PRESSE TURQUE
Les déplacés de l'Empire
En 1922, à la fin de la guerre gréco-turque et à la veille de
l'avènement de la république de Mustafa Kemal, Grecs et Turcs ont
procédé sans ménagement à une véritable purification ethnique. L'an
dernier, un documentaire grec faisait le point sur le sujet.
I Kathimerini
Spyros Yannaras
La réalisatrice grecque Maria Iliou ne fait pas mystère de ce qu'elle
pense de la question sensible des Ă©changes de population entre la
Grèce et la Turquie après la "Grande Catastrophe" [nom donné en Grèce
Ă l'expulsion des Grecs d'Ionie], en 1922. "Il ne saurait y avoir de
privilèges lorsque l'on parle de douleur", déclarait-elle ainsi l'an
dernier à l'occasion de la présentation de son documentaire et de
l'exposition qui l'accompagnait au musée Benaki, à Athènes.
A la fois documentaire et exposition, le projet Expulsion et Ă©change
de populations, Turquie-Grèce 1922-1924, avait été présenté dans le
btiment principal du musée Benaki, à Kolonaki. Il venait compléter le
précédent documentaire de la réalisatrice, qui a remporté un vif
succès, Smyrne : la destruction d'une ville cosmopolite 1900-1922, un
temps projeté dans l'annexe du musée de la rue Pireos.
"Nous avons réalisé le second documentaire dans l'espoir,
quatre-vingt-dix ans après la Grande Catastrophe, de pouvoir raconter
toute l'histoire vue des deux côtés de la mer Egée", explique-t-elle.
L'historien Alexander Kitroeff, qui a collaboré avec Maria Iliou sur
les deux films, souligne qu'au moment oĂą l'Ă©change de populations a
été décidé à Lausanne, en 1923, la majorité des Grecs avait déjà été
expulsés ou rapatriés en Grèce. Le traité, qui a suivi la première
expulsion des Grecs de Smyrne, du Pont et de Cappadoce, concernait
environ 180 000 Grecs [qui se trouvaient encore en Turquie] et quelque
400 000 musulmans de Crète et de Macédoine - ces derniers auraient
pour la plupart préféré rester en Grèce.
En d'autres termes, la tragédie tient à ce que les populations des
deux côtés n'ont jamais été consultées sur le destin qu'on leur
réservait en tant que réfugiés.
L'historien Thanos Veremis rappelle que les Grecs ont dĂ» abandonner
leurs biens, des entreprises prospères et diverses activités qui leur
assuraient un niveau de vie élevé, pour finir dans la pauvreté,
humiliés. Et que côté musulman, l'adversité fut encore pire.
"Les Grecs ont bénéficié d'une assistance élémentaire, alors que les
réfugiés musulmans ont été livrés à leur sort", résume-t-il.
Le documentaire présente des histoires individuelles de réfugiés grecs
et turcs d'où ressortent d'impressionnantes similarités. L'idée étant
d'oeuvrer pour une réconciliation entre les deux côtés, grec et turc,
en mettant en Ă©vidence leurs malheurs communs.
Un accouchement dans la douleur.
Le 30 octobre 1918, vaincu, l'Empire ottoman conclut l'armistice de
Mudros avec les Alliés. C'est le signal du dépeçage. Des troupes
françaises, puis britanniques, italiennes, et grecques, occupent
Constantinople. Paris et Londres se partagent l'immense partie
moyen-orientale de l'empire, Grecs et Italiens se disputant le reste
des dépouilles. Les Grecs, en particulier, rêvent de concrétiser la
Megali Idea, la "Grande Idée", la création d'une "Grande Grèce"
englobant une partie du littoral anatolien, l'antique Ionie.
Les négociations de paix aboutissent au traité de Sèvres, signé le 10
août 1920. Entre-temps, ce qui reste de l'empire a basculé dans
l'anarchie. Le dernier sultan, Mehmed VI, tente de reprendre la main
face à une partie de son armée, commandée par des officiers
nationalistes sous la férule du général Mustafa Kemal, héros de la
bataille de Gallipoli (1915). Depuis mai 1919, l'armée grecque occupe
Smyrne, où elle consolide ses positions. L'Arménie et la Géorgie, qui
ont proclamé leur indépendance à la suite de la chute de l'empire
tsariste, Ă©mettent des revendications sur des territoires turcs.
