REVUE DE PRESSE
Elections en Turquie : les dangers de la victoire d'Erdogan
FIGAROVOX/TRIBUNE - Le regard d'une illustre romancière, ancien
reporter de guerre, sur les élections municipales en Turquie.
Kenize Mourad est une romancière et journaliste française d'origine
turco-indienne. Elle est notamment l'auteur de Le jardin de Badalpour,
Éditions Fayard. De la part de la princesse morte, Éditions Robert
Laffont. Le parfum de notre terre : Voix de Palestine et
d'Israël,Éditions Robert Laffont. Dans la ville d'or et d'argent
Éditions Robert Laffont.
Comment un premier ministre, empêtré depuis 3 mois dans les plus
grosses affaires de corruption que la Turquie ait jamais connues -
chaque jour éclate un nouveau scandale impliquant ses ministres, ses
proches, sa famille et lui même - comment Recep Tayep Erdogan , a t il
pu remporter haut la main les élections municipales qui étaient
clairement un référendum sur sa personne ?
Comment malgré ces scandales et la dérive autoritaire dénoncée à
maintes reprises par la Communauté européenne et la Commission des
droits de l' Homme -6000 officiers de police déplacés, des centaines
de juges et d'avocats dessaisis des dossiers gênants, renvoyés dans
les provinces et remplacés par d' autres plus dociles, la main mise de
l'exécutif sur le judiciaire et sur les médias, l'interdiction de
Twitter et de Youtube, derniers espaces de liberté, les menaces contre
les organisations patronales qui osent le critiquer - comment M.
Erdogan reste t il l'homme politique le plus populaire du pays ? Au
point que, lorsque confronté aux problèmes il parle d'un complot de
l'étranger en vue de le déstabiliser et de nuire à la Turquie, la
majorité de la population le croit ?
A peine sa victoire proclamée il a promis à ses ennemis de leur en >.Tous les contestataires, ceux qui l'ont critiqué
et ont appelé à voter contre lui, vont payer. Outre que, vu le
caractère violent et vindicatif du chef de l'état, on n'aimerait pas
être à leur place, cela démontre une étrange notion de la démocratie !
C'est là le clivage qui, même il s'atténue, reste le grand problème,
au point que l'on dit souvent qu'il y a deux Turquies, celle des
grandes villes, Istanbul, Ankara, Izmir et la région Egée, et d'autre
part l'Anatolie. Depuis quelques vingt ans ce clivage n' est plus
économique, mais il reste culturel.
Le problème c'est que - ces élections le prouvent - la majorité du
peuple turc se soucie plus des conditions économiques que de
démocratie. La démocratie est l'exigence d'une bourgeoisie très
européanisée. Le peuple, lui, apprécie Erdogan qui lui a apporté un
niveau de vie qu'il n'avait jamais connu. En douze ans le gouvernement
AKP a en effet remis le pays sur les rails de la croissance, triplé le
revenu moyen, ouvert aux classes populaires l'accès à la santé,
réorganisé le système des transports, et mis au pas l'armée qui au
jour d hui ne peut plus fomenter de coup d 'état (une bonne moitié des
généraux sont emprisonnés ou mis à la retraite anticipée) ; mais qui
ne peut pas non plus garantir la laïcité , comme elle le fit depuis
l'avènement de la république en 1923. Une laïcité stricte interdisant
le foulard à l'université et dans les administrations et interdisant
également les confréries mystiques soufies, très répandues surtout
dans les campagnes.
Avec l' AKP , l'islam a de nouveau droit de cité, un islam modéré et
relativement moderne, un modèle pour les autres pays musulmans.
Jusqu'à présent...
La stabilité, le progrès économique, la liberté religieuse, trois
demandes essentielles auxquelles le gouvernement d'Erdogan a répondu.
Alors la démocratie ... Dans un pays où, mises à part les écoles de
l'élite, l'éducation est restée une transmission de haut en bas et où
l'on ne discute pas la parole du maitre, un pays où le modèle
patriarcal est toujours dominant, pour beaucoup la démocratie
n'apparait pas primordiale et reste même une notion vague souvent
synonyme de désordre.
