Announcement

Collapse
No announcement yet.

A Strasbourg, la Turquie investit dans l'islam made in France

Collapse
X
 
  • Filter
  • Time
  • Show
Clear All
new posts

  • A Strasbourg, la Turquie investit dans l'islam made in France

    REVUE DE PRESSE
    A Strasbourg, la Turquie investit dans l'islam made in France

    REPORTAGE

    Le projet d'un campus musulman, allant du lycée à la formation
    d'imams, est financé par Ankara. Qui veut ainsi conserver une
    influence sur sa diaspora.

    Pour le moment, c'est un chantier. Mais c'est surtout l'un des projets
    les plus ambitieux de la communauté musulmane en France. Enfin, celle
    d'origine turque. Pour une quinzaine de millions d'euros au bas mot,
    un campus franco-turc va voir le jour dès l'an prochain dans le
    quartier de Hautepierre à Strasbourg, à une quinzaine de minutes du
    centre et de la gare. A l'ombre d'un des plus grands hôpitaux de la
    région, l'environnement a la tristesse des périphéries, rempli
    d'immeubles d'habitations et d'un petit centre d'affaires éclos dans
    les années 70. « Nous devons mettre aux normes l'ancien centre de
    formation de La Poste qui accueillera les étudiants en théologie et
    désamianter deux autres btiments, dont l'un abritera le lycée »,
    explique Saban Kiper, l'une des chevilles ouvrières du chantier,
    figure des milieux musulmans de Strasbourg et conseiller municipal
    socialiste.

    L'ampleur et l'ambition du projet qui comprend aussi un internat ont
    un peu pris tout le monde de court. Et rend perplexe jusque dans les
    couloirs du ministère de l'Intérieur, chargé des cultes. Au départ, en
    2010, il s'agissait seulement de former des imams issus des jeunes
    générations, celles qui ont grandi en France. Des imams
    franco-français, donc, comme on en ambitionne depuis une vingtaine
    d'années, capables « d'acclimater » l'islam aux normes des sociétés
    occidentales. Cette question de la formation est un véritable serpent
    de mer dont on discute depuis le milieu des années 90. Sans que l'on
    ait beaucoup avancé. Pour y voir plus clair, le gouvernement a confié,
    en juin, une mission d'évaluation à Francis Messner, l'un des
    meilleurs spécialistes du droit des religions en France. Il devrait
    remettre ses conclusions et ses propositions d'ici à début novembre.

    Prémices. Les autorités turques, elles, n'ont pas attendu la
    bénédiction de Paris pour avancer leurs pions. Depuis 2010,
    l'association (française) qui pilote le chantier a déjà acquis quatre
    immeubles (de plus de 10 000 m2 de surface) à Hautepierre. Dans un
    proche avenir, elle devrait compléter ce patrimoine immobilier. Même
    si elle ne dispose pas encore des locaux, la faculté a bel et bien
    démarré. Une promotion d'une quinzaine d'étudiants a entamé, il y a un
    peu plus d'un an, le cursus de cinq ans qui sera sanctionné par un
    diplôme de la faculté de théologie d'Istanbul. En apprenant l'arabe. «
    C'est indispensable pour le cursus, car l'essentiel du corpus est dans
    cette langue », explique Fazli Arabaci, le futur doyen, envoyé par
    Ankara pour superviser l'affaire. Dès la rentrée prochaine, deux
    classes de seconde seront ouvertes, les prémices d'un vrai lycée
    musulman, un peu à la manière des imam hatip turcs, les établissements
    scolaires religieux dont est issu le Premier ministre, Recep Tayyip
    Erdogan. Au programme, il y aura au moins six heures hebdomadaires
    d'enseignement religieux. Saban Kiper ne s'en cache pas. « Le lycée
    sera aussi un vivier pour recruter les futurs étudiants en théologie.
    Ce sera un pôle d'excellence et de rayonnement pour l'islam en France
    et en Europe », se gargarise-t-il un peu.

    Quoi qu'il en soit, au fil des mois, la cohérence de l'ensemble
    apparaît. S'il s'agit bien de former des cadres du clergé qui ont
    grandi en France, tout se fait cependant sous la houlette du Diyanet,
    le très officiel service des affaires religieuses à Ankara. Les fonds
    et les professeurs viendront de Turquie. L'homme clé, c'est, bien sûr,
    Fazli Arabaci. Il connaît bien la France. Entre 1988 et 1994, il a été
    imam à Corbeilles, envoyé et rémunéré par le Diyanet. En 2009, il est
    revenu, comme attaché au consulat de Strasbourg. Le trentenaire Saban
    Kiper et le quadragénaire Murad Erçan sont ses relais auprès de la
    communauté d'origine turque de la région, l'une des plus importantes
    de l'Hexagone. Comme l'Algérie et le Maroc, la Turquie envoie et
    rémunère des imams en France, 150 actuellement, pour une durée de
    quatre ans. Ce nombre ne couvre pas tous les besoins. Le Diyanet
    contrôle, en effet, 250 mosquées sur les 400 lieux de culte de la
    diaspora turque en France.

    Générations. Paris voudrait pourtant réduire le nombre d'imams envoyés
    par Ankara, c'est d'ailleurs l'une des raisons qui a poussé la Turquie
    à monter son campus à Strasbourg. « L'islam en France a besoin de
    cadres et d'intellectuels », plaide Murad Erçan. Sûrement. Mais, en
    formant ces élites, le gouvernement turc garde aussi la main sur sa
    diaspora. D'ailleurs, le projet de Strasbourg pourrait à terme
    concerner, selon ses promoteurs, l'Europe. Saban Kiper et Murad Erçan
    n'aiment guère que l'on évoque la mainmise d'Ankara. « La France a
    bien des lycées français à l'étranger, des centres culturels également
    », rétorque le premier. Les autorités françaises auront éventuellement
    leur mot à dire si, à l'avenir, la faculté « libre » demandait une
    équivalence de diplômes ou si le lycée voulait passer sous contrat
    avec l'Education nationale. Reste à prouver aussi que les jeunes
    formés (des bac + 5 s'ils suivent le cursus de théologie) voudront
    bien aller « faire » l'imam dans les mosquées. Jusqu'à maintenant,
    c'est peu le cas. Les lieux de culte sont fréquemment tenus par les
    premières générations d'immigrés et la fracture culturelle est souvent
    importante. Mais le Diyanet aura peut-être des arguments... sonnants
    et trébuchants.

    Bernadette SAUVAGET envoyée spéciale à Strasbourg

    http://www.liberation.fr/societe/2013/10/06/a-strasbourg-la-turquie-investit-dans-l-islam-made-in-france_937455

    dimanche 3 novembre 2013,
    Stéphane ©armenews.com

Working...
X