REVUE DE PRESSE
Abdullah Öcalan évoque les Arméniens
Kurdes : lettre ouverte à la paix en Turquie
Le leader du PKK, Öcalan, a lancé hier un appel historique à mettre
fin à une guerre de trente ans. Mais les concessions d'Ankara restent
limitées. Par RAGIP DURAN Correspondant à Istanbul
La lettre de cinq pages d'Abdullah Öcalan, écrite dans sa cellule
d'Imrali, l'île de la mer de Marmara où il est incarcéré depuis 1999
pour une peine de prison à vie, est lue en kurde et en turc devant une
foule immense : un million de personnes massées dans une banlieue de
Diyarbakir, la « capitale » du Kurdistan de Turquie. Des mots forts
pour un moment historique, en ce jour de Newroz, le nouvel an kurde. «
Désormais, une nouvelle période commence. Il n'y aura plus d'armes
dans notre combat, il y aura de la politique démocratique. Il est
dorénavant temps pour les éléments armés de se retirer hors des
frontières », déclare dans son message le leader des rebelles du Parti
des travailleurs du Kurdistan (PKK), annonçant la fin de la lutte
armée, menée depuis 1984 pour la reconnaissance des droits des Kurdes,
si le processus de négociations entamé avec Ankara aboutit.
La « sale guerre » contre l'armée turque a fait quelque 45 000 morts
et plus d'un million de déplacés. Et le PKK reste considéré comme un
mouvement terroriste par les Européens et les Américains.
Mosaïque. La foule est hérissée de drapeaux kurdes et de photos d'«
Apo », comme ses partisans surnomment Öcalan. Une banderole proclame :
« Nous sommes prêts pour la paix et pour la guerre. » Dans sa lettre,
le leader kurde a adopté le ton d'un vieux sage. Il y évoque Moïse,
Jésus et Mahomet, s'adresse « aux peuples du Moyen-Orient et d'Asie
centrale ». Il parle de Kurdistan, mais pas de séparation : il en
appelle à « l'unité nationale » tout en rappelant que « l'Etat-nation
n'est plus valide » sous ses formes actuelles. Il dénonce « les
impérialistes qui ont divisé les peuples du Moyen-Orient », mais
assure ne pas rejeter « l'ensemble de l'héritage de l'Occident,
notamment les Lumières et la démocratie ». C'est un vrai politique qui
s'exprime dans cette lettre ouverte. Pendant ses presque quatorze ans
d'isolement carcéral, il a eu le temps de lire plus de 2 000 livres.
« Nous n'avons pas mis fin à notre lutte. Elle continue désormais avec
de nouveaux moyens », explique le leader kurde, qui évoque toute la
mosaïque des peuples de Turquie, « les Arméniens, les Turcomans, les
Arabes et les Assyriens », et rappelle que Kurdes et Turcs ont vécu
ensemble pendent plus de mille ans « sous le drapeau d'amitié de
l'islam ». « Nous lutterons contre ceux qui désirent nous diviser,
ceux qui veulent la guerre entre nous », écrit-il encore dans cette
lettre de prison. Mais il n'a pas précisé de calendrier pour le
retrait de ses combattants, dont le nombre est estimé à 5 000,
éparpillés entre le sud-est de la Turquie et les bases arrières du
mouvement, dans le nord de l'Irak.
« Terrorisme ». Hier, depuis les Pays-Bas où il est en visite
officielle, Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre
islamo-conservateur turc, a salué ce message, tout en déplorant
l'absence totale de drapeaux nationaux à Diyarbakir, « en
contradiction avec son contenu ». Les négociations entre le
gouvernement turc et Abdullah Öcalan avaient commencé à la fin de
l'automne, après que ce dernier était intervenu publiquement pour
mettre un terme à la grève de la faim de 800 détenus politiques
kurdes. Ce n'était pas la première prise de contact, mais cette fois,
l'Etat, au travers du patron des services secrets, Hakan Fidan, très
proche d'Erdogan, discutait directement avec le leader kurde et le
reconnaissait publiquement. Quelques mois plus tôt, le Premier
ministre évoquait un rétablissement de la peine de mort pour Öcalan...
