CHARLES AZNAVOUR, L'INSOUMIS
Le Point, France
28 fevr 2013
Le Point.fr - Publie le 28/02/2013 a 10:43 - Modifie le 28/02/2013
a 15:45 Par Christelle Crosnier
À 88 ans, il est plus que jamais le monstre sacre de la chanson
francaise. Loin de se retourner sur son glorieux passe, il fourmille
de projets. Interview.
L'Armenie, la terre, le succès, ses amis, ses amours, ses emmerdes...
L'artiste dont les textes font partie du patrimoine de la chanson
francaises, voire qui ont fait la chanson francaise, s'est confie
au Point.fr.
Le Point.fr. : Vous etes ne a Paris, "100 % armenien et 100 %
francais", mais c'est vraiment ici, a Mouriès, que vous vous sentez
chez vous ?
Charles Aznavour : Non. Mon pays, c'est la langue francaise. Un jour,
j'avais dit cela et quelqu'un m'a aussitôt ecrit pour m'annoncer
que la langue n'etait pas un pays ! Quelques jours après, j'ai lu un
intellectuel qui pensait comme moi, alors l'imbecile pouvait reprendre
sa veste...
Cela vous enerve, on dirait...
Il y a toujours des gens pour renier mon côte francais ! "Mais vous
etes armenien quand meme !" me dit-on. Ce "quand meme" m'emmerde ! Oui
je suis armenien, mais j'ai moins d'armenien en moi que je n'ai de
francais : je ne lis pas ni n'ecris l'armenien, je ne connais pas
l'hymne national ni les prières...
Vous avez beaucoup d'ouverture et etes sensible aux musiques de tous
les pays...
Toutes les musiques me touchent. Par exemple, j'etais en Chine
recemment et j'etais ravi de faire la connaissance de deux grands
musiciens chinois. J'ai croise egalement quelqu'un que j'aime beaucoup
: Jackie Chan ! J'aime rencontrer de nouvelles personnes qui ont un
autre langage, une autre facon de voir la vie.
Ecrire reste toujours le plus important a vos yeux ?
Oui. J'ecris tous les jours. Je commence par noter une phrase, sans
savoir ce que j'en ferai... Peut-etre rien du tout... Puis dans la
foulee j'en fais le tour. Si cela donne une bonne chanson je la garde,
sinon je jette. Voila. Je jette beaucoup en verite.
Corrigez-vous beaucoup vos chansons avant de les editer ?
Chaque mot est capital, sa profondeur, sa verite... Parfois meme sa
sonorite est plus importante que sa verite. Par exemple si on prend
la tempete, le tonnerre, l'orage, la tornade : je choisis le mot qui
va etre le plus impressionnant meme s'il est un peu moins juste.
Et lorsque vos chansons sont sorties, revenez-vous souvent sur vos
textes ?
J'ecoutais recemment Serge Lama qui disait qu'il corrige aujourd'hui
des chansons où une ligne ou deux le genent. Moi je ne le fais jamais
parce que je me dis que le public les a acceptees ainsi. J'aimerais
bien faire comme lui, il a raison, il laissera derrière lui une oeuvre
totalement corrigee... Moi non, je garde les fautes aussi.
Les thèmes des chansons sont-ils importants ?
Regardez les jeunes qui ecrivent aujourd'hui : ils disent tous a
peu près la meme chose, "je t'aime, tu m'aimes"... Ils n'ont pas
de curiosite. Dans le temps, il y en avait un qui pensait a ecrire
"Les lavandières du Portugal" ! Aujourd'hui personne ne prendrait le
temps : pourquoi ecrire une chanson qui n'a rien a voir avec ce qu'on
appelle un tube ? On ne se donne pas la peine... Eh bien c'est une
erreur monumentale : nous allons finir etrangles par le meme genre
de chansons.
Gardez-vous tous vos disques d'or dans votre maison provencale ?
Non. D'ailleurs ce n'est pas important, tout cela va disparaître,
partir a la vente. Je pars du principe que ce qui me flatte, moi,
parce que j'ai eu une vie difficile a un moment donne, n'a plus
d'importance maintenant pour les autres. Il ne faut pas se gargariser
avec ca. J'avoue que j'ai toujours eu beaucoup de plaisir a recevoir
des recompenses. On m'a donne des medailles de ceci ou cela, le
sculpteur Cesar devait m'en faire une compression, mais il m'avait
dit : "À moins de 25 kilos, je ne peux pas faire grand-chose !" Quand
j'ai atteint les 25 kilos, il nous a quittes. Maintenant j'en ai pour
50 kilos et il n'y a plus personne pour le faire...
Ce sont de beaux souvenirs...
Je ne vais pas en faire un musee, c'est ridicule. En Armenie nous
avons cree la Maison Charles Aznavour avec une salle de spectacle de
150 personnes. Il y a une très belle scène où des jeunes peuvent venir
montrer ce qu'ils savent faire. J'y tenais beaucoup. La première fois,
c'etaient des enfants. Ils ont chante mes chansons en francais...
