AU NOM DE SON FILS : L'HISTOIRE PRESENTEE AU MUSEE DES SOLDATS TOMBES DE STEPANAKERT
KARABAGH
Des photographies en noir et blanc d'hommes - et aussi de femmes - sont
accrochees sur les murs du Musee des Soldats Tombes de Stepanakert,
rappelant aux visiteurs leur absence. Dans son cadre de bois tout
simple, l'image d'un homme avec une fine moustache coiffe d'une
casquette de l'ère sovietique, regarde fixement Galya Arustamian. "
Il avait dix sept ans quand il s'est engage dans le mouvement de
liberation ", nous dit Galya de son fils, Krikor, le jeune homme de
la photo. Il a ete tue au combat a 21 ans. Dix ans plus tard, en 2002,
Galya ouvrait les portes de son musee, un hommage a ceux qui ont perdu
leur vie en combattant pour l'auto-determination du Karabagh. Ce qui
a ete paye avec le sang de son fils n'est pas negociable, et tel est
le message qu'elle veut transmettre a la communaute internationale.
Les portraits des 3 250 soldats tues et des 132 disparus attirent
le regard des visiteurs du musee. L'atmosphère est sombre ici. "
Les photos sont toutes la ", a confirme Galya. Elle doit le savoir,
après tout, elle qui a etudie la liste des soldats, pris contact avec
leurs parents, reuni leurs photos qu'elle a fait agrandir et encadrer
a Erevan.
Les objets personnels trouves sur les soldats - vetements, casque,
lettres, livres, armes - sont exposes dans des vitrines. Un petit
presentoir est dresse dans un coin, sur lequel sont disposes un
accordeon et des casques. Les mots " votre bravoure est immortelle "
sont ecrits sur un mur, au-dessus des photos des soldats et a côte
d'un tableau de la Vierge Marie, portant dans ses bras le corps nu
et inerte de son fils adulte.
Galya a cree le musee avec l'Union des Parents de Soldats Tombes,
dont elle est egalement la presidente. L'organisation apporte son
soutien aux familles des soldats tues. Mais Galya n'a jamais ete
une militante. Nee et elevee dans un village d'Askeran du Karabagh,
elle s'est installee dans la capitale Stepanakert a la fin de ses
etudes secondaires. En 1958, elle a commence a travailler dans une
usine textile, et n'a quitte cet emploi que lorsque l'usine a brûle,
en 1992, a la suite d'un bombardement.
" Ils pilonnaient la ville toute la journee. On n'etait a l'abri nulle
part. Les constructions ne comportaient pas d'abris contre les bombes.
Nous n'avons dresse que des murets de sable. La situation etait
vraiment mauvaise. Nous etions entoures, complètement encercles. Il
n'y avait aucune route pour rejoindre Erevan ", nous dit-elle.
Bientôt, la guerre lui prendrait ce qu'elle avait de plus precieux, ce
qui l'a conduite a son actuelle activite. " J'ai perdu mon fils. Il
etait ne en 1971. J'ai perdu deux neveux et mon beau-frère. Ces
annees ont ete très dures. Plus tard, je me suis investie dans ce
musee. Le travail que j'ai fait a contribue a un peu diminuer ma peine,
" dit-elle.
Galya pensait que ses efforts aideraient d'autres personnes dans la
douleur. " Les parents viennent toujours visiter ce musee. Leur peine
est lourde a porter. Meme s'ils se disent que leur fils est mort en
heros sur le champ de bataille, ils ne peuvent s'empecher de penser
que leur fils n'aura pas connu le mariage, la naissance d'enfants,
ou s'il les a connus, ils pensent aux difficultes qu'ils ont eues
pour les elever... " En 2009, Galya a publie un livre de 895 pages
dont le titre est RNK National Liberation Struggle, 1988-2009 [
Guerre de Liberation Nationale de la RHK, 1988-2009] retracant la
vie et montrant les photos des soldats morts ou disparus.
