HRANT DINK: L'HOMME QUI A CHANGE LA TURQUIE
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=73937
Publie le : 28-06-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire cet article d'Anush Hovhannisyan, turcologue, chercheuse
a l'Institut des Etudes Orientales de l'Academie des Science d'Armenie,
publie sur le site Repair - Reparer le futur [ONG Yerkir en partenariat
avec Anadolu Kultur] le jeudi 13 juin 2013.
Repair - Reparer le futur
jeudi 13 juin 2013
Point de vue d'Armenie
L'homme qui a change la Turquie
Anush Hovhannisyan
Turcologue, chercheuse a l'Institut des Etudes Orientales de l'Academie
des Science d'Armenie.
J'ai choisi les propos de Baskin Oran, politologue et historien turc
reconnu, sur Hrant Dink, pour le titre de mon article. Cet article
est un essai pour presenter le phenomène Dink sous le regard d'une
turcologue d'Armenie.
Je l'ai rencontre pour la première, et malheureusement la dernière
fois, en 2005 a Erevan, a l'occasion d'une conference internationale
sur le 90e anniversaire du Genocide : "Ultime crime, ultime defit. Les
droits de l'Homme et le Genocide". Des representants venus de Turquie
comme Mourad Belge, Baskin Oran et Hrant Dink sont intervenus dans
le debat d'une des conferences intitulee : "Separe par l'histoire,
uni par la geographie ". "En Turquie, la majorite ne connaît pas la
verite. Comment pourrait-elle la connaître quand pendant 90 ans, il
etait interdit d'en parler", observait Dink. "La partie armenienne
doit avant tout enseigner la vraie histoire puis ensuite mener la
diplomatie de la reconnaissance du Genocide". Selon lui, certains
de ceux qui habitent sur les terres de l'Armenie historique sont les
mieux informes sur le Genocide. Ce sont des Armeniens turquifies ou
kurdifies, qui se souviennent du crime commis a l'encontre de leurs
ancetres. Dink commentait : "La question armenienne et la question
kurde ont ete abordees parallèlement. Les intellectuels kurdes ont, les
premiers, ecrit sur cette question en temoignant de la participation
des leurs". La societe turque ne croit plus inconditionnellement a la
propagande officielle, une partie d'entre elle a commence a s'exprimer
sur le Genocide, malgre les obstacles crees par l'administration.
D'après Dink, la raison de la negation constante de la Turquie,
residait non seulement dans la necessite de garder son image au niveau
international, mais aussi dans la peur du reveil de la conscience de
son peuple. Au sujet de la reconnaissance du Genocide des Armeniens,
Hrant a exprime une approche personnelle : "Le meilleur moyen serait
que la Turquie devienne un pays democratique. Quand il y aura une
demande " d'en bas " de la societe, sans les pressions de l'exterieur,
elle reconnaîtra le Genocide. Il est necessaire de sortir les relations
armeno-turques du puits qui a 1915 mètres de profondeur".
C'est avec cette declaration passionnante - a laquelle Hrant Dink
est reste fidèle tout au long de sa vie courte mais brillante -
qu'il termina son intervention.
Il est indeniable que le Genocide et ses consequences ont affecte
fondamentalement les destins des peuples armenien et turc, et ont
enormement conditionne le processus de formation de ces deux societes.
Les specialistes definissent cette periode de plus de 90 ans, comme
des annees de "silence" et "d'oubli". Une nouvelle vision de l'histoire
kemaliste permettait a la societe turque d'y attacher les mecanismes de
l'oubli, en mettant une barrière contre la "lourde" memoire concernant
la defaite de la Première Guerre mondiale, l'effondrement de l'empire
et le Genocide.
