La Croix, France
20 août 2014
Religions d'Iran: les Arméniens d'Ispahan s'accrochent à leurs églises
à Ispahan, la très ancienne communauté arménienne vit autour du
quartier de la « petite Djolfa ».
20/8/14
Mais de plus en plus de jeunes Arméniens d'Iran s'exilent pour des
raisons économiques.
C'est à Ispahan, dans cette ancienne capitale et ville joyau de la
Perse, qu'est établie depuis plus de quatre cents ans la communauté
arménienne.
Pour se rendre dans la « petite Djolfa », du nom de la ville dont ils
étaient originaires en Arménie, il suffit de lever les yeux pour
repérer les croix bien visibles sur les coupoles des églises et se
laisser guider à travers les rues. Le quartier compte encore 12
églises sur 24 auparavant. Certaines sont en ruine ou ne sont plus
utilisées, faute de paroissiens.
La plus ancienne, Saint-Kevork, date de 1611. Les portes ouvrent sur
un joli jardin. L'église est très fréquentée toute la journée, que ce
soit pour faire une prière, déposer un cierge, une offrande, ou tout
simplement parler des événements ou programme prévus pour les enfants,
vérifier la date d'un mariage, etc.
« La vie n'est-elle pas agréable ici? »
« La communauté arménienne est très active, elle est structurée
autour de ses églises, de ses écoles et des activités pour les adultes
comme pour les enfants », explique Maryam, mère de famille qui tient
une permanence à l'église quelques heures dans la journée.
Maryam a trois enfants mais une seule fille mariée vit encore en Iran.
« L'émigration des jeunes est un réel problème pour nous les parents.
Nous nous retrouvons seuls, loin de nos enfants et nos petits-enfants.
Qu'ont-ils à vouloir partir, la vie n'est-elle pas agréable ici? »
C'est à l'occasion des fêtes religieuses que l'absence est ressentie
encore plus durement par les familles. Et pourtant, les chrétiens en
Iran ne sont pas persécutés, ni ne souffrent de discriminations.
Le droit de fabriquer de l'alcool
Ils jouissent même de libertés que leur jalousent parfois les
musulmans. Dans leurs associations, ou clubs, les hommes et les femmes
se mélangent et les Arméniennes n'ont pas à porter le foulard. Les
chrétiens sont également autorisés à fabriquer de l'alcool et à en
consommer, Ã condition de ne pas en vendre aux musulmans.
Par contre, devant la justice, la parole d'un chrétien ` comme celle
de n'importe quelle femme en Iran `, vaut toujours la moitié de celle
d'un musulman. Dans les rues de la « petite Djolfa », les femmes
portent leur croix bien visible, sans que cela heurte les
non-chrétiens. La majorité des boutiques sont encore tenues par des
Arméniens. Le dimanche, les commerces sont fermés, alors qu'ils sont
ouverts dans le reste de la ville.
« Ils partent pour des raisons avant tout économiques. Ils pensent
qu'il y a plus d'opportunités en Occident », intervient Hovannes, lui
aussi père de famille très actif au sein de la paroisse Saint-Kevork.
« Pourtant la vie lÃ-bas est difficile, plus stressante qu'en Iran »,
lui répond Maryam dont le fils vit et travaille au Canada. Le débat
pourrait durer des heures tant il nourrit régulièrement les
conversations des familles restées au pays.
D'où viennent les Arméniens d'Iran ?
Mais d'où viennent les Arméniens d'Iran? Quand sont-ils arrivés en
Perse? La question divise, y compris les Arméniens eux-mêmes. « La
présence arménienne en Iran est continue depuis deux millénaires dans
le nord-ouest du pays. Mais la plupart des Arméniens sont issus de
déplacements de populations qui ont eu lieu à partir du XVIe siècle
», écrit Naïri Nahapétian (1), journaliste arméno-iranienne.
« Le souverain safavide (2) Chah Abbas, en lutte avec l'Empire
ottoman, fit de nombreuses incursions en Arménie et ramena 25 000
Arméniens en Iran. Ces épisodes historiques ont fait l'objet d'une
mystification au sein de la communauté arménienne: Chah Abbas aurait
calmement ``importé'' les Arméniens pour utiliser leurs talents
d'artisans, et assurer la prospérité de sa capitale. »
Qu'en était-il dans la réalité? « La réalité historique est entachée
de plus de violence, poursuit Naïri Nahapétian. Après la mise à sac de
la ville arménienne de Djolfa et la déportation de ses habitants Ã
Ispahan, le quartier de Nor Djolfa fut fondé au sud du Zayandeh Rud
(la rivière qui coule à Ispahan). D'autres transferts de population
amenèrent des Arméniens à Téhéran, où ils se sont spécialisés dans le
travail des métaux et des peaux », conclut celle qui est aussi un
auteur de romans policiers à succès (3).