C'est là le clivage qui, même il s'atténue, reste le grand problème,
au point que l'on dit souvent qu'il y a deux Turquies, celle des
grandes villes, Istanbul, Ankara, Izmir et la région Egée, et d'autre
part l'Anatolie. Depuis quelques vingt ans ce clivage n' est plus
économique, mais il reste culturel. En effet s'est développée en
Anatolie une bourgeoisie d'affaires- petites et moyennes entreprises -
qui garde ses traditions et ses convictions religieuses. Cette
nouvelle bourgeoisie, arrivée au pouvoir avec Erdogan, prend peu à peu
la place de la haute bourgeoisie traditionnelle kémaliste. Une haute
bourgeoisie élitiste et occidentalisée, comme la classe dirigeante
ottomane du 19 em siècle dont elle descend, et qui a toujours ignoré
la population anatolienne .
L' affrontement entre les partisans et les adversaires d'Erdogan ,est
moins un affrontement entre religieux et laïcs qu' un affrontement
entre l'ancienne et la nouvelle bourgeoisie qui se disputent le
pouvoir, et entre une population européanisée et une population
traditionnelle .
Ces élections l'ont clairement démontré .
Mais on dénonce déjà de nombreuses irrégularités, la victoire de l'
AKP va être contestée dans la rue. C'est d'autant plus dangereux qu'il
n'y a pas de véritable contrepouvoir, le CHP, vieux parti kémaliste
n'ayant pas su se renouveler, et le MHP, parti d'extrême droite
nationaliste étant très minoritaire.
Erdogan n'est évidemment pas un homme de dialogue. Au matin de sa
victoire il a promis d'>. La Turquie
risque de se polariser de plus en plus avec de sérieuses conséquences
sur sa stabilité économique et sociale, mais aussi sur l'équilibre
d'un pays déjà fragilisé par la guerre en Syrie, un grand pays aux
portes de l' Europe.
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/03/31/31002-20140331ARTFIG00397-elections-en-turquie-les-dangers-de-la-victoire-d-erdogan.php
samedi 5 avril 2014,
Stéphane (c)armenews.com
Elections en Turquie : les dangers de la victoire d'Erdogan
FIGAROVOX/TRIBUNE - Le regard d'une illustre romancière, ancien
reporter de guerre, sur les élections municipales en Turquie.
Kenize Mourad est une romancière et journaliste française d'origine
turco-indienne. Elle est notamment l'auteur de Le jardin de Badalpour,
Éditions Fayard. De la part de la princesse morte, Éditions Robert
Laffont. Le parfum de notre terre : Voix de Palestine et
d'Israël,Éditions Robert Laffont. Dans la ville d'or et d'argent
Éditions Robert Laffont.
Comment un premier ministre, empêtré depuis 3 mois dans les plus
grosses affaires de corruption que la Turquie ait jamais connues -
chaque jour éclate un nouveau scandale impliquant ses ministres, ses
proches, sa famille et lui même - comment Recep Tayep Erdogan , a t il
pu remporter haut la main les élections municipales qui étaient
clairement un référendum sur sa personne ?
Comment malgré ces scandales et la dérive autoritaire dénoncée à
maintes reprises par la Communauté européenne et la Commission des
droits de l' Homme -6000 officiers de police déplacés, des centaines
de juges et d'avocats dessaisis des dossiers gênants, renvoyés dans
les provinces et remplacés par d' autres plus dociles, la main mise de
l'exécutif sur le judiciaire et sur les médias, l'interdiction de
Twitter et de Youtube, derniers espaces de liberté, les menaces contre
les organisations patronales qui osent le critiquer - comment M.
Erdogan reste t il l'homme politique le plus populaire du pays ? Au
point que, lorsque confronté aux problèmes il parle d'un complot de
l'étranger en vue de le déstabiliser et de nuire à la Turquie, la
majorité de la population le croit ?
A peine sa victoire proclamée il a promis à ses ennemis de leur en >.Tous les contestataires, ceux qui l'ont critiqué
et ont appelé à voter contre lui, vont payer. Outre que, vu le
caractère violent et vindicatif du chef de l'état, on n'aimerait pas
être à leur place, cela démontre une étrange notion de la démocratie !