Les points de vue sur la "trahison", la "conspiration contre les Turcs"
et les "ennemis de l'interieur" sont enracines dans l'opinion publique
turque et derivent de la propagande officielle. En Turquie, l'Etat a
et continue d'avoir un rôle decisif, afin de surveiller la formation
de la memoire collective. Les sources principales par lesquelles
est connu le passe sont selectives. Celles-ci seules justifient
la position de l'Etat puisque les sources alternatives ne sont pas
accessibles. Dans le discours publique de la première republique,
non seulement le sujet du Genocide n'existait pas, mais les problèmes
des Armeniens en tant que citoyens de Turquie et minorite non plus. Le
Genocide des Armeniens etait quant a lui considere comme un "tabou".
Jusqu'au milieu des annees 1960, avant les commemorations des 50
ans du Genocide qui ont ete marquees par plusieurs manifestations
et revendications en Diaspora et en Armenie sovietique, le deni de
l'Etat turc etait dirige principalement vers le monde exterieur.
Dans les annees 1970-80, les actions de l'ASALA mirent un frein au
silence entourant la question armenienne. L'Etat turc etait oblige
de donner des explications a son peuple sur les motivations de ces
actions dramatiques. En meme temps, il instilla en direction de
son opinion publique des formules comme : "Nos bons Armeniens" et
"la Diaspora armenienne agressive, malveillante, conspiratrice, qui
hait les Turcs". Il faut noter que dans les annees 1980, debute le
processus de reconnaissance internationale du Genocide des Armeniens.
Après des decennies de silence, la vision "demoniaque" de la Diaspora
proposee a la societe turque est omnipresente dans les debats publics.
Il est evident que les Armeniens d'Istanbul se sont retrouves dans
une situation extremement difficile.
On peut definir les annees 1990 comme la periode où le mur du
silence commence a presenter de serieuses fractures. Ceci a ete
favorise par les changements mondiaux : la fin de "la guerre
froide", l'effondrement de l'URSS, l'independance de l'Armenie -
le retablissement d'un système etatique armenien - par consequent
la possibilite de soulever officiellement la question armenienne,
l'ambition de la Turquie d'integrer l'UE, les developpements de sa
politique interne telle la question kurde, l'activation de l'Islam,
le debat sur l'identite turque, etc. Dans ce contexte, la fondation
du journal Agos en 1996 a pris une signification importante. Agos
devient un espace unique pour debattre des problèmes armeniens,
dans le cadre de la democratisation generale de la Turquie.
A partir des annees 2000 on peut parler de retrait du "tabou"
armenien. Il faut preciser que les discussions publiques sur la
question armenienne, font parti des debats pour la democratisation et
la construction de la societe civile. Une societe civile en train de se
former qui pose des questions et presente des defis serieux adresses
a l'Etat. Aujourd'hui, on peut noter l'affrontement entre l'Etat
et une partie progressiste de la societe sur le sujet du Genocide,
qui a pour consequence la critique des interpretations officielles,
l'accessibilite des sources alternatives et qui s'inscrit dans le
debat public.
L'assassinat du fondateur d'Agos a ete un tournant pour la societe
turque. La faillite de la thèse officielle est parfaitement expliquee
par le journaliste Ahmet Altan : "Rien n'a change. Ils ont ete tues en
1915 et ils sont tues en 2007. Avant, ils affirmaient : "Etant donne
qu'ils nous tuaient, nous les avons tues aussi". Qu'est-ce qu'on va
dire maintenant ? Hrant nous a tues, donc on l'a tue ?". En Turquie,
a debute la revelation des Armeniens "caches" et la reclamation de
leurs droits, de ceux temoignant qu'ils "ne se sont jamais sentis
membres a part entière de la societe". Depuis 2010, les ceremonies de
commemoration du 24-Avril ont eu lieu avec des moyens sans precedent
: la petition de pardon sur Internet, l'illumination des bougies sur
la place Taksim, la manifestation a la gare Haïdarpacha, etc.
Evidemment, la pression internationale et surtout interne
s'intensifiant, elle accentue les efforts de l'Etat pour la contrer.
