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L'Agonie d'un peuple , rare témoignage d'un rescapé

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  • L'Agonie d'un peuple , rare témoignage d'un rescapé

    revue de presse
    L'Agonie d'un peuple , rare témoignage d'un rescapé
    Le Monde, France

    31 mai 2013 vendredi

    ` L'Agonie d'un peuple `, rare témoignage d'un rescapé, paraît en même
    temps qu'une enquête sur les séquelles de la tragédie ; Traces du
    génocide arménien

    LE MONDE DES LIVRES ; Pg. 7

    L'humanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d'un
    peuple assassiné. ` Cette phrase, par laquelle Jaurès dénonçait le
    massacre d'Arméniens dans l'Empire ottoman, fut prononcée en 1897,
    soit dix-huit ans avant l'extermination de près d'un million et demi
    d'Arméniens survenue entre avril 1915 et juillet 1916. A l'heure
    actuelle, si ce génocide arménien a été reconnu par la France en 2001,
    la loi ne punit toujours pas sa négation (en dépit d'un projet de loi
    en 2011). Parce que nous manquons de preuves ? Non : à ceux qui
    s'interrogent sur les faits, Le Génocide des Arméniens (Odile Jacob,
    2006), de Raymond Kévorkian, ou Un acte honteux. Le génocide arménien
    et la question de la responsabilité turque (Denoël, 2008, rééd. `
    Folio `, 2012) de Taner Akçam (l'un des premiers universitaires turcs
    à reconnaître le génocide) apportent toutes les réponses nécessaires.

    Les deux ouvrages qui paraissent aujourd'hui ne visent pas à prouver
    quoi que ce soit ; ils se situent en deçà ou au-delà des faits
    survenus. La parole du témoin précède, en effet, toute recherche
    historique. La publication de L'Agonie d'un peuple est exceptionnelle
    à plus d'un égard : paru en 1917 dans un journal arménien, ce récit,
    qui n'est autre que le premier long témoignage d'un rescapé, n'avait
    jamais été traduit. Qui en est l'auteur ? S'agit-il d'Hayg Toroyan,
    Arménien originaire d'Alep qui parvint à survivre en se faisant passer
    pour un Arabe chrétien grce à l'aide d'un officier allemand (alors que
    celui-ci était officiellement allié des Turcs) et qui fut le
    spectateur terrifié d'innombrables massacres durant l'année 1915 ? Ou
    de Zabel Essayan, grande figure de la littérature arménienne, qui tira
    des souvenirs de Toroyan un texte qu'elle signa de son nom ? Cette
    question est au coeur de ce que le traducteur et auteur de la
    postface, Marc Nichanian, nomme le ` dilemme du témoin `, à savoir cet
    écart entre le sujet de l'expérience et le sujet du récit. Les
    paradoxes s'accumulent : L'Agonie d'un peuple visait à dénoncer le
    crime du gouvernement Jeunes-Turcs ; pourtant, il fut rédigé en
    arménien - écrire dans la langue du survivant ou s'adresser à la
    conscience universelle, il lui fallut choisir.

    Mais le plus étonnant tient peut-être à l'écart entre l'horreur des
    scènes décrites et la réaction d'Hayg Toroyan : c'est lui qui dut
    prendre soin de l'officier allemand, habité par la volonté de `
    témoigner après la guerre de tous ces actes barbares `, mais peu à peu
    gagné par la folie - cet officier finira d'ailleurs par se pendre afin
    d'échapper au cauchemar !

    Politique d'amnésie

    Si le témoignage est une parole incarnée se déployant dans le sillage
    immédiat de l'extermination, bien avant qu'interviennent les
    historiens, la passionnante enquête menée par Laure Marchand et
    Guillaume Perrier (qui écrivent sur la Turquie, la première pour Le
    Figaro, le second pour Le Monde) porte sur les répercussions
    contemporaines de l'événement. La Turquie et le fantôme arménien
    s'ouvre sur une rencontre avec la communauté d'exilés installés à
    Marseille et s'achève par le portrait de quelques Justes turcs ayant
    sauvé la vie d'Arméniens.

    Entre les deux se déploie un étonnant tableau de toutes les manières
    dont traumatisme, négationnisme d'Etat, et lutte pour préserver la
    mémoire se mêlent aujourd'hui en Turquie. D'un côté, l'amnésie
    collective longtemps imposée à la société turque, où l'évocation du
    génocide restait impensable, au point que certains des tortionnaires
    ont été élevés au rang de héros nationaux, que la plupart des citoyens
    ignorent l'ampleur des spoliations, et que l'on n'a pas hésité à
    élever le mémorial d'Igdir pour commémorer ` le génocide des Turcs par
    les Arméniens `... De l'autre, des figures aussi étonnantes qu'Armen
    Aroyan, ancien ingénieur vivant en Californie qui a choisi de
    redécouvrir ses racines en Turquie, et organise depuis une vingtaine
    d'années des circuits sur mesure pour les descendants de rescapés.
    Mais aussi Hasan Cemal, journaliste très connu en Turquie, qui comprit
    assez tard que son grand-père, Djemal Pacha (l'un des trois pachas du
    triumvirat Jeunes-Turcs à la tête de l'Empire ottoman pendant la
    première guerre mondiale) était l'un des responsables du génocide, et
    qui a publié un ouvrage sur 1915.

    L'Etat turc voit arriver avec inquiétude la célébration du centenaire
    du génocide, en 2015. Mais l'espoir subsiste : la présence de 100 000
    Turcs scandant : ` Nous sommes tous des Arméniens `, le 23 janvier
    2007, derrière le cercueil du journaliste Hrant Dink, assassiné par un
    nationaliste turc, était un signe. Peut-être la société saura-t-elle
    secouer cette politique d'amnésie sur laquelle continue à reposer sa
    vie culturelle et politique.

    Jean-Louis Jeannelle

    L'Agonie d'un peuple, de Hayg Toroyan et Zabel Essayan, traduit de
    l'arménien par Marc Nichanian, Classiques Garnier, 212 p., 24 .

    La Turquie et le fantôme arménien. Sur les traces du génocide, de
    Laure Marchand et Guillaume Perrier, Actes Sud-Solin, 256 p., 23 .

    dimanche 9 juin 2013,
    Stéphane ©armenews.com

    http://www.armenews.com/article.php3?id_article=90283

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