LES AUDACES DU TOURNANT PRO-EUROPEEN DE L'ARMENIE, PAR ARA TORANIAN
EDITORIAL
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=91523
Les recents signes de nervosite enregistres entre l'Armenie et la
Russie ont d'autant plus surpris que les traditionnelles relations
d'amitie entre les deux Etats n'avaient pas souffert jusqu'alors
de la moindre anicroche. S'il est en effet un axiome de base dans
toutes les etudes strategiques sur la region, c'est bien celui de
l'axe Moscou-Erevan. Une situation encore corroboree il y a trois
ans, si besoin etait, par la prolongation jusqu'en 2044 de la base
militaire russe de Gumri, en face de la Turquie. Un accord symbolique
s'il en est de cette entente fraternelle revendiquee par les deux
parties et sous-tendue par une forte communaute d'interets. Dans cette
configuration, la repartition des rôles entre le grand et le petit
frère semblait d'autant plus immuable, que selon une tradition bien
ancree, le soutien du Kremlin passait pour la meilleure garantie de
stabilite et de perennite de tout pouvoir en Armenie. Une constante qui
n'avait pu echapper aux dirigeants actuels du pays, particulièrement
sensibles a leur maintien en place, si l'on en juge par les efforts
qu'ils ont deployes en toute occasion dans cette perspective.
Pourquoi dès lors, cette etrange volonte de remise en cause d'un statu
quo qui leur etait aussi favorable que confortable, et qui sur le plan
interne ne repond a aucune urgence - meme si la main-mise de la Russie
sur l'ensemble du parc industriel et energetique armenien fait parfois
debat ? Quoi qu'il en soit des motivations de l'equipe dirigeante, un
fait s'impose : tout en maintenant une alliance militaire privilegiee
avec la Russie (qui n'est pas discutee), le gouvernement de Serge et
Tigran Sarkissian entend reprendre sa liberte aux niveaux economique et
politique en signant a priori en novembre 2013 l'accord d'association
de l'Armenie avec l'UE dans le cadre du partenariat oriental de l'UE.
Cette orientation pro-europeenne, doublee d'une fin de non-recevoir
au projet poutinien alternatif d'Union douanière eurasienne, passe
visiblement très mal a Moscou. Et l'irritation russe est d'autant
plus forte qu'il n'est pas dans les usages que sur les sujets
internationaux, Erevan s'aventure hors des sentiers balises par son
grand allie strategique. Et encore moins qu'il lui tienne tete. Ce
"ver europeen dans le fruit caucasien", dont l'Armenie, après la
Georgie, est en train de favoriser l'introduction, la Russie ne
veut pas en entendre parler au motif qu'il risquerait a ses yeux
d'affaiblir son influence dans sa chasse gardee sud-caucasienne. Et
elle le fait savoir en rappelant ce qu'il en a coûte a Tbilissi, en
terme d'integrite territoriale, de braver Moscou. Les avertissements
exprimes en ce sens par un certain nombre d'emissaires russes, dont
Konstantin Zatouline directeur de l'Institut des pays de la CEI, ou V.
Kovalenko, l'ex-ambassadeur de Russie en Armenie ne font pas mystère
des dangers auxquels s'exposerait Erevan en perseverant dans cette
voie.
Face a ces pressions, la diplomatie de la petite Armenie n'en est que
plus meritante a maintenir sa position. Peut-on a la fois favoriser
l'ouverture de la region a l'influence europeenne tout en possedant
des liens militaires et strategiques etroits avec Moscou ( l'Armenie
est membre de l'OTSC-organisation du traite de securite collective,
dirigee par Moscou) ? C'est le challenge que s'est fixe Erevan
qui marche dans cette affaire sur un fil. Mais au fond, avait-elle
vraiment le choix ? Son alignement en tout domaine sur le modèle
russe lui apporte certes un sentiment de securite. Mais il n'a pas
empeche les livraisons d'armes a l'Azerbaïdjan pour un montant d'un
milliard de dollars. Ni inflechit l'augmentation de 50% en juin
dernier du prix du gaz vendu a l'Armenie. La Russie, aux prises a
ses propres difficultes, ne s'est jamais vraiment souciee de donner
les moyens d'obtenir un veritable renforcement economique de son
meilleur allie strategique dans la region. Elle a maintenu le pays
sous assistance respiratoire. Mais celle-ci est restee reglee sur
le minimum indispensable a sa survie. C'est ainsi qu'Erevan en est
arrive a compter de plus en plus sur ses propres forces, en s'ouvrant
sur d'autres partenariats plus porteurs de perspectives en terme de
developpement economique et de modernisation.
Ce tournant inattendu de la diplomatie armenienne dirigee par
Edward Nalbandian marque une nouvelle etape dans le processus d'une
independance qui avait tendance, au fil du temps, a devenir plus
formelle que reelle. Il comporte une vraie chance de relancer
le mode de fonctionnement politique et economique de l'Armenie
via l'introduction des reformes rendues obligatoires par l'accord
d'association avec l'UE. Mais aussi de reequilibrer sa relation avec
Moscou, qui voyait en elle un allie captif, susceptible au besoin
d'etre neglige.
A ces differents titres, cette reorientation se devrait d'etre
encourager a sa juste valeur par des gestes forts de l'Europe et
surtout de ses pricipaux membres, a commencer par la France, tant en
terme d'impulsion economique que de garanties sur la paix regionale. A
cet egard, obtenir, comme l'a recemment declare Serge Sarkissian de
la Turquie l'ouverture de sa frontière avec l'Armenie sinon "l'accord
d'association n'aurait pas de sens" - n'en deplaise a l'Azerbaïdjan -
constituerait une avancee importante dans sa part du chemin.
