POUVOIR OTTOMAN : LA GESTION POLITIQUE DES MASSACRES DE CILICIE
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Publié le : 26-07-2013
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Imprescriptible
Légende photo : Pendaison de trois des six condamnés a mort
arméniens.
CPA, coll. M. Paboudjian.
R. H. kévorkian , La cilicie (1909-1921) - RHAC III
V - La gestion politique des massacres de Cilicie par le pouvoir
ottoman
Nous avons déja évoqué les circonstances qui aboutirent a la
Catastrophe de Cilicie et comment le gouvernement ottoman traita a
reculons la question majeure du nombre des victimes, pour finalement
s'aligner sur des chiffres voisins de ceux annoncés par les milieux
arméniens et internationaux. On devine aisément que sa volonté
affichée de minimiser les pertes humaines visait avant tout a
maintenir valide la thèse officielle d'émeutes incontrôlées
ayant fait un nombre limité de victimes dans les deux camps. Ses
déclarations officielles, reprises dans une bonne partie de la presse
ottomane, avaient du reste convaincu l'opinion publique, habituée a
voir ce rôle dévolu aux Arméniens, que les principaux responsables
des Â"troubles Â" étaient ces derniers. Il se trouva donc fort
peu d'hommes politiques ottomans pour exiger que la lumière soit
faite sur l'affaire cilicienne, si ce n'est la dizaine de députés
arméniens du Parlement ottoman et une poignée de députés turcs
et grecs qui, nous allons le voir, firent preuve d'un certain courage
dans un environnement ouvertement hostile.
Si nous avons pu, dans les pages précédentes, au fil des
événements, montrer assez précisément l'implication des autorités
civiles et militaires locales dans les massacres de Cilicie, il nous
faut a présent tenter de décrypter le rôle effectif du gouvernement
ou des groupes politiques s'y rattachant, comme le Comité Union et
Progrès, afin de pouvoir dire s'il s'agit uniquement d'initiatives
locales ou bien de l'application d'ordres donnés a un niveau de
pouvoir supérieur. Ce qui revient a soulever la question clé de
la responsabilité du pouvoir dans ces événements et, dans son
prolongement, des commanditaires éventuels de ces crimes.
Véritables représentants de leur millet devant les autorités, les
députés arméniens au Parlement ottoman avaient la une tribune pour
exprimer l'indignation de leur nation contre ces nouvelles violences
et exiger des éclaircissements après les accusations faisant d'eux
les responsables de leur propre massacre.
Les accusations portées, le plus souvent localement, contre les
Arméniens durant la période antérieure aux massacres -- provocations
et préparatifs secrets pour reconstituer un Â" Royaume arménien de
Cilicie Â" -- pouvaient, cela a déja été souligné, être le fruit
d'une mauvaise interprétation de l'attitude des Arméniens de Cilicie
depuis le rétablissement de la Constitution. On peut tout aussi
bien mettre sur le compte des traditions hamidiennes l'agressivité
et la violence qu'on exprime alors a l'égard des Arméniens sans se
soucier des conséquences de ces gestes. On peut enfin imaginer que le
monde tribal en mutation que constituait la Cilicie était traversé
par des courants antagonistes nous échappant et désireux d'asseoir
localement leur pouvoir. Si tous ces paramètres sont fondés, ils
ne peuvent toutefois suffire a expliquer l'embrasement soudain de
la Cilicie le 14 avril 1909, dans un Empire ottoman dont tous les
observateurs expérimentés savent qu'aucun acte de cette ampleur ne
peut avoir lieu sans un ordre venu, ou supposé venu, des plus hautes
autorités de l' état.
Le plus paradoxal est que, tout en minimisant la portée des
événements et en faisant porter leur responsabilité sur les
Arméniens, la classe politique turque, voire arménienne au début,
a attribué ces massacres, tout comme la contre-révolution du
Â" 31 mars Â", a une conspiration ourdie par Abdul-Hamid et ses
nostalgiques. Volonté de brouiller les pistes ou explication pratique,
cette thèse paraît d'autant plus improbable qu'elle est contredite
par la situation effective du sultan, que les Jeunes Turcs avaient
progressivement isolé dans son palais de Yıldız en renvoyant une
bonne partie de ses collaborateurs, en déplacant ailleurs sa garde
albanaise, ne lui laissant qu'une faible capacité de maintenir
en place ses réseaux et donc d'influer sur la situation politique
intérieure. Même le P. Rigal, ce jésuite pragmatique, remarque que
Â" L'auteur responsable de ces massacres est le même qui, treize ans
auparavant, a immolé cent mille victimes et qui aujourd'hui, sentant
le trône s'effondrer, a voulu, en tombant, faire disparaître de la
terre ce peuple trop vivace dont le nom lui était odieux Â"139.
Les premières réaction des autorités centrales
Compte tenu de la brièveté de vie du cabinet Tevfik pacha, nommé
le 18 avril et démissionnaire le 26 du même mois, il est clair
que celui-ci n'a pas pu sérieusement prendre en main le pouvoir et
encore moins s'occuper de l'affaire cilicienne. Comme nous l'avons
rapporté en détail dans le chapitre consacré a Â" L'intermède
des 17-24 avril a AdanaÂ", c'est pratiquement le sous-secrétaire
d' état a l'Intérieur, Adil bey, qui a géré le dossier et rendu
compte des événements au grand-vizir et au Parlement ottoman, mais
c'est Mahmoud Chevket pacha qui a décidé d'envoyer des troupes
en Cilicie. On ne peut donc pas porter de jugement consistant sur
le comportement du cabinet Tevfik et encore moins lui attribuer une
quelconque responsabilité.
Au reste, le Parlement lui-même ne se saisit vraiment de l'affaire
qu'au cours de sa séance du 2 mai 1909. Le chef historique jeune-turc
Ahmed Riza, qui préside de nouveau la chambre ottomane ce jour-la,
ne trouve rien d'autre a faire que de lire le rapport qui lui a été
adressé le 26 avril par le vali d'Adana révoqué, mais toujours en
place. Usant d'un langage guère plus mesuré que dans ses premiers
rapports, Djévad bey apprend aux députés: Â" Nous avons appris de
sources sÃ"res que la responsabilité des derniers événements140
incombe a quelques fédaï arméniens [...] Â". La réaction des
députés arméniens, appuyés par quelques collègues turcs et grecs,
est immédiate : ils soulignent tout d'abord que le rapport du vali est
un tissu de mensonge, puis attaquent le sous-secrétaire d' état Hadji
Adil bey [Arda] dont le fameux télégramme adressé a Djévad bey se
contentait de lui recommander de veiller a la Â" protection des sujets
étrangers Â" et de Â" rétablir le calme Â", ce qui, sous l'Ancien
régime, signifiait Â" massacrez les ArméniensÂ"141. L'assemblée
exige alors que le ministre de l'Intérieur, Raouf bey, fournisse les
explications nécessaires sur le dossier. Nommé depuis quelques jours
et peu au fait de la question, celui-ci donne justement la parole a
Adil bey, qui est par ailleurs membre du Comité central jeune-turc,
pour s'exprimer au nom du ministère. Après une déclaration des
plus prudentes et aseptisée, dans laquelle il cherche a justifier
son Â" actionÂ" durant les événements de Cilicie, celui-ci informe
l'assemblée que le grand-vizir Hilmi pacha et le général Mahmoud
Chevket se sont concertés et ont décidé d'envoyer sur place une
commission spéciale.
Le chef de file des députés arméniens, Krikor Zohrab fait alors
la déclaration suivante : Â" Il y a deux manières d'apprendre la
vérité, soit par des mots, soit par des éléments matériels et
des témoignages.
Le conseiller [Adil bey] nous a lu les télégrammes du préfet d'Adana
et du gouverneur de Djébèl Bérékèt, comme s'il s'agissait de
documents fiables. Il lui a été demandé combien de personnes avaient
approximativement été massacrées, et ce conseiller tout puissant142,
qui est dix fois par jour en communication avec cette région,
n'a pas été en mesure de nous donner l'information Â". Dans un
article publié dans Le Temps, le correspondant du quotidien parisien
note : Â" Au cours de la séance d'hier, une vive discussion s'est
engagée sur les massacres d'Adana. Plusieurs députés, notamment
les Arméniens, ont attaqué le gouvernement et demandé la mise en
jugement de l'ex-vali.
Le sous-secrétaire d' état a l'Intérieur a défendu le gouvernement
: il a lu les télégrammes des autorités attribuant les troubles aux
révolutionnaires arméniens et représentant partout les Arméniens
comme les agresseurs [...] Â"143.
Il est donc clair qu'au début du mois de mai, le gouvernement Hilmi
pacha appuie la thèse développée par ses hauts fonctionnaires
ciliciens. Une évolution de sa position, sans doute inspirée par
les informations publiées dans la presse internationale et les
notes verbales des Puissances, est cependant perceptible lorsque,
lors de la séance parlementaire du 13 mai, fait annoncer aux
députés qu'il a décidé d'envoyer en Cilicie, sous l'autorité
du ministre de l'Intérieur, une commission d'enquête de quatre
membres : deux Arméniens et deux musulmans, dont deux devront être
fonctionnaires de l' état et deux députés. En conséquence, le
gouvernement demande au Parlement de désigner en son sein deux
personnalités. Le débat qui s'en suit révèle qu'une partie
de la représentation nationale est opposée a la formation de
cette commission, mais l'assemblée finit par élire un militant
jeune-turc arménien, Hagop Babikian, et un autre député de ce
parti, Chéfik bey. Au cours de la séance parlementaire du 23 mai,
ce dernier s'étant désisté, on suggéra a Talaat bey d'accepter,
mais celui-ci se déclara dans l'incapacité d'accepter l'offre et ce
fut finalement le député jeune-turc de Castamouni, Youssouf Kémal,
qui fut finalement élu. Durant la même séance, le président du
Parlement, Ahmed Riza, insiste sur le fait que Â" l'affaire d'Adana
a donné lieu a une polémique avec les Puissances européennes
et le ministre des Affaires étrangères a quotidiennement des
entrevues avec les ambassadeurs étrangers Â"144. On sent déja la
la préoccupation des autorités, soucieuses de garder une bonne
image de marque en Occident, et ainsi contraintes de faire preuve
d'une certaine transparence. C'est d'ailleurs probablement plus pour
répondre a ce souci que pour rassurer les victimes arméniennes,
que le gouvernement met en place une commission d'enquête.
C'est dans son discours-programme de gouvernement, prononcé devant
le Parlement le 24 mai 1909, que le grand-vizir Husseïn Hilmi
s'exprime enfin sur la crise cilicienne. Sans jamais évoquer les
points sensibles, il dresse un catalogue des mesures prises, comme la
déclaration de l'état d'urgence dans la province et la mise en place
de cours martiales a Adana, mais aussi a Marach et Aïntab. Il annonce
aussi que l'acheminement sur place de dix brigades de soldats a permis
de ramener le calme et que Â" les biens volés durant les événements
sont progressivement récupérés et remis a leurs propriétaires Â"
-- il s'agit plus de vÅ"ux pieux que d'une réalité. Il rappelle
enfin que pour évaluer le nombre des victimes et prendre la mesure
de la responsabilité qui incombe notamment aux autorités locales,
il a constitué une commission d'enquête composée de deux députés
et deux hauts magistrats, dont les conclusions serviront a la mise
en jugement immédiate des coupables145.
Dès lors, le gouvernement et le parlement ottomans ne font plus
la moindre déclaration officielle, se retranchant derrière la
perspective des rapports a venir de la commission d'enquête
officielle, dont ils attendent sans doute des conclusions
apaisantes. En nommant deux députés jeunes-turcs réputés sÃ"rs,
l'ancien magistrat Hagop Babikian et l'avocat Youssouf Kémal, ainsi
que deux hauts magistrats crédibles, H. Mosditchian et Faïk bey, le
cabinet Hilmi pacha espère évidemment que ces hommes Â" responsables
Â" vont livrer des conclusions dédouanant l' état et la classe
politique turque favorable a la Constitution, et sortir ainsi blanchi
de cet affaire aux yeux de l'opinion publique internationale. On ignore
évidemment si Hilmi donna des instructions a tel ou tel membre de la
commission, mais en suivant de près leur travail sur le terrain et
en lisant les conclusions des deux rapports connus -- celui des deux
magistrats, officiellement remis le 10 juillet, l'autre rédigé par
H. Babikian, mais conservé secret jusqu'en 1912 --, on peut mesurer
jusqu'où le pouvoir était disposé a aller dans la mise en cause
de la classe politique turque.
