Turquie-histoire-minorités-Arménie
En Turquie, les Arméniens cachés à la découverte de leur passé (Reportage AFP)
Les Ottomans les appelaient les `restes de l'épée`. Cent ans après les
massacres de 1915, de plus en plus de Turcs d'origine arménienne, fils
et filles de ceux qui se sont convertis pour survivre, redécouvrent
leur identité et osent l'assumer au grand jour.
Berkin est l'un de ces Arméniens `cachés`. En ce jour de Pques, le
jeune homme de 17 ans a rejoint l'église Surp Vorodman, dans le
quartier stambouliote de Kumkapi. Avec des dizaines d'autres fidèles,
il est venu prier. Naturellement.
Élevé en bon Turc dans la religion musulmane, Berkin vient à peine de
découvrir ses origines chrétiennes. Par hasard, car jamais ses parents
ne lui avaient confié ce `grand secret`. Au début du XXe siècle, sa
famille était arménienne.
`Quand ma grand-mère parlait à la maison, je tendais l'oreille. Car ce
n'était ni du turc, ni du kurde. Mon grand-père c'était pareil`,
raconte le jeune lycéen. `Du coup, j'ai commencé Ã faire des
recherches. Et c'est comme ça que j'ai appris que mon
arrière-grand-père était un rescapé de 1915`.
Le 24 avril de cette année-lÃ, l'Empire ottoman donne le coup d'envoi
du premier génocide du XXe siècle. En moins d'un an, des centaines de
milliers d'Arméniens sont déportés, nombre d'entre eux tués, la
plupart de leurs biens confisqués.
Bientôt cent ans plus tard, ces événements restent un tabou, que les
autorités de Turquie refusent vigoureusement de qualifier de génocide.
Comme le grand-père de Berkin, des dizaines de milliers d'Arméniens se
sont convertis à l'islam pour échapper aux tueries et ont enfoui leur
identité au plus profond de leur mémoire. Pendant des décennies, le
discours officiel turc, qui exalte un seul peuple, musulman et
sunnite, a fait de ces `dönme`, ces `convertis`, des clandestins.
`J'étudie dans un lycée traditionnel. On nous désigne toujours comme
l'ennemi`, regrette Berkin, `on se dispute beaucoup pendant les cours
d'histoire parce que nous leur disons que nous ne sommes pas des
traîtres`. Pourtant, depuis quelques années, la chape de plomb qui
recouvre cette page d'histoire a commencé Ã se fissurer. Et le passé
des Arméniens de Turquie à ressurgir.
- `Connaître la vérité` -
Bien sûr, le mouvement est lent, difficile. De nombreux membres de
cette communauté, qui se compterait aujourd'hui en millions en
Turquie, selon les historiens, répugnent encore à s'afficher. Mais
d'autres, comme Berkin, ont franchi le pas.
`Ce jeune a compris, il sait quel sang coule dans ses veines, il a
compris les événements du passé`, se réjouit Diane Hekibashyan, qui
fréquente la même église d'Istanbul. `Il sait que nous ne demandons
pas grand chose, que nous ne voulons que la paix`.
Entre autres signes de cette prudente renaissance, le succès des cours
d'arménien. Comme celui animé par Talar Silelyan, qui réunit chaque
semaine une dizaine de personnes à la recherche de leur identité
cachée, comme elle.
`Ceux qui ont appris sur le tard qu'ils étaient arméniens commencent
d'abord par apprendre l'arménien`, explique cette jeune ingénieur de
formation.
`Auparavant, nous avions peur de parler de ça, mais maintenant, nous
sommes plus courageux, on peut évoquer certaines choses`, ajoute Talar
Silelyan, `et de l'autre côté, certains Turcs sont prêts à en parler
aussi, des gens veulent connaître la vérité`.
Officiellement, la position des autorités turques n'a pas changé. Le
mot `génocide` reste prohibé et source de fortes tensions
diplomatiques.
Mais, sous la pression de certains intellectuels notamment, le
vocabulaire change, pas à pas. En décembre, le ministre des Affaires
étrangères Ahmet Davutoglu a parlé des déportations d'Arméniens comme
d'une `erreur`, d'un `acte inhumain`.
`Enfin, nous pouvons célébrer nos fêtes ensemble, dans nos églises`,
se réjouit de son côté Tuma Ã-zdemir, le président de l'association des
chrétiens d'Orient.
Mais l'approche du centenaire des événements de 1915 fait craindre de
nouvelles tensions.
Mais dans un démarche importante, le Premier ministre turc Recep
Tayyip Erdogan a adressé pour la première fois mercredi les
condoléances de la Turquie aux victimes de ce drame.
`Nous souhaitons que les Arméniens qui ont perdu la vie dans les
circonstances du début du XXe siècle reposent en paix et nous
exprimons nos condoléances à leurs petits-enfants`, s'est-il exprimé
dans un communiqué.
`On n'exige pas de grosses réparations pour ce qui s'est passé, on
veut simplement qu'ils (les Turcs) le reconnaissent`, assure Berkin.
`Nous n'avons pas disparu, nous sommes ici, l'empreinte de nos
ancêtres est là et nous revendiquons nos origines`.
Même contre l'avis de ses parents, le jeune homme est déterminé Ã
parachever son retour aux sources. Une fois majeur, il deviendra
chrétien.
