REVUE DE PRESSE
La Turquie dans l'UE ? par Pierre Verluise
Laurent Fabius a fait savoir le 12 février 2013 que la France lève son
veto sur le chapitre de la politique régionale dans le cadre des
négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Une candidature officielle depuis 2005 mais en suspens depuis 2010,
notamment sous l'effet d'un blocage de Nicolas Sarkozy. Avec une
superficie 1,4 fois supérieure à celle de la France, la Turquie
deviendrait le plus étendu des pays membres de l'UE.
Certes, il est trop tôt pour connaître la suite de ce dégel, notamment
parce que d'autres pays membres ont leur mot à dire. Sans prétendre à
l'exhaustivité, envisageons les effets économiques et démographiques.
Le niveau de vie turc dépasse la moitié de celui de l'UE
Au vu des données Eurostat pour 2011, la Turquie se place à 52% du PIB
par habitant en `Standard de pouvoir d'achat` (SPA) de l'UE-27. Ce qui
la met au dessus de la Bulgarie (45) et de la Roumanie (49) mais en
dessous de la Lettonie (58), de la Pologne (65) et très loin de la
France (107) et de l'Allemagne (120), sans parler du Luxembourg (274).
Certes, la Turquie reste à ce jour plus pauvre que la moyenne de l'UE
(100), mais il faut prendre conscience du chemin parcouru. En 2005, le
PIB par habitant en SPA de l'espace UE-27 base 100 de la Turquie se
plaçait 10 points de pourcentage en dessous du résultat de 2011. La
période 2005-2011 se caractérise donc par un rythme de rattrapage
exceptionnel de 1,6 point de pourcentage par an, soit un tempo encore
plus rapide que la République tchèque de 1998 à 2007.
Cette performance s'explique à la fois par les performances
économiques de la Turquie en dépit de la crise économique...et le
ralentissement très significatif de la croissance dans l'UE. Puisque
l'une ralentie quand l'autre accélère, l'écart entre l'UE et la
Turquie se resserre plus vite que l'on ne pouvait l'envisager avant la
crise.
Combien d'années faudrait-il à la Turquie pour dépasser 75% du niveau
de vie moyen dans l'UE ? La question peut sembler incongrue mais elle
fait sens : aussi longtemps qu'une région de l'Europe communautaire
reste en dessous de ce seuil, elle a effectivement droit à des fonds
structurels conséquents. Ces derniers constituent actuellement le
deuxième poste du budget de l'UE.
Il n'existe, évidemment, aucune réponse consolidée à cette question,
notamment parce que les paramètres sont très nombreux. Il reste à
proposer des scénarios.
Scénario 1 : avec un `rattrapage` moyen de 1,3% par an -légèrement
supérieur au rythme tchèque pour la période 1998-2007- il faudrait 18
ans ; ce qui porterait en 2029.
Scénario 2 : avec un `rattrapage` moyen de 1,1% par an, il faudrait 21
ans ; ce qui repousserait l'échéance à 2032.
Scénario 3 : avec un `rattrapage` moyen de 0,8% par an, il faudrait 29
ans ; ce qui conduirait jusqu'en 2040.
Scénario 4 : avec un `rattrapage` moyen de 0,5% par an -légèrement
inférieur au rythme polonais entre 1998 et 2007- il faudrait 46 ans ;
ce qui mènerait à 2057.
Quel scénario retenir ? Peut-être aucun des quatre, tant le réel nous
surprend toujours ! Le ralentissement de la croissance économique de
l'Union européenne facilite le `rattrapage` de la Turquie. Au vu des
données de 2011, il semble envisageable de placer durant les décennies
2030 ou 2040 le passage de la majorité des régions turques au dessus
de 75% du PIB par habitant en SPA de l'UE base 100. Si les
négociations sont finalisées, il conviendra de se donner les moyens de
soutenir financièrement la convergence d'un territoire de 784.000 km2.
Les perspectives du prochain budget de l'Union européenne ne semblent
pas aller dans ce sens, mais le processus n'est pas finalisé.
La Turquie pourrait être plus peuplée que l'Allemagne d'ici 2025
Avec 74 millions d'habitants, la Turquie affiche en 2011 une
population inférieure à l'Allemagne (81,8), le plus peuplé des pays
membres de l'UE-27. Pour combien de temps ?
Aujourd'hui, la Turquie approche de la fin de la transition
démographique, avec une fécondité proche du seuil de remplacement en
raison de conditions de mortalité encore défavorables. Pour autant, en
2009, l'accroissement naturel de la seule Turquie a représenté 809.000
personnes, soit 1,6 fois l'accroissement naturel de toute l'UE-27
(509.200).