La majorité des Arméniens sont de rite arménien géorgien. La
cathédrale de Vank (plus connue sous le nom de Saint-Sauveur), avec sa
bibliothèque de 700 manuscrits arméniens, son presbytère, son
imprimerie et son musée consacré Ã l'histoire des Arméniens, est un
peu le cÅ`ur de la communauté, même si chaque famille appartient à une
paroisse.
« Le génocide des Arméniens n'est pas tabou »
« Vank est plus un site touristique que de prière », admet volontiers
Tovma Galstamyan, chargé des relations publiques du lieu. Des
cérémonies y sont organisées pour les grandes occasions: la fête de
la naissance du christ, le 6 janvier, le nouvel an chrétien, la fête
de Mamikonian Vardan, commandant arménien et figure héroïque qui a
combattu (il est mort en 451) pour que les Arméniens puissent
continuer à pratiquer leur religion en Arménie et ne soient pas
obligés de se convertir au zoroastrisme. Et enfin, Ã l'occasion de la
célébration en avril du génocide arménien de 1915.
Les Arméniens d'Iran sont restés très liés à l'Arménie, pays avec
lequel la République islamique entretient aussi d'excellentes
relations économiques et politiques. « Le génocide n'est pas tabou en
Iran comme dans d'autres pays. Même si les Arméno-Iraniens ne sont pas
venus de Turquie, le traumatisme collectif du génocide est aussi très
fort en Iran », ajoute Naïri Nahapétian.
à l'occasion du centième anniversaire en 2015, les Arméniens d'Iran, Ã
l'image de la diaspora dans le monde entier, ont prévu une série
d'événements sur toute l'année.
Il n'y a pas de séminaire en Iran
« La religion fait partie de chacun d'entre nous, elle est
inséparable de l'Arménie et des Arméniens », ajoute Tovma Galstamyan.
Il regrette cependant qu'Ispahan ne compte plus que quatre prêtres. «
C'est un réel problème pour notre communauté. Les jeunes générations
ne sont pas tentées par la prêtrise. Il faudrait, dit-il encore,
prendre des mesures pour motiver les vocations. »
Il n'y a pas de séminaire en Iran. Aussi, pour leur formation, les
jeunes prêtres ont le choix entre l'Arménie, Jérusalem ou le Liban.
Les diocèses d'Ispahan, Téhéran (où les Arméniens sont plus nombreux
qu'Ã Ispahan) et Tabriz dépendent de la juridiction du catholicossat
de Cilicie (Ã Antélias, au Liban).
Plus le nombre d'Arméniens diminue, plus la ferveur augmente mais plus
la communauté se replie sur elle-même. En ce jour des Rameaux, la
petite église de Saint-Minas est pleine. Sur le pilier à l'entrée, une
plaque indique la date de sa construction, 1659.
à l'intérieur, les femmes et les hommes sont assis séparément. Les
voix mixtes de la chorale s'élèvent sous les voûtes de l'édifice,
alors que dans l'air flotte une forte odeur d'encens. Des couronnes de
feuilles de peupliers entourent la tête des enfants, que l'évêque
bénit, espérant que dans quelques années ils transmettront à leur tour
l'héritage arménien en Iran.
---------------------------------------------------------------
Les chrétiens en Iran
Le christianisme est représenté en Iran par plusieurs Églises:
arménienne, assyrienne et chaldéenne. Toutes les trois sont reconnues
et autorisées par l'État iranien.
Membres d'une communauté Ã la fois ethnique et religieuse, les
Arméniens forment la plus importante minorité chrétienne d'Iran (de
200 000 Ã 400 000 personnes). Elle est principalement implantée Ã
Téhéran et à Ispahan dans le quartier de Djolfa, où elle a ses écoles
et ses églises.
Les Arméniens disposent de deux sièges au Parlement iranien. Les
Chaldéens et les Assyriens disposent d'un siège chacun. L'ensemble de
ces deux communautés représente 30 000 personnes environ.
Des courants protestants évangéliques tentent de s'implanter, mais
sont combattus par le régime.