Contre Vents et marees
Ce musee est a la fois un memorial pour les soldats tombes et un
hommage a leur simplicite. Armes faites a la main, construites avec
des ustensiles courants comme des fourchettes et des tournevis, sont
des sources de fierte. Moins nombreux, moins armes, et combattant
depuis des positions defavorables, les soldats armeniens, avec parmi
eux le fils de Galya, ont accompli ce que beaucoup consideraient
comme impossible. " Sans armes, ces hommes affrontaient des tanks
", a-t-elle dit. Les Azeris, eux, avaient des armes et des munitions
sovietiques - ils avaient derrière eux une republique sovietique alors
que nous etions tout juste une province - ils beneficiaient en outre
du soutien technique et de mercenaires venus de l'exterieur. Ils se
sont evertues a chasser les Armeniens de Kedashen et de Mardounashen.
Mais nos garcons, comme des aigles, ont reussi a se regrouper et a
repondre par une forte contre-attaque ".
Un petit presentoir se dresse dans un coin du musee, comportant un
accordeon, et quelques autres objets (photo par Nanore Barsoumian).
Galya se souvient des mots du commandant tchetchène Shamil Basayev
qui combattait avec les Azeris. " Il a dit qu'il etait l'un des
derniers combattants a quitter Chouchi. Il a dit qu'ils avaient avec
eux suffisamment de munitions pour 100 combattants pendant une annee
entière. Ils avaient l'avantage d'une position plus elevee. Nos hommes
sont montes et se sont empares de la ville ", dit-elle. " À present,
nous sommes nous aussi une republique ".
" Nous n'etions a peine 150 000 au Karabagh - en comptant les enfants
et les personnes âgees - et ils etaient 7 millions contre nous ",
a-t-elle poursuivi. Derrière le mouvement de liberation, c'est le droit
a l'autodetermination et a vivre en securite, sans la peur, qui nous
poussait. Les nouvelles des pogroms a Soumgaït, Bakou et en d'autres
endroits nous apparaissaient comme une replique du Genocide armenien.
" Nous nous sommes defendus. Esperaient-ils que nous allions accepter
le sort que les Armeniens ont eu en Armenie de l'Ouest ? Ils les ont
tous massacres. Etions-nous senses les regarder tous nous massacrer de
meme ? " demande-t-elle. Pour Galya, azeris et turcs sont synonymes,
et les pogroms azeris n'etaient rien d'autre qu'un autre chapitre du
destin sanglant que les Armeniens ont eu sous la domination turque,
et qui date de bien avant le Genocide.
Ce destin n'est pas si eloigne de celui que les autorites azeries
(ou turques) envisagent. C'est Heydar Aliyev, le precedent president
d'Azerbaïdjan et père de l'actuel president Ilham Aliyev, qui prononca
l'expression devenue celèbre, " Une nation, deux etats ", pour rendre
compte des liens etroits et de la paternite ethnique commune a la
Turquie et a l'Azerbaïdjan. Ce sentiment est manifestement partage ;
le premier ministre turc Recep Erdogan a evoque cette expression
devant son " frère Aliyev " tout en rendant hommage aux mots de
Kemal Ataturk : " les joies de l'Azerbaïdjan sont nos joies, et ses
chagrins sont aussi les nôtres ". C'est sur la base de ces principes
que la Turquie imposa le blocus a l'Armenie en 1993, et le maintient
jusqu'a aujourd'hui.
Photos en noir et blanc d'hommes et de femmes, exposees sur les murs
du Musee des Soldats Tombes (photo Nanore Barsoumian).
Le petrole a valu a l'Azerbaïdjan un soutien inouï sur la scène
internationale, nous dit Galya. " Nous n'avons pas de petrole et ils
considèrent par consequent que nous sommes un etat faible, tandis
que l'Azerbaïdjan est plus developpe economiquement. Mais nous avons
bon esprit et nos ideaux sont bons. Telle etait la guerre de nos fils
dont les photos sont exposees sur ces murs. Ils sont tous en civil.
C'etaient des gens ordinaires. C'etaient des gens pacifiques. Ils
nous ont forces a nous battre ", nous dit-elle.
Galya a un message pour la communaute internationale : " qu'ils
viennent ici dans ce musee et voient le prix que nous avons paye dans
cette guerre. Qu'ils voient tout le sang que nous avons verse. Comment
aurions nous pu vivre encore sous la domination turque ? " a-t-elle
dit. " Je repète souvent que le Groupe de Minsk [de l'Organisation
pour la Securite et la Cooperation en Europe] devrait visiter ce
musee. Qu'ils viennent et voient ce que nous avons perdu, comment nous
avons libere le Karabagh ; combien d'hommes ont sacrifie leur vie,
ont ete blesses, ou ont survecu par miracle .
