radicale dans
l'histoire de la république, lequel parvint non seulement a saper
la suprématie idéologique et morale de l'élite dirigeante, mais
aussi a contester avec un certain succès l'image intérieure d' Â"
invincibilité Â" de l'armée turque.
Aussi, ceux qui, dans les médias turcs, critiquent les déclarations
d'Abdullah Ocalan, dans le compte rendu de ses rencontres et dans sa
lettre appelant a un cessez-le-feu, invitent-ils l'opposition kurde a
ne pas conclure une trêve illusoire avec ce système de destruction
et de déni.
Peuvent-ils être aussi des bâtisseurs de paix ?
La responsabilité incombe naturellement aux membres de l'opposition
kurde qui tracent la voie menant a la reconnaissance de la complicité
du peuple kurde dans le génocide des peuples chrétiens d'Anatolie -
les Arméniens, les Assyriens et les Grecs - et prendre des mesures
pour réparer les pertes immenses qu'ils ont subi.
En l'absence de toute responsabilité assumée, la partie kurde en
cause ne pourra ni ouvrir la voie, ni exhorter l'Etat turc a accepter
une paix véritable - a savoir, le règne ultime de la justice dans
ce pays.
Les Kurdes sont a la fois perpétrateurs et victimes, victimes de
leurs compagnons d'armes lors du génocide. S'ils veulent être des
bâtisseurs de paix maintenant, ils doivent refuser l'offre d'Ocalan
d'une soi-disant Â" paix Â" entre Turcs et Kurdes, fondée sur le
dénominateur commun de la fraternité musulmane, cet élément
essentiel qui présida au génocide.
___________
Source :
http://www.armenianweekly.com/2013/05/08/gunaysu-yes-peace-but-between-whom-for-what-and-in-what-context/
Traduction : © Georges Festa - 06.2013 Avec l'aimable autorisation
de Khatchig Mouradian, rédacteur en chef de The Armenian Weekly.
Retour a la rubrique
Source/Lien : Armenian Trends - Mes Arménies
From: Baghdasarian