Source: Géopolitique de l'Iran. Puissance dangereuse ou pays
incompris?, Matthieu Anquez, Éd. Argos, 162 p
From: A. Papazian
20 août 2014
Religions d'Iran: les Arméniens d'Ispahan s'accrochent à leurs églises
à Ispahan, la très ancienne communauté arménienne vit autour du
quartier de la « petite Djolfa ».
20/8/14
Mais de plus en plus de jeunes Arméniens d'Iran s'exilent pour des
raisons économiques.
C'est à Ispahan, dans cette ancienne capitale et ville joyau de la
Perse, qu'est établie depuis plus de quatre cents ans la communauté
arménienne.
Pour se rendre dans la « petite Djolfa », du nom de la ville dont ils
étaient originaires en Arménie, il suffit de lever les yeux pour
repérer les croix bien visibles sur les coupoles des églises et se
laisser guider à travers les rues. Le quartier compte encore 12
églises sur 24 auparavant. Certaines sont en ruine ou ne sont plus
utilisées, faute de paroissiens.
La plus ancienne, Saint-Kevork, date de 1611. Les portes ouvrent sur
un joli jardin. L'église est très fréquentée toute la journée, que ce
soit pour faire une prière, déposer un cierge, une offrande, ou tout
simplement parler des événements ou programme prévus pour les enfants,
vérifier la date d'un mariage, etc.
« La vie n'est-elle pas agréable ici? »
« La communauté arménienne est très active, elle est structurée
autour de ses églises, de ses écoles et des activités pour les adultes
comme pour les enfants », explique Maryam, mère de famille qui tient
une permanence à l'église quelques heures dans la journée.
Maryam a trois enfants mais une seule fille mariée vit encore en Iran.
« L'émigration des jeunes est un réel problème pour nous les parents.
Nous nous retrouvons seuls, loin de nos enfants et nos petits-enfants.
Qu'ont-ils à vouloir partir, la vie n'est-elle pas agréable ici? »
C'est à l'occasion des fêtes religieuses que l'absence est ressentie
encore plus durement par les familles. Et pourtant, les chrétiens en
Iran ne sont pas persécutés, ni ne souffrent de discriminations.
Le droit de fabriquer de l'alcool
Ils jouissent même de libertés que leur jalousent parfois les
musulmans. Dans leurs associations, ou clubs, les hommes et les femmes
se mélangent et les Arméniennes n'ont pas à porter le foulard. Les
chrétiens sont également autorisés à fabriquer de l'alcool et à en
consommer, Ã condition de ne pas en vendre aux musulmans.
Par contre, devant la justice, la parole d'un chrétien ` comme celle
de n'importe quelle femme en Iran `, vaut toujours la moitié de celle
d'un musulman. Dans les rues de la « petite Djolfa », les femmes
portent leur croix bien visible, sans que cela heurte les
non-chrétiens. La majorité des boutiques sont encore tenues par des
Arméniens. Le dimanche, les commerces sont fermés, alors qu'ils sont
ouverts dans le reste de la ville.
« Ils partent pour des raisons avant tout économiques. Ils pensent
qu'il y a plus d'opportunités en Occident », intervient Hovannes, lui
aussi père de famille très actif au sein de la paroisse Saint-Kevork.
« Pourtant la vie lÃ-bas est difficile, plus stressante qu'en Iran »,
lui répond Maryam dont le fils vit et travaille au Canada. Le débat
pourrait durer des heures tant il nourrit régulièrement les
conversations des familles restées au pays.
D'où viennent les Arméniens d'Iran ?
Mais d'où viennent les Arméniens d'Iran? Quand sont-ils arrivés en
Perse? La question divise, y compris les Arméniens eux-mêmes. « La
présence arménienne en Iran est continue depuis deux millénaires dans
le nord-ouest du pays. Mais la plupart des Arméniens sont issus de
déplacements de populations qui ont eu lieu à partir du XVIe siècle
», écrit Naïri Nahapétian (1), journaliste arméno-iranienne.
« Le souverain safavide (2) Chah Abbas, en lutte avec l'Empire
ottoman, fit de nombreuses incursions en Arménie et ramena 25 000
Arméniens en Iran. Ces épisodes historiques ont fait l'objet d'une
mystification au sein de la communauté arménienne: Chah Abbas aurait
calmement ``importé'' les Arméniens pour utiliser leurs talents
d'artisans, et assurer la prospérité de sa capitale. »
Qu'en était-il dans la réalité? « La réalité historique est entachée
de plus de violence, poursuit Naïri Nahapétian. Après la mise à sac de
la ville arménienne de Djolfa et la déportation de ses habitants Ã
Ispahan, le quartier de Nor Djolfa fut fondé au sud du Zayandeh Rud
(la rivière qui coule à Ispahan). D'autres transferts de population
amenèrent des Arméniens à Téhéran, où ils se sont spécialisés dans le
travail des métaux et des peaux », conclut celle qui est aussi un
auteur de romans policiers à succès (3).
