ENQUETE SUR UN GENOCIDE OUBLIE
Marianne
28 novembre 2014
Par Alexis Lacroix
Le politologue et historien Joseph Yacoub consacre le premier ouvrage
d'envergure a l'extermination qui a frappe, il y a un siècle, le
peuple assyro-chaldeen. Un sujet toujours d'actualite.
Est-ce parce que l'histoire, comme l'a ecrit Walter Benjamin, est
souvent ecrite par les "vainqueurs" ? Le fait est la : certaines
tragedies, certains evenements sont tenus a l'ecart de l'histoire
universelle, expulses dans le trou noir de l'indifference et de
l'oubli. Jusqu'a ce qu'un historien les arrache a leur occultation.
C'est ce que fait Joseph Yacoub dans son nouvel essai, Qui s'en
souviendra ? (1), consacre a un genocide encore largement banni de
la memoire collective, contemporain du genocide armenien et de celui
qui a frappe les Grecs pontiques dans l'Empire ottoman : le genocide
assyro-chaldeen. Dans ce premier ouvrage d'envergure consacre a
l'aneantissement des Assyro-Chaldeens en 1915, Yacoub, lui-meme
descendant de rescapes, entremele approche scientifique, fondee sur
la consultation d'abondantes archives, et temoignage vivant. Comme
il le note, notre epoque commence a revisiter cette tragedie, et
"de plus en plus nombreux sont ceux qui s'expriment". Ils etaient
environ 1 million dans les premières annees du XXe siècle et, comme
les autres minorites chretiennes de l'Empire ottoman, ils etaient
traites comme des citoyens de deuxième classe ; postes de pouvoir et
charges officielles leur etaient fermes.
Toutefois, la memoire de cette persecution ne s'est pas universalisee :
s'il est des peuples qui ont connu un sort tragique et que l'histoire
a ressuscites, ce n'est pas encore le cas des Assyro-chaldeens. Eux
aussi, a l'instar de beaucoup d'autres communautes chretiennes
d'Orient, ont ete des "hommes en trop", selon la judicieuse expression
de Jean-Francois Colosimo (2). Un peuple pris dans le piège de
l'histoire, au mauvais moment, au mauvais endroit.
MARTYRE PLANIFIE
L'auteur de Qui s'en souviendra ? le rappelle avec force : "L'histoire
atteste qu'il existe un peuple assyro-chaldeen-syriaque." Ce
peuple a toujours habite la Mesopotamie, un des berceaux majeurs
de la civilisation humaine, et fut presente indifferemment "comme
nation, peuple et Eglise". Connus sous des vocables differents -
Assyriens, Chaldeens, Syriaques, Nestoriens, Jacobites, Arameens -, les
Assyro-Chaldeens sont les heritiers des peuples assyrien, babylonien,
chaldeen et arameen de l'antique Mesopotamie. C'est a partir du debut
de l'automne 1914 que l'apocalypse s'abat sur les Assyro-Chaldeens. "A
cette date, note l'auteur, les troupes turco-kurdes font une incursion
dans la plaine d'Ourmiah, une region frontalière situee en Perse, et
devastent plusieurs villages, assassinent leurs habitants." Il s'ensuit
une annee terrible, au cours de laquelle, sur l'ensemble du territoire
turco-persan, des centaines de milliers d'Assyro-Chaldeens (selon
plusieurs estimations, environ 60 a 70 % de la population totale) ont
ete massacres ou sont morts de soif, de faim, d'inanition ou de misère,
voire d'epuisement, sur les routes de l'exode et de la deportation.
Si cet assassinat collectif et indiscrimine occupe une place centrale
dans la reflexion de l'auteur, ce n'est pas seulement en vertu de la
dette familiale qui le relie a cette scène de destruction. Non. C'est
parce que, dans l'interminable epopee de l'epouvante au XXe siècle, le
martyre oblitere des Assyro-Chaldeens a ete une station decisive. La
politique genocidaire qui l'a rendu possible a ete "premeditee et
planifiee a un haut niveau". Joseph Yacoub cite un document syriaque
de 1920 qui affirme sans hesiter : "Il existait un plan ottoman
d'extermination des chretiens de Turquie." Pourtant, un siècle
plus tard, l'anamnèse de cette tragedie reste sujette a caution. A
l'exception de la Turquie, où le deni reste officiel, le genocide
armenien est etudie internationalement, mais celui qui a frappe les
Assyro-Chaldeens reste assez peu connu. Comme si, parce qu'ils se
situèrent a l'ecart des grandes circulations historico-mondiales, les
Assyro-Chaldeens s'etaient prives de l'attention planetaire. Yacoub
pense que la perseverance peut finir par reparer ce delaissement. Il
est l'exemple vivant de la "visibilite de la diaspora assyro-chaldeenne
en Occident" et du rôle de gardien de la memoire qu'elle entend
remplir, surtout depuis les annees 80. Le "printemps culturel et
memoriel" du peuple assyro-chaldeen n'est pas encore eclos, mais son
livre pourrait faciliter son avènement.
(1) Cerf, 302 p., 24 (EURO).