44,1 % de la population turque est actuellement gée de 0 à 24 ans.
C'est pourquoi, en dépit de la forte baisse de sa fécondité, la
population turque pourrait continuer à croître de façon significative
durant toute la première moitié du XXIème siècle. Il s'agirait d'un
effet de vitesse acquise, lié à des générations nombreuses en ge de
procréer.
Les projections construites par le World population prospects
indiquent que la population de la Turquie devrait creuser l'écart avec
la population de la France, puis dépasser la population déclinante de
l'Allemagne fédérale aux alentours de 2020-2025. En cas d'adhésion, la
Turquie serait donc le pays membre le plus peuplé de l'Europe
communautaire dans le deuxième quart du XXIème siècle.
En 2025, sa population pourrait atteindre 85,4 millions d'habitants.
En 2050, la population de la Turquie pourrait avoisiner 94,7 millions
d'habitants.
Ce poids démographique en ferait très probablement le pays le mieux
représenté au Parlement européen, mais il faut observer que ses
députés, comme ceux de n'importe quel pays, se répartiraient très
probablement dans plusieurs groupes politiques. À priori, il
n'existerait pas plus de `vote turc` qu'il n'existe un `vote français`
ou un `vote slovène` au Parlement européen.
Autrement dit, la Turquie pourrait être le pays le plus étendu et le
plus peuplé de l'Union européenne avant que la majorité de ses régions
dépasse le seuil de 75% du PIB par habitant en SPA de l'UE base 100.
Dans la perspective d'une adhésion, il convient de s'assurer que les
citoyens des pays membres apportent leur soutien aux efforts
financiers qu'il conviendrait de consentir sur une longue durée, avant
et après l'adhésion.
Explicitement ou implicitement, ces réalités et perspectives
économiques comme démographiques pèseront sur l'issue de la
candidature de la Turquie à l'Union européenne. Il reste, surtout, à
convaincre tous les gouvernements et la majorité des opinions des pays
membres de la pertinence d'une adhésion de la Turquie à l'Union
européenne puis, le cas échéant, à se donner les moyens d'en faire une
réussite partagée.
Rappelons, enfin, que la question de Chypre pèse encore de tout son
poids sur les relations UE-Turquie.
http://www.huffingtonpost.fr/pierre-verluise/adhesion-turquie-europe_b_2709224.html
dimanche 3 mars 2013,
Stéphane ©armenews.com
La Turquie dans l'UE ? par Pierre Verluise
Laurent Fabius a fait savoir le 12 février 2013 que la France lève son
veto sur le chapitre de la politique régionale dans le cadre des
négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Une candidature officielle depuis 2005 mais en suspens depuis 2010,
notamment sous l'effet d'un blocage de Nicolas Sarkozy. Avec une
superficie 1,4 fois supérieure à celle de la France, la Turquie
deviendrait le plus étendu des pays membres de l'UE.
Certes, il est trop tôt pour connaître la suite de ce dégel, notamment
parce que d'autres pays membres ont leur mot à dire. Sans prétendre à
l'exhaustivité, envisageons les effets économiques et démographiques.
Le niveau de vie turc dépasse la moitié de celui de l'UE
Au vu des données Eurostat pour 2011, la Turquie se place à 52% du PIB
par habitant en `Standard de pouvoir d'achat` (SPA) de l'UE-27. Ce qui
la met au dessus de la Bulgarie (45) et de la Roumanie (49) mais en
dessous de la Lettonie (58), de la Pologne (65) et très loin de la
France (107) et de l'Allemagne (120), sans parler du Luxembourg (274).
Certes, la Turquie reste à ce jour plus pauvre que la moyenne de l'UE
(100), mais il faut prendre conscience du chemin parcouru. En 2005, le
PIB par habitant en SPA de l'espace UE-27 base 100 de la Turquie se
plaçait 10 points de pourcentage en dessous du résultat de 2011. La
période 2005-2011 se caractérise donc par un rythme de rattrapage
exceptionnel de 1,6 point de pourcentage par an, soit un tempo encore
plus rapide que la République tchèque de 1998 à 2007.
Cette performance s'explique à la fois par les performances
économiques de la Turquie en dépit de la crise économique...et le
ralentissement très significatif de la croissance dans l'UE. Puisque
l'une ralentie quand l'autre accélère, l'écart entre l'UE et la
Turquie se resserre plus vite que l'on ne pouvait l'envisager avant la
crise.
Combien d'années faudrait-il à la Turquie pour dépasser 75% du niveau
de vie moyen dans l'UE ? La question peut sembler incongrue mais elle
fait sens : aussi longtemps qu'une région de l'Europe communautaire
reste en dessous de ce seuil, elle a effectivement droit à des fonds
structurels conséquents. Ces derniers constituent actuellement le
deuxième poste du budget de l'UE.