Arrivés en Cilicie au début du mois de juin, les membres de la
commission enquêtèrent assez minutieusement durant plus d'un mois. Si
les deux magistrats, Faïk et Mosditchian, travaillèrent de concert
et remirent un rapport commun, il n'en fut pas de même pour les deux
députés, pourtant membres du même parti. Hagop Babikian, dont tout
le monde s'accorde a dire qu'il était réputé pour son attachement
a l'ottomanisme et son refus des cloisonnements communautaires,
semble bien avoir été en désaccord avec son confrère turc. Le
vice-consul de France a Mersine et Adana, Barré de Lancy, rapporte
dans une dépêche adressée au chargé d'affaire a Constantinople, que
Babikian Â" aurait eu des altercations assez vives avec son collègue
musulman Youssouf Kémal qui se trouve encore a Adana Â"146. Reparti de
Mersine le 4 juillet en compagnie des autres membres de la commission,
a l'exception notable de Youssouf Kémal147, Babikian confirme
lui-même, dans des interviews donnés a deux journaux jeunes-turcs
durant son escale a Smyrne, qu'il y a eu quelques malentendus entre lui
et son collègue. a une question du journaliste du quotidien smyrniote
Ittihad 148 sur les résultats de son enquête et les raisons de ce
massacre, il répond : Â" Compte tenu des éléments recueillis au
cours de mon enquête, [on peut dire] que depuis la proclamation de
la Constitution, les partisans de la tyrannie ont donné des signes
de mécontentement et ont projeté de massacrer les chrétiens :
cela est évident et prouvé par des documents judiciaires officiels
Â". a une autre question du même journaliste sur la participation aux
massacres des autorités locales ou centrales, le député de Rodosto
réplique : Â" Le pouvoir central n'y a pas participé, mais en a été
la cause. Quant aux autorités locales, elles sont impliquées. Le
vali Djévad bey, le commandant militaire Moustapha Remzi pacha,
le mutessarif du Djébèl Bérékèt Assaf bey, Abdul-Kader Baghdadi
Zadé, Salih effendi Bochnak et le propriétaire du journal Ittidal,
Ihsan Fikri notamment y sont totalement impliqués Â". Dans la même
interview, Babikian fait aussi allusion au manque d'objectivité de
la Cour martiale.
H. Babikian est plus direct encore dans ses propos au correspondant
du Tasviri Efkiar 149, annonciateurs de la tonalité de son rapport
a venir. Concernant les rumeurs de désaccords avec son collègue
Youssouf Kémal, qui auraient provoqué son retour prématuré, il
esquive la question en faisant valoir qu'il a achevé sa mission et
que son confrère va rentrer très prochainement. Relativement a la
situation sur place, après avoir pris quelques précautions oratoires,
en soulignant d'emblée qu'il fallait entendre ses propos comme ceux
d'un Ottoman convaincu, soucieux du bonheur et du développement de
la patrie, il affirme que Â" les détails publiés dans les articles
de la presse européenne concernant les événements d'Adana n'ont
rien d'exagéré et sont même, par rapport a ce qu'il a observé
lui-même, en dessous de la vérité Â". C'est cependant son analyse
de l'origine des événements qui est de loin la plus intéressante
: Â" L'affaire d'Adana a deux causes majeures : la réaction et la
tyrannie [...] L'ancien mufti de Baghtché a commencé a circuler ici
et la en affirmant que liberté et constitution sont une invention des
chrétiens, qui sont opposés a la charia, et il a ainsi commencé a
exciter la population, a soulever les musulmans contre les chrétiens
et la Constitution Â".
Relativement a une implication éventuelle du sultan Abdul-Hamid,
Babikian souligne que, même si cette opinion circule, il n'y a aucune
preuve de cela. Suivent trois questions qui forment ensemble la base
des accusations distillées par les autorités locales ciliciennes dans
l'opinion publique ottomane : 1) -- On maintient que les Arméniens ont
été la cause des désordres : cela est-il exact ? -- Les documents
officiels que j'ai avec moi prouveront que cette hypothèse est
totalement erronée ; 2) -- On affirme que les Arméniens ont voulu
proclamer leur indépendance en Cilicie : est-ce vrai ? -- L'enquête
a révélé que cette accusation était totalement infondée ; 3)
-- Le primat d'Adana, l'évêque Mouchègh, est-il impliqué dans
cette affaire ? -- Les résultats de notre enquête prouvent que
le primat n'est pas impliqué, et qu'au contraire, dès le mois de
janvier [1909], l'évêque Mouchègh avait remis des mémorandums
a la préfecture dont notre enquête a révélé la teneur. Mgr
Mouchègh a alors déclaré oralement au vali qu'il y avait des
risques qu'a l'avenir des troubles éclatent et lui a suggéré de
prendre les mesures qui s'imposaient, mais les propos du prélat ont
été considérés excessifs et la mise en Å"uvre de moyens inutile ?
La réponse de Babikian a la question suivante, concernant le nombre
de victimes et la proportion Â" des musulmans et des non musulmans Â",
est d'autant plus intéressante qu'elle fait pour la première fois
allusion aux statistiques établies par le nouveau vali Zihni, rendues
publiques bien plus tard, évaluant a un peu plus de 20 000, dont 620
musulmans, le total des morts. La dernière question concerne une autre
affaire qui a prêté a controverse : la blessure recue au bras par
le consul anglais d'Adana que les autorités locales ont présentée
comme un exemple de l'attitude criminelle des Arméniens. Voici ce
qu'en dit Babikian : -- J'ai personnellement interrogé le consul
sur ce point et il m'a raconté ceci : Â" Les troubles venaient de
commencer ; la terreur régnait partout ; je suis sorti dans la rue ;
j'ai vu quelqu'un qui, par son regard, son comportement et ses faits
et gestes donnait l'apparence d'être devenu complètement fou,
et courait dans ma direction. Il fuyait. J'ai voulu aller vers lui
pour lui demander ce qui se passait. Le fuyard a interprété mon
mouvement comme révélateur d'une mauvaise intention de ma part et
il a vidé son revolver sur moi et s'est enfui150.
Il faut aussi noter que Tasviri Efkiar fit peu après une interview
de Faïk bey, dans laquelle il affirme que ces événements ne sont
pas le fait des milieux réactionnaires, mais dÃ"s a Â" l'ignorance
des populations musulmanes et chrétiennes locales Â"151.
Tout ceci donne déja de bonnes indications sur la tonalité des
rapports des enquêteurs, avant même que ceux-ci soient rendus
publics.
Ces interviews permettent aussi de se faire une idée de la tonalité
de la presse jeune-turque de Constantinople qui, jusqu'alors, a grosso
modo publié des informations reprenant les thèses développées par
le vali Djévad bey et le sous-secrétaire d' état a l'Intérieur
Adil bey.
Indéniablement, les conclusions des deux rapports d'enquête, y
compris celui déposé par Faïk et Mosditchian, viennent remettre en
cause la ligne de défense adoptée jusqu'au mois de juillet par les
milieux turcs en Cilicie comme a Constantinople : dans aucun des deux
il n'est question d'une quelconque responsabilité des Arméniens, dont
le statut est bien celui de victime. Cependant, il y a pour ces mêmes
milieux turcs un abîme entre les propos très généraux, ménageant
la classe politique en attribuant cette flambée de violence a une
populace ignorante et a des hauts fonctionnaires locaux incompétents,
et le discours tenu par Hagop Babikian. Ce dernier a, semble-t-il,
transgressé une règle tacite qui interdit de dire ouvertement que
des populations musulmanes locales ont recu l'ordre de massacrer les
Arméniens ; que les soldats de l'armée de Macédoine dépêchés
sur place ont eux-mêmes procédé au second massacre d'Adana ; que
les dirigeants jeunes-turcs de Cilicie ont directement participé a
l'organisation de ces exactions, etc. Car, si tel n'avait pas été
le cas, on se demande pourquoi seul le rapport Faïk-Mosditchian,
remis le 10 juillet, a été rendu public, et encore une vingtaine
de jours plus tard, tandis que le rapport Babikian est resté dans
un placard (du Patriarcat) durant plus de trois ans.
Plusieurs éléments viennent du reste confirmer qu'il y a eu des
pressions dans les milieux parlementaires et probablement au niveau
du gouvernement et de la direction du Comité Union et Progrès pour
que le rapport Babikian ne soit pas rendu public.
On note tout d'abord que Youssouf Kémal tente de discréditer
et d'exclure de la commission son collègue Babikian en adressant
un télégramme au Parlement ottoman le 3 juillet, informant les
députés que celui-ci a prématurément quitté la Cilicie avant
d'avoir achevé sa mission -- nous avons vu que ce n'est pas l'avis de
Babikian -- et demande a ce que le député juif de Salonique Carasso
soit envoyé au plus vite a Adana pour le remplacer152. Il semble
que le Parlement ait sérieusement songé a procéder au remplacement
éventuel de Babikian puisque dans une dépêche au chargé d'affaire
a Constantinople, datée du 9 juillet153, le vice-consul francais
a Mersine et Adana signale : Â" On attend a Mersine l'arrivée du
député Carasso. Son collègue musulman est toujours a Adana. Il se
déclare contraire a tout paiement d'indemnité en se basant sur le
fait qu'il y a eu révolution et que le gouvernement ne peut être
tenu responsable. Le vali en dit autant pour les sÅ"urs [francaises]
qui reconstruisent Â". Youssouf Kémal déclara d'ailleurs, dès la
fin juin, que les désordres organisés par les Arméniens et quelques
musulmans de Cilicie visaient a favoriser le parti Ahrar et a nuire au
Comité jeune-turc, ce qui en dit long sur l'état d'esprit dominant
parmi les militants ittihadistes154. Les interviews de Babikian ont
toutefois eu un certain effet et il est probable qu'après réflexion
le Comité jeune-turc de Salonique a préféré éviter de mettre
a l'écart l'un de ses militants, même s'il est arménien, pour
éviter de prendre trop ouvertement position en faveur de la thèse
de la responsabilité arménienne.
L'évolution de la position du cabinet Hilmi sur l'affaire d'Adana
En ce début du mois de juillet, un basculement est en train de se
produire. Certes, dans ses numéros des 1er et 19 juillet, le quotidien
jeune-turc Tasviri Efkiar a publié un article du député de Konia,
Ebouzzia Tevfik bey, confirmant la position de son parti sur le fait
que Â" les responsables sont uniquement les Arméniens Â", n'hésitant
pas par ailleurs a féliciter la Cour martiale pour son travail sur le
terrain155 -- nous verrons que cette première cour martiale s'appuie
sur les rapports de Djévad pour condamner les Arméniens comme
coupables de leur propre massacre. On note aussi, une déclaration
de Hakkı bey, membre éminent de la direction jeune-turque, au
Temps de Paris (daté du 28 mai). Sans doute soumis a la pression
de l'opinion publique occidentale au cours de son séjour en Europe,
celui-ci n'a pas hésité, pour dédouaner son parti et son pays, a
affirmer : Â" On exagère. Votre presse ne nous montre pas toujours
beaucoup de bienveillance. En fait, nous savons aujourd'hui que
les troubles d'Adana furent fomentés de Constantinople. Nous avons
saisi des dépêches qui prouvent que le comité arménien cherchait
une intervention de l'Europe Â"156. Et cela a évidemment provoqué
une réaction des chefs de la FRA, officiellement alliée du parti
jeune-turc, demandant au Comité central de Salonique de désavouer
les propos de leur collègue de la direction ittihadiste.