Si dans le passe, l'axe negationniste de l'Etat turc etait oriente
vers le monde exterieur, actuellement il est aussi oriente vers
l'interieur du pays, pour combattre les personnes qui ne sont pas
en accord avec la thèse officielle. On peut dire qu'aujourd'hui
l'Etat turc avec sa politique negationniste emprisonne le peuple,
en le faisant participer a sa culpabilite negationniste.
Hrant Dink etait un combattant de ce negationnisme. Il etait
periodiquement sujet de menaces et poursuivi par les nationalistes
turcs, car il soulevait la question armenienne, la necessite de
la reconnaissance du Genocide, laquelle favoriserait le dialogue
armeno-turc. En meme temps, il refusait categoriquement de quitter la
Turquie. Il aimait a repeter qu'il etait Armenien mais ne en Turquie
et qu'il faisait partie de la societe turque et ne souhaitait pas
fuir... Mais les verites denoncees par Dink etaient des menaces aux
yeux de l'Etat, c'etait comme ouvrir la boîte de Pandore. En Turquie,
il est dangereux d'etre un journaliste honnete, surtout d'origine
armenienne. Ils ont tue Hrant Dink, le 19 janvier 2007, dans le centre
d'Istanbul, près des bureaux d'Agos. Selon la version officielle
turque, l'assassin a l'epoque avait 17 ans et s'appelait Ogun Samsat.
Quand il a ete arrete, il a accepte sa culpabilite. Mais jusqu'a
aujourd'hui, six ans après son assassinat, les vrais responsables
n'ont pas ete demasques. Fethiye Cetin, l'avocate qui represente les
interets la famille de Dink, insiste : "La police speciale de Turquie
etait informee de la probabilite de l'assassinat du redacteur en chef
d'Agos. Pourtant, elle n'a pris aucune mesure pour prevenir ce crime.
Si nous souhaitons vraiment que la Turquie prenne le chemin de la
democratisation, il est necessaire de devoiler le rôle de la police,
de la police militaire et des fonctionnaires dans la societe".
Aujourd'hui les forces liberales s'opposent au nationalisme turc.
Cependant, quelle est l'importance de cette influence sur le processus
armeno-turc actuel ? Comment la politique negationniste de l'Etat
reflète-t-elle l'opinion publique turque ? Les reponses a ces questions
doivent etre donnees par la societe turque, elle-meme.
Dans cet article, nous avons aborde seulement un aspect des relations
armeno-turques, en essayant de comprendre le phenomène Hrant Dink. Il
y a six ans, la mort de l'intellectuel armenien avait bouleverse et
secoue la Turquie. Au lendemain de son decès, des milliers de Turcs,
Kurdes et Armeniens avec des bougies, des fleurs et des photos de
Dink, sont partis de la place centrale de Taksim jusqu'a l'endroit
de son assassinat en brandissant les affiches : "Nous sommes tous
des Armeniens, nous sommes tous des Hrant Dink".
Dink par son sacrifice a change, disent-ils, la Turquie. A partir de
2007, les Armeniens ont commence a mieux s'organiser et a devoiler
leurs problèmes. Ses amis turcs et armeniens continuent sa mission,
meme s'ils ne sont pas nombreux. A leurs rangs, s'ajoutent ceux qui
travaillent et fonctionnent avec les memes valeurs que lui. Quand
dernièrement, dans le quartier Samatya d'Istanbul, il y eu des
assassinats et des agressions contre les femmes armeniennes âgees,
et malgre le comportement passif des autorites, quelques organisations
civiques d'Istanbul ont proteste et ont organise des patrouilles 24h/24
pour assurer la defense de leurs voisines armeniennes. "La Turquie
est le pays des contradictions. En Turquie peut exister l'assassin de
Hrant Dink et après l'assassinat un Turc soulignera : Je suis Hrant
Dink", m'avait dit Sayat Tekir, membre de l'organisation Nor Zartonk
(Nouvel Eveil).
Si aujourd'hui en Turquie il est possible de dire "non" au nationalisme
et au racisme anti-armenien, c'est grâce au phenomène Hrant Dink,
qui a change la Turquie.
