L'expulsion des Allemands après la IIe Guerre mondiale
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=71806
Publié le : 04-03-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - « En décembre 1944,
Winston Churchill annonça devant une Chambre des Communes abasourdie
que les Alliés avaient résolu d'entreprendre le plus vaste transfert
forcé de population ` Ã savoir, ce qui, de nos jours, est qualifié de
« purification ethnique » - dans l'histoire humaine. Des millions de
civils vivant dans les provinces allemandes orientales, destinées Ã
être restituées à la Pologne après la guerre, devaient être expulsés
et déposés parmi les ruines de l'ancien Reich. Au milieu de l'année
1945, non seulement la migration forcée la plus vaste, mais
probablement le mouvement de population le plus grand dans l'histoire
humaine était en cours, une opération qui se poursuivit durant les
cinq années suivantes. Entre 12 et 14 millions de civils, dans leur
écrasante majorité des femmes, des enfants et des personnes gées,
furent chassés de leurs foyers ou, dans le cas où ils avaient déjà fui
l'avancée de l'Armée Rouge durant les derniers jours de la guerre,
empêchés par la force d'y revenir. Il importe de garder à l'esprit
qu'aucune comparaison valable ne saurait être établie entre
l'expulsion des Allemands et les atrocités bien plus grandes dont se
rendit responsable l'Allemagne nazie. Toutes propositions contraires `
y compris celles avancées par les expulsés eux-mêmes ` sont à la fois
choquantes et historiquement fausses. » Le Collectif VAN vous présente
un article traduit le 2 mars 2013 par Georges Festa pour le site
"Armenian Trends - Mes Arménies", d'après un article en anglais de R.
M. Douglas publié sur le site The Huffington Post.
Photo: © Yale University Press, 2012
Armenian Trends - Mes Arménies
samedi 2 mars 2013
R. M. Douglas - Orderly and Humane : The Expulsion of the Germans
after the Second World War / Ordonnée et humaine : l'expulsion des
Allemands après la Seconde Guerre mondiale
L'expulsion des Allemands : la migration forcée la plus vaste dans l'Histoire
par R. M. Douglas
The Huffington Post, 25.08.2012
En décembre 1944, Winston Churchill annonça devant une Chambre des
Communes abasourdie que les Alliés avaient résolu d'entreprendre le
plus vaste transfert forcé de population ` Ã savoir, ce qui, de nos
jours, est qualifié de « purification ethnique » - dans l'histoire
humaine.
Des millions de civils vivant dans les provinces allemandes
orientales, destinées à être restituées à la Pologne après la guerre,
devaient être expulsés et déposés parmi les ruines de l'ancien Reich,
à charge pour eux de se débrouiller comme ils le pourraient. Le
Premier ministre ne mcha pas ses mots. Ce qui est prévu, déclara-t-il
tout de go, c'est « l'expulsion totale des Allemands [¦] Car
l'expulsion est la méthode qui, autant qu'il nous a semblé, sera la
plus satisfaisante et durable. »
Cette révélation du Premier ministre alarma certains commentateurs,
qui rappelèrent que dix-huit mois plus tôt seulement, son gouvernement
avait fait cette promesse : « Qu'il soit bien clair dans le monde
entier que jamais les Anglais ne chercheront vengeance au moyen de
représailles en masse contre le peuple allemand dans son ensemble ! »
Aux Etats-Unis, des sénateurs demandèrent à savoir quand la Charte
Atlantique, une déclaration des objectifs de guerre anglo-américains
qui affirmait l'opposition des deux pays à « des changements
territoriaux qui ne s'accordent pas avec les souhaits librement
exprimés de la population concernée », fut abandonnée. Dénonçant la
proposition de Churchill comme un « crime énorme », George Orwell se
rassura à la pensée qu'une politique aussi extrême « ne peut dans les
faits être mise en Å`uvre, quand bien même elle débuterait, vu le
chaos, les souffrances et le germe de haines irréconciliables qui en
résulteraient. »
Orwell sous-estimait grandement la détermination et la portée des
plans des dirigeants alliés. Ni lui ni personne ne savait qu'outre le
déplacement de 7 Ã 8 millions d'Allemands d'Europe Orientale,
Churchill, le président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt et le
dirigeant soviétique Joseph Staline avaient déjà convenu d'une
déportation pareillement « ordonnée et humaine » de plus de 3 millions
de germanophones ` les « Allemands des Sudètes » - de leurs foyers en
Tchécoslovaquie. Ils ajouteraient bientôt à cette liste le demi
million d'habitants d'origine allemande en Hongrie.
