LE CINEASTE FATIH AKIN : > N'EST PAS UN FILM SUR LE >
Cinema
Le metteur en scène Fatih Akin pose pour une photo au cours d'une
interview avec ToDays's Zaman a Istanbul le 4 decembre.
Le dernier film d'Akin, 'The Cut' [La Blessure], est sorti sur les
ecrans turcs ce vendredi.
7 decembre 2014
Le film "The Cut " du metteur en scène turco-allemand Fatih Akin
a l'affiche des cinemas turcs depuis Vendredi, est le premier film
consacre aux evenements de 1915 par un cineaste dont es racines sont
en Turquie.
" The Cut ", dont la première a eu lieu au 71ème Festival du Film
de Venise de cette annee, raconte l'histoire d'un forgeron armenien
nomme Nazaret Manooguian, qui est separe de sa femme et de ses deux
filles jumelles au cours des atrocites commises contre les Armeniens
ottomans en 1915 et relate ensuite son voyage a travers le monde pour
retrouver sa famille.
Le film est le dernière volet de la trilogie " Love, Death and the
Devil " [L'Amour, la Mort et le Diable] du quadragenaire Akin,
commencee en 2004 avec " Gegen die Wand " (Head-On) [Front] et
poursuivie en 2007 avec " The Edge of Heaven " [La Lisière du Paradis].
S'agissant de ce nouveau film, Akin affirme avec force " Ce n'est pas
un film sur 'le genocide' ", et ajoute, 'Il se pourrait que cela ne
soit pas mon meilleur film, mais c'est un film honnete', repondant
aux commentaires de la critique cinematographique.
" Je ne suis pas membre d'un certain mouvement [politique] " a declare
Akin aujourd'hui a Zaman au cours d'une recente interview. " Je ne
suis ni de droite, ni de gauche, ni communiste, ni fasciste. Je suis
un artiste. J'ai fait des bonnes choses justes et des choses mauvaises
dans ma vie, il y a des choses sur lesquelles je suis d'accord et
d'autres pas. C'est cela que je veux dire dans mes propres histoires ".
Akin continue : " Dans ce film, ... j'ai en realite seulement voulu
raconter une histoire, mais cette histoire ne peut etre seulement vue.
Cependant, je dis a haute voix 'Ceci n'est pas un film sur ' le
genocide' ". Toutes les discussions et interviews [autour de ce film]
tournent en quelque sorte autour de cela. Dorenavant, soit les films
que je ferai seront très differents, comme 'Recep Ivedik', soit je
tournerai mes films et n'en parlerai jamais.
Voici le contenu de la conversation d'Akin avec ToDay's Zaman.
Vous dites avoir recu des menaces de groupes nationalistes a cause
de ce film au moment de sa première mondiale. Il est a present a
l'affiche des cinemas en Turquie. Y a-t-il eu une quelconque pression
issues de ces groupes ou d'autres ?
Pas vraiment. La poussière est retombee. Presenter le film ici [en
Turquie] etait mon premier objectif. Je savais en realite que le
calme règnerait.
Vous pensez donc que la Turquie est prete pour de tels films.
Oui. Il n'y a plus de 301 [un ancien article du code penal turc
(TCK) qui fait un crime le fait d'insulter l'identite turque et les
institutions de l'etat] desormais. Il n'a pas ete censure, il n'y a
pas de menaces de mort et donc il n'y a aucun problème, vraiment.
En serait-il alle autrement il y a quelques annees ?
Bien sûr. Hrant [Dink, journaliste Armenien de Turquie] a ete
assassine dans ce pays il y a seulement sept ans. Le cinema est un
domaine populaire et nous aurions pu etre confrontes a beaucoup de
troubles. Hasan Cemal, Orhan Pamuk, Hrant Dink, Elif Safak ont ouvert
la voie ; en realite, je suis leurs traces.
Qu'est-ce qui a donc change en Turquie ?
Je pense que les gens sont maintenant plus informes. À la mort de Hrant
Dink a succede une catharsis et il y a plus d'attention vis-a-vis 'du
genocide'. Auparavant, ce mot ne pouvait pas etre prononce facilement,
il l'est a present - sans que personne n'exerce de pression.
Pensez-vous que les evenements de 1915 etaient un genocide ?
Les Nations Unies ont adopte en 1948 une definition du genocide... et
ce que ce pays a traverse correspond a cette definition. Si vous
acceptez le cadre de l'ONU ; alors ; oui j'appelle cela genocide.
Quelles sortes de recherches avez-vous faites en preparation de ce
film ?