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Source/Lien : Repair - Reparer le futur
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Publie le : 28-06-2013
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invite a lire cet article d'Anush Hovhannisyan, turcologue, chercheuse
a l'Institut des Etudes Orientales de l'Academie des Science d'Armenie,
publie sur le site Repair - Reparer le futur [ONG Yerkir en partenariat
avec Anadolu Kultur] le jeudi 13 juin 2013.
Repair - Reparer le futur
jeudi 13 juin 2013
Point de vue d'Armenie
L'homme qui a change la Turquie
Anush Hovhannisyan
Turcologue, chercheuse a l'Institut des Etudes Orientales de l'Academie
des Science d'Armenie.
J'ai choisi les propos de Baskin Oran, politologue et historien turc
reconnu, sur Hrant Dink, pour le titre de mon article. Cet article
est un essai pour presenter le phenomène Dink sous le regard d'une
turcologue d'Armenie.
Je l'ai rencontre pour la première, et malheureusement la dernière
fois, en 2005 a Erevan, a l'occasion d'une conference internationale
sur le 90e anniversaire du Genocide : "Ultime crime, ultime defit. Les
droits de l'Homme et le Genocide". Des representants venus de Turquie
comme Mourad Belge, Baskin Oran et Hrant Dink sont intervenus dans
le debat d'une des conferences intitulee : "Separe par l'histoire,
uni par la geographie ". "En Turquie, la majorite ne connaît pas la
verite. Comment pourrait-elle la connaître quand pendant 90 ans, il
etait interdit d'en parler", observait Dink. "La partie armenienne
doit avant tout enseigner la vraie histoire puis ensuite mener la
diplomatie de la reconnaissance du Genocide". Selon lui, certains
de ceux qui habitent sur les terres de l'Armenie historique sont les
mieux informes sur le Genocide. Ce sont des Armeniens turquifies ou
kurdifies, qui se souviennent du crime commis a l'encontre de leurs
ancetres. Dink commentait : "La question armenienne et la question
kurde ont ete abordees parallèlement. Les intellectuels kurdes ont, les
premiers, ecrit sur cette question en temoignant de la participation
des leurs". La societe turque ne croit plus inconditionnellement a la
propagande officielle, une partie d'entre elle a commence a s'exprimer
sur le Genocide, malgre les obstacles crees par l'administration.
D'après Dink, la raison de la negation constante de la Turquie,
residait non seulement dans la necessite de garder son image au niveau
international, mais aussi dans la peur du reveil de la conscience de
son peuple. Au sujet de la reconnaissance du Genocide des Armeniens,
Hrant a exprime une approche personnelle : "Le meilleur moyen serait
que la Turquie devienne un pays democratique. Quand il y aura une
demande " d'en bas " de la societe, sans les pressions de l'exterieur,
elle reconnaîtra le Genocide. Il est necessaire de sortir les relations
armeno-turques du puits qui a 1915 mètres de profondeur".
C'est avec cette declaration passionnante - a laquelle Hrant Dink
est reste fidèle tout au long de sa vie courte mais brillante -
qu'il termina son intervention.
Il est indeniable que le Genocide et ses consequences ont affecte
fondamentalement les destins des peuples armenien et turc, et ont
enormement conditionne le processus de formation de ces deux societes.
Les specialistes definissent cette periode de plus de 90 ans, comme
des annees de "silence" et "d'oubli". Une nouvelle vision de l'histoire
kemaliste permettait a la societe turque d'y attacher les mecanismes de
l'oubli, en mettant une barrière contre la "lourde" memoire concernant
la defaite de la Première Guerre mondiale, l'effondrement de l'empire
et le Genocide.