Bien que les gouvernements de Yougoslavie et de Roumanie ne furent
jamais autorisés par les Trois Grands à déporter leurs minorités
allemandes, tous deux profitèrent de la situation pour les expulser
aussi.
Au milieu de l'année 1945, non seulement la migration forcée la plus
vaste, mais probablement le mouvement de population le plus grand dans
l'histoire humaine était en cours, une opération qui se poursuivit
durant les cinq années suivantes. Entre 12 et 14 millions de civils,
dans leur écrasante majorité des femmes, des enfants et des personnes
gées, furent chassés de leurs foyers ou, dans le cas où ils avaient
déjà fui l'avancée de l'Armée Rouge durant les derniers jours de la
guerre, empêchés par la force d'y revenir.
Dès le début, ce déplacement en masse fut mis en Å`uvre essentiellement
au moyen de la violence et de la terreur, avec le soutien des Etats.
En Pologne et en Tchécoslovaquie, des centaines de milliers de
réfugiés furent rassemblés dans des camps ` souvent, comme Auschwitz I
ou Theresienstadt, d'anciens camps de concentration nazis maintenus
opérationnels durant plusieurs années après la guerre et mis au
service d'un nouvel objectif.
Les conditions d'existence des prisonniers dans plusieurs de ces
installations étaient atroces, comme en témoignent les autorités de la
Croix Rouge, s'accompagnant de mauvais traitements, du viol des femmes
internées, de travaux forcés épuisants et d'un régime de
sous-alimentation allant de 500 Ã 800 calories par jour. En violation
des règlements, rarement appliqués, exemptant les jeunes de la
détention, les enfants étaient couramment incarcérés, soit avec leurs
parents, soit dans des camps réservés aux enfants. Comme l'ambassade
de Grande-Bretagne à Belgrade le signale en 1946, les conditions
réservées aux Allemands « semblent bien en dessous des normes en
vigueur à Dachau. »
Alors que le taux de mortalité dans ces camps était souvent
terriblement élevé ` 2 227 internés dans le camp de MysÅ?owice, au sud
de la Pologne, périrent durant les dix derniers mois de 1945 -,
l'essentiel de la mortalité liée aux expulsions se produisit en dehors
d'eux.
Les marches forcées, dans lesquelles les habitants de villages entiers
furent expulsés en l'espace d'un quart d'heure et conduits sous la
menace de fusils vers la frontière la plus proche, firent de
nombreuses pertes. De même, les transports en train, qui prenaient
parfois des semaines à rejoindre leur destination, avec jusqu'à 80
personnes expulsées, entassées dans chaque wagon, privées (parfois
totalement) de nourriture, d'eau et de chauffage suffisants.
Les décès continuaient à l'arrivée en Allemagne même. Déclarés
inéligibles par les autorités alliées à recevoir quelque forme que ce
soit d'aide internationale et dépourvus de logements dans un pays
dévasté par les bombardements, les expulsés passaient dans de nombreux
cas leurs premiers mois ou années vivant à la dure dans des champs,
des wagons de marchandises ou sur des quais de gare.
La malnutrition, l'hypothermie et la maladie firent de nombreuses
victimes, en particulier parmi les plus gés et les plus jeunes. Bien
que des recherches supplémentaires soient nécessaires, afin d'établir
le nombre total de morts, des estimations laissent penser qu'au bas
mot, 500 000 personnes perdirent la vie, suite à cette opération.
Non seulement le traitement des expulsés contrevenait aux principes au
nom desquels la Seconde Guerre mondiale était censée avoir été
entreprise, mais il suscita de nombreuses et durables complications
juridiques. Lors des procès de Nuremberg, par exemple, les Alliés
passaient en jugement les dirigeants nazis survivants, accusés d'avoir
perpétré des « déportations et autres actes inhumains » contre les
populations civiles, au même moment où, Ã moins de quelques centaines
de kilomètres de lÃ, ils se lançaient d'eux-mêmes dans des
déplacements forcés à grande échelle.