La majorité des Arméniens sont de rite arménien géorgien. La
cathédrale de Vank (plus connue sous le nom de Saint-Sauveur), avec sa
bibliothèque de 700 manuscrits arméniens, son presbytère, son
imprimerie et son musée consacré Ã l'histoire des Arméniens, est un
peu le cÅ`ur de la communauté, même si chaque famille appartient à une
paroisse.
« Le génocide des Arméniens n'est pas tabou »
« Vank est plus un site touristique que de prière », admet volontiers
Tovma Galstamyan, chargé des relations publiques du lieu. Des
cérémonies y sont organisées pour les grandes occasions: la fête de
la naissance du christ, le 6 janvier, le nouvel an chrétien, la fête
de Mamikonian Vardan, commandant arménien et figure héroïque qui a
combattu (il est mort en 451) pour que les Arméniens puissent
continuer à pratiquer leur religion en Arménie et ne soient pas
obligés de se convertir au zoroastrisme. Et enfin, Ã l'occasion de la
célébration en avril du génocide arménien de 1915.
Les Arméniens d'Iran sont restés très liés à l'Arménie, pays avec
lequel la République islamique entretient aussi d'excellentes
relations économiques et politiques. « Le génocide n'est pas tabou en
Iran comme dans d'autres pays. Même si les Arméno-Iraniens ne sont pas
venus de Turquie, le traumatisme collectif du génocide est aussi très
fort en Iran », ajoute Naïri Nahapétian.
à l'occasion du centième anniversaire en 2015, les Arméniens d'Iran, Ã
l'image de la diaspora dans le monde entier, ont prévu une série
d'événements sur toute l'année.
Il n'y a pas de séminaire en Iran
« La religion fait partie de chacun d'entre nous, elle est
inséparable de l'Arménie et des Arméniens », ajoute Tovma Galstamyan.
Il regrette cependant qu'Ispahan ne compte plus que quatre prêtres. «
C'est un réel problème pour notre communauté. Les jeunes générations
ne sont pas tentées par la prêtrise. Il faudrait, dit-il encore,
prendre des mesures pour motiver les vocations. »
Il n'y a pas de séminaire en Iran. Aussi, pour leur formation, les
jeunes prêtres ont le choix entre l'Arménie, Jérusalem ou le Liban.
Les diocèses d'Ispahan, Téhéran (où les Arméniens sont plus nombreux
qu'Ã Ispahan) et Tabriz dépendent de la juridiction du catholicossat
de Cilicie (Ã Antélias, au Liban).
Plus le nombre d'Arméniens diminue, plus la ferveur augmente mais plus
la communauté se replie sur elle-même. En ce jour des Rameaux, la
petite église de Saint-Minas est pleine. Sur le pilier à l'entrée, une
plaque indique la date de sa construction, 1659.
à l'intérieur, les femmes et les hommes sont assis séparément. Les
voix mixtes de la chorale s'élèvent sous les voûtes de l'édifice,
alors que dans l'air flotte une forte odeur d'encens. Des couronnes de
feuilles de peupliers entourent la tête des enfants, que l'évêque
bénit, espérant que dans quelques années ils transmettront à leur tour
l'héritage arménien en Iran.
---------------------------------------------------------------
Les chrétiens en Iran
Le christianisme est représenté en Iran par plusieurs Églises:
arménienne, assyrienne et chaldéenne. Toutes les trois sont reconnues
et autorisées par l'État iranien.
Membres d'une communauté Ã la fois ethnique et religieuse, les
Arméniens forment la plus importante minorité chrétienne d'Iran (de
200 000 Ã 400 000 personnes). Elle est principalement implantée Ã
Téhéran et à Ispahan dans le quartier de Djolfa, où elle a ses écoles
et ses églises.
Les Arméniens disposent de deux sièges au Parlement iranien. Les
Chaldéens et les Assyriens disposent d'un siège chacun. L'ensemble de
ces deux communautés représente 30 000 personnes environ.
Des courants protestants évangéliques tentent de s'implanter, mais
sont combattus par le régime.
Source: Géopolitique de l'Iran. Puissance dangereuse ou pays
incompris?, Matthieu Anquez, Éd. Argos, 162 p
From: A. Papazian