Unite en temps de crise
Galya a un autre message important, adresse celui-la aux Armeniens
dans le monde. La force qu'il a fallu pour la liberation de Chouchi a
pris ses racines dans l'unite. Si les Armeniens perdent leur unite,
ils perdront leur force. " Après tout ce que nous avons traverse,
nous devons garder notre unite. Nous devons faire bloc ".
La victoire n'aurait pas ete possible sans l'aide apportee par la
diaspora, dit-elle, exprimant un sentiment de gratitude envers la
Federation Revolutionnaire Armenienne (FRA), un parti que beaucoup
reveraient au Karabagh. " Ils nous ont aides de toutes les facons,
et nous avons ete capables de survivre. Ils ne nous ont pas laisses
seuls devant l'epreuve. Aujourd'hui encore, les Turcs disent que nous
tirons notre arrogance de l'existence de la Diaspora armenienne. Nous
ne sommes pas arrogants, nous sommes seulement fiers que la diaspora
soit a nos côtes. Nous les aimons tout simplement. Ils ont vu le
Genocide, ils sont disperses a travers le monde, mais ils s'unissent
quand les circonstances l'exigent ", dit-elle.
Galya se souvient d'un jour d'ete particulier de 1992, lorsque son
fils vint a la maison avec deux hommes qu'elle n'avait jamais vu
auparavant. Tous les trois portaient au bras un ruban noir. " Mon
fils est venu vers moi et m'a dit " Maman, fais nous quelque chose
a manger. Nous mourrons de faim. J'ai alors commence a leur preparer
quelque chose dans la cuisine. Ils ont bavarde. puis ils ont chante.
J'ai alors laisse ce que je preparais et entre dans la pièce où ils
etaient assis, et je les regardais tous les trois. Mon fils s'est
alors tourne vers moi et ma dit : ' Pourquoi ne viendrais-tu pas
combattre avec nous, Maman ? Ils chanteraient". Jai appris par la
suite qu'ils etaient Dashnaks. En ce temps-la ; ils sont tous venus
ici. Ils nous ont soutenus ", dit-elle.
À la seule idee que le Karabagh etait dans les c~\urs et les esprits
des Armeniens a travers le monde, le peuple du Karabagh retrouvait
des forces, nous a-t-elle dit. " De tous les coins de la terre, les
Armeniens sont venus a notre aide. Jusqu'a ce jour, ils [collectent
de l'aide] et l'apportent ici, afin que le Karabagh se remette sur
pieds - et c'est ce qu'il fait. La guerre, c'etait en 1992. À present,
je vais dans les rues et j'ai du mal a croire que c'est notre ville,
parce qu'elle a ete detruite, les constructions etaient en ruines -
vous pouvez en voir des photos accrochees aux murs ici meme. C'etait
notre situation en ce temps-la. Il y a eu des jours où jusqu'a 70
personnes etaient tuees. Mais nous avons persevere parce que nous
n'etions pas seuls. Si nous avions ete tout seuls, les Turcs nous
auraient detruits depuis longtemps ", nous a-t-elle dit en montrant
le portrait de Monte Melkonian, le commandant armenien d'Amerique
qui est mort au Karabagh. " Nous avons a nos côtes le peuple armenien
dans sa totalite ".
Pour Galya, cette unite a un caractère critique, parce que le risque
d'un nouveau bain de sang est très reel. " Voyez-vous, [les autorites
azeries] n'ont pas abandonne. Elles n'ont pas accepte la defaite. Jour
après jour, leur rhetorique belliqueuse est poursuivie. Ils tirent
constamment sur nos soldats et sur nos villages, et ne laissent aucun
repit a nos garcons sur la ligne de front ", nous dit-elle.
'Ce sont nos soldats...'