Des problèmes similaires surgirent avec la Convention des Nations
Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide en
1948, dont la première mouture déclarait illégal « l'exil forcé et
systématique d'individus représentant la culture d'un groupe. » Cette
disposition fut supprimée de la version finale, sur l'insistance de la
délégation des Etats-Unis, laquelle soulignait le fait que cela «
pourrait être interprété comme incluant les transferts forcés de
groupes minoritaires, tels que ceux déjà mis en Å`uvre par les membres
des Nations Unies. »
Jusqu'Ã aujourd'hui, des Etats responsables d'expulsions continuent
dans une large mesure à exclure les déportations et leurs effets
permanents de la portée du droit international. En octobre 2009, par
exemple, l'actuel président de la République Tchèque, Václav Klaus,
refusa de signer le traité de Lisbonne de l'Union Européenne, Ã moins
que son pays ne se vît accorder une « exemption », lui assurant que
les expulsés survivants ne puissent recourir à ce traité pour demander
auprès des tribunaux européens réparation au nom des mauvais
traitements subis. Face à l'échec d'un accord dans l'éventualité d'une
non-ratification tchèque, l'Union Européenne accepta à contrecÅ`ur.
A ce jour, les expulsions de l'après-guerre ` dont l'échelle et le
caractère meurtrier ont dépassé de loin l'épuration ethnique qui
accompagna l'effondrement de l'ancienne Yougoslavie dans les années
1990 ` restent peu connues en dehors de l'Allemagne. (Et même lÃ, une
enquête de 2002 révéla que les Allemands gés de moins de trente ans
avaient une connaissance plus précise de l'Ethiopie que celle des
régions d'Europe d'où leurs grands-parents furent déportés.)
Les manuels scolaires sur l'histoire de l'Allemagne moderne ou de
l'Europe moderne, que j'utilise en général avec mes étudiants, soit
omettent totalement de mentionner ces expulsions, soit les relèguent Ã
quelques lignes qui n'apprennent rien, et fréquemment inexactes, les
présentant comme la conséquence inévitable des atrocités de
l'Allemagne durant la guerre. Dans le discours populaire, les rares
fois où les expulsions sont citées tout au plus, il n'est pas rare de
les éluder au motif que les expulsés ont « eu ce qu'ils méritaient »
ou bien que l'intérêt des Etats, qui les expulsaient afin de se
débarrasser d'une population minoritaire potentiellement déloyale,
devait avoir le pas sur le droit des déportés à rester sur leurs
terres d'origine.
Pour convaincants, en apparence, que ces arguments puissent sembler,
ils ne résistent pas à l'examen. Les expulsés ne furent pas déportés
suite à un procès et une condamnation individuelle pour des actes de
collaboration en temps de guerre ` ce dont des enfants ne sauraient
être coupables, où que ce soit -, mais bien parce que leur déplacement
sans discrimination servait les intérêts des grandes puissances, comme
ceux des Etats procédant à ces expulsions.
Les mesures visant à exempter des « antifascistes » reconnus de la
détention ou du transfert étaient couramment ignorées par ces mêmes
gouvernements qui les adoptaient ; Oskar Schindler, le plus célèbre «
antifasciste », né dans la ville tchèque de Svitawy, fut dépossédé par
les autorités de Prague de sa nationalité et de ses biens, comme les
autres.
Par ailleurs, l'argument selon lequel il est légitime, dans certaines
circonstances, de déclarer, au regard de populations entières, que la
prise en considération des droits de l'homme ne s'appliquent tout
simplement pas, est des plus dangereux. Dès que le principe, selon
lequel certains groupes précis, tombés en disgrce, peuvent être
traités de cette manière, est admis, il est difficile de voir pourquoi
il ne s'appliquerait pas à d'autres. Des chercheurs, parmi lesquels
Andrew Bell-Fialkoff, John Mearsheimer et Michael Mann, ont déjÃ
souligné le fait que l'expulsion des Allemands constitua un précédent
encourageant pour la mise en Å`uvre de migrations forcées similaires
dans l'ancienne Yougoslavie, au Moyen-Orient et ailleurs.