Ces déclarations semblent cependant constituer une sorte de
dernier baroud d'honneur des milieux turcs. Après deux mois de
campagne anti-arménienne, les membres de la commission d'enquête
sont rentrés, y compris Youssouf Kémal qui a quitté Mersine le
14 juillet157, et souhaitent présenter leurs rapports. Youssouf
Kémal participe justement a la séance parlementaire du 20 juillet,
au cours de laquelle il annonce qu'il va présenter ses conclusions a
l'assemblée dans quelques jours158. Durant la séance du 26 juillet, a
laquelle Hagop Babikian assiste, on note les premiers effets du rapport
Faïk-Mosditchian qui accusent nommément le vali d'Adana Djévad, le
commandant militaire Moustapha Remzi pacha, Abdul-Kader Baghdadi Zadé
et Ihsan Fikri d'être les principaux responsables des massacres. Or,
tous ces hommes ont été disculpés par la Cour martiale formée
au mois de mai et principalement constituée d'officiers supérieurs
jeunes-turcs159. On note pourtant un durcissement de certains milieux
turcs qui s'étaient jusqu'alors montrés assez discrets. Du haut de
la tribune, Ismaïl Hakkı, le député jeune turc de Gumuldjina,
reproche au gouvernement de s'être mêlé des affaires de la Cour
martiale d'Adana, dont le président et un membre éminent ont
démissionné après l'ordre d'arrestation des responsables des
massacres adressé par le gouvernement. Il est suivi en cela par la
moitié des députés du Parlement qui votent une motion contre le
cabinet Hilmi, lequel n'a fait, pour l'occasion, que mettre en Å"uvre
les recommandations du rapport Faïk-Mosditchian. Hagop Babikian
se lève alors et remarque : Â" 21 000 personnes ont été tuées
a Adana et vous vous levez a présent pour défendre deux personnes
Â". S'en suit une assez violente passe d'arme au cours de laquelle
on observe que nombre de députés turcs contestent même le nombre
des victimes et plus généralement le fait que les responsables de
cette boucherie ne sont pas Â" les Â" Arméniens.
Pour mettre fin a ce fort moment de tension, révélateur des clivages,
l'assemblée accepte la proposition que le débat sur l'affaire d'Adana
n'ait lieu qu'après présentation des rapports de la commission
d'enquête parlementaire. Ainsi s'achève, ce 26 juillet 1909, l'amorce
de débat sur les événements de Cilicie160. Des documents accablants
sont cependant publiés dans la presse stambouliote dès le lendemain,
comme deux télégrammes chiffrés adressés par le vali Djévad bey
aux mutessarif et sous-préfets de sa province, ainsi qu'au ministère
de l'Intérieur. Dans le second, on peut par exemple lire : Â" Les
Arméniens ont attaqué ; le palais du gouvernement [comprenons la
préfecture] est assiégé ; les Arméniens sont armés et massacrent
des Turcs désarmés. Venez nous en aide Â"161. En cette dernière
semaine de juillet, la tension est a son comble. Tout indique que
le débat est impossible dans ce pays où le massacre de certains
éléments n'est pas encore considéré par la majorité de la classe
politique et l'écrasante majorité de l'opinion publique comme un
crime. L'ambassadeur de France, Bompard, rapporte justement a son
ministre Pichon que le gouvernement a dÃ" suivre Â" les conseils du
Comité Union et Progrès qui désirait voir donner satisfaction
a l'opinion pour éviter a la chambre une discussion dangereuse a
propos du rapport déposé par la commission d'enquête Â"162.
Effectivement, le débat n'aura pas lieu, notamment parce que le
député Hagop Babikian est mort le dimanche 1er aoÃ"t, la veille du
jour prévu pour présenter son rapport devant le parlement163. Le
frère du défunt, rapporte que le jour de sa mort, Hagop Babikian
s'est installé a son bureau pour mettre la dernière main a son
rapport ; que dans la matinée, il s'est plaint de douleurs au ventre
et a la poitrine ; que dans la soirée, son état s'est soudain
aggravé et qu'il a rapidement sombré dans un coma, bientôt suivi
de son décès. Compte tenu du contexte, il va sans dire que cette
mort subite a alimenté les rumeurs les plus variées. Rien n'indique
cependant de manière formelle que ce décès a été provoqué. On
peut tout au plus constater que cette mort a évité que le rapport
Babikian, dont le public ne connaissait alors que les grandes lignes
a travers les interviews données, ne soit rendu public164.
Certes, au cours de la séance parlementaire du lendemain, 5 aoÃ"t,
le président de l'assemblée a informé les députés que Youssouf
Kémal avait remis son rapport d'enquête et le député arménien
Vartkès a demandé a ce que le rapport Babikian soit également lu,
et l'assemblée a finalement décidé d'entendre les conclusions
des deux députés le samedi suivant, 7 aoÃ"t. Mais le lendemain,
lorsque la question a été remise a l'ordre du jour, le président
a proposé a l'assemblée de soumettre ces rapports a l'examen d'une
commission parlementaire spéciale préalablement a leur lecture, et
la proposition a été immédiatement adoptée165 : l'affaire d'Adana
venait d'être évoquée au Parlement ottoman pour la dernière fois,
car les deux rapports ne furent jamais rendus publics et on ignore
même jusqu'a présent le contenu de celui de Youssouf Kémal, dont
on sait cependant, par les déclarations publiques de son auteur,
qu'il était loin de conclure dans le sens de celui de H. Babikian.
Il semble, en fait, que dans l'intervalle des négociations ont eu
lieu en coulisse pour, ainsi que l'ambassadeur francais l'a souligné,
éviter le déballage public d'une affaire des plus embarrassantes. Le
CUP et son gouvernement craignent apparemment une réaction populaire
-- c'est du moins ce qu'ils disent en privée -- et, surtout, que
la responsabilité avérée de ses militants dans les massacres soit
trop soulignée.
Confidentielles par nature, ces négociations semblent s'être
déroulées entre les leaders jeunes-turcs et leurs alliés arméniens
de la FRA, qui préparaient alors le fameux accord de coopération
que nous avons déja évoqué166. Il est probable que les députés
arméniens aient accepté que les rapports ne soient pas rendus publics
et que le débat parlementaire n'ait pas lieu, se ralliant en cela
aux arguments de leurs collègues turcs, a savoir que le débat ne
résoudrait rien et risquait plutôt d'envenimer les choses, car la
majorité du Parlement ne veut pas entendre une vérité peu flatteuse
pour l'Empire ottoman.
En échange, on a tout aussi vraisemblablement promis aux Arméniens de
faire une déclaration publique les lavant de toutes les accusations
portées contre eux depuis les événements, de créer sur place un
véritable climat de sécurité, d'aider les rescapés a récupérer
au plus vite au moins une partie de leurs biens pillés et, surtout,
de faire justice en punissant les véritables coupables de ces crimes.
Plusieurs éléments permettent en effet de constater un revirement
de la politique officielle du gouvernement en ces premiers jours
d'aoÃ"t 1909.
1) Un nouveau préfet d'Adana vient d'être nommé. Il s'agit du
colonel Ahmed Djémal bey -- le futur ministre de la Marine et chef
de la IVe armée durant la Première Guerre mondiale -- qui est un
membre très influent du Comité central de l'Union et Progrès,
réputé énergique et libéral167.
2) Un véritable budget est alloué pour venir en aide aux dizaines
de milliers d'Arméniens restés sans toit168.
3) Les Cours martiales installées en Cilicie ont enfin procédé a
l'arrestation des principaux responsables des massacres, mais fait
pendre de simples exécutants.
4) Le grand-vizir Hilmi pacha a publié, le 11 aoÃ"t, une circulaire
officielle blanchissant totalement les Arméniens de toutes les
accusations portées contre eux169. Une phrase résume le ton général
de ce texte : Â" Il n'est pas douteux qu'au temps de l'Ancien régime
où se pratiquaient les abus du despotisme, certaines classes de la
communauté arménienne travaillaient dan un but politique. Mais
quelle que soit la forme dans laquelle ce travail s'opérait, il
n'avait d'autre but que de s'affranchir des vexations et des méfaits
insupportables d'un gouvernement despotique Â". Propos en forme d'aveux
qui sous-tendent que les Arméniens ont été massacrés parce qu'on
continuait en 1909 a les considérer collectivement comme les fédaï
sous l'Ancien régime, c'est-a-dire comme des Â" terroristes Â" et
des révolutionnaires. Apparemment beaucoup ne semblaient pas encore
avoir compris qu'une révolution avait effectivement eu lieu en 1908.
5) Le 12 aoÃ"t, le ministre de la Justice, Naïl bey a déclaré
publiquement : Â" Les Arméniens n'ont aucune responsabilité dans
les causes de ces événements Â"170. Phrase qui clôt cette campagne
de réhabilitation.
L'activité des premières Cours martiales instituées en Cilicie
Rien n'est plus significatif d'une volonté politique que la mise
en Å"uvre par l' état d'une justice susceptible de punir des
coupables et ainsi de rétablir la paix civile et le règne du
droit. Or, concernant les événements de Cilicie, les activités
des premières cours martiales locales donnèrent lieu a des Â"
abus Â" qui scandalisèrent plus d'un observateur, sans parler des
victimes elles-mêmes. Â" Il n'est malheureusement que trop certain,
dit un diplomate, que les nouveaux gouvernants s'occupent bien plus
d'accuser les Arméniens que de rechercher les vrais coupables. C'est
par centaine qu'on arrête les Arméniens, alors que les instigateurs
des massacres restent impunis et dirigent même avec insolence l'Å"uvre
de la justice Â"171. Ces cours ont aussi une autre particularité :
elles sont constituées des principaux organisateurs des massacres et
travaillent toutes sur la base de rapports fournis par des commissions
d'enquête locales dont les membres sont également impliqués dans les
massacres172. Elles ont ainsi le pouvoir de désigner les Â"coupables
Â". Les rapports Babikian et Faïk-Mosditchian soulignent du reste
ces anomalies, ainsi que la pratique courante des faux témoignages
et des aveux extorqués aux victimes.
C'est a la suite de protestations diplomatiques et d'une vive réaction
des milieux arméniens de Constantinople que le grand-vizir Husseïn
Hilmi annonca finalement devant le Parlement, le 24 mai 1909,
la formation d'une Cour martiale de cinq membres, issus des rangs
jeunes-turcs, présidée par Youssouf Kénan pacha. Cependant, cette
instance était semble-t-il dépourvue de moyens d'enquête et reprit
tout bonnement les dossiers instruits avant son installation. Elle
institua en outre trois branches locales a Tarse, Erzin et Marach.
La ligne directrice, probablement imposée du centre, de cette Cour
martiale formée de gradés jeunes-turcs consiste dans un premier temps
a frapper indistinctement des deux côtés, chez les bourreaux comme
chez les victimes, pour donner l'impression d'une justice équitable,
ou plus exactement pour sauver la fiction d'une responsabilité
arménienne. La meilleure preuve de cet état d'esprit est le rapport
-- que personne n'avait commandé -- de la Cour martiale, rendu public
quelques jours avant celui de Faïk et Mosditchian. Une phrase extraite
du rapport a charge contre les Arméniens de Cilicie -- nous l'avons
déja évoqué pour illustrer le dossier d'accusation des Arméniens
-- résume l'état d'esprit des magistrats militaires : Â" Le fait
qu'ils [les Arméniens] aient fait preuve d'autant de hardiesse en
usant de la liberté et de l'égalité qu'ils venaient d'acquérir
n'a pas été très apprécié par les musulmans Â"173. Traduisons
: des propagandistes non identifiés ont Â"expliqué Â" a une
population déja bien disposée que ce comportement des Arméniens
était le premier signe d'un projet d'indépendance et de massacre
des musulmans. a cet égard, la note verbale du ministre francais
Pichon au ministre des Affaires étrangères ottoman résume bien les
méthodes employées par la Cour martiale d'Adana : Â" Six Arméniens
viennent d'être pendus a Adana par ordre de la Cour martiale, avec
neuf musulmans, comme provocateurs des massacres. Ainsi la Cour
martiale a adopté dans une large mesure la version des autorités
d'Adana qui voulaient rejeter sur les Arméniens la responsabilité
de la catastrophe. Nous protestons contre cet acte d'iniquité, par
lequel six représentants de la population arménienne si cruellement
frappée sont châtiés avec les représentants des massacreurs
musulmans comme provocateurs des massacres. Nous savons en outre que
ces musulmans châtiés ne sont que d'obscurs instruments et que les
vrais coupables restent impunis. Le vali d'Adana n'a même pas été
traduit devant la Cour martiale. Le directeur du journal turc Ittidal
d'Adana, qui a pris personnellement une part active au massacre et
qui depuis lors publie des articles dangereusement calomnieux contre
les Arméniens, n'est nullement inquiété et continue sa campagne
[...] Â"174. Ce constat se vérifie sur le terrain, puisque la Cour
martiale acquitte tous les responsables locaux.