La signature de Sèvres achève de mettre le feu aux poudres. Les
nationalistes de Kemal dénoncent le traité. Soutenus par les
bolcheviks russes, qui leur fournissent progressivement des armes et
des munitions, ils affrontent à la fois les Grecs, les Français en
Cilicie (au sud de l'Anatolie), les Arméniens, les Géorgiens et les
ultimes défenseurs du sultan.
S'ils parviennent rapidement à repousser les Arméniens et les
Géorgiens, ils se retrouvent en difficultés face aux Grecs, qui
s'enfoncent au coeur de l'Anatolie durant l'automne 1920. Comme les
guerres balkaniques en 1912-1913, les combats donnent lieu Ă de
terribles atrocités commises par tous les camps.
Les hostilitĂ©s se poursuivent l'annĂ©e suivante et tournent peu Ă peu Ă
l'avantage des nationalistes de Kemal. Ces derniers battent les
Français, qui abandonnent la Cilicie et se replient sur la Syrie. Ils
réussissent également à endiguer l'avance grecque. En août 1922, ils
lancent une grande contre-offensive. Le front grec s'effondre et les
forces d'Athènes refluent en désordre jusqu'à la mer. Un armistice est
signé en octobre. Au cours de l'offensive kémaliste, la ville de
Smyrne est incendiée. La population grecque d'Asie Mineure fuit (voir
Article d'Ekathimerini sur les mouvements de population) en masse.
En juillet 1923, le traité de Sèvres étant définitivement rejeté, les
négociations avec les nationalistes se concluent par le traité de
Lausanne. Pour l'Empire ottoman, c'est le coup de grce. La république
turque, dirigée par Mustafa Kemal Atatürk (littéralement, le
"Turc-Père" ; il déclenchera une campagne de réformes sans précédent),
est officiellement proclamée le 29 octobre 1923, dans la nouvelle
capitale, Ankara, Ă l'issue d'un conflit sanglant qui a fait des
dizaines de milliers de morts et au moins deux millions de déplacés.
dimanche 10 août 2014,
Stéphane (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=99306
From: A. Papazian
Les déplacés de l'Empire
En 1922, à la fin de la guerre gréco-turque et à la veille de
l'avènement de la république de Mustafa Kemal, Grecs et Turcs ont
procédé sans ménagement à une véritable purification ethnique. L'an
dernier, un documentaire grec faisait le point sur le sujet.
I Kathimerini
Spyros Yannaras
La réalisatrice grecque Maria Iliou ne fait pas mystère de ce qu'elle
pense de la question sensible des Ă©changes de population entre la
Grèce et la Turquie après la "Grande Catastrophe" [nom donné en Grèce
Ă l'expulsion des Grecs d'Ionie], en 1922. "Il ne saurait y avoir de
privilèges lorsque l'on parle de douleur", déclarait-elle ainsi l'an
dernier à l'occasion de la présentation de son documentaire et de
l'exposition qui l'accompagnait au musée Benaki, à Athènes.
A la fois documentaire et exposition, le projet Expulsion et Ă©change
de populations, Turquie-Grèce 1922-1924, avait été présenté dans le
btiment principal du musée Benaki, à Kolonaki. Il venait compléter le
précédent documentaire de la réalisatrice, qui a remporté un vif
succès, Smyrne : la destruction d'une ville cosmopolite 1900-1922, un
temps projeté dans l'annexe du musée de la rue Pireos.
"Nous avons réalisé le second documentaire dans l'espoir,
quatre-vingt-dix ans après la Grande Catastrophe, de pouvoir raconter
toute l'histoire vue des deux côtés de la mer Egée", explique-t-elle.
L'historien Alexander Kitroeff, qui a collaboré avec Maria Iliou sur
les deux films, souligne qu'au moment oĂą l'Ă©change de populations a
été décidé à Lausanne, en 1923, la majorité des Grecs avait déjà été
expulsés ou rapatriés en Grèce. Le traité, qui a suivi la première
expulsion des Grecs de Smyrne, du Pont et de Cappadoce, concernait
environ 180 000 Grecs [qui se trouvaient encore en Turquie] et quelque
400 000 musulmans de Crète et de Macédoine - ces derniers auraient
pour la plupart préféré rester en Grèce.