L'histoire des expulsions d'après-guerre montre pourtant qu'il ne
s'agit aucunement d'un transfert « ordonné et humain » de populations
: violence, cruauté et injustice font intrinsèquement partie de ce
processus. Comme l'a remarqué Ã juste titre Madeleine Albright,
ancienne Secrétaire d'Etat américaine, qui avait fui, petite fille, la
Tchécoslovaquie occupée par les nazis : « Les punitions collectives,
telles que les expulsions forcées, sont habituellement justifiées par
des motifs de sécurité, mais frappent presque toujours le plus
lourdement ceux qui sont sans défense et faibles. »
Il importe de garder à l'esprit qu'aucune comparaison valable ne
saurait être établie entre l'expulsion des Allemands et les atrocités
bien plus grandes dont se rendit responsable l'Allemagne nazie. Toutes
propositions contraires ` y compris celles avancées par les expulsés
eux-mêmes ` sont à la fois choquantes et historiquement fausses.
Quoi qu'il en soit, comme l'historien B.B. Sullivan l'a observé dans
un autre contexte, « un mal plus grand n'absout pas un mal moindre. »
Les expulsions d'après-guerre furent à tous égards une des
manifestations les plus significatives de la violation en masse des
droits de l'homme dans l'histoire récente. Leurs effets
démographiques, économiques, culturels et politiques continuent de
jeter une ombre conséquente et sinistre sur le continent européen. Or
leur importance reste méconnue, tandis que nombre d'aspects centraux
de leur histoire n'ont pas été suffisamment étudiés.
Près de 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que
les expulsés survivants quittent la scène, le temps est venu pour cet
épisode tragique et destructeur de recevoir l'attention qu'il mérite,
afin que ses enseignements ne puissent se perdre et que les
souffrances inutiles qu'il provoqua ne se répètent pas.
[R. M. Douglas est professeur associé d'histoire à l'Université de
Colgate (Hamilton, N.Y.). Il est l'auteur de quatre ouvrages
précédents, dont le plus récent est Architects of the Resurrection:
Ailtiri na hAiséirghe and the Fascist "New Order" in Ireland [Les
Architectes de la résurrection : Ailtiri na hAiséirghe et le « Nouvel
ordre » fasciste en Irlande] (Manchester University Press, 2009). Il
vit à Hamilton, dans l'Etat de New York.]
___________
Source : http://www.huffingtonpost.com/rm-douglas/expulsion-germans-forced-migration_b_1625437.html
Traduction : © Georges Festa ` 03.2013.
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Source/Lien : Armenian Trends - Mes Arménies
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=71806
Publié le : 04-03-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - « En décembre 1944,
Winston Churchill annonça devant une Chambre des Communes abasourdie
que les Alliés avaient résolu d'entreprendre le plus vaste transfert
forcé de population ` Ã savoir, ce qui, de nos jours, est qualifié de
« purification ethnique » - dans l'histoire humaine. Des millions de
civils vivant dans les provinces allemandes orientales, destinées Ã
être restituées à la Pologne après la guerre, devaient être expulsés
et déposés parmi les ruines de l'ancien Reich. Au milieu de l'année
1945, non seulement la migration forcée la plus vaste, mais
probablement le mouvement de population le plus grand dans l'histoire
humaine était en cours, une opération qui se poursuivit durant les
cinq années suivantes. Entre 12 et 14 millions de civils, dans leur
écrasante majorité des femmes, des enfants et des personnes gées,
furent chassés de leurs foyers ou, dans le cas où ils avaient déjà fui
l'avancée de l'Armée Rouge durant les derniers jours de la guerre,
empêchés par la force d'y revenir. Il importe de garder à l'esprit
qu'aucune comparaison valable ne saurait être établie entre
l'expulsion des Allemands et les atrocités bien plus grandes dont se
rendit responsable l'Allemagne nazie. Toutes propositions contraires `
y compris celles avancées par les expulsés eux-mêmes ` sont à la fois
choquantes et historiquement fausses. » Le Collectif VAN vous présente
un article traduit le 2 mars 2013 par Georges Festa pour le site
"Armenian Trends - Mes Arménies", d'après un article en anglais de R.
M. Douglas publié sur le site The Huffington Post.
Photo: © Yale University Press, 2012
Armenian Trends - Mes Arménies
samedi 2 mars 2013
R. M. Douglas - Orderly and Humane : The Expulsion of the Germans
after the Second World War / Ordonnée et humaine : l'expulsion des
Allemands après la Seconde Guerre mondiale
L'expulsion des Allemands : la migration forcée la plus vaste dans l'Histoire
par R. M. Douglas
The Huffington Post, 25.08.2012
En décembre 1944, Winston Churchill annonça devant une Chambre des
Communes abasourdie que les Alliés avaient résolu d'entreprendre le
plus vaste transfert forcé de population ` Ã savoir, ce qui, de nos
jours, est qualifié de « purification ethnique » - dans l'histoire
humaine.