Une fois par mois, Galya se rend sur la ligne de front a la rencontre
des soldats et leur apporte ses encouragements. Elle est après tout,
la presidente de l'association chargee de coordonner l'action des
organisations non gouvernementales qui collaborent avec l'armee. Elle
rend visite a chacun des bataillons, et comme toute mère, ne vient
jamais les mains vides. " Nous sommes confrontes a nos vieux ennemis
qui ne veulent pas que nous existions ", nous dit-elle.
Bien qu'il y ait un cessez-le-feu depuis deux ans, Galya se mefie
du langage employe par les autorites azeries. " Ils sont devenus
plus agressifs et ils sont a present mieux armes, ils disposent de
technologies et de moyens aeriens ", a-t-elle dit. " Le 12 mai 1994,
ce sont eux qui ont demande le cessez-le-feu lorsqu'ils ont vu qu'ils
allaient perdre plus de territoires. Nous n'aurions pas du accepter.
Ils ont repris leur delire verbal. Ils veulent a nouveau nous reprendre
nos terres. Mais comment pourrions nous leur rendre un quelconque
territoire ? Chaque pouce de terre est ensanglantee.
Combien de garcons avons-nous perdus ? Combien de citoyens innocents
avons-nous perdus ?
Il n'est pas inhabituel que les visiteurs du musee demandent a
Galya ce qu'elle pense de la rhetorique recente d'Aliyev vis-a-vis
du Karabagh. " Allez demander aux gens dans la rue ", repond-elle
a chaque fois. " Demandez aux mères qui ont perdu un enfant dans la
guerre ! Si Aliyev veut une autre guerre du Karabagh, dites lui qu'il
envoie son propre fils sur le front. Voyons s'il veut toujours la
guerre. Ils gardent leur enfant en securite, et envoient les gosses
des gens ordinaires au combat ".
Cet article est paru dans le numero d'août 2013 d'Armenian Weekly
Magazine dedie au 25ème anniversaire du Mouvement de Liberation
de l'Artsakh.
Par Nanore Barsoumian
31 août 2013
The Armenian Weekly Magazine d'Août 2013
http://www.armenianweekly.com/2013/08/31/in-the-name-of-her-son-the-story-behind-artsakhs-museum-of-fallen-soldiers/
Traduction Gilbert Beguian
samedi 7 septembre 2013, Stephane ©armenews.com
KARABAGH
Des photographies en noir et blanc d'hommes - et aussi de femmes - sont
accrochees sur les murs du Musee des Soldats Tombes de Stepanakert,
rappelant aux visiteurs leur absence. Dans son cadre de bois tout
simple, l'image d'un homme avec une fine moustache coiffe d'une
casquette de l'ère sovietique, regarde fixement Galya Arustamian. "
Il avait dix sept ans quand il s'est engage dans le mouvement de
liberation ", nous dit Galya de son fils, Krikor, le jeune homme de
la photo. Il a ete tue au combat a 21 ans. Dix ans plus tard, en 2002,
Galya ouvrait les portes de son musee, un hommage a ceux qui ont perdu
leur vie en combattant pour l'auto-determination du Karabagh. Ce qui
a ete paye avec le sang de son fils n'est pas negociable, et tel est
le message qu'elle veut transmettre a la communaute internationale.
Les portraits des 3 250 soldats tues et des 132 disparus attirent
le regard des visiteurs du musee. L'atmosphère est sombre ici. "
Les photos sont toutes la ", a confirme Galya. Elle doit le savoir,
après tout, elle qui a etudie la liste des soldats, pris contact avec
leurs parents, reuni leurs photos qu'elle a fait agrandir et encadrer
a Erevan.
Les objets personnels trouves sur les soldats - vetements, casque,
lettres, livres, armes - sont exposes dans des vitrines. Un petit
presentoir est dresse dans un coin, sur lequel sont disposes un
accordeon et des casques. Les mots " votre bravoure est immortelle "
sont ecrits sur un mur, au-dessus des photos des soldats et a côte
d'un tableau de la Vierge Marie, portant dans ses bras le corps nu
et inerte de son fils adulte.
Galya a cree le musee avec l'Union des Parents de Soldats Tombes,
dont elle est egalement la presidente. L'organisation apporte son
soutien aux familles des soldats tues. Mais Galya n'a jamais ete
une militante. Nee et elevee dans un village d'Askeran du Karabagh,
elle s'est installee dans la capitale Stepanakert a la fin de ses
etudes secondaires. En 1958, elle a commence a travailler dans une
usine textile, et n'a quitte cet emploi que lorsque l'usine a brûle,
en 1992, a la suite d'un bombardement.
" Ils pilonnaient la ville toute la journee. On n'etait a l'abri nulle
part. Les constructions ne comportaient pas d'abris contre les bombes.
Nous n'avons dresse que des murets de sable. La situation etait
vraiment mauvaise. Nous etions entoures, complètement encercles. Il
n'y avait aucune route pour rejoindre Erevan ", nous dit-elle.
Bientôt, la guerre lui prendrait ce qu'elle avait de plus precieux, ce
qui l'a conduite a son actuelle activite. " J'ai perdu mon fils. Il
etait ne en 1971. J'ai perdu deux neveux et mon beau-frère. Ces
annees ont ete très dures. Plus tard, je me suis investie dans ce
musee. Le travail que j'ai fait a contribue a un peu diminuer ma peine,
" dit-elle.
Galya pensait que ses efforts aideraient d'autres personnes dans la
douleur. " Les parents viennent toujours visiter ce musee. Leur peine
est lourde a porter. Meme s'ils se disent que leur fils est mort en
heros sur le champ de bataille, ils ne peuvent s'empecher de penser
que leur fils n'aura pas connu le mariage, la naissance d'enfants,
ou s'il les a connus, ils pensent aux difficultes qu'ils ont eues
pour les elever... " En 2009, Galya a publie un livre de 895 pages
dont le titre est RNK National Liberation Struggle, 1988-2009 [
Guerre de Liberation Nationale de la RHK, 1988-2009] retracant la
vie et montrant les photos des soldats morts ou disparus.
Contre Vents et marees
Ce musee est a la fois un memorial pour les soldats tombes et un
hommage a leur simplicite. Armes faites a la main, construites avec
des ustensiles courants comme des fourchettes et des tournevis, sont
des sources de fierte. Moins nombreux, moins armes, et combattant
depuis des positions defavorables, les soldats armeniens, avec parmi
eux le fils de Galya, ont accompli ce que beaucoup consideraient
comme impossible. " Sans armes, ces hommes affrontaient des tanks
", a-t-elle dit. Les Azeris, eux, avaient des armes et des munitions
sovietiques - ils avaient derrière eux une republique sovietique alors
que nous etions tout juste une province - ils beneficiaient en outre
du soutien technique et de mercenaires venus de l'exterieur. Ils se
sont evertues a chasser les Armeniens de Kedashen et de Mardounashen.
Mais nos garcons, comme des aigles, ont reussi a se regrouper et a
repondre par une forte contre-attaque ".
Un petit presentoir se dresse dans un coin du musee, comportant un
accordeon, et quelques autres objets (photo par Nanore Barsoumian).
Galya se souvient des mots du commandant tchetchène Shamil Basayev
qui combattait avec les Azeris. " Il a dit qu'il etait l'un des
derniers combattants a quitter Chouchi. Il a dit qu'ils avaient avec
eux suffisamment de munitions pour 100 combattants pendant une annee
entière. Ils avaient l'avantage d'une position plus elevee. Nos hommes
sont montes et se sont empares de la ville ", dit-elle. " À present,
nous sommes nous aussi une republique ".
" Nous n'etions a peine 150 000 au Karabagh - en comptant les enfants
et les personnes âgees - et ils etaient 7 millions contre nous ",
a-t-elle poursuivi. Derrière le mouvement de liberation, c'est le droit
a l'autodetermination et a vivre en securite, sans la peur, qui nous
poussait. Les nouvelles des pogroms a Soumgaït, Bakou et en d'autres
endroits nous apparaissaient comme une replique du Genocide armenien.
" Nous nous sommes defendus. Esperaient-ils que nous allions accepter
le sort que les Armeniens ont eu en Armenie de l'Ouest ? Ils les ont
tous massacres. Etions-nous senses les regarder tous nous massacrer de
meme ? " demande-t-elle. Pour Galya, azeris et turcs sont synonymes,
et les pogroms azeris n'etaient rien d'autre qu'un autre chapitre du
destin sanglant que les Armeniens ont eu sous la domination turque,
et qui date de bien avant le Genocide.
Ce destin n'est pas si eloigne de celui que les autorites azeries
(ou turques) envisagent. C'est Heydar Aliyev, le precedent president
d'Azerbaïdjan et père de l'actuel president Ilham Aliyev, qui prononca
l'expression devenue celèbre, " Une nation, deux etats ", pour rendre
compte des liens etroits et de la paternite ethnique commune a la
Turquie et a l'Azerbaïdjan. Ce sentiment est manifestement partage ;
le premier ministre turc Recep Erdogan a evoque cette expression
devant son " frère Aliyev " tout en rendant hommage aux mots de
Kemal Ataturk : " les joies de l'Azerbaïdjan sont nos joies, et ses
chagrins sont aussi les nôtres ". C'est sur la base de ces principes
que la Turquie imposa le blocus a l'Armenie en 1993, et le maintient
jusqu'a aujourd'hui.
Photos en noir et blanc d'hommes et de femmes, exposees sur les murs
du Musee des Soldats Tombes (photo Nanore Barsoumian).
Le petrole a valu a l'Azerbaïdjan un soutien inouï sur la scène
internationale, nous dit Galya. " Nous n'avons pas de petrole et ils
considèrent par consequent que nous sommes un etat faible, tandis
que l'Azerbaïdjan est plus developpe economiquement. Mais nous avons
bon esprit et nos ideaux sont bons. Telle etait la guerre de nos fils
dont les photos sont exposees sur ces murs. Ils sont tous en civil.
C'etaient des gens ordinaires. C'etaient des gens pacifiques. Ils
nous ont forces a nous battre ", nous dit-elle.
Galya a un message pour la communaute internationale : " qu'ils
viennent ici dans ce musee et voient le prix que nous avons paye dans
cette guerre. Qu'ils voient tout le sang que nous avons verse. Comment
aurions nous pu vivre encore sous la domination turque ? " a-t-elle
dit. " Je repète souvent que le Groupe de Minsk [de l'Organisation
pour la Securite et la Cooperation en Europe] devrait visiter ce
musee. Qu'ils viennent et voient ce que nous avons perdu, comment nous
avons libere le Karabagh ; combien d'hommes ont sacrifie leur vie,
ont ete blesses, ou ont survecu par miracle .
Unite en temps de crise
Galya a un autre message important, adresse celui-la aux Armeniens
dans le monde. La force qu'il a fallu pour la liberation de Chouchi a
pris ses racines dans l'unite. Si les Armeniens perdent leur unite,
ils perdront leur force. " Après tout ce que nous avons traverse,
nous devons garder notre unite. Nous devons faire bloc ".
La victoire n'aurait pas ete possible sans l'aide apportee par la
diaspora, dit-elle, exprimant un sentiment de gratitude envers la
Federation Revolutionnaire Armenienne (FRA), un parti que beaucoup
reveraient au Karabagh. " Ils nous ont aides de toutes les facons,
et nous avons ete capables de survivre. Ils ne nous ont pas laisses
seuls devant l'epreuve. Aujourd'hui encore, les Turcs disent que nous
tirons notre arrogance de l'existence de la Diaspora armenienne. Nous
ne sommes pas arrogants, nous sommes seulement fiers que la diaspora
soit a nos côtes. Nous les aimons tout simplement. Ils ont vu le
Genocide, ils sont disperses a travers le monde, mais ils s'unissent
quand les circonstances l'exigent ", dit-elle.
Galya se souvient d'un jour d'ete particulier de 1992, lorsque son
fils vint a la maison avec deux hommes qu'elle n'avait jamais vu
auparavant. Tous les trois portaient au bras un ruban noir. " Mon
fils est venu vers moi et m'a dit " Maman, fais nous quelque chose
a manger. Nous mourrons de faim. J'ai alors commence a leur preparer
quelque chose dans la cuisine. Ils ont bavarde. puis ils ont chante.
J'ai alors laisse ce que je preparais et entre dans la pièce où ils
etaient assis, et je les regardais tous les trois. Mon fils s'est
alors tourne vers moi et ma dit : ' Pourquoi ne viendrais-tu pas
combattre avec nous, Maman ? Ils chanteraient". Jai appris par la
suite qu'ils etaient Dashnaks. En ce temps-la ; ils sont tous venus
ici. Ils nous ont soutenus ", dit-elle.