L'exécution de ces six Arméniens, ainsi que la remise du rapport
Faïk-Mosditchian oblige, comme nous l'avons vu, le gouvernement
a réagir. Le cabinet Hilmi pacha donne donc l'ordre d'arrêter
les personnes incriminées dans leur rapport : le vali Djévad bey,
le commandant militaire Moustapha Remzi pacha, le président du Club
jeune-turc d'Adana, Ihsan Fikri, le très influent notable Abdul-Kader
Baghdadi Zadé, le mutessarif du Djébèl Bérékèt Adil Assaf bey,
le commissaire de police Kadri bey et leurs complices.
Il faut cependant attendre plus de quinze jours, jusqu'au 27 juillet,
pour que l'ancien vali Djévad soit arrêté, car le vali Zihni pacha
et les membres de la Cour martiale refusent d'appliquer les ordres
-- nous avons déja constaté qu'ils avaient de nombreux alliés
au Parlement.
Dès lors, le grand-vizir n'a d'autre choix que de procéder,
le 29 juillet, au remplacement simultané du vali Zihni175 par
Ahmed Djémal et du président de la Cour martiale Youssouf Kénan
par Ismaïl Fazli pacha, qui occupait jusqu'alors les fonctions de
commandant militaire de Smyrne. Le même jour, toutes les personnes
citées ci-dessus sont arrêtées. Au cours du mois d'aoÃ"t,
la Cour martiale réformée juge donc enfin les responsables des
massacres. Il n'est évidemment plus question de responsabilité des
Arméniens, mais les vieux réflexes semblent encore prédominer. Le
Patriarcat arménien de Constantinople fait amèrement remarquer au
grand-vizir que, malgré cela, nombre d'Arméniens croupissent dans
les prisons ciliciennes dans des conditions effroyables, soumis au
bon vouloir et a la brutalité de leurs gardiens. Il se plaint aussi
de la légèreté des peines infligées. Qu'on en juge : Djévad est
condamné a six ans d'interdiction de toute fonction administrative
-- on lui attribue cependant une solde minimale -- ; Moustapha
Remzi a trois mois de prison -- la peine ne sera pas appliquée
-- ; Assaf bey a quatre ans d'interdiction de fonction publique ;
Ihsan Fikri a une interdiction de séjour a Adana ; son collègue de
l'Ittidal Ismaïl Séfa a un mois d'emprisonnement ; Osman bey, le
commandant de la garnison d'Adana, a trois mois de prison ; Abdul-Kader
Baghdadi Zadé a l'exil au Hedjaz pour deux ans -- il est amnistié a
l'occasion de l'anniversaire de la Constitution176. Le vice-consul de
France a Mersine et Adana explique dans ses rapports au ministre des
Affaires étrangères Pichon, le mode de fonctionnement de la Cour
martiale et note qu'il est quasiment impossible pour un Arménien de
témoigner et que certains membres de la Cour semblent sensibles aux
cadeaux de certains inculpés. Ihsan Fikri a même été convoqué a
Constantinople, après un bref séjour au Caire, par ses collègues
jeunes-turcs pour officiellement y faire son rapport, mais personne
ne l'a publiquement désavoué pour son action.
Pendant ce temps, sur le terrain, le nouveau vali Djémal bey fait
pendre a tour de bras plus d'une centaine de massacreurs qui, comme
l'indiquent les diplomates, ne sont que des seconds couteaux, de
simples exécutants.
Les limites de cette justice sont illustrées par l'entrevue que le
patriarche a avec le président de la Cour martiale, Ismaïl Fazıl
pacha, le 4 septembre, alors que ce dernier vient de condamner a
mort quarante Turcs et trois Arméniens. a une question du prélat
arménien, le général turc réplique : Â" Certes, il est totalement
acquis que les Arméniens étaient innocents, cependant, il y a des
Arméniens qui ont commis des actes que les Turcs eux-mêmes ne se
permettent pas [...] Â"177.
En définitive, le gouvernement a, en changeant le président de
la Cour martiale, corrigé les excès les plus criants et fait
appliquer des peines de principe assez révélatrices de ses
préoccupations. Nous touchons la du doigt une question que nous
évoquions au début de cette étude : pour la première fois
dans l'histoire vieille de cinq siècles de l'Empire ottoman, un
élément non musulman a osé exiger que justice soit faite, que
des gens soient condamnés pour leurs crimes, que les peines soient
réellement appliquées pour certains et que cela a entraîné de
vives réactions dans la Â" vieille Turquie Â".
Au-dela des bonnes intentions annoncées par le cabinet Hilmi,
Â" les tribunaux militaires ont persisté a juger les Arméniens
comme rebelles, sans permettre d'ailleurs a ceux-ci de faire la
preuve du contraire ; a mener leurs enquêtes avec l'assistance des
fonctionnaires les plus notoirement compromis ; a se laisser diriger
par les provocateurs et les organisateurs des massacres ; enfin
a se baser sur de fausses dépositions [...] Â". Un autre témoin
américain remarque : Â" Bien des gens sont gardés en prison par
suite des faussesaccusations dont ils ont été l'objet. Il semble
que chacun puisse être arrêté et emprisonné sur un mot prononcé
par un musulman.
Je ne connais aucun cas où le témoignage d'un Arménien appelé
a témoigner a été accepté Â". Â" Dans cette hâte a inculper
les Arméniens, on va jusqu'a assigner en justice des individus
trépassés plusieurs mois avant les troubles Â"178. Le cabinet Hilmi
et les membres jeunes-turcs de la Cour martiale semblent donc plus
préoccupés de sauver les apparences que de rendre justice.
139) Infra, p. 152.
140) Il fait allusion aux seconds massacres d'Adana qui sont en cours
lorsqu'il écrit.
141) Supra, p. 57, n. 59, infra, p. 152.
142) Il fait allusion au fait qu'il était alors, de facto, en charge
du ministère de l'Intérieur.
143) Numéro daté du 3 mai 1909, p. 1, dans un article intitulé Â"
La crise turque : les Arméniens se plaignent a la Chambre Â".
144) Une traduction complète des minutes des séances du Parlement
ottoman sont publiées par la presse stambouliote du lendemain,
notamment dans Puzantion, nos 3836 et 3837, datés des 24 et 25 mai,
pp. 2-3 ; cf. aussi Terzian, op. cit., pp. 611-615.
145) Ibidem.
146) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol. 83, f°
159/2, datée du 3 juillet 1909, Barré de Lancy a Boppe.
147) Ibidem.
148) Repris dans Azadamard, n° 13, daté du 7 juillet 1909, p. 3.
149) Repris dans Azadamard, n° 15, daté du 9 juillet 1909, p. 3.
150) Ibidem.
151) Repris dans Azadamard, n° 18, daté du 13 juillet 1909, p. 3.
152) Compte rendu de la 105e séance du Parlement dans Azadamard,
n° 11, daté du 5 juillet 1909, p. 2.
153) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol. 83,
f° 159/3.
Gabriel-Georges Barre de Lancy (né le 8 Sept. 1865); élève a l'
école des Jeunes de langues; diplômé de l' école des Langues
orientales vivantes; licencié en droit; élève drogman a Alep,
16 décembre 1887; gérant du vice-consulat de Diarbékir,
du 30 Septembre 1891 au 30 Juin 1892; détaché au consulat de
Constantinople, 23 juillet 1892; a Constantinople, 30 mars 1893;
a Beyrouth, 12 avril 1895; drogman de 2e classe, drogman-chancelier
a Damas, 18 sept. 1895; gérant du vice-consulat de Caïffa, 4 juin
1895-28 juillet 1896; gérant du consulat de Damas, 1er juillet-5
décembre 1897; drogman de première classe, 4 décembre 1900; 1er
interprète a Smyrne, 30 novembre 1902 ; gérant du consulat de Damas,
1er aoÃ"t-26 novembre 1904; officier d'académie, 1er mars 1906;
inscrit dans le cadre des vice-consuls de 1 re classe, a dater du
4 décembre 1900; et vice-consul a Mersina et Tarsous, 7 juin 1909;
consul de 2e classe, 31 janvier 1910; a Rabat, 3 avril 1912; a Alep,
30 octobre 1913; chevalier de la légion d'honneur, 3 aout 1914;
placé a la disposition, 23 aoÃ"t 1919 ; Annuaire Diplomatique et
Consulaire de la République Francaise pour 1909-1910 [1918,1920].
154) FO 195/2306, lettre de Doughty-Wylie a son ambassadeur, datée
du 30 juin 1909.
155) Repris dans Azadamard, n° 10, daté du 3 juillet 1909, p. 3.
156) Repris dans Azadamard, n° 12, daté du 6 juillet 1909, p.
1.D'après l'éditorialiste de ce quotidien, les membres du
gouvernement reconnaissent en privée que toutes ces accusations sont
fausses, mais refusent de le déclarer publiquement.
157) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol. 83, f°
159/7, dépêche datée de Mersine le 16 juillet 1909, de Barre de
Lancy a Boppe.
158) Compte rendu dans Azadamard, n° 25, daté du 21 juillet 1909,
p. 2.
159) Il est vrai que trois de ces personnages et bien d'autres
meurtriers ont curieusement été nommés dans les commissions
d'enquêtes locales chargées d'instruire les dossiers a charge les
concernant eux-mêmes.
160) Compte rendu dans la presse stambouliote du 27 juillet, notamment
dans Azadamard, n° 29, daté du 27 juillet 1909, p. 2. D'après
Chérif pacha, Ismaïl Hakkı faisait alors parti du Comité central
jeune-turc : Mécheroutiette, n° 38, janvier 1913, p. 16.
161) Publiés dans Azadamard, n° 29, daté du 27 juillet 1909, p. 3.
162) AMAE, Correspondance politique, Turquie, vol. 83, f° 162,
Thérapia le 11 aoÃ"t 1909.
163) Azadamard, n° 34, daté du 2 aoÃ"t 1909, p. 3.
164) Azadamard, n° 34 et 36, datés des 2 et 4 aoÃ"t 1909,
p. 3. Ses funérailles, le 4 aoÃ"t, donnèrent lieu a une cérémonie
Å"cuménique de grande ampleur -- parlementaires, sénateurs, membres
du gouvernement, corps diplomatique étaient présents en grand nombre
-- au cours de laquelle Youssouf Kémal et Krikor Zohrab prirent
la parole pour rendre hommage au courage politique et a l'altruisme
du défunt
165) Minutes de ces séances publiées dans la presse stambouliote
et par Terzian, op. cit., pp. 621-623.
166) Cf. supra, p. 8, n. 3.
167) Azadamard, n° 38, daté du 6 aoÃ"t 1909, pp. 1-2, annonce
la nomination de Djémal bey et publie une interview de lui ;
l'ambassadeur Bompard annonce également cette nomination dans une
lettre au ministre Pichon du 11 aoÃ"t 1909 : AMAE, Correspondance
politique, Turquie, n. s., vol 283, f° 162.
168) Les fonds furent remis a des commissions composées de notables
locaux plus ou moins impliqués dans les massacres, qui détournèrent
la plupart des fonds. On peut aussi signaler qu'on ne restitua que
symboliquement quelques biens pillés pendant les massacres : FO
195/2306, lettre de Doughty-Wylie a Lowther, d'Adana a Constantinople,
datée du 9 mai 1909.
169) Texte francais dans AMAE, Correspondance politique, Turquie, n.
s., vol 283, ff. 164 22 a 164 23v° ; texte arménien dans Azadamard,
n° 42, daté du 12 aoÃ"t 1909, p. 1.
170) Publiée dans Azadamard, n° 42, daté du 12 aoÃ"t 1909, p. 3.
171) FO 195/2306, lettres de Doughty-Wylie a Lowther, des 4 et 21
mai 1909.
172) Adossidès, op. cit., p. 106, cite le rapport de la mission
américaine.
173) Voir les références de la note 52.
174) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol 283, ff.
121-123, datée du 16 juin 1909.
175) Propriétaire terrien kurde réputé pour être particulièrement
corrompu.
176) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol 283, f°
164 21, 24, 33, dépêches de Mersine, les 11 et 21 septembre 1909.
177) Azadamard, n° 63, daté du 6 septembre 1909, p. 3.
178) Adossidès, op. cit., pp. 119-120.
