TURQUIE : ERDOGAN JOUE LA CARTE DE LA VICTIMISATION
Face aux manifestations qui remettent en cause son autorite depuis
onze jours, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a choisi
de jouer la carte de la victimisation, qui lui a autrefois reussi
mais semble aujourd'hui eculee et traduit son affolement, estimaient
lundi les analystes.
Dimanche, journee marathon au cours de laquelle il a anime pas moins
de six meetings, M. Erdogan a promis a ses partisans qu'il tiendrait
bon face aux "pillards" et autres "extremistes" qui reclament sa
demission, et qu'il accuse d'etre manipules par l'opposition ou de
mysterieuses puissances comme "le lobby des taux d'interet".
"La nation nous a amenes au pouvoir et c'est elle seule qui nous en
sortira", a-t-il declare devant la foule qui scandait "La Turquie
est fière de toi !".
Le Premier ministre islamo-conservateur a aussi fait un rapprochement
entre les troubles actuels et l'epoque où l'armee, en gardienne des
institutions laïques de la Turquie, intervenait sans ciller dans la vie
politique (elle a renverse quatre gouvernements entre 1960 et 1997).
"Aujourd'hui, nous sommes dans la situation du 27 avril 2007",
a-t-il declare dimanche a l'aeroport d'Ankara. Il faisait allusion
a une injonction publiee a cette date par l'etat-major, qui avait
menace le gouvernement d'intervention s'il ne faisait pas respecter
le principe de la laïcite, puis provoque des manifestations geantes
contre le pouvoir.
Cette intrusion des militaires avait ete lourdement sanctionnee par
les electeurs aux legislatives de juillet 2007, le Parti de la justice
et du developpement (AKP) de M. Erdogan recueillant 47% des suffrages.
"Erdogan joue la carte du martyr. Ca a toujours bien fonctionne pour
lui dans le passe", estime Amberin Zaman, editorialiste reputee du
quotidien liberal Taraf. "Il se depeint comme la victime de soit-disant
forces obscures qui essaient de l'affaiblir et veulent faire replonger
la Turquie dans les jours sombres".
Le Premier ministre entend tirer les benefices de son coup politique
aux municipales de mars 2014 et a l'election presidentielle, sans doute
en août de la meme annee, pour laquelle sa candidature est attendue.
Incomprehension
Mais cette fois, M. Erdogan est peut-etre en retard d'une bataille,
d'autant que c'est lui-meme qui a mis l'armee et l'establishment
partisans de laïcite au pas ces dernières annees a l'occasion de
retentissants procès pour complot, selon Mme Zaman.
"Quand on regarde les manifestants, c'est presque comique de
les definir comme il le fait (...) Parler d'un gouvernement elu
democratiquement face a des soit-disant putschistes, ca ne tient pas
debout", affirme l'analyste.
"Erdogan n'a aucune capacite a comprendre ce qui est en train de
se passer", surencherit Cengiz Aktar, politologue a l'universite
stambouliote de Bahcesehir.
Il ne comprend pas ce mouvement spontane issu des classes moyennes
et eduquees des grandes villes, qui rejettent son autoritarisme,
parce qu'il "n'a jamais connu une contestation pareille. Jusque-la,
la contestation etait celle, classique, des kemalistes", l'elite au
pouvoir, defendant bec et ongle ses prerogatives face a la classe
montante de l'AKP, indique M. Aktar.
Pour Nuray Mert, politologue a l'universite d'Istanbul, l'attitude
du Premier ministre va au-dela d'une comprehension erronee de la
situation et traduit un reel desarroi.
"Cette fois, il a reagi d'une manière très anormale. Je ne sais pas si
on a jamais vu dans le monde un Premier ministre faire six allocutions
en un jour. C'est parce qu'il se sent menace. Avec l'interet qu'a
manifeste la presse internationale, il a cede a la peur de sa propre
fin prochaine", commente Mme Mert.
L'universitaire en veut pour preuve les references recentes que M.
Erdogan a faites aux anciens Premiers ministres liberaux Adnan
Menderes, pendu a l'issue d'un coup d'Etat en 1960, et Turgut Ozal,
dont la mort suspecte en 1993 a donne lieu a l'ouverture d'une enquete
pour empoisonnement.
"Il s'est passe beaucoup de choses dans ce pays, a certaines epoques on
a pendu, on a empoisonne", a declare le chef du gouvernement le 3 juin.
"Il y a (...) l'idee de grands leaders turcs qui travaillent pour
le bien de la Turquie, mais qui sont aneantis par des ennemis du
pays a l'interieur et a l'exterieur du pays. Clairement, (Erdogan)
a cette mentalite, et ca revient dès que les choses tournent mal",
explique Mme Mert.
mardi 11 juin 2013, Stephane ©armenews.com
From: A. Papazian
Face aux manifestations qui remettent en cause son autorite depuis
onze jours, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a choisi
de jouer la carte de la victimisation, qui lui a autrefois reussi
mais semble aujourd'hui eculee et traduit son affolement, estimaient
lundi les analystes.
