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De guerre lasse

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  • De guerre lasse

    L'Est Républicain, France
    Lundi 9 septembre 2013



    De guerre lasse

    Audincourt Issus de la minorité chrétienne souvent accusée de soutenir
    le régime de Bachar al-Assad, Awedis et Azniv Garabedian ont tout
    quitté en Syrie. Pour se réfugier en France au prix de risques
    insensés;
    UN JOUR, UNE HISTOIRE

    par Sébastien MICHAUX



    L'image de ce petit garçon de 8 ans tué d'une balle dans la têtepar un
    sniper sur le marché tandis qu'il ramenait le pain à la maison le
    hante toujours. À Jalla, dans ce quartier chrétien résidentiel d'Alep
    naguère paisible, la mort et la peur sont partout. Awedis Garabedian a
    64 ans. Et il pleure. Tous les jours. Fuir son pays ? Jamais.

    Et puis un jour, au terme d'une énième roquette tombée à quelques pas
    de l'immeuble familial où le gardien a déjà perdu son fils, abattu par
    un sniper lui aussi, la décision s'est imposée. Tout quitter pour
    sauver ce qui pouvait encore l'être : leur vie. Awedis et Azniv
    Garabedian sont Syriens depuis trois générations, depuis que leurs
    aïeux arméniens vinrent s'installer ici, après le génocide de 1915.
    Issue de la minorité chrétienne, ils ont toujours vécu en paix
    jusque-là. Awedis, tourneur-fraiseur de formation, était responsable
    de fabrication dans une grande aciérie de cette deuxième ville de
    Syrie. Une famille de la classe moyenne parfaitement intégrée dont les
    deux filles vivent à l'étranger, l'une au Canada, l'autre en France.

    En cette fin d'été, c'est depuis ce dernier pays que l'ordre du départ
    est actionné. Leur gendre, Syrien d'origine, a finement orchestré la
    fuite depuis Audincourt, dans le Pays de Montbéliard, où il a posé ses
    valises depuis plus de trois décennies.

    Awedis et Azniv vont quitter la Syrie par le nord. En taxi collectif,
    ils vont de village en village en direction de la Turquie. Aux
    rebelles qu'ils croisent, ils affirment être Kurdes. Surtout ne pas
    leur livrer sa véritable confession. « Je n'ai vu que des barbus,
    Afghans, Libyens, Égyptiens... », raconte le sexagénaire. Lequel se
    souvient encore de cet insurgé d'origine afghane, à entendre son
    accent, interpellé à Alep quelques mois plus tôt par l'armée loyaliste
    : « Quand les soldats lui ont demandé ce qu'il faisait là, il a
    répondu : ''Je suis venu en Israël pour tuer des Juifs'' ».

    Awedis et Azniv sont désormais parvenus à hauteur d'Afrin, à l'extrême
    nord de la Syrie, une localité composée de 360 villages encerclés par
    les djihadistes d'Al Nosra, le 2e groupe rebelle le plus important
    après l'armée syrienne libre. Le chemin pour la Turquie se fera à
    pied, dans la montagne avec six passeurs. Le prix de l'expédition
    restera secret.

    Une journée de marche forcée, sous un soleil de plomb, éprouvante au
    milieu de champs de mines. « Il fallait que nous marchions dans leurs
    pas ». Les barbelés et les militaires de la frontière turque passés,
    objectif la ville de Kilis où des centaines de milliers de réfugiés
    syriens se massent dans des camps, mais surtout où, pour Awedis et
    Azniv, des bienfaiteurs venus d'Ankara les attendent pour les évacuer
    chez eux. Deux mois plus tard, les visas pour la France enfin obtenus,
    contrairement à bon nombre de leurs concitoyens dans l'impasse, le
    couple débarque à Audincourt. Juste avant Noël.

    Le temps fait office d'une douloureuse attente. Tandis qu'aux
    atrocités des loyalistes répondent les horreurs des rebelles.

    Depuis dix jours maintenant, plus aucun moyen de joindre famille et
    amis à Alep où, manifestement, la situation humanitaire s'avère
    dramatique. « Aux dernières nouvelles, les rebelles empêchaient tout
    convoi alimentaire d'entrer dans la ville ».

    Dans ce conflit interne à l'islam entre sunnites et alaouites, cette
    branche issue du chiisme, la minorité chrétienne, accusée de soutenir
    le régime de Bachar al-Assad, paraît aujourd'hui menacée. « C'est vrai
    que nous vivions en paix avec Bachar, mais nous avons toujours été
    neutres ». Les Arabes ? « Mais on vivait avec eux sans problème »,
    répond Awedis, lequel a cependant observé la radicalisation rampante
    alors qu'il travaillait encore : « Beaucoup d'argent venait de
    l'extérieur, d'Arabie Saoudite notamment. On achetait des livres
    syriens avec des dollars. On proposait ainsi aux gens ce type de
    marché : ''Si tu couvres ta fille, je te donne 100 dollars, ''si tu
    protestes contre Bachar, le double''... Pourquoi ne raconte-t-on pas
    tout ça ? »

    À Audincourt, devant un écran télé, Awedis assiste impuissant à la
    destruction de son pays. Lui réclame juste la paix, surtout pas des
    frappes occidentales. Rêve de négociations. Mais ses illusions
    s'envolent. Au fur et à mesure que s'accumulent les jours passés loin
    de son pays. Et il pleure.

    Awedis et Azniv Garabedian souffrent à distance.

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