Des millions de civils vivant dans les provinces allemandes
orientales, destinées à être restituées à la Pologne après la guerre,
devaient être expulsés et déposés parmi les ruines de l'ancien Reich,
à charge pour eux de se débrouiller comme ils le pourraient. Le
Premier ministre ne mcha pas ses mots. Ce qui est prévu, déclara-t-il
tout de go, c'est « l'expulsion totale des Allemands [¦] Car
l'expulsion est la méthode qui, autant qu'il nous a semblé, sera la
plus satisfaisante et durable. »
Cette révélation du Premier ministre alarma certains commentateurs,
qui rappelèrent que dix-huit mois plus tôt seulement, son gouvernement
avait fait cette promesse : « Qu'il soit bien clair dans le monde
entier que jamais les Anglais ne chercheront vengeance au moyen de
représailles en masse contre le peuple allemand dans son ensemble ! »
Aux Etats-Unis, des sénateurs demandèrent à savoir quand la Charte
Atlantique, une déclaration des objectifs de guerre anglo-américains
qui affirmait l'opposition des deux pays à « des changements
territoriaux qui ne s'accordent pas avec les souhaits librement
exprimés de la population concernée », fut abandonnée. Dénonçant la
proposition de Churchill comme un « crime énorme », George Orwell se
rassura à la pensée qu'une politique aussi extrême « ne peut dans les
faits être mise en Å`uvre, quand bien même elle débuterait, vu le
chaos, les souffrances et le germe de haines irréconciliables qui en
résulteraient. »
Orwell sous-estimait grandement la détermination et la portée des
plans des dirigeants alliés. Ni lui ni personne ne savait qu'outre le
déplacement de 7 Ã 8 millions d'Allemands d'Europe Orientale,
Churchill, le président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt et le
dirigeant soviétique Joseph Staline avaient déjà convenu d'une
déportation pareillement « ordonnée et humaine » de plus de 3 millions
de germanophones ` les « Allemands des Sudètes » - de leurs foyers en
Tchécoslovaquie. Ils ajouteraient bientôt à cette liste le demi
million d'habitants d'origine allemande en Hongrie.
Bien que les gouvernements de Yougoslavie et de Roumanie ne furent
jamais autorisés par les Trois Grands à déporter leurs minorités
allemandes, tous deux profitèrent de la situation pour les expulser
aussi.
Au milieu de l'année 1945, non seulement la migration forcée la plus
vaste, mais probablement le mouvement de population le plus grand dans
l'histoire humaine était en cours, une opération qui se poursuivit
durant les cinq années suivantes. Entre 12 et 14 millions de civils,
dans leur écrasante majorité des femmes, des enfants et des personnes
gées, furent chassés de leurs foyers ou, dans le cas où ils avaient
déjà fui l'avancée de l'Armée Rouge durant les derniers jours de la
guerre, empêchés par la force d'y revenir.
Dès le début, ce déplacement en masse fut mis en Å`uvre essentiellement
au moyen de la violence et de la terreur, avec le soutien des Etats.
En Pologne et en Tchécoslovaquie, des centaines de milliers de
réfugiés furent rassemblés dans des camps ` souvent, comme Auschwitz I
ou Theresienstadt, d'anciens camps de concentration nazis maintenus
opérationnels durant plusieurs années après la guerre et mis au
service d'un nouvel objectif.
Les conditions d'existence des prisonniers dans plusieurs de ces
installations étaient atroces, comme en témoignent les autorités de la
Croix Rouge, s'accompagnant de mauvais traitements, du viol des femmes
internées, de travaux forcés épuisants et d'un régime de
sous-alimentation allant de 500 Ã 800 calories par jour. En violation
des règlements, rarement appliqués, exemptant les jeunes de la
détention, les enfants étaient couramment incarcérés, soit avec leurs
parents, soit dans des camps réservés aux enfants. Comme l'ambassade
de Grande-Bretagne à Belgrade le signale en 1946, les conditions
réservées aux Allemands « semblent bien en dessous des normes en
vigueur à Dachau. »
Alors que le taux de mortalité dans ces camps était souvent
terriblement élevé ` 2 227 internés dans le camp de MysÅ?owice, au sud
de la Pologne, périrent durant les dix derniers mois de 1945 -,
l'essentiel de la mortalité liée aux expulsions se produisit en dehors
d'eux.
