REVUE DE PRESSE
Le brandy dans les petits papiers de l'Arménie
Même le plus sobre des touristes visitant l'Arménie ne peut ignorer ce
morceau du patrimoine national qu'est le brandy.Ne dites surtout pas «
cognac », au risque de vous attirer les foudres de tous les
producteurs de cette liqueur voluptueusement ambrée, puisque cognac
est une appellation française.
Dès l'entrée dans Erevan, la capitale du pays du brandy, un immense
btiment surplombe le pont des Victoires : il s'agit du siège de la
Yerevan Brandy Company and Ararat, la marque emblématique du pays, née
en 1887.N'en déplaisent aux producteurs locaux, le brandy arménien a
bien eu le droit, lors de l'Exposition universelle de Paris en 1900,
de s'appeler cognac. Ces liens franco-arméniens ont même connu un
récent revival : depuis 1998, Ã la faveur de la première privatisation
internationale d'une compagnie d'Etat, Pernod-Ricard a mis la main sur
Ararat (contre 30 millions de dollars -21,7 millions d'euros- tout de
même). Le géant des spiritueux français s'est ainsi offert une porte
d'entrée sur l'immense marché russe, qui absorbe 70% de la production
de brandy. En ajoutant la Biélorussie, le Kazakhstan et, bien sûr,
l'Arménie, on atteint 90%, le reste des ventes étant composé de
l'Europe et des Etats-Unis. Ararat n'a en revanche pas percé en Asie,
où la réputation du cognac français le rend toujours intouchable,
d'autant que certaines marques phares, comme Hennessy, ont investi en
Chine depuis trente ans.Depuis, dans toute l'Asie, il est banal de
voir de grandes tablées familiales où trônent plusieurs bouteilles de
cognac ou d'armagnac dont seule la puissance peut dominer celle de
certains plats épicés.
PIERRES SOMBRES.Mais revenons sur les hauteurs d'Erevan, Ã deux pas du
stade où l'équipe nationale de foot se produit. Au coeur du
gigantesque fief d'Ararat, tout en pierres sombres, reposent le musée
et la cave, pleine de 15000 fûts.« Le bois, c'est le grand secret de
la fabrication d'un bon brandy », nous assure l'hôtesse de la marque,
alors qu'on attend de rencontrer le grand patron d'Ararat, assurément
un homme qui compte dans le pays. Pour l'essentiel, les planches
abritant la précieuse liqueur viennent de Russie et du Limousin, plus
un peu de production locale.Avant d'être utilisé, le bois repose
longtemps à l'air libre pour être purgé de sa sève et de son amertume.
Il devra ainsi être disposé Ã laisser s'évaporer par ses « pores »
4%environ de l'eau-de-vie, une proportion joliment baptisée « la part
des anges ».
Comme le vin, le brandy est affaire de patience.D'abord, le vin
nécessaire à la fabrication d'un brandy doit avoir 1 an d'ge ; il est
ensuite distillé afin d'obtenir une eau-devie qui repose à son tour
dans le fût. Un brandy qualifié d'ordinaire vieillit trois, quatre ou
cinq ans. Les plus anciens, fruits du mélange d'eaux-de-vie d'ges
différents, ne sontmis en bouteille qu'après dix, vingt, trente,
quarante ans (voire davantage pour les cuvées d'exception) passés en
fûts. Les prix, bien sûr, sont en proportion de cette ancienneté :
environ 200 euros pour un brandy de 25 ans d'ge ; 800 euros pour un
40 ans, et 4000 euros pour un 70 ans. Vient lemoment de la
dégustation, modérée, en pleinmilieu d'aprèsmidi (et avant d'aller
rencontrer le PDG). Nous avons goûté trois appellations spéciales
(Dvin,Nairi et Akhtamar, pour les spécialistes) de 10 et 20 ans d'ge.
Pas vraiment connaisseur (pour être honnête), mais plutôt ouvert Ã
toutes les aventures gustatives, la finesse de l'alcool nous a plutôt
bluffés :mélange de saveurmiellée, caramélisée, d'abricot aussi,
parfumprésent mais délicat, très belle longueur en bouche ; et,
apanage de l'ge, une rondeur très agréable pour celui qui ne
recherche pas la puissance et la brûlure des alcools forts. Pour les
amateurs de cigares, on a récidivé le lendemain soir avec un Wide
Churchill de chez Romeo&Juliet (et dans un bar d'hôtel acceptant les
amateurs de havanes, grce à un extracteur surpuissant, chose
désormais si rare), l'accord est formidable.
