REVUE DE PRESSE
L'odyssée spatiale oubliée
Manoug Manougian avait rangé ses souvenirs de jeunesse dans des
cartons. Les photographies, les films, les coupures de presse qui
témoignaient de son incroyable odyssée : tenter de lancer une fusée
dans l'espace depuis le Liban. Il n'attendait qu'une chose : leur
redonner vie. Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ont exaucé son voeu,
en consacrant à cette aventure un film, The Lebanese Rocket Society.
Manoug Manougian n'est pas passé à la postérité au Liban. Ses essais
spatiaux, au début des années 1960, avaient pourtant fait du pays un
pionnier dans la région, « même avant Israël », souligne le
professeur. La presse beyrouthine, unanime, a loué le talent de ce
documentaire pour sortir cet épisode des décombres de la mémoire, dans
un pays où, comme le montre le film, les traces du passé sont
malmenées.
En revenant à Beyrouth en avril pour l'avant-première, après près de
cinquante ans d'absence, ce physicien et mathématicien s'est ému des
cicatrices laissées par la guerre civile (1975-1990) dans la capitale
libanaise - à laquelle il dit vouer une éternelle « gratitude ».
Quand il arrive pour enseigner au Liban en 1960, ce sont, malgré la
mini-guerre civile déclenchée deux ans plus tôt, les années de la
dolce vita et des aspirations au progrès : faste de la classe aisée,
richesse de la vie culturelle, rêve panarabe... Ce chrétien arménien
vit avec son épouse française à Raouché, l'un des plus beaux quartiers
de Beyrouth, bordé par la Méditerranée. Natif de Jérusalem « où, comme
en Palestine, les Arméniens sont implantés depuis plus de 1 500 ans »,
aime-t-il rappeler, il détient alors un passeport jordanien - à
l'issue de la première guerre israélo-arabe, Jérusalem-Est tombe sous
la juridiction d'Amman.
Mais c'est avec des Libanais, étudiants de l'université arménienne
Haigazian, qu'il va lancer sa folle entreprise. En bon pédagogue, le
jeune enseignant souhaite appliquer la théorie. Voilà donc ses élèves,
rassemblés au sein de la solennelle Haigazian College Rocket Society,
qui s'essaient à fabriquer un agent propulseur et à construire des
fusées. Entre 1960 et 1966, pas moins de huit modèles sont
conceptualisés, avant d'être lancés. Ils ne dépasseront pas les eaux
territoriales de Chypre.
Mais Beyrouth, carrefour du Proche-Orient, possède déjà sa réputation
de nid d'espions. Manoug Manougian constate que son bureau est «
visité ». Que ses activités captivent les « attachés culturels » de
diverses ambassades. Quand un ultime émissaire arabe tente de
s'attacher ses services, c'en est trop. Il quitte le Liban peu après,
en 1966, pour poursuivre sa carrière académique aux Etats-Unis. Mais
aussi, à cause du « climat politique dans la région ». Après son
départ, l'aventure spatiale libanaise, appuyée depuis 1962 par
l'armée, s'achève.
Inébranlable passionné, M. Manougian, professeur universitaire en
Floride, est aussi le conseiller d'un club étudiant de... fuséologie.
Il espère aujourd'hui raviver le rêve des possibles parmi les jeunes
Libanais, alors que, comme le dit le film, Beyrouth est aujourd'hui
célèbre pour d'autres « rockets » (le mot, en anglais, signifie à la
fois fusée et roquette) : celles de la guerre, et du Hezbollah.
par Laure Stephan
Article paru dans l'édition du 05.05.13
LE MONDE
dimanche 9 juin 2013,
Stéphane ©armenews.com
L'odyssée spatiale oubliée
Manoug Manougian avait rangé ses souvenirs de jeunesse dans des
cartons. Les photographies, les films, les coupures de presse qui
témoignaient de son incroyable odyssée : tenter de lancer une fusée
dans l'espace depuis le Liban. Il n'attendait qu'une chose : leur
redonner vie. Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ont exaucé son voeu,
en consacrant à cette aventure un film, The Lebanese Rocket Society.
Manoug Manougian n'est pas passé à la postérité au Liban. Ses essais
spatiaux, au début des années 1960, avaient pourtant fait du pays un
pionnier dans la région, « même avant Israël », souligne le
professeur. La presse beyrouthine, unanime, a loué le talent de ce
documentaire pour sortir cet épisode des décombres de la mémoire, dans
un pays où, comme le montre le film, les traces du passé sont
malmenées.
En revenant à Beyrouth en avril pour l'avant-première, après près de
cinquante ans d'absence, ce physicien et mathématicien s'est ému des
cicatrices laissées par la guerre civile (1975-1990) dans la capitale
libanaise - à laquelle il dit vouer une éternelle « gratitude ».
Quand il arrive pour enseigner au Liban en 1960, ce sont, malgré la
mini-guerre civile déclenchée deux ans plus tôt, les années de la
dolce vita et des aspirations au progrès : faste de la classe aisée,
richesse de la vie culturelle, rêve panarabe... Ce chrétien arménien
vit avec son épouse française à Raouché, l'un des plus beaux quartiers
de Beyrouth, bordé par la Méditerranée. Natif de Jérusalem « où, comme
en Palestine, les Arméniens sont implantés depuis plus de 1 500 ans »,
aime-t-il rappeler, il détient alors un passeport jordanien - à
l'issue de la première guerre israélo-arabe, Jérusalem-Est tombe sous
la juridiction d'Amman.
Mais c'est avec des Libanais, étudiants de l'université arménienne
Haigazian, qu'il va lancer sa folle entreprise. En bon pédagogue, le
jeune enseignant souhaite appliquer la théorie. Voilà donc ses élèves,
rassemblés au sein de la solennelle Haigazian College Rocket Society,
qui s'essaient à fabriquer un agent propulseur et à construire des
fusées. Entre 1960 et 1966, pas moins de huit modèles sont
conceptualisés, avant d'être lancés. Ils ne dépasseront pas les eaux
territoriales de Chypre.
Mais Beyrouth, carrefour du Proche-Orient, possède déjà sa réputation
de nid d'espions. Manoug Manougian constate que son bureau est «
visité ». Que ses activités captivent les « attachés culturels » de
diverses ambassades. Quand un ultime émissaire arabe tente de
s'attacher ses services, c'en est trop. Il quitte le Liban peu après,
en 1966, pour poursuivre sa carrière académique aux Etats-Unis. Mais
aussi, à cause du « climat politique dans la région ». Après son
départ, l'aventure spatiale libanaise, appuyée depuis 1962 par
l'armée, s'achève.
Inébranlable passionné, M. Manougian, professeur universitaire en
Floride, est aussi le conseiller d'un club étudiant de... fuséologie.
Il espère aujourd'hui raviver le rêve des possibles parmi les jeunes
Libanais, alors que, comme le dit le film, Beyrouth est aujourd'hui
célèbre pour d'autres « rockets » (le mot, en anglais, signifie à la
fois fusée et roquette) : celles de la guerre, et du Hezbollah.
par Laure Stephan
Article paru dans l'édition du 05.05.13
LE MONDE
dimanche 9 juin 2013,
Stéphane ©armenews.com