UN SIECLE APRES LE GENOCIDE, LES ARMENIENS DU DERSIM VEULENT AFFIRMER LEUR EXISTENCE
Agence France Presse
23 avril 2013 mardi 3:13 PM GMT
: TUNCELI (Turquie) 23 avr 2013
Pendant près d'un siècle, les Armeniens islamises des montagnes du
Dersim, dans l'est de la Turquie, se sont mures dans le silence pour
echapper aux persecutions. Mais certains ont decide d'affirmer au grand
jour leur existence en commemorant mercredi le genocide de leur peuple.
Tout en houspillant ses chats et son Armenien de mari, Tahire
Aslanpencesi, petillante octogenaire du village de Danaburan,
rassemble ses maigres connaissances des evenements tragiques vecus
par les siens en 1915.
"Ma mère m'a raconte comment sa famille avait ete deportee. C'etait
un bebe a l'epoque. Sa maman a voulu la jeter a l'eau par desespoir,
mais elle y a renonce parce que ca la faisait trop souffrir",
raconte Tahire.
"Ma mère disait qu'elle aurait prefere qu'on la jette, comme ca elle
n'aurait pas endure tout ce qu'elle a vecu ensuite", poursuit-elle.
Des centaines de milliers d'Armeniens ont peri dans des deportations
et des massacres survenus pendant la Première guerre mondiale dans
l'empire ottoman, auquel a succede la Turquie.
Les Armeniens avancent le chiffre d'un million et demi de morts
dans un genocide, une qualification adoptee par de nombreux pays,
mais fermement rejetee par Ankara.
Certains pourtant ont survecu et continue de vivre sur leurs terres,
mais le plus souvent, comme la mère de Tahire, en sacrifiant leur
langue et leur religion.
"Nous sommes Armeniens, mais nous sommes musulmans. c'est mon arrière
grand-père Bedros qui s'est converti. Il a pris le nom d'Abdullah
et a donne a son fils celui de Mustafa. Il est devenu musulman parce
qu'il n'avait pas le choix", affirme Ibrahim Boztas, 79 ans.
Bedros est ainsi devenu alevi, une confession musulmane heterodoxe
fortement implantee dans la population kurde de la region du Dersim
-l'actuelle province turque de Tunceli- et dont la tolerance a sans
doute permis ici plus qu'ailleurs a des Armeniens d'echapper a la mort.
Pour eviter les brimades, les descendants de Bedros ont multiplie les
alliances matrimoniales avec un clan kurde, avec lequel ils partagent
le petit village d'Alanyazi.
Ils ne se sont pourtant jamais fondus dans la masse.
"Nous, on se sent (armeniens), et, de toute facon, ils nous le
rappellent. Peu importe combien de leurs filles on a epousees ou on
leur a donne, ils continuent de dire qu'on est Armeniens", commente
Hidir Boztas, 86 ans, un des frères d'Ibrahim.
La famille ne manque pas d'exemples de discriminations dont elle dit
avoir fait l'objet en raison de ses origines : spoliations de terres,
contrôles humiliants des hommes par l'armee pour verifier s'ils sont
bien circoncis, et meme torture d'un de ses membres.
Elle a aussi dû subir le lot commun des habitants de la region, de
la feroce repression de la revolte kurde de 1938 a la lutte contre
les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui se
poursuit depuis 1984.
Autant de raisons qui ont pousse nombre d'Armeniens a choisir le
silence.
"Dans tous les villages du Dersim il y a des gens (qui sont Armeniens)
comme nous, enfin peut-etre pas complètement parce qu'il y en a qui
se cachent ou qui n'y accordent pas beaucoup d'importance", estime
Mustafa Boztas, 42 ans, un des fils d'Ibrahim.
Lui en tout cas a choisi d'assumer ses origines. Installe a Izmir,
dans l'ouest de la Turquie, Mustafa a appele son entreprise de BTP
Bedros, "pour faire vivre le nom" de son ancetre.
Et il se dit pret a participer mercredi dans la ville de Tunceli a la
commemoration du genocide, afin d'encourager les Armeniens de Turquie a
"affirmer leur existence".
C'est aussi l'objectif des organisateurs de cette ceremonie,
l'Association des Armeniens du Dersim.
"Nous avons voulu etre la première organisation armenienne a commemorer
en Turquie le genocide. Il s'agit en meme temps de permettre aux
gens de s'affirmer plus librement, d'accroître l'interet pour les
vestiges du christianisme qui subsistent ici", explique Miran Pirginc
Gultekin, le president de l'association, creee trois ans plus tôt et
qui revendique quelque 80 membres.
Le 24 avril est la date-anniversaire mondiale du genocide armenien.
L'affirmation d'un genocide armenien est encore largement taboue en
Turquie. Seules Istanbul et Diyarbakir, la principale ville kurde
du sud-est anatolien, ont a ce jour accueilli des ceremonies a la
memoire des victimes des massacres de 1915.
From: Baghdasarian
Agence France Presse
23 avril 2013 mardi 3:13 PM GMT
: TUNCELI (Turquie) 23 avr 2013
Pendant près d'un siècle, les Armeniens islamises des montagnes du
Dersim, dans l'est de la Turquie, se sont mures dans le silence pour
echapper aux persecutions. Mais certains ont decide d'affirmer au grand
jour leur existence en commemorant mercredi le genocide de leur peuple.
Tout en houspillant ses chats et son Armenien de mari, Tahire
Aslanpencesi, petillante octogenaire du village de Danaburan,
rassemble ses maigres connaissances des evenements tragiques vecus
par les siens en 1915.
"Ma mère m'a raconte comment sa famille avait ete deportee. C'etait
un bebe a l'epoque. Sa maman a voulu la jeter a l'eau par desespoir,
mais elle y a renonce parce que ca la faisait trop souffrir",
raconte Tahire.
"Ma mère disait qu'elle aurait prefere qu'on la jette, comme ca elle
n'aurait pas endure tout ce qu'elle a vecu ensuite", poursuit-elle.
Des centaines de milliers d'Armeniens ont peri dans des deportations
et des massacres survenus pendant la Première guerre mondiale dans
l'empire ottoman, auquel a succede la Turquie.
Les Armeniens avancent le chiffre d'un million et demi de morts
dans un genocide, une qualification adoptee par de nombreux pays,
mais fermement rejetee par Ankara.
Certains pourtant ont survecu et continue de vivre sur leurs terres,
mais le plus souvent, comme la mère de Tahire, en sacrifiant leur
langue et leur religion.
"Nous sommes Armeniens, mais nous sommes musulmans. c'est mon arrière
grand-père Bedros qui s'est converti. Il a pris le nom d'Abdullah
et a donne a son fils celui de Mustafa. Il est devenu musulman parce
qu'il n'avait pas le choix", affirme Ibrahim Boztas, 79 ans.
Bedros est ainsi devenu alevi, une confession musulmane heterodoxe
fortement implantee dans la population kurde de la region du Dersim
-l'actuelle province turque de Tunceli- et dont la tolerance a sans
doute permis ici plus qu'ailleurs a des Armeniens d'echapper a la mort.
Pour eviter les brimades, les descendants de Bedros ont multiplie les
alliances matrimoniales avec un clan kurde, avec lequel ils partagent
le petit village d'Alanyazi.
Ils ne se sont pourtant jamais fondus dans la masse.
"Nous, on se sent (armeniens), et, de toute facon, ils nous le
rappellent. Peu importe combien de leurs filles on a epousees ou on
leur a donne, ils continuent de dire qu'on est Armeniens", commente
Hidir Boztas, 86 ans, un des frères d'Ibrahim.
La famille ne manque pas d'exemples de discriminations dont elle dit
avoir fait l'objet en raison de ses origines : spoliations de terres,
contrôles humiliants des hommes par l'armee pour verifier s'ils sont
bien circoncis, et meme torture d'un de ses membres.
Elle a aussi dû subir le lot commun des habitants de la region, de
la feroce repression de la revolte kurde de 1938 a la lutte contre
les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui se
poursuit depuis 1984.
Autant de raisons qui ont pousse nombre d'Armeniens a choisir le
silence.
"Dans tous les villages du Dersim il y a des gens (qui sont Armeniens)
comme nous, enfin peut-etre pas complètement parce qu'il y en a qui
se cachent ou qui n'y accordent pas beaucoup d'importance", estime
Mustafa Boztas, 42 ans, un des fils d'Ibrahim.
Lui en tout cas a choisi d'assumer ses origines. Installe a Izmir,
dans l'ouest de la Turquie, Mustafa a appele son entreprise de BTP
Bedros, "pour faire vivre le nom" de son ancetre.
Et il se dit pret a participer mercredi dans la ville de Tunceli a la
commemoration du genocide, afin d'encourager les Armeniens de Turquie a
"affirmer leur existence".
C'est aussi l'objectif des organisateurs de cette ceremonie,
l'Association des Armeniens du Dersim.
"Nous avons voulu etre la première organisation armenienne a commemorer
en Turquie le genocide. Il s'agit en meme temps de permettre aux
gens de s'affirmer plus librement, d'accroître l'interet pour les
vestiges du christianisme qui subsistent ici", explique Miran Pirginc
Gultekin, le president de l'association, creee trois ans plus tôt et
qui revendique quelque 80 membres.
Le 24 avril est la date-anniversaire mondiale du genocide armenien.
L'affirmation d'un genocide armenien est encore largement taboue en
Turquie. Seules Istanbul et Diyarbakir, la principale ville kurde
du sud-est anatolien, ont a ce jour accueilli des ceremonies a la
memoire des victimes des massacres de 1915.
From: Baghdasarian