(2) Les Hommes en trop. La malediction des chretiens d'Orient, Fayard.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
Marianne
28 novembre 2014
Par Alexis Lacroix
Le politologue et historien Joseph Yacoub consacre le premier ouvrage
d'envergure a l'extermination qui a frappe, il y a un siècle, le
peuple assyro-chaldeen. Un sujet toujours d'actualite.
Est-ce parce que l'histoire, comme l'a ecrit Walter Benjamin, est
souvent ecrite par les "vainqueurs" ? Le fait est la : certaines
tragedies, certains evenements sont tenus a l'ecart de l'histoire
universelle, expulses dans le trou noir de l'indifference et de
l'oubli. Jusqu'a ce qu'un historien les arrache a leur occultation.
C'est ce que fait Joseph Yacoub dans son nouvel essai, Qui s'en
souviendra ? (1), consacre a un genocide encore largement banni de
la memoire collective, contemporain du genocide armenien et de celui
qui a frappe les Grecs pontiques dans l'Empire ottoman : le genocide
assyro-chaldeen. Dans ce premier ouvrage d'envergure consacre a
l'aneantissement des Assyro-Chaldeens en 1915, Yacoub, lui-meme
descendant de rescapes, entremele approche scientifique, fondee sur
la consultation d'abondantes archives, et temoignage vivant. Comme
il le note, notre epoque commence a revisiter cette tragedie, et
"de plus en plus nombreux sont ceux qui s'expriment". Ils etaient
environ 1 million dans les premières annees du XXe siècle et, comme
les autres minorites chretiennes de l'Empire ottoman, ils etaient
traites comme des citoyens de deuxième classe ; postes de pouvoir et
charges officielles leur etaient fermes.
Toutefois, la memoire de cette persecution ne s'est pas universalisee :
s'il est des peuples qui ont connu un sort tragique et que l'histoire
a ressuscites, ce n'est pas encore le cas des Assyro-chaldeens. Eux
aussi, a l'instar de beaucoup d'autres communautes chretiennes
d'Orient, ont ete des "hommes en trop", selon la judicieuse expression
de Jean-Francois Colosimo (2). Un peuple pris dans le piège de
l'histoire, au mauvais moment, au mauvais endroit.
MARTYRE PLANIFIE
L'auteur de Qui s'en souviendra ? le rappelle avec force : "L'histoire
atteste qu'il existe un peuple assyro-chaldeen-syriaque." Ce
peuple a toujours habite la Mesopotamie, un des berceaux majeurs
de la civilisation humaine, et fut presente indifferemment "comme
nation, peuple et Eglise". Connus sous des vocables differents -
Assyriens, Chaldeens, Syriaques, Nestoriens, Jacobites, Arameens -, les
Assyro-Chaldeens sont les heritiers des peuples assyrien, babylonien,
chaldeen et arameen de l'antique Mesopotamie. C'est a partir du debut
de l'automne 1914 que l'apocalypse s'abat sur les Assyro-Chaldeens. "A
cette date, note l'auteur, les troupes turco-kurdes font une incursion
dans la plaine d'Ourmiah, une region frontalière situee en Perse, et
devastent plusieurs villages, assassinent leurs habitants." Il s'ensuit
une annee terrible, au cours de laquelle, sur l'ensemble du territoire
turco-persan, des centaines de milliers d'Assyro-Chaldeens (selon
plusieurs estimations, environ 60 a 70 % de la population totale) ont
ete massacres ou sont morts de soif, de faim, d'inanition ou de misère,
voire d'epuisement, sur les routes de l'exode et de la deportation.
Si cet assassinat collectif et indiscrimine occupe une place centrale
dans la reflexion de l'auteur, ce n'est pas seulement en vertu de la
dette familiale qui le relie a cette scène de destruction. Non. C'est
parce que, dans l'interminable epopee de l'epouvante au XXe siècle, le
martyre oblitere des Assyro-Chaldeens a ete une station decisive. La
politique genocidaire qui l'a rendu possible a ete "premeditee et
planifiee a un haut niveau". Joseph Yacoub cite un document syriaque
de 1920 qui affirme sans hesiter : "Il existait un plan ottoman
d'extermination des chretiens de Turquie." Pourtant, un siècle
plus tard, l'anamnèse de cette tragedie reste sujette a caution. A
l'exception de la Turquie, où le deni reste officiel, le genocide
armenien est etudie internationalement, mais celui qui a frappe les
Assyro-Chaldeens reste assez peu connu. Comme si, parce qu'ils se
situèrent a l'ecart des grandes circulations historico-mondiales, les
Assyro-Chaldeens s'etaient prives de l'attention planetaire. Yacoub
pense que la perseverance peut finir par reparer ce delaissement. Il
est l'exemple vivant de la "visibilite de la diaspora assyro-chaldeenne
en Occident" et du rôle de gardien de la memoire qu'elle entend
remplir, surtout depuis les annees 80. Le "printemps culturel et
memoriel" du peuple assyro-chaldeen n'est pas encore eclos, mais son
livre pourrait faciliter son avènement.
(1) Cerf, 302 p., 24 (EURO).
(2) Les Hommes en trop. La malediction des chretiens d'Orient, Fayard.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress