Le Vif/L'Express, France
14 Février 2014
' Big Brother n'existe pas ! ' RAFI HALADJIAN
Entretien : Michi-Hiro Tamaï
Créateur français de génie, Rafi Haladjian, père du robot-lapin
Nabaztag, la mascotte de l'Internet des objets, fustige Orwell et
prédit la mort du partage des données privées.
Rafi Haladjian a marqué le développement du Net dans l'Hexagone. Du
Minitel à la mise en ligne des sites de multinationales, cet
entrepreneur français d'origine arménienne gé de 52 ans a aussi
affûté les oreilles du lapin-robot Nabaztag, premier objet connecté
populaire. Aujourd'hui, il lance Mother. Cette maman 3.0 au look de de
Barbapapa se connecte sans fil à desmotion cookies, de petits capteurs
de mouvement à coller un peu partout dans son environnement. Chaque
activité peut être suivie sur smartphone et tablette via une des
quinze applis dédiées. Entretien avec un créateur qui mène une
réflexion à contre-courant sur l'avenir de l'Internet des objets.
Le Vif/L'Express : Mother sous-entend que nous avons besoin d'une
machine qui nous rappelle de marcher suffisamment ou de ne pas prendre
de la caféine le soir pour mieux dormir. Cela paraît pourtant
évident...
Rafi Haladjian :Mother est juste un outil qui permet de vous rappeler
des choses en cas d'oubli. C'est avant tout un service polyvalent qui
peut proposer des fonctions temporaires. Exactement comme les apps sur
smartphones. Certaines ont l'air très innovantes mais finalement, on
ne s'en sert que deux minutes. Mother reprend un peu cette idée pour
éviter des achats inutiles d'objets connectés.
Pourquoi Mother ne propose-t-il pas de fonction de réseautage social ?
C'est un écosystème intime qui permet de mieux se connaître. C'est
pour souligner cette idée que nous empêchons volontairement tout
partage de données.
Que pensez-vous du mouvementQuantified Self, qui prône une mesure
précise et quotidienne de tous nos paramètres biométriques pour servir
de boussole morale et ainsi ' agir plus efficacement dans le monde ',
au dire de l'un de ses fondateurs ?
J'ai été membre du mouvement à sa naissance en 2007 à San Francisco vu
que ma société le sponsorisait. Je me définis moi-même comme unself
quantifier. Depuis que je suis tout petit, je prends, tous les jours,
' une photo de ma vie ' à 14 h 10. J'ai eu ma période Coca Zero et
bouffe japonaise, c'était intéressant. Mais il y a une différence
entre lesself quantifiersqui veulent résoudre un problème ponctuel, et
les fous maniaques comme moi qui prennent du plaisir à lire leurs
relevés de carte de crédit pour se souvenir de bons moments.
Le partage de ces informations biométriques avec des entreprises,
voire leur publication sur des réseaux sociaux, pourrait un jour
fissurer un peu plus encore la protection de la vie privée...
Big Brother n'existe pas ! Je me lasse de voir qu'on se focalise sur
la vision d'Orwell. L'idée d'un pouvoir central puissant ayant un
contrôle asservissant sur l'individu est périmée. Les outils de
développement du Web ont été démocratisés, n'importe qui peut
développer ou détourner une appli à son avantage. La police est
surveillée par les citoyens... A l'avenir, nous trouverons naturel de
partager ces infos avec un médecin qui nous demande, par exemple, si
nous dormons bien. Il pourra alors mesurer objectivement notre
quantité de sommeil prise par un détecteur de mouvement au lit, plutôt
que de se baser sur une vague évaluation liée au ressenti. Comparer
cette donnée avec celle d'autres patients aussi. Ce sera une étape
importante, aussi marquante que le passage de la médecine archaïque à
la médecine moderne.
Ne craignez-vous pas que la diffusion massive de données biométriques
mène à des problèmes de discrimination à l'embauche et à l'assurance ?
C'est vrai, une compagnie d'assurance pourra demander à ses clients de
livrer les données de leur rythme cardiaque. Mais je pense que le
consommateur aura toujours le choix de le faire ou non. Cela permettra
en outre de proposer des polices moins chères, car sur mesure. Dans le
cas d'un entretien d'embauche, de nombreux employeurs ' profilent '
déjà sur Facebook les infos des candidats avant de les recevoir. Mais
l'inverse est également valable et permet au demandeur d'emploi de
dédramatiser, je pense.
Quel avenir pour les objets connectés ?
L'engouement est fort et va grandir. Mais le partage de sa vie privée
(et potentiellement de ses données biométriques) sur des réseaux
sociaux arrive à une forme d'excès. Les gens, dès lors, arrêtent.
Simplement parce qu'ils se rendent compte que personne n'en a rien
faire... On sort de l'illusion qu'on est indispensable à l'autre.