COCKTAILS. Ara Grigoryan, le PDG d'Ararat, est serein sur l'avenir de
son produit : « Le brandy est souvent offert comme un cadeau, consommé
dans les fêtes de famille, c'est une institution.Mais il faut être
vigilant car les manières de consommer de l'alcool évoluent doucement
chez les plus jeunes. Le whisky devient concurrentiel, ainsi que les
cocktails, d'ailleurs nous en avons lancé un à base de brandy. »Comme
lesArméniens dotés d'un certain pouvoir d'achat, Ara Grigoryan
apprécie plutôt le vin, « bourgogne, saintémilion, médoc,même si les
prix sont impressionnants ». Le patron d'Ararat peut néanmoins
commencer à La découverte de vases antiques remplis de pépins de
raisin, puis d'un fouloir et d'une cuve a permis de dater la première
vinification de l'humanité, il y a sixmille ans. se tourner vers les
vins arméniens qui, comme le brandy, s'inscrivent pleinement dans le
patrimoine et l'histoire du pays. En 2007, une équipe internationale
de 26 archéologues a déniché, au fond d'une caverne, des vases remplis
de pépins de raisin. Puis la découverte d'un fouloir et d'une cuve a
permis de dater avec certitude la première vinification de l'histoire
de l'humanité, il y a sixmille ans. Après une longue phase de déclin,
notamment liée à la nationalisation de la production viticole, l'heure
semble être à la renaissance du vin arménien. Ainsi, en 2009, la
production de brandy a enregistré une baisse de 38,4%avec une
production de 98690 hectolitres. En revanche, celle du vin a augmenté
de 30,8%, avec 143721 hectolitres produits sur 15000 hectares par une
vingtaine de vignerons indépendants, aidés par des vinificateurs
étrangers. Parmi eux, Zorik Gharibian, unArménien travaillant dans
lamode en Italie, qui a décidé d'acheter un vignoble au pied du mont
Ararat, au lieu d'investir en Toscane. Il y a produit le zorah karasi,
un vin rouge (sa base est l'areni noir, un cépage autochtone) qui
s'est vite retrouvé sur quelques tables étoilées. Une autre valeur
sûre est le karas,mélange des cépages syrah, petit verdot, tannat (né
dans le sud de l'Aquitaine) et de montepulciano, dont on retrouve la
fraîcheur et l'acidité. En blanc, il est produit grce au chardonnay,
tout en gras et rondeur. Une autre cuvée locale appréciée est le
novarank qui, là encore, rappelle furieusement les vins toscans.
« GROSSEARTILLERIE ».
L'ouverture récente de plusieurs bars à vin à Erevan témoigne aussi de
cette frénésie. A In Vino, on se fait conseiller par Emma Tadavosyan,
une jeune biologiste qui suit une formation spécialisée dans la
viticulture : « C'est dansmon sang :mes grandsparents etmes parents
faisaient leur propre vin. »Le lendemain, on tombera effectivement sur
des agriculteurs, Ã une centaine de kilomètres de la capitale, qui
produisent leur vin et leur vodka, dont une gorgée suffit amplement.
En revanche, leur vin n'en a que le nom, en réalité une boisson claire
et alcoolisée et, certes, faite à base de raisin : la comparaison avec
du vin s'arrête néanmoins lÃ.
InVino propose, outre de délicieux sandwichs, des crus locaux ainsi
que des vins étrangers, dont nombre de français. L'offre laisse encore
à désirer, tant on sent que quelques bureaux d'importateurs ont livré
« la grosse artillerie », soit une flopée d'étiquettes qu'on croise
dans toutes les grandes surfaces de l'Hexagone pour moins de 5
euros.Mais, protégés dans une armoire à vins, reposent malgré tout un
margaux, un clos-vougeot ou encore un corton- charlemagne. Nous
revient alors l'image d'un chteau Latour 1982 gardé glacé dans le
frigo d'un hôtel. Mais c'était en Thaïlande. L'Arménie est désormais
loin de ce genre de sacrilège.¢
dimanche 20 avril 2014,
Stéphane ©armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=98781
Le brandy dans les petits papiers de l'Arménie
Même le plus sobre des touristes visitant l'Arménie ne peut ignorer ce
morceau du patrimoine national qu'est le brandy.Ne dites surtout pas «
cognac », au risque de vous attirer les foudres de tous les
producteurs de cette liqueur voluptueusement ambrée, puisque cognac
est une appellation française.