J'ai beaucoup lu... J'ai lu les travaux de Bernard Lewis et de Gunter
Levi et aussi quelques auteurs traditionnellement cites en Turquie
parce qu'ils nient. Taner Akcam est un historien très important ;
il est devenu presque un compagnon tandis que je travaillais a la
preparation de ce film. J'ai aussi lu les ecrits de Wolfgang Gust
sur le genocide. Sur le site de mon film en langue allemande, il y
a un lien qui offre une vaste bibliographie sur ce sujet.
Quelques critiques ont qualifie votre film d' " excessivement prudent
" tandis que d'autres ont dit que c'etait un travail sur commande.
Est-ce un film sur commande ?
Bon, pour que cela ait pu se produire, il aurait fallu que quelqu'un
le commande. Et qui cela pourrait-il etre ? Je me suis passe commande
de ce film a moi-meme.
Beaucoup de personnes vont voir le film avec certaines idees et lorsque
leurs attentes ne sont pas satisfaites, elles sont frustrees et parlent
negativement du film - c'est normal. Plus le sujet est grave et plus
il est sensible, plus vous en recevez [des commentaires] qui sont
plus sevère. Je suis un cineaste ; vous ne pouvez pas toujours etre
aime. Ce n'est pas ainsi que la vie est faite, meme si je voudrais
qu'elle soit, et il en est de meme pour mon activite.
Pourquoi avez-vous choisi ce thème ?
Je ne sais pas. Je ne suis pas Armenien, je ne suis pas Kurde ;
je suis issu d'une famille qui fait partie de la majorite en Turquie.
Mais en Allemagne, je suis membre d'une minorite. C'est ce qui me rend
capable de raconter toutes les autres minorites autour du monde. Mais
aussi, pour comprendre la question kurde, il faut vivre ici, et ce
n'est pas en regardant depuis l'exterieur que l'on peut la comprendre,
mais tel n'est pas le cas du Genocide Armenien, que le monde entier
peut evaluer.
Tous les personnages armeniens de vote film parlent anglais et cela
a provoque quelques critiques majeures au moment de sa presentation
au festival de Venise. Etait-ce un choix delibere ou une necessite ?
Cela a ete un choix. E je pense que c'est le choix qui convient. Il
y a d'autres exemples dans le cinema : c'est le cas de 'La Pianiste'
de Roman Polanski. S'il s'etait agi d'un autre metteur en scène, je
suis pret a parier qu'il n'y aurait pas eu autant de critiques. Les
critiques voudraient que je reste dans mon coin ; la où ils ont
l'habitude de me voir... Ils voudraient que je m'en tienne a mon
'propre domaine' ; faites ce avec quoi vous etes familier et ne vous
melez pas de choses que vous ignorez. Mais je ne fais pas mes projets
en fonction des attentes des autres.
Comment ce film a-t-il ete recu en Allemagne, un pays avec un passe
Nazi ?
Les Allemands ont fait quelques critiques sevères, eux aussi. Les
Allemands sont très au courant de l'Holocauste. À l'Holocauste
sont associes certains symboles et certaines images comme celles
d'Auschwitz. Ils s'attendent a voir Auschwitz dans le film et ne
l'ayant pas vue, ils critiquent votre film. Meme si, evidemment,
d'autres images sont très symboliques des Armeniens, n'ayant aucune
information sur cela, ils sont enclins a critiquer.
Pensez-vous que les critiques en Occident ont ete rudes envers
'The Cut' parce que leurs auteurs ont du sujet une connaissance
insuffisante ?
Il y a un manque enorme de connaissance. J'ai travaille pendant cinq
ans sur ce sujet et a un moment donne, vous avez l'illusion que tous
autour de vous ont le meme niveau d'information sur le sujet, mais
tel n'est pas le cas ! Il en allait ainsi a Venise tout au long du
festival ; j'ai pu voir a quel point en Occident, du point de vue
de leur connaissance respective, le Genocide Armenien est eloigne
de l'Holocauste.
On ne voit pourtant dans le film aucune analyse de la question
armenienne
À mon avis, cela n'est pas un resultat a attendre d'un film. Je ne
peux que motiver les gens pour en apprendre davantage sur le Genocide :
tout comme la boule blanche au billard. Un film n'a pas a analyser ou a
trouver des solutions a tous les problèmes. Si j'avais voulu faire un
film sur le Genocide, j'aurais fait un documentaire de douze heures,
et ce travail documentaire commencerait a raconter des evenements du
10ème siècle.
