revue de presse
Turquie : l'autoritarisme à courte vue de M. Erdogan
Les partisans de Recep Tayyip Erdogan peuvent plastronner : en
quelques heures, les 15 et 16 juin, la police turque a fait place
nette dans le centre d'Istanbul, faisant disparaître toute trace des
deux semaines d'occupation de la place Taksim et du parc Gezi. Sur
place, de la protestation spontanée et utopique provoquée par
l'annonce de la destruction du parc, il ne reste plus rien. Si ce
n'est davantage de policiers qu'à l'accoutumée, installés là pour
dissuader les opposants de revenir.
La fermeté affichée depuis le début de la crise par le chef du
gouvernement turc a pour l'instant payé. La majorité
islamo-conservatrice (AKP) au pouvoir n'a pas tremblé. Elle était
soutenue par une large fraction de l'opinion publique. En outre, elle
bénéficie d'une situation économique très enviable (5,1 % de
croissance en moyenne depuis 2003) ; enfin, elle a su jouer de
l'instabilité politique à ses frontières, en particulier en Syrie, qui
renforce l'aspiration de la population à la stabilité.
Le vice-premier ministre, Bülent Arinç, a même pu, lundi 17 juin,
menacer de faire intervenir les forces armées, en plus de la police et
de la gendarmerie, contre les contestataires. Le message était sans
ambiguïté : démontrer que cette institution, gardienne d'une laïcité
intransigeante et naguère principale opposante de l'AKP, est désormais
bel et bien rentrée dans le rang.
Il reste que le raidissement du pouvoir face aux critiques
européennes, ses diatribes contre `la finance internationale`, accusée
de vouloir le déstabiliser, autant que les violentes dénonciations
d'une jeunesse de `vandales`, `immoraux`, qualifiés de `gangs de
terroristes` par le premier ministre lui-même, cachent mal l'impasse
dans laquelle s'est enfermé le gouvernement.
Celui-ci paraît n'avoir d'autre perspective qu'une politique toujours
plus autoritaire et conservatrice. Première prison au monde pour les
journalistes (76 d'entre eux sont actuellement incarcérés, selon les
ONG), la Turquie gouvernée par l'AKP semble accentuer chaque jour le
tournant répressif qu'elle a opéré en 2011. Sourde aux aspirations
d'une classe moyenne qui connaît un spectaculaire développement, elle
n'offre pour seul horizon que des constructions de mosquées et de
nouvelles interdictions.
Les manifestants de Taksim ne gagneront peut-être pas dans les urnes,
lors des élections municipales de 2014. La contestation qu'ils portent
est sans doute trop multiforme pour se transformer en alternative
politique. Le nationalisme laïque des kémalistes ne se marie pas
facilement à l'extrême gauche, et les mouvements séparatistes kurdes
restent prudents, car ils n'ont rien à gagner à un retour à l'ordre
ancien. Mais, dans leur surprise de se trouver soudain si forts et si
nombreux, les jeunes manifestants de Taksim pourraient bien avoir
trouvé la promesse d'un autre avenir et d'une victoire future.
Recep Tayyip Erdogan serait donc bien inspiré de maîtriser sa force et
de se garder de tout triomphalisme : les traces du message des
occupants du parc Gezi ne disparaîtront pas toutes par la magie des
camions de nettoyage.
Editorial du `Monde`
samedi 22 juin 2013,
Stéphane ©armenews.com
Turquie : l'autoritarisme à courte vue de M. Erdogan
Les partisans de Recep Tayyip Erdogan peuvent plastronner : en
quelques heures, les 15 et 16 juin, la police turque a fait place
nette dans le centre d'Istanbul, faisant disparaître toute trace des
deux semaines d'occupation de la place Taksim et du parc Gezi. Sur
place, de la protestation spontanée et utopique provoquée par
l'annonce de la destruction du parc, il ne reste plus rien. Si ce
n'est davantage de policiers qu'à l'accoutumée, installés là pour
dissuader les opposants de revenir.
La fermeté affichée depuis le début de la crise par le chef du
gouvernement turc a pour l'instant payé. La majorité
islamo-conservatrice (AKP) au pouvoir n'a pas tremblé. Elle était
soutenue par une large fraction de l'opinion publique. En outre, elle
bénéficie d'une situation économique très enviable (5,1 % de
croissance en moyenne depuis 2003) ; enfin, elle a su jouer de
l'instabilité politique à ses frontières, en particulier en Syrie, qui
renforce l'aspiration de la population à la stabilité.
Le vice-premier ministre, Bülent Arinç, a même pu, lundi 17 juin,
menacer de faire intervenir les forces armées, en plus de la police et
de la gendarmerie, contre les contestataires. Le message était sans
ambiguïté : démontrer que cette institution, gardienne d'une laïcité
intransigeante et naguère principale opposante de l'AKP, est désormais
bel et bien rentrée dans le rang.
Il reste que le raidissement du pouvoir face aux critiques
européennes, ses diatribes contre `la finance internationale`, accusée
de vouloir le déstabiliser, autant que les violentes dénonciations
d'une jeunesse de `vandales`, `immoraux`, qualifiés de `gangs de
terroristes` par le premier ministre lui-même, cachent mal l'impasse
dans laquelle s'est enfermé le gouvernement.
Celui-ci paraît n'avoir d'autre perspective qu'une politique toujours
plus autoritaire et conservatrice. Première prison au monde pour les
journalistes (76 d'entre eux sont actuellement incarcérés, selon les
ONG), la Turquie gouvernée par l'AKP semble accentuer chaque jour le
tournant répressif qu'elle a opéré en 2011. Sourde aux aspirations
d'une classe moyenne qui connaît un spectaculaire développement, elle
n'offre pour seul horizon que des constructions de mosquées et de
nouvelles interdictions.
Les manifestants de Taksim ne gagneront peut-être pas dans les urnes,
lors des élections municipales de 2014. La contestation qu'ils portent
est sans doute trop multiforme pour se transformer en alternative
politique. Le nationalisme laïque des kémalistes ne se marie pas
facilement à l'extrême gauche, et les mouvements séparatistes kurdes
restent prudents, car ils n'ont rien à gagner à un retour à l'ordre
ancien. Mais, dans leur surprise de se trouver soudain si forts et si
nombreux, les jeunes manifestants de Taksim pourraient bien avoir
trouvé la promesse d'un autre avenir et d'une victoire future.
Recep Tayyip Erdogan serait donc bien inspiré de maîtriser sa force et
de se garder de tout triomphalisme : les traces du message des
occupants du parc Gezi ne disparaîtront pas toutes par la magie des
camions de nettoyage.
Editorial du `Monde`
samedi 22 juin 2013,
Stéphane ©armenews.com