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La Revolte De Taksim Questionne Les Ambitions De La Turquie Par Laur

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    LA REVOLTE DE TAKSIM QUESTIONNE LES AMBITIONS DE LA TURQUIE PAR LAURENT LEYLEKIAN

    http://www.armenews.com/article.php3?id_article=90290

    TURQUIE - Les violentes manifestations qui secouent actuellement la
    Turquie ont surpris meme ceux qui observent regulièrement ce pays.

    Partis d'un fait en soi peu signifiant -la contestation par des
    associations du quartier et par des groupes environnementalistes d'un
    projet d'amenagement du parc Gezi- un grand espace vert au centre
    d'Istanbul- le conflit s'est mue en veritable bataille rangee après
    que les forces de l'ordre aient tente de degager les protestataires
    de la place Taksim qu'elles occupaient.

    En première approche, ce sont la disproportion et la violence des
    moyens de repression utilises par les forces antiemeutes qui ont mis
    le feu aux poudres, transformant un conflit local en veritable guerilla
    urbaine et declenchant des evènements de nature similaire dans tout le
    pays. Mais de manière plus profonde, l'explosion de Taksim provient du
    sentiment d'etouffement eprouve par tous ceux qu'exaspère le projet
    politique mis en ~\uvre par l'Etat AKP depuis maintenant dix ans :
    non pas l'islamisation du pays -il est deja totalement musulman depuis
    l'extermination de sa population chretienne- mais bien la mise en
    place d'un Etat islamique et autoritaire sur le modèle ottoman. De
    sorte que très vite un amalgame rapide s'est etabli dans la tete de
    certains observateurs et meme dans celle de certains manifestants :
    la place Taksim serait a Istanbul ce que fut la place Tahrir au Caire
    et l'on assisterait a un "printemps turc" en tout point similaire aux
    divers "printemps arabes" qui destituèrent les caciques au pouvoir
    dans les pays du Maghreb.

    Or l'analogie a ses limites et il est rien moins que sûr que la
    Turquie suive le meme chemin. Certes, les similitudes formelles sont
    troublantes : d'un côte une societe civile en apparence libertaire face
    a un gouvernement sclerose, incapable de fournir une reponse politique
    a des revendications sociales ; d'un côte de jeunes manifestants
    utilisant massivement Twitter et Facebook pour communiquer pendant
    que le Premier ministre qualifie les reseaux sociaux de "menace"
    et que le pouvoir organise un black-out mediatique, utilisant des
    brouilleurs sur la place Taksim, censurant des sites Internet et
    projetant des reportages animaliers a la television.

    Une opposition fragmentee

    Reste cependant qu'une realite notable differencie les evènements de
    Turquie de ceux des pays arabes. En Turquie, ce sont les islamistes
    de l'AKP qui sont deja au pouvoir et, n'en deplaise aux progressistes
    europeens, la societe turque est desormais largement acquise a leurs
    conceptions sociales et politiques : si cela fait grand bruit en
    Europe et au sein de la petite frange occidentalisee d'Istanbul,
    la majorite conservatrice et rurale du pays s'accommode fort bien
    des velleites de prohibition de l'alcool, de l'erection maniaque de
    mosquees a travers le pays, de l'autorisation generalisee du port
    du voile ou des projets d'interdiction du rouge a lèvres pour les
    hôtesses de la compagnie aerienne nationale.

    En consequence, les manifestants de Taksim sont minoritaires et ils
    sont surtout divises. Si le noyau initial etait constitue de jeunes et
    d'etudiants plutôt a gauche de l'echiquier politique, eventuellement
    soutenus par des militants se revendiquant du mouvement Anonymous,
    ils ont ete rejoints par des troupes que tout oppose si ce n'est
    leur commune detestation d'un pouvoir incarne par la roide figure de
    Recep Erdogan : decus de l'AKP ; partisans du CHP -le parti kemaliste
    longtemps au pouvoir ; ultranationalistes de la mouvance des Loups-Gris
    ; militants kurdes du BDP ; Alevis outres par l'inauguration du pont
    Yavuz Selim, baptise d'après le nom d'un sultan grand massacreur des
    leurs ; et meme un petit groupe de crypto-Armeniens arguant du fait
    que le parc Gezi constitue le reliquat du grand cimetière armenien
    de Pangalti, spolie après le genocide et remplace par des hôtels et
    les bâtiments de la TRT, l'audiovisuelle publique turque.

    Autoritarisme politique et liberalisme economique

    Bref, on peut serieusement douter que cette coalition heteroclite
    parvienne a court terme a faire vaciller l'AKP qui dispose desormais
    de toutes les renes du pouvoir. En revanche, on peut se demander si
    ces evenements ne sonnent pas l'heure de la retraite pour l'actuel
    homme fort du pays. Recep Tayyip Erdogan est depuis longtemps malade
    et ses dix ans de règne sans partage ont serieusement ecorne l'image
    d'ouverture qui fit quelque mois illusion auprès des occidentaux. Si
    de nombreux Turcs descendent aujourd'hui dans la rue, la derive
    autoritaire du Premier ministre y est pour beaucoup. On sait que
    le President Gul - egalement islamiste mais plus matois - attend son
    heure mais on sait aussi que la lutte pour le pouvoir s'est deplacee au
    sein meme de l'AKP, maintenant marginalises les nationalistes du CHP.