Ara Toranian
mercredi 24 juillet 2013, Ara ©armenews.com
EDITORIAL
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=91523
Les recents signes de nervosite enregistres entre l'Armenie et la
Russie ont d'autant plus surpris que les traditionnelles relations
d'amitie entre les deux Etats n'avaient pas souffert jusqu'alors
de la moindre anicroche. S'il est en effet un axiome de base dans
toutes les etudes strategiques sur la region, c'est bien celui de
l'axe Moscou-Erevan. Une situation encore corroboree il y a trois
ans, si besoin etait, par la prolongation jusqu'en 2044 de la base
militaire russe de Gumri, en face de la Turquie. Un accord symbolique
s'il en est de cette entente fraternelle revendiquee par les deux
parties et sous-tendue par une forte communaute d'interets. Dans cette
configuration, la repartition des rôles entre le grand et le petit
frère semblait d'autant plus immuable, que selon une tradition bien
ancree, le soutien du Kremlin passait pour la meilleure garantie de
stabilite et de perennite de tout pouvoir en Armenie. Une constante qui
n'avait pu echapper aux dirigeants actuels du pays, particulièrement
sensibles a leur maintien en place, si l'on en juge par les efforts
qu'ils ont deployes en toute occasion dans cette perspective.
Pourquoi dès lors, cette etrange volonte de remise en cause d'un statu
quo qui leur etait aussi favorable que confortable, et qui sur le plan
interne ne repond a aucune urgence - meme si la main-mise de la Russie
sur l'ensemble du parc industriel et energetique armenien fait parfois
debat ? Quoi qu'il en soit des motivations de l'equipe dirigeante, un
fait s'impose : tout en maintenant une alliance militaire privilegiee
avec la Russie (qui n'est pas discutee), le gouvernement de Serge et
Tigran Sarkissian entend reprendre sa liberte aux niveaux economique et
politique en signant a priori en novembre 2013 l'accord d'association
de l'Armenie avec l'UE dans le cadre du partenariat oriental de l'UE.
Cette orientation pro-europeenne, doublee d'une fin de non-recevoir
au projet poutinien alternatif d'Union douanière eurasienne, passe
visiblement très mal a Moscou. Et l'irritation russe est d'autant
plus forte qu'il n'est pas dans les usages que sur les sujets
internationaux, Erevan s'aventure hors des sentiers balises par son
grand allie strategique. Et encore moins qu'il lui tienne tete. Ce
"ver europeen dans le fruit caucasien", dont l'Armenie, après la
Georgie, est en train de favoriser l'introduction, la Russie ne
veut pas en entendre parler au motif qu'il risquerait a ses yeux
d'affaiblir son influence dans sa chasse gardee sud-caucasienne. Et
elle le fait savoir en rappelant ce qu'il en a coûte a Tbilissi, en
terme d'integrite territoriale, de braver Moscou. Les avertissements
exprimes en ce sens par un certain nombre d'emissaires russes, dont
Konstantin Zatouline directeur de l'Institut des pays de la CEI, ou V.
Kovalenko, l'ex-ambassadeur de Russie en Armenie ne font pas mystère
des dangers auxquels s'exposerait Erevan en perseverant dans cette
voie.
Face a ces pressions, la diplomatie de la petite Armenie n'en est que
plus meritante a maintenir sa position. Peut-on a la fois favoriser
l'ouverture de la region a l'influence europeenne tout en possedant
des liens militaires et strategiques etroits avec Moscou ( l'Armenie
est membre de l'OTSC-organisation du traite de securite collective,
dirigee par Moscou) ? C'est le challenge que s'est fixe Erevan
qui marche dans cette affaire sur un fil. Mais au fond, avait-elle
vraiment le choix ? Son alignement en tout domaine sur le modèle
russe lui apporte certes un sentiment de securite. Mais il n'a pas
empeche les livraisons d'armes a l'Azerbaïdjan pour un montant d'un
milliard de dollars. Ni inflechit l'augmentation de 50% en juin
dernier du prix du gaz vendu a l'Armenie. La Russie, aux prises a
ses propres difficultes, ne s'est jamais vraiment souciee de donner
les moyens d'obtenir un veritable renforcement economique de son
meilleur allie strategique dans la region. Elle a maintenu le pays
sous assistance respiratoire. Mais celle-ci est restee reglee sur
le minimum indispensable a sa survie. C'est ainsi qu'Erevan en est
arrive a compter de plus en plus sur ses propres forces, en s'ouvrant
sur d'autres partenariats plus porteurs de perspectives en terme de
developpement economique et de modernisation.
Ce tournant inattendu de la diplomatie armenienne dirigee par
Edward Nalbandian marque une nouvelle etape dans le processus d'une
independance qui avait tendance, au fil du temps, a devenir plus
formelle que reelle. Il comporte une vraie chance de relancer
le mode de fonctionnement politique et economique de l'Armenie
via l'introduction des reformes rendues obligatoires par l'accord
d'association avec l'UE. Mais aussi de reequilibrer sa relation avec
Moscou, qui voyait en elle un allie captif, susceptible au besoin
d'etre neglige.
A ces differents titres, cette reorientation se devrait d'etre
encourager a sa juste valeur par des gestes forts de l'Europe et
surtout de ses pricipaux membres, a commencer par la France, tant en
terme d'impulsion economique que de garanties sur la paix regionale. A
cet egard, obtenir, comme l'a recemment declare Serge Sarkissian de
la Turquie l'ouverture de sa frontière avec l'Armenie sinon "l'accord
d'association n'aurait pas de sens" - n'en deplaise a l'Azerbaïdjan -
constituerait une avancee importante dans sa part du chemin.
Ara Toranian
mercredi 24 juillet 2013, Ara ©armenews.com