Dimanche, journee marathon au cours de laquelle il a anime pas moins
de six meetings, M. Erdogan a promis a ses partisans qu'il tiendrait
bon face aux "pillards" et autres "extremistes" qui reclament sa
demission, et qu'il accuse d'etre manipules par l'opposition ou de
mysterieuses puissances comme "le lobby des taux d'interet".
"La nation nous a amenes au pouvoir et c'est elle seule qui nous en
sortira", a-t-il declare devant la foule qui scandait "La Turquie
est fière de toi !".
Le Premier ministre islamo-conservateur a aussi fait un rapprochement
entre les troubles actuels et l'epoque où l'armee, en gardienne des
institutions laïques de la Turquie, intervenait sans ciller dans la vie
politique (elle a renverse quatre gouvernements entre 1960 et 1997).
"Aujourd'hui, nous sommes dans la situation du 27 avril 2007",
a-t-il declare dimanche a l'aeroport d'Ankara. Il faisait allusion
a une injonction publiee a cette date par l'etat-major, qui avait
menace le gouvernement d'intervention s'il ne faisait pas respecter
le principe de la laïcite, puis provoque des manifestations geantes
contre le pouvoir.
Cette intrusion des militaires avait ete lourdement sanctionnee par
les electeurs aux legislatives de juillet 2007, le Parti de la justice
et du developpement (AKP) de M. Erdogan recueillant 47% des suffrages.
"Erdogan joue la carte du martyr. Ca a toujours bien fonctionne pour
lui dans le passe", estime Amberin Zaman, editorialiste reputee du
quotidien liberal Taraf. "Il se depeint comme la victime de soit-disant
forces obscures qui essaient de l'affaiblir et veulent faire replonger
la Turquie dans les jours sombres".
Le Premier ministre entend tirer les benefices de son coup politique
aux municipales de mars 2014 et a l'election presidentielle, sans doute
en août de la meme annee, pour laquelle sa candidature est attendue.
Incomprehension
Mais cette fois, M. Erdogan est peut-etre en retard d'une bataille,
d'autant que c'est lui-meme qui a mis l'armee et l'establishment
partisans de laïcite au pas ces dernières annees a l'occasion de
retentissants procès pour complot, selon Mme Zaman.
"Quand on regarde les manifestants, c'est presque comique de
les definir comme il le fait (...) Parler d'un gouvernement elu
democratiquement face a des soit-disant putschistes, ca ne tient pas
debout", affirme l'analyste.
"Erdogan n'a aucune capacite a comprendre ce qui est en train de
se passer", surencherit Cengiz Aktar, politologue a l'universite
stambouliote de Bahcesehir.
Il ne comprend pas ce mouvement spontane issu des classes moyennes
et eduquees des grandes villes, qui rejettent son autoritarisme,
parce qu'il "n'a jamais connu une contestation pareille. Jusque-la,
la contestation etait celle, classique, des kemalistes", l'elite au
pouvoir, defendant bec et ongle ses prerogatives face a la classe
montante de l'AKP, indique M. Aktar.
Pour Nuray Mert, politologue a l'universite d'Istanbul, l'attitude
du Premier ministre va au-dela d'une comprehension erronee de la
situation et traduit un reel desarroi.
"Cette fois, il a reagi d'une manière très anormale. Je ne sais pas si
on a jamais vu dans le monde un Premier ministre faire six allocutions
en un jour. C'est parce qu'il se sent menace. Avec l'interet qu'a
manifeste la presse internationale, il a cede a la peur de sa propre
fin prochaine", commente Mme Mert.
L'universitaire en veut pour preuve les references recentes que M.
Erdogan a faites aux anciens Premiers ministres liberaux Adnan
Menderes, pendu a l'issue d'un coup d'Etat en 1960, et Turgut Ozal,
dont la mort suspecte en 1993 a donne lieu a l'ouverture d'une enquete
pour empoisonnement.
"Il s'est passe beaucoup de choses dans ce pays, a certaines epoques on
a pendu, on a empoisonne", a declare le chef du gouvernement le 3 juin.
"Il y a (...) l'idee de grands leaders turcs qui travaillent pour
le bien de la Turquie, mais qui sont aneantis par des ennemis du
pays a l'interieur et a l'exterieur du pays. Clairement, (Erdogan)
a cette mentalite, et ca revient dès que les choses tournent mal",
explique Mme Mert.
mardi 11 juin 2013, Stephane ©armenews.com
From: A. Papazian