Les gestes de bonne volonté se sont ensuite multipliés des deux côtés.
Le gouvernement a levé les mesures d'isolement carcéral visant le chef
des rebelles kurdes et le Parlement devrait voter une réforme
partielle de la loi antiterreur qui permettrait la remise en liberté
d'une petite partie des quelque 8 000 élus, avocats, journalistes,
intellectuels, militants arrêtés ces trois dernières années pour «
terrorisme », alors que les accrochages se multipliaient entre l'armée
et la guérilla, faisant plus de 1 000 morts en un an. « Aujourd'hui,
le chef terroriste est devenu une personnalité politique légitime qui
`uvre pour la paix », souligne Cengiz Çandar, éditorialiste au
quotidien Radikal et spécialiste du sujet.
Le tournant est réel, mais le processus de résolution de la question
kurde (cette minorité représente 20% de la population de la Turquie)
sera encore long. En tentant ce grand pari d'une paix kurde, Erdogan
veut à la fois renforcer son pouvoir à Ankara et le poids régional de
son pays (lire ci-contre). Mais, pour le moment, les concessions
offertes par le gouvernement en échange de cet adieu aux armes du PKK
restent bien limitées. D'abord sur le sort d'Öcalan lui-même. Ankara
refuse une amnistie générale et sa remise en liberté alors que le
mouvement kurde espère au moins obtenir son assignation à résidence.
Le gouvernement parle par ailleurs de droits culturels et d'une
décentralisation municipale. C'est peu, et certains parmi les Kurdes
sont surpris de la grande modération de leur leader charismatique qui,
dans sa lettre, n'a ni revendiqué l'autonomie pour les régions à
majorité kurdes ni lancé d'appel pour la libération des milliers de
militants détenus.
LIBERATION
samedi 23 mars 2013,
Stéphane ©armenews.com
Abdullah Öcalan évoque les Arméniens
Kurdes : lettre ouverte à la paix en Turquie
Le leader du PKK, Öcalan, a lancé hier un appel historique à mettre
fin à une guerre de trente ans. Mais les concessions d'Ankara restent
limitées. Par RAGIP DURAN Correspondant à Istanbul
La lettre de cinq pages d'Abdullah Öcalan, écrite dans sa cellule
d'Imrali, l'île de la mer de Marmara où il est incarcéré depuis 1999
pour une peine de prison à vie, est lue en kurde et en turc devant une
foule immense : un million de personnes massées dans une banlieue de
Diyarbakir, la « capitale » du Kurdistan de Turquie. Des mots forts
pour un moment historique, en ce jour de Newroz, le nouvel an kurde. «
Désormais, une nouvelle période commence. Il n'y aura plus d'armes
dans notre combat, il y aura de la politique démocratique. Il est
dorénavant temps pour les éléments armés de se retirer hors des
frontières », déclare dans son message le leader des rebelles du Parti
des travailleurs du Kurdistan (PKK), annonçant la fin de la lutte
armée, menée depuis 1984 pour la reconnaissance des droits des Kurdes,
si le processus de négociations entamé avec Ankara aboutit.
La « sale guerre » contre l'armée turque a fait quelque 45 000 morts
et plus d'un million de déplacés. Et le PKK reste considéré comme un
mouvement terroriste par les Européens et les Américains.