J'etais ravi parce qu'on a tout fait pour que la langue francaise
soit la troisième langue du pays après le russe.
Vous avez passe votre vie a vouloir etre cultive et maintenant vous
etes cultivateur d'oliviers dans le Sud, c'est ca ?
Culture, c'est culture, les deux cultures ont leurs bienfaits ! Il y
avait une terre rase dans ma tete, il a fallu que je plante des livres
- les dix premiers m'avaient ete conseilles par Cocteau. Ils sont dans
ma bibliothèque, comme ceux vers lesquels m'ont guide egalement le
Chanteur sans nom et Andre le Gall. Dos Passos, Celine, Victor Hugo...
J'adore aussi les livres d'histoire : l'histoire de France, d'Italie,
d'Espagne, d'Angleterre ou de Russie.
Vous continuez a lire beaucoup ?
Tous les soirs avant de me coucher. J'ai une très belle bibliothèque
que je renouvelle souvent. Ce sont les meme livres que j'achète dans
de meilleures editions - non pas des livres de grand prix mais avec de
jolies reliures. Mon dernier achat : toute l'oeuvre d'Anatole France.
On dit qu'Edith Piaf lisait a voix haute avec vous ?
En effet, contrairement a ce qu'on pense, elle lisait beaucoup,
et toujours avec un dictionnaire a côte d'elle. Par exemple elle
commencait La recherche de la verite, puis, après quatre pages, il
y avait un mot qui la genait alors elle lancait : "Attendez, on va
prendre le dictionnaire", et après elle repartait depuis le debut !
Nous relisions le livre quinze fois, nous en avions marre, mais elle
etait contente. Elle s'etait bien instruite, madame Piaf !
Vous disiez que vous aviez une âme d'artiste, maintenant vous avez
une âme de paysan ?
J'ai toujours eu une âme de paysan. Dans la ferme que j'avais offerte
a mes parents, nous avions 700 cerisiers. Mais ici c'est le retour
a la terre sans y avoir ete ne ! Habituellement on revient a ses
racines... J'ai cree moi-meme une terre de grands-parents puisque je
suis grand-père !
Aujourd'hui l'huile d'olive et demain les comedies musicales...
Oui, j'ai des rendez-vous avec des Americains pour cela. Je prepare
deux pièces pour Broadway et une pour la France...
Reduire le texteGrossir le texte Deuxième numero d'"Hier encore"
le 2 mars sur France 2
Dernier album sorti : "Aznavour Toujours"(EMI)
http://www.lepoint.fr/culture/charles-aznavour-l-insoumis-28-02-2013-1634185_3.php
Le Point, France
28 fevr 2013
Le Point.fr - Publie le 28/02/2013 a 10:43 - Modifie le 28/02/2013
a 15:45 Par Christelle Crosnier
À 88 ans, il est plus que jamais le monstre sacre de la chanson
francaise. Loin de se retourner sur son glorieux passe, il fourmille
de projets. Interview.
L'Armenie, la terre, le succès, ses amis, ses amours, ses emmerdes...
L'artiste dont les textes font partie du patrimoine de la chanson
francaises, voire qui ont fait la chanson francaise, s'est confie
au Point.fr.
Le Point.fr. : Vous etes ne a Paris, "100 % armenien et 100 %
francais", mais c'est vraiment ici, a Mouriès, que vous vous sentez
chez vous ?
Charles Aznavour : Non. Mon pays, c'est la langue francaise. Un jour,
j'avais dit cela et quelqu'un m'a aussitôt ecrit pour m'annoncer
que la langue n'etait pas un pays ! Quelques jours après, j'ai lu un
intellectuel qui pensait comme moi, alors l'imbecile pouvait reprendre
sa veste...
Cela vous enerve, on dirait...
Il y a toujours des gens pour renier mon côte francais ! "Mais vous
etes armenien quand meme !" me dit-on. Ce "quand meme" m'emmerde ! Oui
je suis armenien, mais j'ai moins d'armenien en moi que je n'ai de
francais : je ne lis pas ni n'ecris l'armenien, je ne connais pas
l'hymne national ni les prières...
Vous avez beaucoup d'ouverture et etes sensible aux musiques de tous
les pays...
Toutes les musiques me touchent. Par exemple, j'etais en Chine
recemment et j'etais ravi de faire la connaissance de deux grands
musiciens chinois. J'ai croise egalement quelqu'un que j'aime beaucoup
: Jackie Chan ! J'aime rencontrer de nouvelles personnes qui ont un
autre langage, une autre facon de voir la vie.
Ecrire reste toujours le plus important a vos yeux ?
Oui. J'ecris tous les jours. Je commence par noter une phrase, sans
savoir ce que j'en ferai... Peut-etre rien du tout... Puis dans la
foulee j'en fais le tour. Si cela donne une bonne chanson je la garde,
sinon je jette. Voila. Je jette beaucoup en verite.
Corrigez-vous beaucoup vos chansons avant de les editer ?