C'est là le clivage qui, même il s'atténue, reste le grand problème,
au point que l'on dit souvent qu'il y a deux Turquies, celle des
grandes villes, Istanbul, Ankara, Izmir et la région Egée, et d'autre
part l'Anatolie. Depuis quelques vingt ans ce clivage n' est plus
économique, mais il reste culturel.
Le problème c'est que - ces élections le prouvent - la majorité du
peuple turc se soucie plus des conditions économiques que de
démocratie. La démocratie est l'exigence d'une bourgeoisie très
européanisée. Le peuple, lui, apprécie Erdogan qui lui a apporté un
niveau de vie qu'il n'avait jamais connu. En douze ans le gouvernement
AKP a en effet remis le pays sur les rails de la croissance, triplé le
revenu moyen, ouvert aux classes populaires l'accès à la santé,
réorganisé le système des transports, et mis au pas l'armée qui au
jour d hui ne peut plus fomenter de coup d 'état (une bonne moitié des
généraux sont emprisonnés ou mis à la retraite anticipée) ; mais qui
ne peut pas non plus garantir la laïcité , comme elle le fit depuis
l'avènement de la république en 1923. Une laïcité stricte interdisant
le foulard à l'université et dans les administrations et interdisant
également les confréries mystiques soufies, très répandues surtout
dans les campagnes.
Avec l' AKP , l'islam a de nouveau droit de cité, un islam modéré et
relativement moderne, un modèle pour les autres pays musulmans.
Jusqu'à présent...
La stabilité, le progrès économique, la liberté religieuse, trois
demandes essentielles auxquelles le gouvernement d'Erdogan a répondu.
Alors la démocratie ... Dans un pays où, mises à part les écoles de
l'élite, l'éducation est restée une transmission de haut en bas et où
l'on ne discute pas la parole du maitre, un pays où le modèle
patriarcal est toujours dominant, pour beaucoup la démocratie
n'apparait pas primordiale et reste même une notion vague souvent
synonyme de désordre.
C'est là le clivage qui, même il s'atténue, reste le grand problème,
au point que l'on dit souvent qu'il y a deux Turquies, celle des
grandes villes, Istanbul, Ankara, Izmir et la région Egée, et d'autre
part l'Anatolie. Depuis quelques vingt ans ce clivage n' est plus
économique, mais il reste culturel. En effet s'est développée en
Anatolie une bourgeoisie d'affaires- petites et moyennes entreprises -
qui garde ses traditions et ses convictions religieuses. Cette
nouvelle bourgeoisie, arrivée au pouvoir avec Erdogan, prend peu à peu
la place de la haute bourgeoisie traditionnelle kémaliste. Une haute
bourgeoisie élitiste et occidentalisée, comme la classe dirigeante
ottomane du 19 em siècle dont elle descend, et qui a toujours ignoré
la population anatolienne .
L' affrontement entre les partisans et les adversaires d'Erdogan ,est
moins un affrontement entre religieux et laïcs qu' un affrontement
entre l'ancienne et la nouvelle bourgeoisie qui se disputent le
pouvoir, et entre une population européanisée et une population
traditionnelle .
Ces élections l'ont clairement démontré .
Mais on dénonce déjà de nombreuses irrégularités, la victoire de l'
AKP va être contestée dans la rue. C'est d'autant plus dangereux qu'il
n'y a pas de véritable contrepouvoir, le CHP, vieux parti kémaliste
n'ayant pas su se renouveler, et le MHP, parti d'extrême droite
nationaliste étant très minoritaire.
Erdogan n'est évidemment pas un homme de dialogue. Au matin de sa
victoire il a promis d'>. La Turquie
risque de se polariser de plus en plus avec de sérieuses conséquences
sur sa stabilité économique et sociale, mais aussi sur l'équilibre
d'un pays déjà fragilisé par la guerre en Syrie, un grand pays aux
portes de l' Europe.
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/03/31/31002-20140331ARTFIG00397-elections-en-turquie-les-dangers-de-la-victoire-d-erdogan.php
samedi 5 avril 2014,
Stéphane (c)armenews.com