Les marches forcées, dans lesquelles les habitants de villages entiers
furent expulsés en l'espace d'un quart d'heure et conduits sous la
menace de fusils vers la frontière la plus proche, firent de
nombreuses pertes. De même, les transports en train, qui prenaient
parfois des semaines à rejoindre leur destination, avec jusqu'à 80
personnes expulsées, entassées dans chaque wagon, privées (parfois
totalement) de nourriture, d'eau et de chauffage suffisants.
Les décès continuaient à l'arrivée en Allemagne même. Déclarés
inéligibles par les autorités alliées à recevoir quelque forme que ce
soit d'aide internationale et dépourvus de logements dans un pays
dévasté par les bombardements, les expulsés passaient dans de nombreux
cas leurs premiers mois ou années vivant à la dure dans des champs,
des wagons de marchandises ou sur des quais de gare.
La malnutrition, l'hypothermie et la maladie firent de nombreuses
victimes, en particulier parmi les plus gés et les plus jeunes. Bien
que des recherches supplémentaires soient nécessaires, afin d'établir
le nombre total de morts, des estimations laissent penser qu'au bas
mot, 500 000 personnes perdirent la vie, suite à cette opération.
Non seulement le traitement des expulsés contrevenait aux principes au
nom desquels la Seconde Guerre mondiale était censée avoir été
entreprise, mais il suscita de nombreuses et durables complications
juridiques. Lors des procès de Nuremberg, par exemple, les Alliés
passaient en jugement les dirigeants nazis survivants, accusés d'avoir
perpétré des « déportations et autres actes inhumains » contre les
populations civiles, au même moment où, Ã moins de quelques centaines
de kilomètres de lÃ, ils se lançaient d'eux-mêmes dans des
déplacements forcés à grande échelle.
Des problèmes similaires surgirent avec la Convention des Nations
Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide en
1948, dont la première mouture déclarait illégal « l'exil forcé et
systématique d'individus représentant la culture d'un groupe. » Cette
disposition fut supprimée de la version finale, sur l'insistance de la
délégation des Etats-Unis, laquelle soulignait le fait que cela «
pourrait être interprété comme incluant les transferts forcés de
groupes minoritaires, tels que ceux déjà mis en Å`uvre par les membres
des Nations Unies. »
Jusqu'Ã aujourd'hui, des Etats responsables d'expulsions continuent
dans une large mesure à exclure les déportations et leurs effets
permanents de la portée du droit international. En octobre 2009, par
exemple, l'actuel président de la République Tchèque, Václav Klaus,
refusa de signer le traité de Lisbonne de l'Union Européenne, Ã moins
que son pays ne se vît accorder une « exemption », lui assurant que
les expulsés survivants ne puissent recourir à ce traité pour demander
auprès des tribunaux européens réparation au nom des mauvais
traitements subis. Face à l'échec d'un accord dans l'éventualité d'une
non-ratification tchèque, l'Union Européenne accepta à contrecÅ`ur.
A ce jour, les expulsions de l'après-guerre ` dont l'échelle et le
caractère meurtrier ont dépassé de loin l'épuration ethnique qui
accompagna l'effondrement de l'ancienne Yougoslavie dans les années
1990 ` restent peu connues en dehors de l'Allemagne. (Et même lÃ, une
enquête de 2002 révéla que les Allemands gés de moins de trente ans
avaient une connaissance plus précise de l'Ethiopie que celle des
régions d'Europe d'où leurs grands-parents furent déportés.)
Les manuels scolaires sur l'histoire de l'Allemagne moderne ou de
l'Europe moderne, que j'utilise en général avec mes étudiants, soit
omettent totalement de mentionner ces expulsions, soit les relèguent Ã
quelques lignes qui n'apprennent rien, et fréquemment inexactes, les
présentant comme la conséquence inévitable des atrocités de
l'Allemagne durant la guerre. Dans le discours populaire, les rares
fois où les expulsions sont citées tout au plus, il n'est pas rare de
les éluder au motif que les expulsés ont « eu ce qu'ils méritaient »
ou bien que l'intérêt des Etats, qui les expulsaient afin de se
débarrasser d'une population minoritaire potentiellement déloyale,
devait avoir le pas sur le droit des déportés à rester sur leurs
terres d'origine.