Sortie en France le 14 janvier 2015
Traduction Gilbert Beguian pour Armenews
jeudi 11 decembre 2014, Jean Eckian (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=106096
Cinema
Le metteur en scène Fatih Akin pose pour une photo au cours d'une
interview avec ToDays's Zaman a Istanbul le 4 decembre.
Le dernier film d'Akin, 'The Cut' [La Blessure], est sorti sur les
ecrans turcs ce vendredi.
7 decembre 2014
Le film "The Cut " du metteur en scène turco-allemand Fatih Akin
a l'affiche des cinemas turcs depuis Vendredi, est le premier film
consacre aux evenements de 1915 par un cineaste dont es racines sont
en Turquie.
" The Cut ", dont la première a eu lieu au 71ème Festival du Film
de Venise de cette annee, raconte l'histoire d'un forgeron armenien
nomme Nazaret Manooguian, qui est separe de sa femme et de ses deux
filles jumelles au cours des atrocites commises contre les Armeniens
ottomans en 1915 et relate ensuite son voyage a travers le monde pour
retrouver sa famille.
Le film est le dernière volet de la trilogie " Love, Death and the
Devil " [L'Amour, la Mort et le Diable] du quadragenaire Akin,
commencee en 2004 avec " Gegen die Wand " (Head-On) [Front] et
poursuivie en 2007 avec " The Edge of Heaven " [La Lisière du Paradis].
S'agissant de ce nouveau film, Akin affirme avec force " Ce n'est pas
un film sur 'le genocide' ", et ajoute, 'Il se pourrait que cela ne
soit pas mon meilleur film, mais c'est un film honnete', repondant
aux commentaires de la critique cinematographique.
" Je ne suis pas membre d'un certain mouvement [politique] " a declare
Akin aujourd'hui a Zaman au cours d'une recente interview. " Je ne
suis ni de droite, ni de gauche, ni communiste, ni fasciste. Je suis
un artiste. J'ai fait des bonnes choses justes et des choses mauvaises
dans ma vie, il y a des choses sur lesquelles je suis d'accord et
d'autres pas. C'est cela que je veux dire dans mes propres histoires ".
Akin continue : " Dans ce film, ... j'ai en realite seulement voulu
raconter une histoire, mais cette histoire ne peut etre seulement vue.
Cependant, je dis a haute voix 'Ceci n'est pas un film sur ' le
genocide' ". Toutes les discussions et interviews [autour de ce film]
tournent en quelque sorte autour de cela. Dorenavant, soit les films
que je ferai seront très differents, comme 'Recep Ivedik', soit je
tournerai mes films et n'en parlerai jamais.
Voici le contenu de la conversation d'Akin avec ToDay's Zaman.
Vous dites avoir recu des menaces de groupes nationalistes a cause
de ce film au moment de sa première mondiale. Il est a present a
l'affiche des cinemas en Turquie. Y a-t-il eu une quelconque pression
issues de ces groupes ou d'autres ?
Pas vraiment. La poussière est retombee. Presenter le film ici [en
Turquie] etait mon premier objectif. Je savais en realite que le
calme règnerait.
Vous pensez donc que la Turquie est prete pour de tels films.
Oui. Il n'y a plus de 301 [un ancien article du code penal turc
(TCK) qui fait un crime le fait d'insulter l'identite turque et les
institutions de l'etat] desormais. Il n'a pas ete censure, il n'y a
pas de menaces de mort et donc il n'y a aucun problème, vraiment.
En serait-il alle autrement il y a quelques annees ?
Bien sûr. Hrant [Dink, journaliste Armenien de Turquie] a ete
assassine dans ce pays il y a seulement sept ans. Le cinema est un
domaine populaire et nous aurions pu etre confrontes a beaucoup de
troubles. Hasan Cemal, Orhan Pamuk, Hrant Dink, Elif Safak ont ouvert
la voie ; en realite, je suis leurs traces.
Qu'est-ce qui a donc change en Turquie ?
Je pense que les gens sont maintenant plus informes. À la mort de Hrant
Dink a succede une catharsis et il y a plus d'attention vis-a-vis 'du
genocide'. Auparavant, ce mot ne pouvait pas etre prononce facilement,
il l'est a present - sans que personne n'exerce de pression.
Pensez-vous que les evenements de 1915 etaient un genocide ?
Les Nations Unies ont adopte en 1948 une definition du genocide... et
ce que ce pays a traverse correspond a cette definition. Si vous
acceptez le cadre de l'ONU ; alors ; oui j'appelle cela genocide.
Quelles sortes de recherches avez-vous faites en preparation de ce
film ?