Dès l'entrée dans Erevan, la capitale du pays du brandy, un immense
btiment surplombe le pont des Victoires : il s'agit du siège de la
Yerevan Brandy Company and Ararat, la marque emblématique du pays, née
en 1887.N'en déplaisent aux producteurs locaux, le brandy arménien a
bien eu le droit, lors de l'Exposition universelle de Paris en 1900,
de s'appeler cognac. Ces liens franco-arméniens ont même connu un
récent revival : depuis 1998, Ã la faveur de la première privatisation
internationale d'une compagnie d'Etat, Pernod-Ricard a mis la main sur
Ararat (contre 30 millions de dollars -21,7 millions d'euros- tout de
même). Le géant des spiritueux français s'est ainsi offert une porte
d'entrée sur l'immense marché russe, qui absorbe 70% de la production
de brandy. En ajoutant la Biélorussie, le Kazakhstan et, bien sûr,
l'Arménie, on atteint 90%, le reste des ventes étant composé de
l'Europe et des Etats-Unis. Ararat n'a en revanche pas percé en Asie,
où la réputation du cognac français le rend toujours intouchable,
d'autant que certaines marques phares, comme Hennessy, ont investi en
Chine depuis trente ans.Depuis, dans toute l'Asie, il est banal de
voir de grandes tablées familiales où trônent plusieurs bouteilles de
cognac ou d'armagnac dont seule la puissance peut dominer celle de
certains plats épicés.
PIERRES SOMBRES.Mais revenons sur les hauteurs d'Erevan, Ã deux pas du
stade où l'équipe nationale de foot se produit. Au coeur du
gigantesque fief d'Ararat, tout en pierres sombres, reposent le musée
et la cave, pleine de 15000 fûts.« Le bois, c'est le grand secret de
la fabrication d'un bon brandy », nous assure l'hôtesse de la marque,
alors qu'on attend de rencontrer le grand patron d'Ararat, assurément
un homme qui compte dans le pays. Pour l'essentiel, les planches
abritant la précieuse liqueur viennent de Russie et du Limousin, plus
un peu de production locale.Avant d'être utilisé, le bois repose
longtemps à l'air libre pour être purgé de sa sève et de son amertume.
Il devra ainsi être disposé Ã laisser s'évaporer par ses « pores »
4%environ de l'eau-de-vie, une proportion joliment baptisée « la part
des anges ».
Comme le vin, le brandy est affaire de patience.D'abord, le vin
nécessaire à la fabrication d'un brandy doit avoir 1 an d'ge ; il est
ensuite distillé afin d'obtenir une eau-devie qui repose à son tour
dans le fût. Un brandy qualifié d'ordinaire vieillit trois, quatre ou
cinq ans. Les plus anciens, fruits du mélange d'eaux-de-vie d'ges
différents, ne sontmis en bouteille qu'après dix, vingt, trente,
quarante ans (voire davantage pour les cuvées d'exception) passés en
fûts. Les prix, bien sûr, sont en proportion de cette ancienneté :
environ 200 euros pour un brandy de 25 ans d'ge ; 800 euros pour un
40 ans, et 4000 euros pour un 70 ans. Vient lemoment de la
dégustation, modérée, en pleinmilieu d'aprèsmidi (et avant d'aller
rencontrer le PDG). Nous avons goûté trois appellations spéciales
(Dvin,Nairi et Akhtamar, pour les spécialistes) de 10 et 20 ans d'ge.
Pas vraiment connaisseur (pour être honnête), mais plutôt ouvert Ã
toutes les aventures gustatives, la finesse de l'alcool nous a plutôt
bluffés :mélange de saveurmiellée, caramélisée, d'abricot aussi,
parfumprésent mais délicat, très belle longueur en bouche ; et,
apanage de l'ge, une rondeur très agréable pour celui qui ne
recherche pas la puissance et la brûlure des alcools forts. Pour les
amateurs de cigares, on a récidivé le lendemain soir avec un Wide
Churchill de chez Romeo&Juliet (et dans un bar d'hôtel acceptant les
amateurs de havanes, grce à un extracteur surpuissant, chose
désormais si rare), l'accord est formidable.