Les points de vue sur la "trahison", la "conspiration contre les Turcs"
et les "ennemis de l'interieur" sont enracines dans l'opinion publique
turque et derivent de la propagande officielle. En Turquie, l'Etat a
et continue d'avoir un rôle decisif, afin de surveiller la formation
de la memoire collective. Les sources principales par lesquelles
est connu le passe sont selectives. Celles-ci seules justifient
la position de l'Etat puisque les sources alternatives ne sont pas
accessibles. Dans le discours publique de la première republique,
non seulement le sujet du Genocide n'existait pas, mais les problèmes
des Armeniens en tant que citoyens de Turquie et minorite non plus. Le
Genocide des Armeniens etait quant a lui considere comme un "tabou".
Jusqu'au milieu des annees 1960, avant les commemorations des 50
ans du Genocide qui ont ete marquees par plusieurs manifestations
et revendications en Diaspora et en Armenie sovietique, le deni de
l'Etat turc etait dirige principalement vers le monde exterieur.
Dans les annees 1970-80, les actions de l'ASALA mirent un frein au
silence entourant la question armenienne. L'Etat turc etait oblige
de donner des explications a son peuple sur les motivations de ces
actions dramatiques. En meme temps, il instilla en direction de
son opinion publique des formules comme : "Nos bons Armeniens" et
"la Diaspora armenienne agressive, malveillante, conspiratrice, qui
hait les Turcs". Il faut noter que dans les annees 1980, debute le
processus de reconnaissance internationale du Genocide des Armeniens.
Après des decennies de silence, la vision "demoniaque" de la Diaspora
proposee a la societe turque est omnipresente dans les debats publics.
Il est evident que les Armeniens d'Istanbul se sont retrouves dans
une situation extremement difficile.
On peut definir les annees 1990 comme la periode où le mur du
silence commence a presenter de serieuses fractures. Ceci a ete
favorise par les changements mondiaux : la fin de "la guerre
froide", l'effondrement de l'URSS, l'independance de l'Armenie -
le retablissement d'un système etatique armenien - par consequent
la possibilite de soulever officiellement la question armenienne,
l'ambition de la Turquie d'integrer l'UE, les developpements de sa
politique interne telle la question kurde, l'activation de l'Islam,
le debat sur l'identite turque, etc. Dans ce contexte, la fondation
du journal Agos en 1996 a pris une signification importante. Agos
devient un espace unique pour debattre des problèmes armeniens,
dans le cadre de la democratisation generale de la Turquie.
A partir des annees 2000 on peut parler de retrait du "tabou"
armenien. Il faut preciser que les discussions publiques sur la
question armenienne, font parti des debats pour la democratisation et
la construction de la societe civile. Une societe civile en train de se
former qui pose des questions et presente des defis serieux adresses
a l'Etat. Aujourd'hui, on peut noter l'affrontement entre l'Etat
et une partie progressiste de la societe sur le sujet du Genocide,
qui a pour consequence la critique des interpretations officielles,
l'accessibilite des sources alternatives et qui s'inscrit dans le
debat public.
L'assassinat du fondateur d'Agos a ete un tournant pour la societe
turque. La faillite de la thèse officielle est parfaitement expliquee
par le journaliste Ahmet Altan : "Rien n'a change. Ils ont ete tues en
1915 et ils sont tues en 2007. Avant, ils affirmaient : "Etant donne
qu'ils nous tuaient, nous les avons tues aussi". Qu'est-ce qu'on va
dire maintenant ? Hrant nous a tues, donc on l'a tue ?". En Turquie,
a debute la revelation des Armeniens "caches" et la reclamation de
leurs droits, de ceux temoignant qu'ils "ne se sont jamais sentis
membres a part entière de la societe". Depuis 2010, les ceremonies de
commemoration du 24-Avril ont eu lieu avec des moyens sans precedent
: la petition de pardon sur Internet, l'illumination des bougies sur
la place Taksim, la manifestation a la gare Haïdarpacha, etc.
Evidemment, la pression internationale et surtout interne
s'intensifiant, elle accentue les efforts de l'Etat pour la contrer.