Mosaïque. La foule est hérissée de drapeaux kurdes et de photos d'«
Apo », comme ses partisans surnomment Öcalan. Une banderole proclame :
« Nous sommes prêts pour la paix et pour la guerre. » Dans sa lettre,
le leader kurde a adopté le ton d'un vieux sage. Il y évoque Moïse,
Jésus et Mahomet, s'adresse « aux peuples du Moyen-Orient et d'Asie
centrale ». Il parle de Kurdistan, mais pas de séparation : il en
appelle à « l'unité nationale » tout en rappelant que « l'Etat-nation
n'est plus valide » sous ses formes actuelles. Il dénonce « les
impérialistes qui ont divisé les peuples du Moyen-Orient », mais
assure ne pas rejeter « l'ensemble de l'héritage de l'Occident,
notamment les Lumières et la démocratie ». C'est un vrai politique qui
s'exprime dans cette lettre ouverte. Pendant ses presque quatorze ans
d'isolement carcéral, il a eu le temps de lire plus de 2 000 livres.
« Nous n'avons pas mis fin à notre lutte. Elle continue désormais avec
de nouveaux moyens », explique le leader kurde, qui évoque toute la
mosaïque des peuples de Turquie, « les Arméniens, les Turcomans, les
Arabes et les Assyriens », et rappelle que Kurdes et Turcs ont vécu
ensemble pendent plus de mille ans « sous le drapeau d'amitié de
l'islam ». « Nous lutterons contre ceux qui désirent nous diviser,
ceux qui veulent la guerre entre nous », écrit-il encore dans cette
lettre de prison. Mais il n'a pas précisé de calendrier pour le
retrait de ses combattants, dont le nombre est estimé à 5 000,
éparpillés entre le sud-est de la Turquie et les bases arrières du
mouvement, dans le nord de l'Irak.
« Terrorisme ». Hier, depuis les Pays-Bas où il est en visite
officielle, Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre
islamo-conservateur turc, a salué ce message, tout en déplorant
l'absence totale de drapeaux nationaux à Diyarbakir, « en
contradiction avec son contenu ». Les négociations entre le
gouvernement turc et Abdullah Öcalan avaient commencé à la fin de
l'automne, après que ce dernier était intervenu publiquement pour
mettre un terme à la grève de la faim de 800 détenus politiques
kurdes. Ce n'était pas la première prise de contact, mais cette fois,
l'Etat, au travers du patron des services secrets, Hakan Fidan, très
proche d'Erdogan, discutait directement avec le leader kurde et le
reconnaissait publiquement. Quelques mois plus tôt, le Premier
ministre évoquait un rétablissement de la peine de mort pour Öcalan...
Les gestes de bonne volonté se sont ensuite multipliés des deux côtés.
Le gouvernement a levé les mesures d'isolement carcéral visant le chef
des rebelles kurdes et le Parlement devrait voter une réforme
partielle de la loi antiterreur qui permettrait la remise en liberté
d'une petite partie des quelque 8 000 élus, avocats, journalistes,
intellectuels, militants arrêtés ces trois dernières années pour «
terrorisme », alors que les accrochages se multipliaient entre l'armée
et la guérilla, faisant plus de 1 000 morts en un an. « Aujourd'hui,
le chef terroriste est devenu une personnalité politique légitime qui
`uvre pour la paix », souligne Cengiz Çandar, éditorialiste au
quotidien Radikal et spécialiste du sujet.
Le tournant est réel, mais le processus de résolution de la question
kurde (cette minorité représente 20% de la population de la Turquie)
sera encore long. En tentant ce grand pari d'une paix kurde, Erdogan
veut à la fois renforcer son pouvoir à Ankara et le poids régional de
son pays (lire ci-contre). Mais, pour le moment, les concessions
offertes par le gouvernement en échange de cet adieu aux armes du PKK
restent bien limitées. D'abord sur le sort d'Öcalan lui-même. Ankara
refuse une amnistie générale et sa remise en liberté alors que le
mouvement kurde espère au moins obtenir son assignation à résidence.
Le gouvernement parle par ailleurs de droits culturels et d'une
décentralisation municipale. C'est peu, et certains parmi les Kurdes
sont surpris de la grande modération de leur leader charismatique qui,
dans sa lettre, n'a ni revendiqué l'autonomie pour les régions à
majorité kurdes ni lancé d'appel pour la libération des milliers de
militants détenus.
LIBERATION
samedi 23 mars 2013,
Stéphane ©armenews.com