Chaque mot est capital, sa profondeur, sa verite... Parfois meme sa
sonorite est plus importante que sa verite. Par exemple si on prend
la tempete, le tonnerre, l'orage, la tornade : je choisis le mot qui
va etre le plus impressionnant meme s'il est un peu moins juste.
Et lorsque vos chansons sont sorties, revenez-vous souvent sur vos
textes ?
J'ecoutais recemment Serge Lama qui disait qu'il corrige aujourd'hui
des chansons où une ligne ou deux le genent. Moi je ne le fais jamais
parce que je me dis que le public les a acceptees ainsi. J'aimerais
bien faire comme lui, il a raison, il laissera derrière lui une oeuvre
totalement corrigee... Moi non, je garde les fautes aussi.
Les thèmes des chansons sont-ils importants ?
Regardez les jeunes qui ecrivent aujourd'hui : ils disent tous a
peu près la meme chose, "je t'aime, tu m'aimes"... Ils n'ont pas
de curiosite. Dans le temps, il y en avait un qui pensait a ecrire
"Les lavandières du Portugal" ! Aujourd'hui personne ne prendrait le
temps : pourquoi ecrire une chanson qui n'a rien a voir avec ce qu'on
appelle un tube ? On ne se donne pas la peine... Eh bien c'est une
erreur monumentale : nous allons finir etrangles par le meme genre
de chansons.
Gardez-vous tous vos disques d'or dans votre maison provencale ?
Non. D'ailleurs ce n'est pas important, tout cela va disparaître,
partir a la vente. Je pars du principe que ce qui me flatte, moi,
parce que j'ai eu une vie difficile a un moment donne, n'a plus
d'importance maintenant pour les autres. Il ne faut pas se gargariser
avec ca. J'avoue que j'ai toujours eu beaucoup de plaisir a recevoir
des recompenses. On m'a donne des medailles de ceci ou cela, le
sculpteur Cesar devait m'en faire une compression, mais il m'avait
dit : "À moins de 25 kilos, je ne peux pas faire grand-chose !" Quand
j'ai atteint les 25 kilos, il nous a quittes. Maintenant j'en ai pour
50 kilos et il n'y a plus personne pour le faire...
Ce sont de beaux souvenirs...
Je ne vais pas en faire un musee, c'est ridicule. En Armenie nous
avons cree la Maison Charles Aznavour avec une salle de spectacle de
150 personnes. Il y a une très belle scène où des jeunes peuvent venir
montrer ce qu'ils savent faire. J'y tenais beaucoup. La première fois,
c'etaient des enfants. Ils ont chante mes chansons en francais...
J'etais ravi parce qu'on a tout fait pour que la langue francaise
soit la troisième langue du pays après le russe.
Vous avez passe votre vie a vouloir etre cultive et maintenant vous
etes cultivateur d'oliviers dans le Sud, c'est ca ?
Culture, c'est culture, les deux cultures ont leurs bienfaits ! Il y
avait une terre rase dans ma tete, il a fallu que je plante des livres
- les dix premiers m'avaient ete conseilles par Cocteau. Ils sont dans
ma bibliothèque, comme ceux vers lesquels m'ont guide egalement le
Chanteur sans nom et Andre le Gall. Dos Passos, Celine, Victor Hugo...
J'adore aussi les livres d'histoire : l'histoire de France, d'Italie,
d'Espagne, d'Angleterre ou de Russie.
Vous continuez a lire beaucoup ?
Tous les soirs avant de me coucher. J'ai une très belle bibliothèque
que je renouvelle souvent. Ce sont les meme livres que j'achète dans
de meilleures editions - non pas des livres de grand prix mais avec de
jolies reliures. Mon dernier achat : toute l'oeuvre d'Anatole France.
On dit qu'Edith Piaf lisait a voix haute avec vous ?
En effet, contrairement a ce qu'on pense, elle lisait beaucoup,
et toujours avec un dictionnaire a côte d'elle. Par exemple elle
commencait La recherche de la verite, puis, après quatre pages, il
y avait un mot qui la genait alors elle lancait : "Attendez, on va
prendre le dictionnaire", et après elle repartait depuis le debut !
Nous relisions le livre quinze fois, nous en avions marre, mais elle
etait contente. Elle s'etait bien instruite, madame Piaf !
Vous disiez que vous aviez une âme d'artiste, maintenant vous avez
une âme de paysan ?
J'ai toujours eu une âme de paysan. Dans la ferme que j'avais offerte
a mes parents, nous avions 700 cerisiers. Mais ici c'est le retour
a la terre sans y avoir ete ne ! Habituellement on revient a ses
racines... J'ai cree moi-meme une terre de grands-parents puisque je
suis grand-père !
Aujourd'hui l'huile d'olive et demain les comedies musicales...
Oui, j'ai des rendez-vous avec des Americains pour cela. Je prepare
deux pièces pour Broadway et une pour la France...
Reduire le texteGrossir le texte Deuxième numero d'"Hier encore"
le 2 mars sur France 2
Dernier album sorti : "Aznavour Toujours"(EMI)
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