Pour convaincants, en apparence, que ces arguments puissent sembler,
ils ne résistent pas à l'examen. Les expulsés ne furent pas déportés
suite à un procès et une condamnation individuelle pour des actes de
collaboration en temps de guerre ` ce dont des enfants ne sauraient
être coupables, où que ce soit -, mais bien parce que leur déplacement
sans discrimination servait les intérêts des grandes puissances, comme
ceux des Etats procédant à ces expulsions.
Les mesures visant à exempter des « antifascistes » reconnus de la
détention ou du transfert étaient couramment ignorées par ces mêmes
gouvernements qui les adoptaient ; Oskar Schindler, le plus célèbre «
antifasciste », né dans la ville tchèque de Svitawy, fut dépossédé par
les autorités de Prague de sa nationalité et de ses biens, comme les
autres.
Par ailleurs, l'argument selon lequel il est légitime, dans certaines
circonstances, de déclarer, au regard de populations entières, que la
prise en considération des droits de l'homme ne s'appliquent tout
simplement pas, est des plus dangereux. Dès que le principe, selon
lequel certains groupes précis, tombés en disgrce, peuvent être
traités de cette manière, est admis, il est difficile de voir pourquoi
il ne s'appliquerait pas à d'autres. Des chercheurs, parmi lesquels
Andrew Bell-Fialkoff, John Mearsheimer et Michael Mann, ont déjÃ
souligné le fait que l'expulsion des Allemands constitua un précédent
encourageant pour la mise en Å`uvre de migrations forcées similaires
dans l'ancienne Yougoslavie, au Moyen-Orient et ailleurs.
L'histoire des expulsions d'après-guerre montre pourtant qu'il ne
s'agit aucunement d'un transfert « ordonné et humain » de populations
: violence, cruauté et injustice font intrinsèquement partie de ce
processus. Comme l'a remarqué Ã juste titre Madeleine Albright,
ancienne Secrétaire d'Etat américaine, qui avait fui, petite fille, la
Tchécoslovaquie occupée par les nazis : « Les punitions collectives,
telles que les expulsions forcées, sont habituellement justifiées par
des motifs de sécurité, mais frappent presque toujours le plus
lourdement ceux qui sont sans défense et faibles. »
Il importe de garder à l'esprit qu'aucune comparaison valable ne
saurait être établie entre l'expulsion des Allemands et les atrocités
bien plus grandes dont se rendit responsable l'Allemagne nazie. Toutes
propositions contraires ` y compris celles avancées par les expulsés
eux-mêmes ` sont à la fois choquantes et historiquement fausses.
Quoi qu'il en soit, comme l'historien B.B. Sullivan l'a observé dans
un autre contexte, « un mal plus grand n'absout pas un mal moindre. »
Les expulsions d'après-guerre furent à tous égards une des
manifestations les plus significatives de la violation en masse des
droits de l'homme dans l'histoire récente. Leurs effets
démographiques, économiques, culturels et politiques continuent de
jeter une ombre conséquente et sinistre sur le continent européen. Or
leur importance reste méconnue, tandis que nombre d'aspects centraux
de leur histoire n'ont pas été suffisamment étudiés.
Près de 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que
les expulsés survivants quittent la scène, le temps est venu pour cet
épisode tragique et destructeur de recevoir l'attention qu'il mérite,
afin que ses enseignements ne puissent se perdre et que les
souffrances inutiles qu'il provoqua ne se répètent pas.
[R. M. Douglas est professeur associé d'histoire à l'Université de
Colgate (Hamilton, N.Y.). Il est l'auteur de quatre ouvrages
précédents, dont le plus récent est Architects of the Resurrection:
Ailtiri na hAiséirghe and the Fascist "New Order" in Ireland [Les
Architectes de la résurrection : Ailtiri na hAiséirghe et le « Nouvel
ordre » fasciste en Irlande] (Manchester University Press, 2009). Il
vit à Hamilton, dans l'Etat de New York.]
___________
Source : http://www.huffingtonpost.com/rm-douglas/expulsion-germans-forced-migration_b_1625437.html
Traduction : © Georges Festa ` 03.2013.
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