Si dans le passe, l'axe negationniste de l'Etat turc etait oriente
vers le monde exterieur, actuellement il est aussi oriente vers
l'interieur du pays, pour combattre les personnes qui ne sont pas
en accord avec la thèse officielle. On peut dire qu'aujourd'hui
l'Etat turc avec sa politique negationniste emprisonne le peuple,
en le faisant participer a sa culpabilite negationniste.
Hrant Dink etait un combattant de ce negationnisme. Il etait
periodiquement sujet de menaces et poursuivi par les nationalistes
turcs, car il soulevait la question armenienne, la necessite de
la reconnaissance du Genocide, laquelle favoriserait le dialogue
armeno-turc. En meme temps, il refusait categoriquement de quitter la
Turquie. Il aimait a repeter qu'il etait Armenien mais ne en Turquie
et qu'il faisait partie de la societe turque et ne souhaitait pas
fuir... Mais les verites denoncees par Dink etaient des menaces aux
yeux de l'Etat, c'etait comme ouvrir la boîte de Pandore. En Turquie,
il est dangereux d'etre un journaliste honnete, surtout d'origine
armenienne. Ils ont tue Hrant Dink, le 19 janvier 2007, dans le centre
d'Istanbul, près des bureaux d'Agos. Selon la version officielle
turque, l'assassin a l'epoque avait 17 ans et s'appelait Ogun Samsat.
Quand il a ete arrete, il a accepte sa culpabilite. Mais jusqu'a
aujourd'hui, six ans après son assassinat, les vrais responsables
n'ont pas ete demasques. Fethiye Cetin, l'avocate qui represente les
interets la famille de Dink, insiste : "La police speciale de Turquie
etait informee de la probabilite de l'assassinat du redacteur en chef
d'Agos. Pourtant, elle n'a pris aucune mesure pour prevenir ce crime.
Si nous souhaitons vraiment que la Turquie prenne le chemin de la
democratisation, il est necessaire de devoiler le rôle de la police,
de la police militaire et des fonctionnaires dans la societe".
Aujourd'hui les forces liberales s'opposent au nationalisme turc.
Cependant, quelle est l'importance de cette influence sur le processus
armeno-turc actuel ? Comment la politique negationniste de l'Etat
reflète-t-elle l'opinion publique turque ? Les reponses a ces questions
doivent etre donnees par la societe turque, elle-meme.
Dans cet article, nous avons aborde seulement un aspect des relations
armeno-turques, en essayant de comprendre le phenomène Hrant Dink. Il
y a six ans, la mort de l'intellectuel armenien avait bouleverse et
secoue la Turquie. Au lendemain de son decès, des milliers de Turcs,
Kurdes et Armeniens avec des bougies, des fleurs et des photos de
Dink, sont partis de la place centrale de Taksim jusqu'a l'endroit
de son assassinat en brandissant les affiches : "Nous sommes tous
des Armeniens, nous sommes tous des Hrant Dink".
Dink par son sacrifice a change, disent-ils, la Turquie. A partir de
2007, les Armeniens ont commence a mieux s'organiser et a devoiler
leurs problèmes. Ses amis turcs et armeniens continuent sa mission,
meme s'ils ne sont pas nombreux. A leurs rangs, s'ajoutent ceux qui
travaillent et fonctionnent avec les memes valeurs que lui. Quand
dernièrement, dans le quartier Samatya d'Istanbul, il y eu des
assassinats et des agressions contre les femmes armeniennes âgees,
et malgre le comportement passif des autorites, quelques organisations
civiques d'Istanbul ont proteste et ont organise des patrouilles 24h/24
pour assurer la defense de leurs voisines armeniennes. "La Turquie
est le pays des contradictions. En Turquie peut exister l'assassin de
Hrant Dink et après l'assassinat un Turc soulignera : Je suis Hrant
Dink", m'avait dit Sayat Tekir, membre de l'organisation Nor Zartonk
(Nouvel Eveil).
Si aujourd'hui en Turquie il est possible de dire "non" au nationalisme
et au racisme anti-armenien, c'est grâce au phenomène Hrant Dink,
qui a change la Turquie.
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