    Bien malin toutefois, celui qui saura dire l'issue de cette lutte
    d'influence et, notamment, sur quel poulain misera desormais la
    puissante confrerie des Fetullahci. Au-dela des questions de personne
    cependant, c'est toute la strategie des islamistes qui pose question :
    D'un point de vue economique, l'AKP avait gagne un succès populaire
    en construisant un discours convaincant sur sa probite morale face
    a d'archaïques partis kemalistes gangrenes par diverses affaires de
    corruption et de nepotisme. Et de fait, les islamistes ont reellement
    sorti le pays de l'ornière en multipliant par trois son PIB et en
    redressant des finances publiques qui peuvent aujourd'hui s'affranchir
    de la bequille du FMI.

    Mais l'opinion publique turque commence a realiser que les nouveaux
    dirigeants du pays, s'ils sont moins dirigistes que les anciens, sont
    au moins aussi affairistes qu'eux. Et ce qui gene, c'est notamment
    que les succès economiques de la Turquie se soient construits sur une
    politique très liberale fondee sur la marchandisation a outrance des
    espaces et des biens publics. 80 ans de dirigisme etatique et encore
    plus 600 ans d'absolutisme imperial ont necessairement laisse des
    traces au sein d'une population habituee a la mainmise etatique et
    donc necessairement critique a tout processus de liberalisation et
    de privatisation.

    Un pays empetre dans ses contradictions

    D'un point de vue de politique interieure, l'AKP s'est efforce de
    detruire la chape kemaliste qui etouffait la societe en liberant les
    identites particulières -regionales, ethniques ou religieuses- qui
    la compose. La question est maintenant de savoir quel sera le destin
    de ces dynamiques nouvelles, mais eventuellement conflictuelles,
    illustrees a merveille par les evènements de Taksim. Le sentier de
    la vraie democratie sociale et de la reconnaissance des identites
    particulières est certes toujours possible mais il est bien etroit
    coince entre les deux grandes autoroutes que sont leur jugulation par
    le puissant mouvement islamiste ou leur recuperation par les forces
    d'opposition les plus organisees de la contestation, c'est-a-dire
    encore une fois encore celles des kemalistes. Et sur chacune de ses
    deux autoroutes, les libertes individuelles se font ecraser comme
    en temoigne la chute abyssale de la Turquie dans les classements de
    Reporters Sans Frontières.

    D'un point de vue de politique exterieure enfin, le vent de revolte
    qui souffle au sein de la societe turque pourrait bien affaiblir
    encore plus la capacite de la Turquie a peser sur son voisinage. À cet
    egard, la politique de"zero problème avec les voisins" prône par Ahmet
    Davutoglu, le Ministre des Affaires Etrangères, est un echec patent :
    les velleites turques de restaurer son ancienne influence ottomane
    au Proche-Orient et au Sud Caucase ont ete jusqu'a present largement
    tenues en echec par les autres acteurs regionaux -Russie et Iran en
    tete- et cette entreprise ne s'est vu couronnee de quelques succès que
    dans les Balkans. Mais le gros morceau de cette politique "exterieure"
    reste la question kurde. Le processus de paix enclenche avec le PKK
    semble avoir conduit la guerilla kurde au cessez-le-feu et au retrait
    de ses troupes dans leur sanctuaire nord-irakien. Il est sans trop tôt
    pour dire quelle sera l'attitude du mouvement kurde si les negociations
    devaient se poursuivre avec un pouvoir eventuellement affaibli. Mais
    il est surtout a craindre que ce pouvoir ait a nouveau la tentation
    du raidissement nationaliste antikurde, strategie aventuriste qu'il
    pourrait utiliser afin de ressouder derrière lui une opinion publique
    qui commence a lui echapper.

    Quoiqu'il en soit, c'est donc la strategie de l'AKP qui pourrait bien
    s'echouer sous nos yeux a Taksim : Afin de s'emanciper du kemalisme,
    les islamistes ont libere des forces opprimes depuis 80 ans par
    celui-ci. Or ces forces n'entendent pas passer du Charybde des
    militaires aux Scylla des religieux. À moins d'autoriser l'eclosion
    d'un vrai pluralisme qui est etranger a sa conception hegemonique,
    le pouvoir est place devant l'alternative de perpetuer la tradition
    politique turque en ecrasant la contestation ou d'etre regulièrement
    confronte a la resurgence des instabilites structurelles de la societe
    turque. Un choix similaire a celui des autres pays du Proche-Orient
    et qui est, somme toute, peu compatible avec les exigences europeennes.

    http://www.huffingtonpost.fr/laurent-leylekian/revolte-taksim-turquie_b_3388248.html

    jeudi 6 juin 2013, Stephane ©armenews.com

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