14 Février 2014
' Big Brother n'existe pas ! ' RAFI HALADJIAN
Entretien : Michi-Hiro Tamaï
Créateur français de génie, Rafi Haladjian, père du robot-lapin
Nabaztag, la mascotte de l'Internet des objets, fustige Orwell et
prédit la mort du partage des données privées.
Rafi Haladjian a marqué le développement du Net dans l'Hexagone. Du
Minitel à la mise en ligne des sites de multinationales, cet
entrepreneur français d'origine arménienne gé de 52 ans a aussi
affûté les oreilles du lapin-robot Nabaztag, premier objet connecté
populaire. Aujourd'hui, il lance Mother. Cette maman 3.0 au look de de
Barbapapa se connecte sans fil à desmotion cookies, de petits capteurs
de mouvement à coller un peu partout dans son environnement. Chaque
activité peut être suivie sur smartphone et tablette via une des
quinze applis dédiées. Entretien avec un créateur qui mène une
réflexion à contre-courant sur l'avenir de l'Internet des objets.
Le Vif/L'Express : Mother sous-entend que nous avons besoin d'une
machine qui nous rappelle de marcher suffisamment ou de ne pas prendre
de la caféine le soir pour mieux dormir. Cela paraît pourtant
évident...
Rafi Haladjian :Mother est juste un outil qui permet de vous rappeler
des choses en cas d'oubli. C'est avant tout un service polyvalent qui
peut proposer des fonctions temporaires. Exactement comme les apps sur
smartphones. Certaines ont l'air très innovantes mais finalement, on
ne s'en sert que deux minutes. Mother reprend un peu cette idée pour
éviter des achats inutiles d'objets connectés.
Pourquoi Mother ne propose-t-il pas de fonction de réseautage social ?
C'est un écosystème intime qui permet de mieux se connaître. C'est
pour souligner cette idée que nous empêchons volontairement tout
partage de données.
Que pensez-vous du mouvementQuantified Self, qui prône une mesure
précise et quotidienne de tous nos paramètres biométriques pour servir
de boussole morale et ainsi ' agir plus efficacement dans le monde ',
au dire de l'un de ses fondateurs ?
J'ai été membre du mouvement à sa naissance en 2007 à San Francisco vu
que ma société le sponsorisait. Je me définis moi-même comme unself
quantifier. Depuis que je suis tout petit, je prends, tous les jours,
' une photo de ma vie ' à 14 h 10. J'ai eu ma période Coca Zero et
bouffe japonaise, c'était intéressant. Mais il y a une différence
entre lesself quantifiersqui veulent résoudre un problème ponctuel, et
les fous maniaques comme moi qui prennent du plaisir à lire leurs
relevés de carte de crédit pour se souvenir de bons moments.
Le partage de ces informations biométriques avec des entreprises,
voire leur publication sur des réseaux sociaux, pourrait un jour
fissurer un peu plus encore la protection de la vie privée...
Big Brother n'existe pas ! Je me lasse de voir qu'on se focalise sur
la vision d'Orwell. L'idée d'un pouvoir central puissant ayant un
contrôle asservissant sur l'individu est périmée. Les outils de
développement du Web ont été démocratisés, n'importe qui peut
développer ou détourner une appli à son avantage. La police est
surveillée par les citoyens... A l'avenir, nous trouverons naturel de
partager ces infos avec un médecin qui nous demande, par exemple, si
nous dormons bien. Il pourra alors mesurer objectivement notre
quantité de sommeil prise par un détecteur de mouvement au lit, plutôt
que de se baser sur une vague évaluation liée au ressenti. Comparer
cette donnée avec celle d'autres patients aussi. Ce sera une étape
importante, aussi marquante que le passage de la médecine archaïque à
la médecine moderne.
Ne craignez-vous pas que la diffusion massive de données biométriques
mène à des problèmes de discrimination à l'embauche et à l'assurance ?
C'est vrai, une compagnie d'assurance pourra demander à ses clients de
livrer les données de leur rythme cardiaque. Mais je pense que le
consommateur aura toujours le choix de le faire ou non. Cela permettra
en outre de proposer des polices moins chères, car sur mesure. Dans le
cas d'un entretien d'embauche, de nombreux employeurs ' profilent '
déjà sur Facebook les infos des candidats avant de les recevoir. Mais
l'inverse est également valable et permet au demandeur d'emploi de
dédramatiser, je pense.
Quel avenir pour les objets connectés ?
L'engouement est fort et va grandir. Mais le partage de sa vie privée
(et potentiellement de ses données biométriques) sur des réseaux
sociaux arrive à une forme d'excès. Les gens, dès lors, arrêtent.
Simplement parce qu'ils se rendent compte que personne n'en a rien
faire... On sort de l'illusion qu'on est indispensable à l'autre.