En d'autres termes, la tragédie tient à ce que les populations des
deux côtés n'ont jamais été consultées sur le destin qu'on leur
réservait en tant que réfugiés.
L'historien Thanos Veremis rappelle que les Grecs ont dĂ» abandonner
leurs biens, des entreprises prospères et diverses activités qui leur
assuraient un niveau de vie élevé, pour finir dans la pauvreté,
humiliés. Et que côté musulman, l'adversité fut encore pire.
"Les Grecs ont bénéficié d'une assistance élémentaire, alors que les
réfugiés musulmans ont été livrés à leur sort", résume-t-il.
Le documentaire présente des histoires individuelles de réfugiés grecs
et turcs d'où ressortent d'impressionnantes similarités. L'idée étant
d'oeuvrer pour une réconciliation entre les deux côtés, grec et turc,
en mettant en Ă©vidence leurs malheurs communs.
Un accouchement dans la douleur.
Le 30 octobre 1918, vaincu, l'Empire ottoman conclut l'armistice de
Mudros avec les Alliés. C'est le signal du dépeçage. Des troupes
françaises, puis britanniques, italiennes, et grecques, occupent
Constantinople. Paris et Londres se partagent l'immense partie
moyen-orientale de l'empire, Grecs et Italiens se disputant le reste
des dépouilles. Les Grecs, en particulier, rêvent de concrétiser la
Megali Idea, la "Grande Idée", la création d'une "Grande Grèce"
englobant une partie du littoral anatolien, l'antique Ionie.
Les négociations de paix aboutissent au traité de Sèvres, signé le 10
août 1920. Entre-temps, ce qui reste de l'empire a basculé dans
l'anarchie. Le dernier sultan, Mehmed VI, tente de reprendre la main
face à une partie de son armée, commandée par des officiers
nationalistes sous la férule du général Mustafa Kemal, héros de la
bataille de Gallipoli (1915). Depuis mai 1919, l'armée grecque occupe
Smyrne, où elle consolide ses positions. L'Arménie et la Géorgie, qui
ont proclamé leur indépendance à la suite de la chute de l'empire
tsariste, Ă©mettent des revendications sur des territoires turcs.
La signature de Sèvres achève de mettre le feu aux poudres. Les
nationalistes de Kemal dénoncent le traité. Soutenus par les
bolcheviks russes, qui leur fournissent progressivement des armes et
des munitions, ils affrontent à la fois les Grecs, les Français en
Cilicie (au sud de l'Anatolie), les Arméniens, les Géorgiens et les
ultimes défenseurs du sultan.
S'ils parviennent rapidement à repousser les Arméniens et les
Géorgiens, ils se retrouvent en difficultés face aux Grecs, qui
s'enfoncent au coeur de l'Anatolie durant l'automne 1920. Comme les
guerres balkaniques en 1912-1913, les combats donnent lieu Ă de
terribles atrocités commises par tous les camps.
Les hostilitĂ©s se poursuivent l'annĂ©e suivante et tournent peu Ă peu Ă
l'avantage des nationalistes de Kemal. Ces derniers battent les
Français, qui abandonnent la Cilicie et se replient sur la Syrie. Ils
réussissent également à endiguer l'avance grecque. En août 1922, ils
lancent une grande contre-offensive. Le front grec s'effondre et les
forces d'Athènes refluent en désordre jusqu'à la mer. Un armistice est
signé en octobre. Au cours de l'offensive kémaliste, la ville de
Smyrne est incendiée. La population grecque d'Asie Mineure fuit (voir
Article d'Ekathimerini sur les mouvements de population) en masse.
En juillet 1923, le traité de Sèvres étant définitivement rejeté, les
négociations avec les nationalistes se concluent par le traité de
Lausanne. Pour l'Empire ottoman, c'est le coup de grce. La république
turque, dirigée par Mustafa Kemal Atatürk (littéralement, le
"Turc-Père" ; il déclenchera une campagne de réformes sans précédent),
est officiellement proclamée le 29 octobre 1923, dans la nouvelle
capitale, Ankara, Ă l'issue d'un conflit sanglant qui a fait des
dizaines de milliers de morts et au moins deux millions de déplacés.
dimanche 10 août 2014,
Stéphane (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=99306
From: A. Papazian