Le Monde , France
5 mai 2013
Le vote las d'une jeune Erevanaise
Après des élections présidentielles contestées de février dernier, les
Arméniens s'apprêtent à retourner aux urnes pour les municipales.
L'occasion pour une jeune citoyenne de dresser un état des lieux de la
relation qu'entretiennent les jeunes Erevanais avec la réalité
politique actuelle et de l'avenir qu'ils espèrent pour le pays.
Nare, 05/05/2013 à Erevan
L'aube inonde les rues d'Erevan en ce matin d'élections municipales.
Nare, jeune Erevanaise de vingt-deux ans, s'avance d'un pas las vers
les urnes pour y déposer son bulletin. Pour elle, voter en Arménie ne
rime à rien et les temps qui succèdent les scrutins électoraux sont
toujours synonymes de spleen. Ils lui rappellent sans cesse que sa
voix est muette. « Notre indépendance est illusoire. La Russie, notre
frère blond, comme on l'appelle ici, intervient encore beaucoup trop
dans notre politique intérieure », avance-t-elle tristement d'une voix
douce. « Vivre ici n'est pas facile pour tout le monde.
Personnellement j'ai de la chance car j'ai un bon travail et que je
n'ai pas encore de famille, mais la vie est chère et les salaires sont
extrêmement faibles pour la plupart des Arméniens. C'est pour cela que
beaucoup de jeunes souhaitent partir à l'étranger. L'horizon ici
semble inexistant pour beaucoup. »
L'exode des jeunes, bien que considérable dans son entourage, n'est
pas pour elle. Au contraire, Nare désire rester en Arménie. Participer
au développement, sans se sentir l'me d'une grande patriote : «En
fait, quand je suis à l'étranger, mon pays me manque, ses habitants si
chaleureux aussi. Je n'aime pas me sentir étrangère, et je ne suis
bien que dans mon pays. Je suis née arménienne par hasard certes,
mais je pense partager avec mes compatriotes des valeurs communes et
ce sentiment extrêmement fort d'appartenir à une nation très ancienne.
Je me sens comme représentante de cet héritage.»
Cette Arménie qu'elle aime, elle l'a vue se développer petit à petit,
bien que l'influence russe et les crises successives ralentissent le
processus d'évolution. « Par exemple, même si je n'ai pas vécu le
conflit avec l'Azerbaïdjan, je me souviens des retombées. Je devais
avoir peut-être cinq ans et je me rappelle qu'il faisait froid, qu'il
n'y avait pas d'électricité. Mes souvenirs de cette période sont
sombres, comme dessinés au fusain, en revanche ma mère nous lisait
beaucoup d'histoires pour nous permettre de nous échapper. Cette
méthode d'évasion m'est restée. » Aussi, elle pense que l'éducation
est un des problèmes fondamentaux de la société arménienne
d'aujourd'hui. Selon elle, les jeunes perdent le goût de la culture
nationale, et ont ainsi moins de remords à quitter le pays. « Malgré
nos blessures, nous pouvons nous nourrir de nos innombrables richesses
culturelles ».
Aujourd'hui elle vote sans espoir, alors que le scrutin est d'une
importance considérable, Erevan représentant un tiers de la population
arménienne et l'essentiel de l'économie du pays. Elle y va comme par
devoir, sans passion, ni intérêt, et ce soir sortira comme tous les
soirs sans attendre particulièrement les résultats, qui sacreront à
nouveau, pronostique-t-elle, le parti présidentiel qui régit son pays
depuis tant d'années. Nare, ce soir, souhaitera avoir tort.
http://guillaumeelmassian.blog.lemonde.fr/2013/05/05/le-vote-las-dune-jeune-erevanaise/
From: A. Papazian
5 mai 2013
Le vote las d'une jeune Erevanaise
Après des élections présidentielles contestées de février dernier, les
Arméniens s'apprêtent à retourner aux urnes pour les municipales.
L'occasion pour une jeune citoyenne de dresser un état des lieux de la
relation qu'entretiennent les jeunes Erevanais avec la réalité
politique actuelle et de l'avenir qu'ils espèrent pour le pays.
Nare, 05/05/2013 à Erevan
L'aube inonde les rues d'Erevan en ce matin d'élections municipales.
Nare, jeune Erevanaise de vingt-deux ans, s'avance d'un pas las vers
les urnes pour y déposer son bulletin. Pour elle, voter en Arménie ne
rime à rien et les temps qui succèdent les scrutins électoraux sont
toujours synonymes de spleen. Ils lui rappellent sans cesse que sa
voix est muette. « Notre indépendance est illusoire. La Russie, notre
frère blond, comme on l'appelle ici, intervient encore beaucoup trop
dans notre politique intérieure », avance-t-elle tristement d'une voix
douce. « Vivre ici n'est pas facile pour tout le monde.
Personnellement j'ai de la chance car j'ai un bon travail et que je
n'ai pas encore de famille, mais la vie est chère et les salaires sont
extrêmement faibles pour la plupart des Arméniens. C'est pour cela que
beaucoup de jeunes souhaitent partir à l'étranger. L'horizon ici
semble inexistant pour beaucoup. »
L'exode des jeunes, bien que considérable dans son entourage, n'est
pas pour elle. Au contraire, Nare désire rester en Arménie. Participer
au développement, sans se sentir l'me d'une grande patriote : «En
fait, quand je suis à l'étranger, mon pays me manque, ses habitants si
chaleureux aussi. Je n'aime pas me sentir étrangère, et je ne suis
bien que dans mon pays. Je suis née arménienne par hasard certes,
mais je pense partager avec mes compatriotes des valeurs communes et
ce sentiment extrêmement fort d'appartenir à une nation très ancienne.
Je me sens comme représentante de cet héritage.»
Cette Arménie qu'elle aime, elle l'a vue se développer petit à petit,
bien que l'influence russe et les crises successives ralentissent le
processus d'évolution. « Par exemple, même si je n'ai pas vécu le
conflit avec l'Azerbaïdjan, je me souviens des retombées. Je devais
avoir peut-être cinq ans et je me rappelle qu'il faisait froid, qu'il
n'y avait pas d'électricité. Mes souvenirs de cette période sont
sombres, comme dessinés au fusain, en revanche ma mère nous lisait
beaucoup d'histoires pour nous permettre de nous échapper. Cette
méthode d'évasion m'est restée. » Aussi, elle pense que l'éducation
est un des problèmes fondamentaux de la société arménienne
d'aujourd'hui. Selon elle, les jeunes perdent le goût de la culture
nationale, et ont ainsi moins de remords à quitter le pays. « Malgré
nos blessures, nous pouvons nous nourrir de nos innombrables richesses
culturelles ».
Aujourd'hui elle vote sans espoir, alors que le scrutin est d'une
importance considérable, Erevan représentant un tiers de la population
arménienne et l'essentiel de l'économie du pays. Elle y va comme par
devoir, sans passion, ni intérêt, et ce soir sortira comme tous les
soirs sans attendre particulièrement les résultats, qui sacreront à
nouveau, pronostique-t-elle, le parti présidentiel qui régit son pays
depuis tant d'années. Nare, ce soir, souhaitera avoir tort.
http://guillaumeelmassian.blog.lemonde.fr/2013/05/05/le-vote-las-dune-jeune-erevanaise/
From: A. Papazian