Il n'existe, évidemment, aucune réponse consolidée à cette question,
notamment parce que les paramètres sont très nombreux. Il reste à
proposer des scénarios.
Scénario 1 : avec un `rattrapage` moyen de 1,3% par an -légèrement
supérieur au rythme tchèque pour la période 1998-2007- il faudrait 18
ans ; ce qui porterait en 2029.
Scénario 2 : avec un `rattrapage` moyen de 1,1% par an, il faudrait 21
ans ; ce qui repousserait l'échéance à 2032.
Scénario 3 : avec un `rattrapage` moyen de 0,8% par an, il faudrait 29
ans ; ce qui conduirait jusqu'en 2040.
Scénario 4 : avec un `rattrapage` moyen de 0,5% par an -légèrement
inférieur au rythme polonais entre 1998 et 2007- il faudrait 46 ans ;
ce qui mènerait à 2057.
Quel scénario retenir ? Peut-être aucun des quatre, tant le réel nous
surprend toujours ! Le ralentissement de la croissance économique de
l'Union européenne facilite le `rattrapage` de la Turquie. Au vu des
données de 2011, il semble envisageable de placer durant les décennies
2030 ou 2040 le passage de la majorité des régions turques au dessus
de 75% du PIB par habitant en SPA de l'UE base 100. Si les
négociations sont finalisées, il conviendra de se donner les moyens de
soutenir financièrement la convergence d'un territoire de 784.000 km2.
Les perspectives du prochain budget de l'Union européenne ne semblent
pas aller dans ce sens, mais le processus n'est pas finalisé.
La Turquie pourrait être plus peuplée que l'Allemagne d'ici 2025
Avec 74 millions d'habitants, la Turquie affiche en 2011 une
population inférieure à l'Allemagne (81,8), le plus peuplé des pays
membres de l'UE-27. Pour combien de temps ?
Aujourd'hui, la Turquie approche de la fin de la transition
démographique, avec une fécondité proche du seuil de remplacement en
raison de conditions de mortalité encore défavorables. Pour autant, en
2009, l'accroissement naturel de la seule Turquie a représenté 809.000
personnes, soit 1,6 fois l'accroissement naturel de toute l'UE-27
(509.200).
44,1 % de la population turque est actuellement gée de 0 à 24 ans.
C'est pourquoi, en dépit de la forte baisse de sa fécondité, la
population turque pourrait continuer à croître de façon significative
durant toute la première moitié du XXIème siècle. Il s'agirait d'un
effet de vitesse acquise, lié à des générations nombreuses en ge de
procréer.
Les projections construites par le World population prospects
indiquent que la population de la Turquie devrait creuser l'écart avec
la population de la France, puis dépasser la population déclinante de
l'Allemagne fédérale aux alentours de 2020-2025. En cas d'adhésion, la
Turquie serait donc le pays membre le plus peuplé de l'Europe
communautaire dans le deuxième quart du XXIème siècle.
En 2025, sa population pourrait atteindre 85,4 millions d'habitants.
En 2050, la population de la Turquie pourrait avoisiner 94,7 millions
d'habitants.
Ce poids démographique en ferait très probablement le pays le mieux
représenté au Parlement européen, mais il faut observer que ses
députés, comme ceux de n'importe quel pays, se répartiraient très
probablement dans plusieurs groupes politiques. À priori, il
n'existerait pas plus de `vote turc` qu'il n'existe un `vote français`
ou un `vote slovène` au Parlement européen.
Autrement dit, la Turquie pourrait être le pays le plus étendu et le
plus peuplé de l'Union européenne avant que la majorité de ses régions
dépasse le seuil de 75% du PIB par habitant en SPA de l'UE base 100.
Dans la perspective d'une adhésion, il convient de s'assurer que les
citoyens des pays membres apportent leur soutien aux efforts
financiers qu'il conviendrait de consentir sur une longue durée, avant
et après l'adhésion.
Explicitement ou implicitement, ces réalités et perspectives
économiques comme démographiques pèseront sur l'issue de la
candidature de la Turquie à l'Union européenne. Il reste, surtout, à
convaincre tous les gouvernements et la majorité des opinions des pays
membres de la pertinence d'une adhésion de la Turquie à l'Union
européenne puis, le cas échéant, à se donner les moyens d'en faire une
réussite partagée.
Rappelons, enfin, que la question de Chypre pèse encore de tout son
poids sur les relations UE-Turquie.
http://www.huffingtonpost.fr/pierre-verluise/adhesion-turquie-europe_b_2709224.html
dimanche 3 mars 2013,
Stéphane ©armenews.com