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Source/Lien : Imprescriptible.fr
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=74622
Publié le : 26-07-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire cette information publiée sur le site Imprescriptible.
Imprescriptible
Légende photo : Pendaison de trois des six condamnés a mort
arméniens.
CPA, coll. M. Paboudjian.
R. H. kévorkian , La cilicie (1909-1921) - RHAC III
V - La gestion politique des massacres de Cilicie par le pouvoir
ottoman
Nous avons déja évoqué les circonstances qui aboutirent a la
Catastrophe de Cilicie et comment le gouvernement ottoman traita a
reculons la question majeure du nombre des victimes, pour finalement
s'aligner sur des chiffres voisins de ceux annoncés par les milieux
arméniens et internationaux. On devine aisément que sa volonté
affichée de minimiser les pertes humaines visait avant tout a
maintenir valide la thèse officielle d'émeutes incontrôlées
ayant fait un nombre limité de victimes dans les deux camps. Ses
déclarations officielles, reprises dans une bonne partie de la presse
ottomane, avaient du reste convaincu l'opinion publique, habituée a
voir ce rôle dévolu aux Arméniens, que les principaux responsables
des Â"troubles Â" étaient ces derniers. Il se trouva donc fort
peu d'hommes politiques ottomans pour exiger que la lumière soit
faite sur l'affaire cilicienne, si ce n'est la dizaine de députés
arméniens du Parlement ottoman et une poignée de députés turcs
et grecs qui, nous allons le voir, firent preuve d'un certain courage
dans un environnement ouvertement hostile.
Si nous avons pu, dans les pages précédentes, au fil des
événements, montrer assez précisément l'implication des autorités
civiles et militaires locales dans les massacres de Cilicie, il nous
faut a présent tenter de décrypter le rôle effectif du gouvernement
ou des groupes politiques s'y rattachant, comme le Comité Union et
Progrès, afin de pouvoir dire s'il s'agit uniquement d'initiatives
locales ou bien de l'application d'ordres donnés a un niveau de
pouvoir supérieur. Ce qui revient a soulever la question clé de
la responsabilité du pouvoir dans ces événements et, dans son
prolongement, des commanditaires éventuels de ces crimes.
Véritables représentants de leur millet devant les autorités, les
députés arméniens au Parlement ottoman avaient la une tribune pour
exprimer l'indignation de leur nation contre ces nouvelles violences
et exiger des éclaircissements après les accusations faisant d'eux
les responsables de leur propre massacre.
Les accusations portées, le plus souvent localement, contre les
Arméniens durant la période antérieure aux massacres -- provocations
et préparatifs secrets pour reconstituer un Â" Royaume arménien de
Cilicie Â" -- pouvaient, cela a déja été souligné, être le fruit
d'une mauvaise interprétation de l'attitude des Arméniens de Cilicie
depuis le rétablissement de la Constitution. On peut tout aussi
bien mettre sur le compte des traditions hamidiennes l'agressivité
et la violence qu'on exprime alors a l'égard des Arméniens sans se
soucier des conséquences de ces gestes. On peut enfin imaginer que le
monde tribal en mutation que constituait la Cilicie était traversé
par des courants antagonistes nous échappant et désireux d'asseoir
localement leur pouvoir. Si tous ces paramètres sont fondés, ils
ne peuvent toutefois suffire a expliquer l'embrasement soudain de
la Cilicie le 14 avril 1909, dans un Empire ottoman dont tous les
observateurs expérimentés savent qu'aucun acte de cette ampleur ne
peut avoir lieu sans un ordre venu, ou supposé venu, des plus hautes
autorités de l' état.
Le plus paradoxal est que, tout en minimisant la portée des
événements et en faisant porter leur responsabilité sur les
Arméniens, la classe politique turque, voire arménienne au début,
a attribué ces massacres, tout comme la contre-révolution du
Â" 31 mars Â", a une conspiration ourdie par Abdul-Hamid et ses
nostalgiques. Volonté de brouiller les pistes ou explication pratique,
cette thèse paraît d'autant plus improbable qu'elle est contredite
par la situation effective du sultan, que les Jeunes Turcs avaient
progressivement isolé dans son palais de Yıldız en renvoyant une
bonne partie de ses collaborateurs, en déplacant ailleurs sa garde
albanaise, ne lui laissant qu'une faible capacité de maintenir
en place ses réseaux et donc d'influer sur la situation politique
intérieure. Même le P. Rigal, ce jésuite pragmatique, remarque que
Â" L'auteur responsable de ces massacres est le même qui, treize ans
auparavant, a immolé cent mille victimes et qui aujourd'hui, sentant
le trône s'effondrer, a voulu, en tombant, faire disparaître de la
terre ce peuple trop vivace dont le nom lui était odieux Â"139.
Les premières réaction des autorités centrales
Compte tenu de la brièveté de vie du cabinet Tevfik pacha, nommé
le 18 avril et démissionnaire le 26 du même mois, il est clair
que celui-ci n'a pas pu sérieusement prendre en main le pouvoir et
encore moins s'occuper de l'affaire cilicienne. Comme nous l'avons
rapporté en détail dans le chapitre consacré a Â" L'intermède
des 17-24 avril a AdanaÂ", c'est pratiquement le sous-secrétaire
d' état a l'Intérieur, Adil bey, qui a géré le dossier et rendu
compte des événements au grand-vizir et au Parlement ottoman, mais
c'est Mahmoud Chevket pacha qui a décidé d'envoyer des troupes
en Cilicie. On ne peut donc pas porter de jugement consistant sur
le comportement du cabinet Tevfik et encore moins lui attribuer une
quelconque responsabilité.
Au reste, le Parlement lui-même ne se saisit vraiment de l'affaire
qu'au cours de sa séance du 2 mai 1909. Le chef historique jeune-turc
Ahmed Riza, qui préside de nouveau la chambre ottomane ce jour-la,
ne trouve rien d'autre a faire que de lire le rapport qui lui a été
adressé le 26 avril par le vali d'Adana révoqué, mais toujours en
place. Usant d'un langage guère plus mesuré que dans ses premiers
rapports, Djévad bey apprend aux députés: Â" Nous avons appris de
sources sÃ"res que la responsabilité des derniers événements140
incombe a quelques fédaï arméniens [...] Â". La réaction des
députés arméniens, appuyés par quelques collègues turcs et grecs,
est immédiate : ils soulignent tout d'abord que le rapport du vali est
un tissu de mensonge, puis attaquent le sous-secrétaire d' état Hadji
Adil bey [Arda] dont le fameux télégramme adressé a Djévad bey se
contentait de lui recommander de veiller a la Â" protection des sujets
étrangers Â" et de Â" rétablir le calme Â", ce qui, sous l'Ancien
régime, signifiait Â" massacrez les ArméniensÂ"141. L'assemblée
exige alors que le ministre de l'Intérieur, Raouf bey, fournisse les
explications nécessaires sur le dossier. Nommé depuis quelques jours
et peu au fait de la question, celui-ci donne justement la parole a
Adil bey, qui est par ailleurs membre du Comité central jeune-turc,
pour s'exprimer au nom du ministère. Après une déclaration des
plus prudentes et aseptisée, dans laquelle il cherche a justifier
son Â" actionÂ" durant les événements de Cilicie, celui-ci informe
l'assemblée que le grand-vizir Hilmi pacha et le général Mahmoud
Chevket se sont concertés et ont décidé d'envoyer sur place une
commission spéciale.
Le chef de file des députés arméniens, Krikor Zohrab fait alors
la déclaration suivante : Â" Il y a deux manières d'apprendre la
vérité, soit par des mots, soit par des éléments matériels et
des témoignages.
Le conseiller [Adil bey] nous a lu les télégrammes du préfet d'Adana
et du gouverneur de Djébèl Bérékèt, comme s'il s'agissait de
documents fiables. Il lui a été demandé combien de personnes avaient
approximativement été massacrées, et ce conseiller tout puissant142,
qui est dix fois par jour en communication avec cette région,
n'a pas été en mesure de nous donner l'information Â". Dans un
article publié dans Le Temps, le correspondant du quotidien parisien
note : Â" Au cours de la séance d'hier, une vive discussion s'est
engagée sur les massacres d'Adana. Plusieurs députés, notamment
les Arméniens, ont attaqué le gouvernement et demandé la mise en
jugement de l'ex-vali.
Le sous-secrétaire d' état a l'Intérieur a défendu le gouvernement
: il a lu les télégrammes des autorités attribuant les troubles aux
révolutionnaires arméniens et représentant partout les Arméniens
comme les agresseurs [...] Â"143.
Il est donc clair qu'au début du mois de mai, le gouvernement Hilmi
pacha appuie la thèse développée par ses hauts fonctionnaires
ciliciens. Une évolution de sa position, sans doute inspirée par
les informations publiées dans la presse internationale et les
notes verbales des Puissances, est cependant perceptible lorsque,
lors de la séance parlementaire du 13 mai, fait annoncer aux
députés qu'il a décidé d'envoyer en Cilicie, sous l'autorité
du ministre de l'Intérieur, une commission d'enquête de quatre
membres : deux Arméniens et deux musulmans, dont deux devront être
fonctionnaires de l' état et deux députés. En conséquence, le
gouvernement demande au Parlement de désigner en son sein deux
personnalités. Le débat qui s'en suit révèle qu'une partie
de la représentation nationale est opposée a la formation de
cette commission, mais l'assemblée finit par élire un militant
jeune-turc arménien, Hagop Babikian, et un autre député de ce
parti, Chéfik bey. Au cours de la séance parlementaire du 23 mai,
ce dernier s'étant désisté, on suggéra a Talaat bey d'accepter,
mais celui-ci se déclara dans l'incapacité d'accepter l'offre et ce
fut finalement le député jeune-turc de Castamouni, Youssouf Kémal,
qui fut finalement élu. Durant la même séance, le président du
Parlement, Ahmed Riza, insiste sur le fait que Â" l'affaire d'Adana
a donné lieu a une polémique avec les Puissances européennes
et le ministre des Affaires étrangères a quotidiennement des
entrevues avec les ambassadeurs étrangers Â"144. On sent déja la
la préoccupation des autorités, soucieuses de garder une bonne
image de marque en Occident, et ainsi contraintes de faire preuve
d'une certaine transparence. C'est d'ailleurs probablement plus pour
répondre a ce souci que pour rassurer les victimes arméniennes,
que le gouvernement met en place une commission d'enquête.
C'est dans son discours-programme de gouvernement, prononcé devant
le Parlement le 24 mai 1909, que le grand-vizir Husseïn Hilmi
s'exprime enfin sur la crise cilicienne. Sans jamais évoquer les
points sensibles, il dresse un catalogue des mesures prises, comme la
déclaration de l'état d'urgence dans la province et la mise en place
de cours martiales a Adana, mais aussi a Marach et Aïntab. Il annonce
aussi que l'acheminement sur place de dix brigades de soldats a permis
de ramener le calme et que Â" les biens volés durant les événements
sont progressivement récupérés et remis a leurs propriétaires Â"
-- il s'agit plus de vÅ"ux pieux que d'une réalité. Il rappelle
enfin que pour évaluer le nombre des victimes et prendre la mesure
de la responsabilité qui incombe notamment aux autorités locales,
il a constitué une commission d'enquête composée de deux députés
et deux hauts magistrats, dont les conclusions serviront a la mise
en jugement immédiate des coupables145.
Dès lors, le gouvernement et le parlement ottomans ne font plus
la moindre déclaration officielle, se retranchant derrière la
perspective des rapports a venir de la commission d'enquête
officielle, dont ils attendent sans doute des conclusions
apaisantes. En nommant deux députés jeunes-turcs réputés sÃ"rs,
l'ancien magistrat Hagop Babikian et l'avocat Youssouf Kémal, ainsi
que deux hauts magistrats crédibles, H. Mosditchian et Faïk bey, le
cabinet Hilmi pacha espère évidemment que ces hommes Â" responsables
Â" vont livrer des conclusions dédouanant l' état et la classe
politique turque favorable a la Constitution, et sortir ainsi blanchi
de cet affaire aux yeux de l'opinion publique internationale. On ignore
évidemment si Hilmi donna des instructions a tel ou tel membre de la
commission, mais en suivant de près leur travail sur le terrain et
en lisant les conclusions des deux rapports connus -- celui des deux
magistrats, officiellement remis le 10 juillet, l'autre rédigé par
H. Babikian, mais conservé secret jusqu'en 1912 --, on peut mesurer
jusqu'où le pouvoir était disposé a aller dans la mise en cause
de la classe politique turque.