Par Philippe ALFROY
AFP
dimanche 27 avril 2014,
Stéphane ©armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=99263
From: A. Papazian
En Turquie, les Arméniens cachés à la découverte de leur passé (Reportage AFP)
Les Ottomans les appelaient les `restes de l'épée`. Cent ans après les
massacres de 1915, de plus en plus de Turcs d'origine arménienne, fils
et filles de ceux qui se sont convertis pour survivre, redécouvrent
leur identité et osent l'assumer au grand jour.
Berkin est l'un de ces Arméniens `cachés`. En ce jour de Pques, le
jeune homme de 17 ans a rejoint l'église Surp Vorodman, dans le
quartier stambouliote de Kumkapi. Avec des dizaines d'autres fidèles,
il est venu prier. Naturellement.
Élevé en bon Turc dans la religion musulmane, Berkin vient à peine de
découvrir ses origines chrétiennes. Par hasard, car jamais ses parents
ne lui avaient confié ce `grand secret`. Au début du XXe siècle, sa
famille était arménienne.
`Quand ma grand-mère parlait à la maison, je tendais l'oreille. Car ce
n'était ni du turc, ni du kurde. Mon grand-père c'était pareil`,
raconte le jeune lycéen. `Du coup, j'ai commencé Ã faire des
recherches. Et c'est comme ça que j'ai appris que mon
arrière-grand-père était un rescapé de 1915`.
Le 24 avril de cette année-lÃ, l'Empire ottoman donne le coup d'envoi
du premier génocide du XXe siècle. En moins d'un an, des centaines de
milliers d'Arméniens sont déportés, nombre d'entre eux tués, la
plupart de leurs biens confisqués.
Bientôt cent ans plus tard, ces événements restent un tabou, que les
autorités de Turquie refusent vigoureusement de qualifier de génocide.
Comme le grand-père de Berkin, des dizaines de milliers d'Arméniens se
sont convertis à l'islam pour échapper aux tueries et ont enfoui leur
identité au plus profond de leur mémoire. Pendant des décennies, le
discours officiel turc, qui exalte un seul peuple, musulman et
sunnite, a fait de ces `dönme`, ces `convertis`, des clandestins.
`J'étudie dans un lycée traditionnel. On nous désigne toujours comme
l'ennemi`, regrette Berkin, `on se dispute beaucoup pendant les cours
d'histoire parce que nous leur disons que nous ne sommes pas des
traîtres`. Pourtant, depuis quelques années, la chape de plomb qui
recouvre cette page d'histoire a commencé Ã se fissurer. Et le passé
des Arméniens de Turquie à ressurgir.
- `Connaître la vérité` -
Bien sûr, le mouvement est lent, difficile. De nombreux membres de
cette communauté, qui se compterait aujourd'hui en millions en
Turquie, selon les historiens, répugnent encore à s'afficher. Mais
d'autres, comme Berkin, ont franchi le pas.
`Ce jeune a compris, il sait quel sang coule dans ses veines, il a
compris les événements du passé`, se réjouit Diane Hekibashyan, qui
fréquente la même église d'Istanbul. `Il sait que nous ne demandons
pas grand chose, que nous ne voulons que la paix`.
Entre autres signes de cette prudente renaissance, le succès des cours
d'arménien. Comme celui animé par Talar Silelyan, qui réunit chaque
semaine une dizaine de personnes à la recherche de leur identité
cachée, comme elle.
`Ceux qui ont appris sur le tard qu'ils étaient arméniens commencent
d'abord par apprendre l'arménien`, explique cette jeune ingénieur de
formation.
`Auparavant, nous avions peur de parler de ça, mais maintenant, nous
sommes plus courageux, on peut évoquer certaines choses`, ajoute Talar
Silelyan, `et de l'autre côté, certains Turcs sont prêts à en parler
aussi, des gens veulent connaître la vérité`.
Officiellement, la position des autorités turques n'a pas changé. Le
mot `génocide` reste prohibé et source de fortes tensions
diplomatiques.
Mais, sous la pression de certains intellectuels notamment, le
vocabulaire change, pas à pas. En décembre, le ministre des Affaires
étrangères Ahmet Davutoglu a parlé des déportations d'Arméniens comme
d'une `erreur`, d'un `acte inhumain`.
`Enfin, nous pouvons célébrer nos fêtes ensemble, dans nos églises`,
se réjouit de son côté Tuma Ã-zdemir, le président de l'association des
chrétiens d'Orient.
Mais l'approche du centenaire des événements de 1915 fait craindre de
nouvelles tensions.
Mais dans un démarche importante, le Premier ministre turc Recep
Tayyip Erdogan a adressé pour la première fois mercredi les
condoléances de la Turquie aux victimes de ce drame.
`Nous souhaitons que les Arméniens qui ont perdu la vie dans les
circonstances du début du XXe siècle reposent en paix et nous
exprimons nos condoléances à leurs petits-enfants`, s'est-il exprimé
dans un communiqué.
`On n'exige pas de grosses réparations pour ce qui s'est passé, on
veut simplement qu'ils (les Turcs) le reconnaissent`, assure Berkin.
`Nous n'avons pas disparu, nous sommes ici, l'empreinte de nos
ancêtres est là et nous revendiquons nos origines`.
Même contre l'avis de ses parents, le jeune homme est déterminé Ã
parachever son retour aux sources. Une fois majeur, il deviendra
chrétien.
Par Philippe ALFROY
AFP
dimanche 27 avril 2014,
Stéphane ©armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=99263
From: A. Papazian