À la seule idee que le Karabagh etait dans les c~\urs et les esprits
des Armeniens a travers le monde, le peuple du Karabagh retrouvait
des forces, nous a-t-elle dit. " De tous les coins de la terre, les
Armeniens sont venus a notre aide. Jusqu'a ce jour, ils [collectent
de l'aide] et l'apportent ici, afin que le Karabagh se remette sur
pieds - et c'est ce qu'il fait. La guerre, c'etait en 1992. À present,
je vais dans les rues et j'ai du mal a croire que c'est notre ville,
parce qu'elle a ete detruite, les constructions etaient en ruines -
vous pouvez en voir des photos accrochees aux murs ici meme. C'etait
notre situation en ce temps-la. Il y a eu des jours où jusqu'a 70
personnes etaient tuees. Mais nous avons persevere parce que nous
n'etions pas seuls. Si nous avions ete tout seuls, les Turcs nous
auraient detruits depuis longtemps ", nous a-t-elle dit en montrant
le portrait de Monte Melkonian, le commandant armenien d'Amerique
qui est mort au Karabagh. " Nous avons a nos côtes le peuple armenien
dans sa totalite ".
Pour Galya, cette unite a un caractère critique, parce que le risque
d'un nouveau bain de sang est très reel. " Voyez-vous, [les autorites
azeries] n'ont pas abandonne. Elles n'ont pas accepte la defaite. Jour
après jour, leur rhetorique belliqueuse est poursuivie. Ils tirent
constamment sur nos soldats et sur nos villages, et ne laissent aucun
repit a nos garcons sur la ligne de front ", nous dit-elle.
'Ce sont nos soldats...'
Une fois par mois, Galya se rend sur la ligne de front a la rencontre
des soldats et leur apporte ses encouragements. Elle est après tout,
la presidente de l'association chargee de coordonner l'action des
organisations non gouvernementales qui collaborent avec l'armee. Elle
rend visite a chacun des bataillons, et comme toute mère, ne vient
jamais les mains vides. " Nous sommes confrontes a nos vieux ennemis
qui ne veulent pas que nous existions ", nous dit-elle.
Bien qu'il y ait un cessez-le-feu depuis deux ans, Galya se mefie
du langage employe par les autorites azeries. " Ils sont devenus
plus agressifs et ils sont a present mieux armes, ils disposent de
technologies et de moyens aeriens ", a-t-elle dit. " Le 12 mai 1994,
ce sont eux qui ont demande le cessez-le-feu lorsqu'ils ont vu qu'ils
allaient perdre plus de territoires. Nous n'aurions pas du accepter.
Ils ont repris leur delire verbal. Ils veulent a nouveau nous reprendre
nos terres. Mais comment pourrions nous leur rendre un quelconque
territoire ? Chaque pouce de terre est ensanglantee.
Combien de garcons avons-nous perdus ? Combien de citoyens innocents
avons-nous perdus ?
Il n'est pas inhabituel que les visiteurs du musee demandent a
Galya ce qu'elle pense de la rhetorique recente d'Aliyev vis-a-vis
du Karabagh. " Allez demander aux gens dans la rue ", repond-elle
a chaque fois. " Demandez aux mères qui ont perdu un enfant dans la
guerre ! Si Aliyev veut une autre guerre du Karabagh, dites lui qu'il
envoie son propre fils sur le front. Voyons s'il veut toujours la
guerre. Ils gardent leur enfant en securite, et envoient les gosses
des gens ordinaires au combat ".
Cet article est paru dans le numero d'août 2013 d'Armenian Weekly
Magazine dedie au 25ème anniversaire du Mouvement de Liberation
de l'Artsakh.
Par Nanore Barsoumian
31 août 2013
The Armenian Weekly Magazine d'Août 2013
http://www.armenianweekly.com/2013/08/31/in-the-name-of-her-son-the-story-behind-artsakhs-museum-of-fallen-soldiers/
Traduction Gilbert Beguian
samedi 7 septembre 2013, Stephane ©armenews.com