J'ai beaucoup lu... J'ai lu les travaux de Bernard Lewis et de Gunter
Levi et aussi quelques auteurs traditionnellement cites en Turquie
parce qu'ils nient. Taner Akcam est un historien très important ;
il est devenu presque un compagnon tandis que je travaillais a la
preparation de ce film. J'ai aussi lu les ecrits de Wolfgang Gust
sur le genocide. Sur le site de mon film en langue allemande, il y
a un lien qui offre une vaste bibliographie sur ce sujet.
Quelques critiques ont qualifie votre film d' " excessivement prudent
" tandis que d'autres ont dit que c'etait un travail sur commande.
Est-ce un film sur commande ?
Bon, pour que cela ait pu se produire, il aurait fallu que quelqu'un
le commande. Et qui cela pourrait-il etre ? Je me suis passe commande
de ce film a moi-meme.
Beaucoup de personnes vont voir le film avec certaines idees et lorsque
leurs attentes ne sont pas satisfaites, elles sont frustrees et parlent
negativement du film - c'est normal. Plus le sujet est grave et plus
il est sensible, plus vous en recevez [des commentaires] qui sont
plus sevère. Je suis un cineaste ; vous ne pouvez pas toujours etre
aime. Ce n'est pas ainsi que la vie est faite, meme si je voudrais
qu'elle soit, et il en est de meme pour mon activite.
Pourquoi avez-vous choisi ce thème ?
Je ne sais pas. Je ne suis pas Armenien, je ne suis pas Kurde ;
je suis issu d'une famille qui fait partie de la majorite en Turquie.
Mais en Allemagne, je suis membre d'une minorite. C'est ce qui me rend
capable de raconter toutes les autres minorites autour du monde. Mais
aussi, pour comprendre la question kurde, il faut vivre ici, et ce
n'est pas en regardant depuis l'exterieur que l'on peut la comprendre,
mais tel n'est pas le cas du Genocide Armenien, que le monde entier
peut evaluer.
Tous les personnages armeniens de vote film parlent anglais et cela
a provoque quelques critiques majeures au moment de sa presentation
au festival de Venise. Etait-ce un choix delibere ou une necessite ?
Cela a ete un choix. E je pense que c'est le choix qui convient. Il
y a d'autres exemples dans le cinema : c'est le cas de 'La Pianiste'
de Roman Polanski. S'il s'etait agi d'un autre metteur en scène, je
suis pret a parier qu'il n'y aurait pas eu autant de critiques. Les
critiques voudraient que je reste dans mon coin ; la où ils ont
l'habitude de me voir... Ils voudraient que je m'en tienne a mon
'propre domaine' ; faites ce avec quoi vous etes familier et ne vous
melez pas de choses que vous ignorez. Mais je ne fais pas mes projets
en fonction des attentes des autres.
Comment ce film a-t-il ete recu en Allemagne, un pays avec un passe
Nazi ?
Les Allemands ont fait quelques critiques sevères, eux aussi. Les
Allemands sont très au courant de l'Holocauste. À l'Holocauste
sont associes certains symboles et certaines images comme celles
d'Auschwitz. Ils s'attendent a voir Auschwitz dans le film et ne
l'ayant pas vue, ils critiquent votre film. Meme si, evidemment,
d'autres images sont très symboliques des Armeniens, n'ayant aucune
information sur cela, ils sont enclins a critiquer.
Pensez-vous que les critiques en Occident ont ete rudes envers
'The Cut' parce que leurs auteurs ont du sujet une connaissance
insuffisante ?
Il y a un manque enorme de connaissance. J'ai travaille pendant cinq
ans sur ce sujet et a un moment donne, vous avez l'illusion que tous
autour de vous ont le meme niveau d'information sur le sujet, mais
tel n'est pas le cas ! Il en allait ainsi a Venise tout au long du
festival ; j'ai pu voir a quel point en Occident, du point de vue
de leur connaissance respective, le Genocide Armenien est eloigne
de l'Holocauste.
On ne voit pourtant dans le film aucune analyse de la question
armenienne
À mon avis, cela n'est pas un resultat a attendre d'un film. Je ne
peux que motiver les gens pour en apprendre davantage sur le Genocide :
tout comme la boule blanche au billard. Un film n'a pas a analyser ou a
trouver des solutions a tous les problèmes. Si j'avais voulu faire un
film sur le Genocide, j'aurais fait un documentaire de douze heures,
et ce travail documentaire commencerait a raconter des evenements du
10ème siècle.
Sortie en France le 14 janvier 2015
Traduction Gilbert Beguian pour Armenews
jeudi 11 decembre 2014, Jean Eckian (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=106096