Arrivés en Cilicie au début du mois de juin, les membres de la
commission enquêtèrent assez minutieusement durant plus d'un mois. Si
les deux magistrats, Faïk et Mosditchian, travaillèrent de concert
et remirent un rapport commun, il n'en fut pas de même pour les deux
députés, pourtant membres du même parti. Hagop Babikian, dont tout
le monde s'accorde a dire qu'il était réputé pour son attachement
a l'ottomanisme et son refus des cloisonnements communautaires,
semble bien avoir été en désaccord avec son confrère turc. Le
vice-consul de France a Mersine et Adana, Barré de Lancy, rapporte
dans une dépêche adressée au chargé d'affaire a Constantinople, que
Babikian Â" aurait eu des altercations assez vives avec son collègue
musulman Youssouf Kémal qui se trouve encore a Adana Â"146. Reparti de
Mersine le 4 juillet en compagnie des autres membres de la commission,
a l'exception notable de Youssouf Kémal147, Babikian confirme
lui-même, dans des interviews donnés a deux journaux jeunes-turcs
durant son escale a Smyrne, qu'il y a eu quelques malentendus entre lui
et son collègue. a une question du journaliste du quotidien smyrniote
Ittihad 148 sur les résultats de son enquête et les raisons de ce
massacre, il répond : Â" Compte tenu des éléments recueillis au
cours de mon enquête, [on peut dire] que depuis la proclamation de
la Constitution, les partisans de la tyrannie ont donné des signes
de mécontentement et ont projeté de massacrer les chrétiens :
cela est évident et prouvé par des documents judiciaires officiels
Â". a une autre question du même journaliste sur la participation aux
massacres des autorités locales ou centrales, le député de Rodosto
réplique : Â" Le pouvoir central n'y a pas participé, mais en a été
la cause. Quant aux autorités locales, elles sont impliquées. Le
vali Djévad bey, le commandant militaire Moustapha Remzi pacha,
le mutessarif du Djébèl Bérékèt Assaf bey, Abdul-Kader Baghdadi
Zadé, Salih effendi Bochnak et le propriétaire du journal Ittidal,
Ihsan Fikri notamment y sont totalement impliqués Â". Dans la même
interview, Babikian fait aussi allusion au manque d'objectivité de
la Cour martiale.
H. Babikian est plus direct encore dans ses propos au correspondant
du Tasviri Efkiar 149, annonciateurs de la tonalité de son rapport
a venir. Concernant les rumeurs de désaccords avec son collègue
Youssouf Kémal, qui auraient provoqué son retour prématuré, il
esquive la question en faisant valoir qu'il a achevé sa mission et
que son confrère va rentrer très prochainement. Relativement a la
situation sur place, après avoir pris quelques précautions oratoires,
en soulignant d'emblée qu'il fallait entendre ses propos comme ceux
d'un Ottoman convaincu, soucieux du bonheur et du développement de
la patrie, il affirme que Â" les détails publiés dans les articles
de la presse européenne concernant les événements d'Adana n'ont
rien d'exagéré et sont même, par rapport a ce qu'il a observé
lui-même, en dessous de la vérité Â". C'est cependant son analyse
de l'origine des événements qui est de loin la plus intéressante
: Â" L'affaire d'Adana a deux causes majeures : la réaction et la
tyrannie [...] L'ancien mufti de Baghtché a commencé a circuler ici
et la en affirmant que liberté et constitution sont une invention des
chrétiens, qui sont opposés a la charia, et il a ainsi commencé a
exciter la population, a soulever les musulmans contre les chrétiens
et la Constitution Â".
Relativement a une implication éventuelle du sultan Abdul-Hamid,
Babikian souligne que, même si cette opinion circule, il n'y a aucune
preuve de cela. Suivent trois questions qui forment ensemble la base
des accusations distillées par les autorités locales ciliciennes dans
l'opinion publique ottomane : 1) -- On maintient que les Arméniens ont
été la cause des désordres : cela est-il exact ? -- Les documents
officiels que j'ai avec moi prouveront que cette hypothèse est
totalement erronée ; 2) -- On affirme que les Arméniens ont voulu
proclamer leur indépendance en Cilicie : est-ce vrai ? -- L'enquête
a révélé que cette accusation était totalement infondée ; 3)
-- Le primat d'Adana, l'évêque Mouchègh, est-il impliqué dans
cette affaire ? -- Les résultats de notre enquête prouvent que
le primat n'est pas impliqué, et qu'au contraire, dès le mois de
janvier [1909], l'évêque Mouchègh avait remis des mémorandums
a la préfecture dont notre enquête a révélé la teneur. Mgr
Mouchègh a alors déclaré oralement au vali qu'il y avait des
risques qu'a l'avenir des troubles éclatent et lui a suggéré de
prendre les mesures qui s'imposaient, mais les propos du prélat ont
été considérés excessifs et la mise en Å"uvre de moyens inutile ?
La réponse de Babikian a la question suivante, concernant le nombre
de victimes et la proportion Â" des musulmans et des non musulmans Â",
est d'autant plus intéressante qu'elle fait pour la première fois
allusion aux statistiques établies par le nouveau vali Zihni, rendues
publiques bien plus tard, évaluant a un peu plus de 20 000, dont 620
musulmans, le total des morts. La dernière question concerne une autre
affaire qui a prêté a controverse : la blessure recue au bras par
le consul anglais d'Adana que les autorités locales ont présentée
comme un exemple de l'attitude criminelle des Arméniens. Voici ce
qu'en dit Babikian : -- J'ai personnellement interrogé le consul
sur ce point et il m'a raconté ceci : Â" Les troubles venaient de
commencer ; la terreur régnait partout ; je suis sorti dans la rue ;
j'ai vu quelqu'un qui, par son regard, son comportement et ses faits
et gestes donnait l'apparence d'être devenu complètement fou,
et courait dans ma direction. Il fuyait. J'ai voulu aller vers lui
pour lui demander ce qui se passait. Le fuyard a interprété mon
mouvement comme révélateur d'une mauvaise intention de ma part et
il a vidé son revolver sur moi et s'est enfui150.
Il faut aussi noter que Tasviri Efkiar fit peu après une interview
de Faïk bey, dans laquelle il affirme que ces événements ne sont
pas le fait des milieux réactionnaires, mais dÃ"s a Â" l'ignorance
des populations musulmanes et chrétiennes locales Â"151.
Tout ceci donne déja de bonnes indications sur la tonalité des
rapports des enquêteurs, avant même que ceux-ci soient rendus
publics.
Ces interviews permettent aussi de se faire une idée de la tonalité
de la presse jeune-turque de Constantinople qui, jusqu'alors, a grosso
modo publié des informations reprenant les thèses développées par
le vali Djévad bey et le sous-secrétaire d' état a l'Intérieur
Adil bey.
Indéniablement, les conclusions des deux rapports d'enquête, y
compris celui déposé par Faïk et Mosditchian, viennent remettre en
cause la ligne de défense adoptée jusqu'au mois de juillet par les
milieux turcs en Cilicie comme a Constantinople : dans aucun des deux
il n'est question d'une quelconque responsabilité des Arméniens, dont
le statut est bien celui de victime. Cependant, il y a pour ces mêmes
milieux turcs un abîme entre les propos très généraux, ménageant
la classe politique en attribuant cette flambée de violence a une
populace ignorante et a des hauts fonctionnaires locaux incompétents,
et le discours tenu par Hagop Babikian. Ce dernier a, semble-t-il,
transgressé une règle tacite qui interdit de dire ouvertement que
des populations musulmanes locales ont recu l'ordre de massacrer les
Arméniens ; que les soldats de l'armée de Macédoine dépêchés
sur place ont eux-mêmes procédé au second massacre d'Adana ; que
les dirigeants jeunes-turcs de Cilicie ont directement participé a
l'organisation de ces exactions, etc. Car, si tel n'avait pas été
le cas, on se demande pourquoi seul le rapport Faïk-Mosditchian,
remis le 10 juillet, a été rendu public, et encore une vingtaine
de jours plus tard, tandis que le rapport Babikian est resté dans
un placard (du Patriarcat) durant plus de trois ans.
Plusieurs éléments viennent du reste confirmer qu'il y a eu des
pressions dans les milieux parlementaires et probablement au niveau
du gouvernement et de la direction du Comité Union et Progrès pour
que le rapport Babikian ne soit pas rendu public.
On note tout d'abord que Youssouf Kémal tente de discréditer
et d'exclure de la commission son collègue Babikian en adressant
un télégramme au Parlement ottoman le 3 juillet, informant les
députés que celui-ci a prématurément quitté la Cilicie avant
d'avoir achevé sa mission -- nous avons vu que ce n'est pas l'avis de
Babikian -- et demande a ce que le député juif de Salonique Carasso
soit envoyé au plus vite a Adana pour le remplacer152. Il semble
que le Parlement ait sérieusement songé a procéder au remplacement
éventuel de Babikian puisque dans une dépêche au chargé d'affaire
a Constantinople, datée du 9 juillet153, le vice-consul francais
a Mersine et Adana signale : Â" On attend a Mersine l'arrivée du
député Carasso. Son collègue musulman est toujours a Adana. Il se
déclare contraire a tout paiement d'indemnité en se basant sur le
fait qu'il y a eu révolution et que le gouvernement ne peut être
tenu responsable. Le vali en dit autant pour les sÅ"urs [francaises]
qui reconstruisent Â". Youssouf Kémal déclara d'ailleurs, dès la
fin juin, que les désordres organisés par les Arméniens et quelques
musulmans de Cilicie visaient a favoriser le parti Ahrar et a nuire au
Comité jeune-turc, ce qui en dit long sur l'état d'esprit dominant
parmi les militants ittihadistes154. Les interviews de Babikian ont
toutefois eu un certain effet et il est probable qu'après réflexion
le Comité jeune-turc de Salonique a préféré éviter de mettre
a l'écart l'un de ses militants, même s'il est arménien, pour
éviter de prendre trop ouvertement position en faveur de la thèse
de la responsabilité arménienne.
L'évolution de la position du cabinet Hilmi sur l'affaire d'Adana
En ce début du mois de juillet, un basculement est en train de se
produire. Certes, dans ses numéros des 1er et 19 juillet, le quotidien
jeune-turc Tasviri Efkiar a publié un article du député de Konia,
Ebouzzia Tevfik bey, confirmant la position de son parti sur le fait
que Â" les responsables sont uniquement les Arméniens Â", n'hésitant
pas par ailleurs a féliciter la Cour martiale pour son travail sur le
terrain155 -- nous verrons que cette première cour martiale s'appuie
sur les rapports de Djévad pour condamner les Arméniens comme
coupables de leur propre massacre. On note aussi, une déclaration
de Hakkı bey, membre éminent de la direction jeune-turque, au
Temps de Paris (daté du 28 mai). Sans doute soumis a la pression
de l'opinion publique occidentale au cours de son séjour en Europe,
celui-ci n'a pas hésité, pour dédouaner son parti et son pays, a
affirmer : Â" On exagère. Votre presse ne nous montre pas toujours
beaucoup de bienveillance. En fait, nous savons aujourd'hui que
les troubles d'Adana furent fomentés de Constantinople. Nous avons
saisi des dépêches qui prouvent que le comité arménien cherchait
une intervention de l'Europe Â"156. Et cela a évidemment provoqué
une réaction des chefs de la FRA, officiellement alliée du parti
jeune-turc, demandant au Comité central de Salonique de désavouer
les propos de leur collègue de la direction ittihadiste.
Ces déclarations semblent cependant constituer une sorte de
dernier baroud d'honneur des milieux turcs. Après deux mois de
campagne anti-arménienne, les membres de la commission d'enquête
sont rentrés, y compris Youssouf Kémal qui a quitté Mersine le
14 juillet157, et souhaitent présenter leurs rapports. Youssouf
Kémal participe justement a la séance parlementaire du 20 juillet,
au cours de laquelle il annonce qu'il va présenter ses conclusions a
l'assemblée dans quelques jours158. Durant la séance du 26 juillet, a
laquelle Hagop Babikian assiste, on note les premiers effets du rapport
Faïk-Mosditchian qui accusent nommément le vali d'Adana Djévad, le
commandant militaire Moustapha Remzi pacha, Abdul-Kader Baghdadi Zadé
et Ihsan Fikri d'être les principaux responsables des massacres. Or,
tous ces hommes ont été disculpés par la Cour martiale formée
au mois de mai et principalement constituée d'officiers supérieurs
jeunes-turcs159. On note pourtant un durcissement de certains milieux
turcs qui s'étaient jusqu'alors montrés assez discrets. Du haut de
la tribune, Ismaïl Hakkı, le député jeune turc de Gumuldjina,
reproche au gouvernement de s'être mêlé des affaires de la Cour
martiale d'Adana, dont le président et un membre éminent ont
démissionné après l'ordre d'arrestation des responsables des
massacres adressé par le gouvernement. Il est suivi en cela par la
moitié des députés du Parlement qui votent une motion contre le
cabinet Hilmi, lequel n'a fait, pour l'occasion, que mettre en Å"uvre
les recommandations du rapport Faïk-Mosditchian. Hagop Babikian
se lève alors et remarque : Â" 21 000 personnes ont été tuées
a Adana et vous vous levez a présent pour défendre deux personnes
Â". S'en suit une assez violente passe d'arme au cours de laquelle
on observe que nombre de députés turcs contestent même le nombre
des victimes et plus généralement le fait que les responsables de
cette boucherie ne sont pas Â" les Â" Arméniens.
Pour mettre fin a ce fort moment de tension, révélateur des clivages,
l'assemblée accepte la proposition que le débat sur l'affaire d'Adana
n'ait lieu qu'après présentation des rapports de la commission
d'enquête parlementaire. Ainsi s'achève, ce 26 juillet 1909, l'amorce
de débat sur les événements de Cilicie160. Des documents accablants
sont cependant publiés dans la presse stambouliote dès le lendemain,
comme deux télégrammes chiffrés adressés par le vali Djévad bey
aux mutessarif et sous-préfets de sa province, ainsi qu'au ministère
de l'Intérieur. Dans le second, on peut par exemple lire : Â" Les
Arméniens ont attaqué ; le palais du gouvernement [comprenons la
préfecture] est assiégé ; les Arméniens sont armés et massacrent
des Turcs désarmés. Venez nous en aide Â"161. En cette dernière
semaine de juillet, la tension est a son comble. Tout indique que
le débat est impossible dans ce pays où le massacre de certains
éléments n'est pas encore considéré par la majorité de la classe
politique et l'écrasante majorité de l'opinion publique comme un
crime. L'ambassadeur de France, Bompard, rapporte justement a son
ministre Pichon que le gouvernement a dÃ" suivre Â" les conseils du
Comité Union et Progrès qui désirait voir donner satisfaction
a l'opinion pour éviter a la chambre une discussion dangereuse a
propos du rapport déposé par la commission d'enquête Â"162.
Effectivement, le débat n'aura pas lieu, notamment parce que le
député Hagop Babikian est mort le dimanche 1er aoÃ"t, la veille du
jour prévu pour présenter son rapport devant le parlement163. Le
frère du défunt, rapporte que le jour de sa mort, Hagop Babikian
s'est installé a son bureau pour mettre la dernière main a son
rapport ; que dans la matinée, il s'est plaint de douleurs au ventre
et a la poitrine ; que dans la soirée, son état s'est soudain
aggravé et qu'il a rapidement sombré dans un coma, bientôt suivi
de son décès. Compte tenu du contexte, il va sans dire que cette
mort subite a alimenté les rumeurs les plus variées. Rien n'indique
cependant de manière formelle que ce décès a été provoqué. On
peut tout au plus constater que cette mort a évité que le rapport
Babikian, dont le public ne connaissait alors que les grandes lignes
a travers les interviews données, ne soit rendu public164.
Certes, au cours de la séance parlementaire du lendemain, 5 aoÃ"t,
le président de l'assemblée a informé les députés que Youssouf
Kémal avait remis son rapport d'enquête et le député arménien
Vartkès a demandé a ce que le rapport Babikian soit également lu,
et l'assemblée a finalement décidé d'entendre les conclusions
des deux députés le samedi suivant, 7 aoÃ"t. Mais le lendemain,
lorsque la question a été remise a l'ordre du jour, le président
a proposé a l'assemblée de soumettre ces rapports a l'examen d'une
commission parlementaire spéciale préalablement a leur lecture, et
la proposition a été immédiatement adoptée165 : l'affaire d'Adana
venait d'être évoquée au Parlement ottoman pour la dernière fois,
car les deux rapports ne furent jamais rendus publics et on ignore
même jusqu'a présent le contenu de celui de Youssouf Kémal, dont
on sait cependant, par les déclarations publiques de son auteur,
qu'il était loin de conclure dans le sens de celui de H. Babikian.
Il semble, en fait, que dans l'intervalle des négociations ont eu
lieu en coulisse pour, ainsi que l'ambassadeur francais l'a souligné,
éviter le déballage public d'une affaire des plus embarrassantes. Le
CUP et son gouvernement craignent apparemment une réaction populaire
-- c'est du moins ce qu'ils disent en privée -- et, surtout, que
la responsabilité avérée de ses militants dans les massacres soit
trop soulignée.
Confidentielles par nature, ces négociations semblent s'être
déroulées entre les leaders jeunes-turcs et leurs alliés arméniens
de la FRA, qui préparaient alors le fameux accord de coopération
que nous avons déja évoqué166. Il est probable que les députés
arméniens aient accepté que les rapports ne soient pas rendus publics
et que le débat parlementaire n'ait pas lieu, se ralliant en cela
aux arguments de leurs collègues turcs, a savoir que le débat ne
résoudrait rien et risquait plutôt d'envenimer les choses, car la
majorité du Parlement ne veut pas entendre une vérité peu flatteuse
pour l'Empire ottoman.
En échange, on a tout aussi vraisemblablement promis aux Arméniens de
faire une déclaration publique les lavant de toutes les accusations
portées contre eux depuis les événements, de créer sur place un
véritable climat de sécurité, d'aider les rescapés a récupérer
au plus vite au moins une partie de leurs biens pillés et, surtout,
de faire justice en punissant les véritables coupables de ces crimes.
Plusieurs éléments permettent en effet de constater un revirement
de la politique officielle du gouvernement en ces premiers jours
d'aoÃ"t 1909.
1) Un nouveau préfet d'Adana vient d'être nommé. Il s'agit du
colonel Ahmed Djémal bey -- le futur ministre de la Marine et chef
de la IVe armée durant la Première Guerre mondiale -- qui est un
membre très influent du Comité central de l'Union et Progrès,
réputé énergique et libéral167.
2) Un véritable budget est alloué pour venir en aide aux dizaines
de milliers d'Arméniens restés sans toit168.
3) Les Cours martiales installées en Cilicie ont enfin procédé a
l'arrestation des principaux responsables des massacres, mais fait
pendre de simples exécutants.
4) Le grand-vizir Hilmi pacha a publié, le 11 aoÃ"t, une circulaire
officielle blanchissant totalement les Arméniens de toutes les
accusations portées contre eux169. Une phrase résume le ton général
de ce texte : Â" Il n'est pas douteux qu'au temps de l'Ancien régime
où se pratiquaient les abus du despotisme, certaines classes de la
communauté arménienne travaillaient dan un but politique. Mais
quelle que soit la forme dans laquelle ce travail s'opérait, il
n'avait d'autre but que de s'affranchir des vexations et des méfaits
insupportables d'un gouvernement despotique Â". Propos en forme d'aveux
qui sous-tendent que les Arméniens ont été massacrés parce qu'on
continuait en 1909 a les considérer collectivement comme les fédaï
sous l'Ancien régime, c'est-a-dire comme des Â" terroristes Â" et
des révolutionnaires. Apparemment beaucoup ne semblaient pas encore
avoir compris qu'une révolution avait effectivement eu lieu en 1908.
5) Le 12 aoÃ"t, le ministre de la Justice, Naïl bey a déclaré
publiquement : Â" Les Arméniens n'ont aucune responsabilité dans
les causes de ces événements Â"170. Phrase qui clôt cette campagne
de réhabilitation.
L'activité des premières Cours martiales instituées en Cilicie
Rien n'est plus significatif d'une volonté politique que la mise
en Å"uvre par l' état d'une justice susceptible de punir des
coupables et ainsi de rétablir la paix civile et le règne du
droit. Or, concernant les événements de Cilicie, les activités
des premières cours martiales locales donnèrent lieu a des Â"
abus Â" qui scandalisèrent plus d'un observateur, sans parler des
victimes elles-mêmes. Â" Il n'est malheureusement que trop certain,
dit un diplomate, que les nouveaux gouvernants s'occupent bien plus
d'accuser les Arméniens que de rechercher les vrais coupables. C'est
par centaine qu'on arrête les Arméniens, alors que les instigateurs
des massacres restent impunis et dirigent même avec insolence l'Å"uvre
de la justice Â"171. Ces cours ont aussi une autre particularité :
elles sont constituées des principaux organisateurs des massacres et
travaillent toutes sur la base de rapports fournis par des commissions
d'enquête locales dont les membres sont également impliqués dans les
massacres172. Elles ont ainsi le pouvoir de désigner les Â"coupables
Â". Les rapports Babikian et Faïk-Mosditchian soulignent du reste
ces anomalies, ainsi que la pratique courante des faux témoignages
et des aveux extorqués aux victimes.
C'est a la suite de protestations diplomatiques et d'une vive réaction
des milieux arméniens de Constantinople que le grand-vizir Husseïn
Hilmi annonca finalement devant le Parlement, le 24 mai 1909,
la formation d'une Cour martiale de cinq membres, issus des rangs
jeunes-turcs, présidée par Youssouf Kénan pacha. Cependant, cette
instance était semble-t-il dépourvue de moyens d'enquête et reprit
tout bonnement les dossiers instruits avant son installation. Elle
institua en outre trois branches locales a Tarse, Erzin et Marach.
La ligne directrice, probablement imposée du centre, de cette Cour
martiale formée de gradés jeunes-turcs consiste dans un premier temps
a frapper indistinctement des deux côtés, chez les bourreaux comme
chez les victimes, pour donner l'impression d'une justice équitable,
ou plus exactement pour sauver la fiction d'une responsabilité
arménienne. La meilleure preuve de cet état d'esprit est le rapport
-- que personne n'avait commandé -- de la Cour martiale, rendu public
quelques jours avant celui de Faïk et Mosditchian. Une phrase extraite
du rapport a charge contre les Arméniens de Cilicie -- nous l'avons
déja évoqué pour illustrer le dossier d'accusation des Arméniens
-- résume l'état d'esprit des magistrats militaires : Â" Le fait
qu'ils [les Arméniens] aient fait preuve d'autant de hardiesse en
usant de la liberté et de l'égalité qu'ils venaient d'acquérir
n'a pas été très apprécié par les musulmans Â"173. Traduisons
: des propagandistes non identifiés ont Â"expliqué Â" a une
population déja bien disposée que ce comportement des Arméniens
était le premier signe d'un projet d'indépendance et de massacre
des musulmans. a cet égard, la note verbale du ministre francais
Pichon au ministre des Affaires étrangères ottoman résume bien les
méthodes employées par la Cour martiale d'Adana : Â" Six Arméniens
viennent d'être pendus a Adana par ordre de la Cour martiale, avec
neuf musulmans, comme provocateurs des massacres. Ainsi la Cour
martiale a adopté dans une large mesure la version des autorités
d'Adana qui voulaient rejeter sur les Arméniens la responsabilité
de la catastrophe. Nous protestons contre cet acte d'iniquité, par
lequel six représentants de la population arménienne si cruellement
frappée sont châtiés avec les représentants des massacreurs
musulmans comme provocateurs des massacres. Nous savons en outre que
ces musulmans châtiés ne sont que d'obscurs instruments et que les
vrais coupables restent impunis. Le vali d'Adana n'a même pas été
traduit devant la Cour martiale. Le directeur du journal turc Ittidal
d'Adana, qui a pris personnellement une part active au massacre et
qui depuis lors publie des articles dangereusement calomnieux contre
les Arméniens, n'est nullement inquiété et continue sa campagne
[...] Â"174. Ce constat se vérifie sur le terrain, puisque la Cour
martiale acquitte tous les responsables locaux.
L'exécution de ces six Arméniens, ainsi que la remise du rapport
Faïk-Mosditchian oblige, comme nous l'avons vu, le gouvernement
a réagir. Le cabinet Hilmi pacha donne donc l'ordre d'arrêter
les personnes incriminées dans leur rapport : le vali Djévad bey,
le commandant militaire Moustapha Remzi pacha, le président du Club
jeune-turc d'Adana, Ihsan Fikri, le très influent notable Abdul-Kader
Baghdadi Zadé, le mutessarif du Djébèl Bérékèt Adil Assaf bey,
le commissaire de police Kadri bey et leurs complices.
Il faut cependant attendre plus de quinze jours, jusqu'au 27 juillet,
pour que l'ancien vali Djévad soit arrêté, car le vali Zihni pacha
et les membres de la Cour martiale refusent d'appliquer les ordres
-- nous avons déja constaté qu'ils avaient de nombreux alliés
au Parlement.
Dès lors, le grand-vizir n'a d'autre choix que de procéder,
le 29 juillet, au remplacement simultané du vali Zihni175 par
Ahmed Djémal et du président de la Cour martiale Youssouf Kénan
par Ismaïl Fazli pacha, qui occupait jusqu'alors les fonctions de
commandant militaire de Smyrne. Le même jour, toutes les personnes
citées ci-dessus sont arrêtées. Au cours du mois d'aoÃ"t,
la Cour martiale réformée juge donc enfin les responsables des
massacres. Il n'est évidemment plus question de responsabilité des
Arméniens, mais les vieux réflexes semblent encore prédominer. Le
Patriarcat arménien de Constantinople fait amèrement remarquer au
grand-vizir que, malgré cela, nombre d'Arméniens croupissent dans
les prisons ciliciennes dans des conditions effroyables, soumis au
bon vouloir et a la brutalité de leurs gardiens. Il se plaint aussi
de la légèreté des peines infligées. Qu'on en juge : Djévad est
condamné a six ans d'interdiction de toute fonction administrative
-- on lui attribue cependant une solde minimale -- ; Moustapha
Remzi a trois mois de prison -- la peine ne sera pas appliquée
-- ; Assaf bey a quatre ans d'interdiction de fonction publique ;
Ihsan Fikri a une interdiction de séjour a Adana ; son collègue de
l'Ittidal Ismaïl Séfa a un mois d'emprisonnement ; Osman bey, le
commandant de la garnison d'Adana, a trois mois de prison ; Abdul-Kader
Baghdadi Zadé a l'exil au Hedjaz pour deux ans -- il est amnistié a
l'occasion de l'anniversaire de la Constitution176. Le vice-consul de
France a Mersine et Adana explique dans ses rapports au ministre des
Affaires étrangères Pichon, le mode de fonctionnement de la Cour
martiale et note qu'il est quasiment impossible pour un Arménien de
témoigner et que certains membres de la Cour semblent sensibles aux
cadeaux de certains inculpés. Ihsan Fikri a même été convoqué a
Constantinople, après un bref séjour au Caire, par ses collègues
jeunes-turcs pour officiellement y faire son rapport, mais personne
ne l'a publiquement désavoué pour son action.
Pendant ce temps, sur le terrain, le nouveau vali Djémal bey fait
pendre a tour de bras plus d'une centaine de massacreurs qui, comme
l'indiquent les diplomates, ne sont que des seconds couteaux, de
simples exécutants.
Les limites de cette justice sont illustrées par l'entrevue que le
patriarche a avec le président de la Cour martiale, Ismaïl Fazıl
pacha, le 4 septembre, alors que ce dernier vient de condamner a
mort quarante Turcs et trois Arméniens. a une question du prélat
arménien, le général turc réplique : Â" Certes, il est totalement
acquis que les Arméniens étaient innocents, cependant, il y a des
Arméniens qui ont commis des actes que les Turcs eux-mêmes ne se
permettent pas [...] Â"177.
En définitive, le gouvernement a, en changeant le président de
la Cour martiale, corrigé les excès les plus criants et fait
appliquer des peines de principe assez révélatrices de ses
préoccupations. Nous touchons la du doigt une question que nous
évoquions au début de cette étude : pour la première fois
dans l'histoire vieille de cinq siècles de l'Empire ottoman, un
élément non musulman a osé exiger que justice soit faite, que
des gens soient condamnés pour leurs crimes, que les peines soient
réellement appliquées pour certains et que cela a entraîné de
vives réactions dans la Â" vieille Turquie Â".
Au-dela des bonnes intentions annoncées par le cabinet Hilmi,
Â" les tribunaux militaires ont persisté a juger les Arméniens
comme rebelles, sans permettre d'ailleurs a ceux-ci de faire la
preuve du contraire ; a mener leurs enquêtes avec l'assistance des
fonctionnaires les plus notoirement compromis ; a se laisser diriger
par les provocateurs et les organisateurs des massacres ; enfin
a se baser sur de fausses dépositions [...] Â". Un autre témoin
américain remarque : Â" Bien des gens sont gardés en prison par
suite des faussesaccusations dont ils ont été l'objet. Il semble
que chacun puisse être arrêté et emprisonné sur un mot prononcé
par un musulman.
Je ne connais aucun cas où le témoignage d'un Arménien appelé
a témoigner a été accepté Â". Â" Dans cette hâte a inculper
les Arméniens, on va jusqu'a assigner en justice des individus
trépassés plusieurs mois avant les troubles Â"178. Le cabinet Hilmi
et les membres jeunes-turcs de la Cour martiale semblent donc plus
préoccupés de sauver les apparences que de rendre justice.
139) Infra, p. 152.
140) Il fait allusion aux seconds massacres d'Adana qui sont en cours
lorsqu'il écrit.
141) Supra, p. 57, n. 59, infra, p. 152.
142) Il fait allusion au fait qu'il était alors, de facto, en charge
du ministère de l'Intérieur.
143) Numéro daté du 3 mai 1909, p. 1, dans un article intitulé Â"
La crise turque : les Arméniens se plaignent a la Chambre Â".
144) Une traduction complète des minutes des séances du Parlement
ottoman sont publiées par la presse stambouliote du lendemain,
notamment dans Puzantion, nos 3836 et 3837, datés des 24 et 25 mai,
pp. 2-3 ; cf. aussi Terzian, op. cit., pp. 611-615.
145) Ibidem.
146) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol. 83, f°
159/2, datée du 3 juillet 1909, Barré de Lancy a Boppe.
147) Ibidem.
148) Repris dans Azadamard, n° 13, daté du 7 juillet 1909, p. 3.
149) Repris dans Azadamard, n° 15, daté du 9 juillet 1909, p. 3.
150) Ibidem.
151) Repris dans Azadamard, n° 18, daté du 13 juillet 1909, p. 3.
152) Compte rendu de la 105e séance du Parlement dans Azadamard,
n° 11, daté du 5 juillet 1909, p. 2.
153) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol. 83,
f° 159/3.
Gabriel-Georges Barre de Lancy (né le 8 Sept. 1865); élève a l'
école des Jeunes de langues; diplômé de l' école des Langues
orientales vivantes; licencié en droit; élève drogman a Alep,
16 décembre 1887; gérant du vice-consulat de Diarbékir,
du 30 Septembre 1891 au 30 Juin 1892; détaché au consulat de
Constantinople, 23 juillet 1892; a Constantinople, 30 mars 1893;
a Beyrouth, 12 avril 1895; drogman de 2e classe, drogman-chancelier
a Damas, 18 sept. 1895; gérant du vice-consulat de Caïffa, 4 juin
1895-28 juillet 1896; gérant du consulat de Damas, 1er juillet-5
décembre 1897; drogman de première classe, 4 décembre 1900; 1er
interprète a Smyrne, 30 novembre 1902 ; gérant du consulat de Damas,
1er aoÃ"t-26 novembre 1904; officier d'académie, 1er mars 1906;
inscrit dans le cadre des vice-consuls de 1 re classe, a dater du
4 décembre 1900; et vice-consul a Mersina et Tarsous, 7 juin 1909;
consul de 2e classe, 31 janvier 1910; a Rabat, 3 avril 1912; a Alep,
30 octobre 1913; chevalier de la légion d'honneur, 3 aout 1914;
placé a la disposition, 23 aoÃ"t 1919 ; Annuaire Diplomatique et
Consulaire de la République Francaise pour 1909-1910 [1918,1920].
154) FO 195/2306, lettre de Doughty-Wylie a son ambassadeur, datée
du 30 juin 1909.
155) Repris dans Azadamard, n° 10, daté du 3 juillet 1909, p. 3.
156) Repris dans Azadamard, n° 12, daté du 6 juillet 1909, p.
1.D'après l'éditorialiste de ce quotidien, les membres du
gouvernement reconnaissent en privée que toutes ces accusations sont
fausses, mais refusent de le déclarer publiquement.
157) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol. 83, f°
159/7, dépêche datée de Mersine le 16 juillet 1909, de Barre de
Lancy a Boppe.
158) Compte rendu dans Azadamard, n° 25, daté du 21 juillet 1909,
p. 2.
159) Il est vrai que trois de ces personnages et bien d'autres
meurtriers ont curieusement été nommés dans les commissions
d'enquêtes locales chargées d'instruire les dossiers a charge les
concernant eux-mêmes.
160) Compte rendu dans la presse stambouliote du 27 juillet, notamment
dans Azadamard, n° 29, daté du 27 juillet 1909, p. 2. D'après
Chérif pacha, Ismaïl Hakkı faisait alors parti du Comité central
jeune-turc : Mécheroutiette, n° 38, janvier 1913, p. 16.
161) Publiés dans Azadamard, n° 29, daté du 27 juillet 1909, p. 3.
162) AMAE, Correspondance politique, Turquie, vol. 83, f° 162,
Thérapia le 11 aoÃ"t 1909.
163) Azadamard, n° 34, daté du 2 aoÃ"t 1909, p. 3.
164) Azadamard, n° 34 et 36, datés des 2 et 4 aoÃ"t 1909,
p. 3. Ses funérailles, le 4 aoÃ"t, donnèrent lieu a une cérémonie
Å"cuménique de grande ampleur -- parlementaires, sénateurs, membres
du gouvernement, corps diplomatique étaient présents en grand nombre
-- au cours de laquelle Youssouf Kémal et Krikor Zohrab prirent
la parole pour rendre hommage au courage politique et a l'altruisme
du défunt
165) Minutes de ces séances publiées dans la presse stambouliote
et par Terzian, op. cit., pp. 621-623.
166) Cf. supra, p. 8, n. 3.
167) Azadamard, n° 38, daté du 6 aoÃ"t 1909, pp. 1-2, annonce
la nomination de Djémal bey et publie une interview de lui ;
l'ambassadeur Bompard annonce également cette nomination dans une
lettre au ministre Pichon du 11 aoÃ"t 1909 : AMAE, Correspondance
politique, Turquie, n. s., vol 283, f° 162.
168) Les fonds furent remis a des commissions composées de notables
locaux plus ou moins impliqués dans les massacres, qui détournèrent
la plupart des fonds. On peut aussi signaler qu'on ne restitua que
symboliquement quelques biens pillés pendant les massacres : FO
195/2306, lettre de Doughty-Wylie a Lowther, d'Adana a Constantinople,
datée du 9 mai 1909.
169) Texte francais dans AMAE, Correspondance politique, Turquie, n.
s., vol 283, ff. 164 22 a 164 23v° ; texte arménien dans Azadamard,
n° 42, daté du 12 aoÃ"t 1909, p. 1.
170) Publiée dans Azadamard, n° 42, daté du 12 aoÃ"t 1909, p. 3.
171) FO 195/2306, lettres de Doughty-Wylie a Lowther, des 4 et 21
mai 1909.
172) Adossidès, op. cit., p. 106, cite le rapport de la mission
américaine.
173) Voir les références de la note 52.
174) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol 283, ff.
121-123, datée du 16 juin 1909.
175) Propriétaire terrien kurde réputé pour être particulièrement
corrompu.
176) AMAE, Correspondance politique, Turquie, n. s., vol 283, f°
164 21, 24, 33, dépêches de Mersine, les 11 et 21 septembre 1909.
177) Azadamard, n° 63, daté du 6 septembre 1909, p. 3.
178) Adossidès, op. cit., pp. 119-120.
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