COCKTAILS. Ara Grigoryan, le PDG d'Ararat, est serein sur l'avenir de
son produit : « Le brandy est souvent offert comme un cadeau, consommé
dans les fêtes de famille, c'est une institution.Mais il faut être
vigilant car les manières de consommer de l'alcool évoluent doucement
chez les plus jeunes. Le whisky devient concurrentiel, ainsi que les
cocktails, d'ailleurs nous en avons lancé un à base de brandy. »Comme
lesArméniens dotés d'un certain pouvoir d'achat, Ara Grigoryan
apprécie plutôt le vin, « bourgogne, saintémilion, médoc,même si les
prix sont impressionnants ». Le patron d'Ararat peut néanmoins
commencer à La découverte de vases antiques remplis de pépins de
raisin, puis d'un fouloir et d'une cuve a permis de dater la première
vinification de l'humanité, il y a sixmille ans. se tourner vers les
vins arméniens qui, comme le brandy, s'inscrivent pleinement dans le
patrimoine et l'histoire du pays. En 2007, une équipe internationale
de 26 archéologues a déniché, au fond d'une caverne, des vases remplis
de pépins de raisin. Puis la découverte d'un fouloir et d'une cuve a
permis de dater avec certitude la première vinification de l'histoire
de l'humanité, il y a sixmille ans. Après une longue phase de déclin,
notamment liée à la nationalisation de la production viticole, l'heure
semble être à la renaissance du vin arménien. Ainsi, en 2009, la
production de brandy a enregistré une baisse de 38,4%avec une
production de 98690 hectolitres. En revanche, celle du vin a augmenté
de 30,8%, avec 143721 hectolitres produits sur 15000 hectares par une
vingtaine de vignerons indépendants, aidés par des vinificateurs
étrangers. Parmi eux, Zorik Gharibian, unArménien travaillant dans
lamode en Italie, qui a décidé d'acheter un vignoble au pied du mont
Ararat, au lieu d'investir en Toscane. Il y a produit le zorah karasi,
un vin rouge (sa base est l'areni noir, un cépage autochtone) qui
s'est vite retrouvé sur quelques tables étoilées. Une autre valeur
sûre est le karas,mélange des cépages syrah, petit verdot, tannat (né
dans le sud de l'Aquitaine) et de montepulciano, dont on retrouve la
fraîcheur et l'acidité. En blanc, il est produit grce au chardonnay,
tout en gras et rondeur. Une autre cuvée locale appréciée est le
novarank qui, là encore, rappelle furieusement les vins toscans.
« GROSSEARTILLERIE ».
L'ouverture récente de plusieurs bars à vin à Erevan témoigne aussi de
cette frénésie. A In Vino, on se fait conseiller par Emma Tadavosyan,
une jeune biologiste qui suit une formation spécialisée dans la
viticulture : « C'est dansmon sang :mes grandsparents etmes parents
faisaient leur propre vin. »Le lendemain, on tombera effectivement sur
des agriculteurs, Ã une centaine de kilomètres de la capitale, qui
produisent leur vin et leur vodka, dont une gorgée suffit amplement.
En revanche, leur vin n'en a que le nom, en réalité une boisson claire
et alcoolisée et, certes, faite à base de raisin : la comparaison avec
du vin s'arrête néanmoins lÃ.
InVino propose, outre de délicieux sandwichs, des crus locaux ainsi
que des vins étrangers, dont nombre de français. L'offre laisse encore
à désirer, tant on sent que quelques bureaux d'importateurs ont livré
« la grosse artillerie », soit une flopée d'étiquettes qu'on croise
dans toutes les grandes surfaces de l'Hexagone pour moins de 5
euros.Mais, protégés dans une armoire à vins, reposent malgré tout un
margaux, un clos-vougeot ou encore un corton- charlemagne. Nous
revient alors l'image d'un chteau Latour 1982 gardé glacé dans le
frigo d'un hôtel. Mais c'était en Thaïlande. L'Arménie est désormais
loin de ce genre de sacrilège.¢
dimanche 20 avril 2014,
Stéphane ©armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=98781