REVUE DE PRESSE
Les dessous de >
LE MONDE | 05.02.2014 à 13h18 * Mis à jour le 05.02.2014 à 15h43 |
Par Philippe Ridet (Rome, correspondant)
Evidemment, ça commence au milieu des tombes, comme dans La Comtesse
aux pieds nus. Evidemment, il pleut. Dans le temple égyptien du
cimetière de Campo Verano, à Rome, il souffle un mauvais courant
d'air. Ce 1er février, une trentaine de personnes et un chat de
passage sont réunis pour cette cérémonie laïque autour d'un cercueil
de bois mat recouvert de fleurs et de photos noir et blanc.
La fille de la défunte, Sara Pastore, aurait préféré qu'il soit verni,
mais c'est trop tard. Soprano, elle chante une mélopée arménienne et
l'Ave Maria de Schubert. Chacun dit un mot. Une seule personne évoque
cette fameuse nuit, cinquante-cinq ans plus tôt, durant laquelle la
femme qu'on enterre est devenue le symbole de la dolce vita. Clap de
fin pour Aïché Nana, née Aysé Nur Nana le 10 février 1936, à Istanbul,
dans une famille aisée, francophile et arménienne, morte le 29 janvier
à l'Aurelia Hospital, à la périphérie de la Ville éternelle.
Pour savoir ce qu'elle fut, il faut remonter le temps et descendre le
cours du Tibre jusqu'au pont Garibaldi, tourner à droite sur viale
Trastevere et rejoindre la via della Lungaretta. Tout a commencé au
numéro 54. Le soir du 5 novembre 1958, la comtesse Olghina di Robilant
fête ses 25 ans au sous-sol du restaurant le Rugantino. Une soirée
privée dont elle a confié l'organisation à un agent, Peter Howard
Vanderbilt. Anita Ekberg, Laura Betti, Linda Christian, Elsa
Martinelli sont là, entraînant dans leur sillage une nuée de
paparazzis. , dit-il, puis il revient vers son hôte :
> En réalité, le plus gros scandale de l'année
1958, marquée, en Italie, par la fermeture des maisons closes et, au
Vatican, par l'agonie de Pie XII, vient d'éclater.
LA >
Tazio Secchiaroli a été le plus malin. Ce photographe surnommé le > connaît toutes les ficelles du métier, tous
les serveurs des bars chics de la via Veneto, tous les concierges des
grands hôtels et tous les horaires des vols venant de Los Angeles et
de New York, qui convoient par Constellation entiers les stars
américaines à Cinecitta, la nouvelle Mecque du Technicolor.
Ses rouleaux de pelloche, il les a confiés à son copain Enrico
Lucherini, attaché de presse.
Si la soirée du Rugantino est encore dans tous les esprits, c'est à
cause de Federico Fellini. En 1958, le maestro travaille déjà à son
film La Dolce Vita, qui sortira deux ans plus tard. Il se documente
sur un sujet qu'il connaît finalement assez peu. Recueille les
articles de journaux, des photos dont il nourrit ses rêves féconds. Le
strip-tease d'Aïché Nana y tient bonne place. Dans le film, son rôle
est interprété par Nadia Gray, mais l'effet reste le même : une femme
sculpturale danse en culotte noire sous le regard des hommes attirés
par cette nudité provocante. > Mais son thétre doit fermer, faute
d'argent. On l'oublie. Elle s'en va vivre à Nettuno, au bord de la
mer, avec ses chiens et ses chats. >, cingle-t-elle.
>
Or la > n'en finit pas de rebondir. En 2007, le
réalisateur Pier Francesco Pingitore tourne un téléfilm, Vita da
paparazzo, inspirée de Tazio Secchiaroli, mort en 1998. Aïché Nana y
est présentée comme une intrigante cherchant à se faire de la
publicité, une effeuilleuse professionnelle, une intruse. C'en est
trop ! Elle prend un avocat, attaque, cherche à bloquer la diffusion
du film et réclame un million d'euros de dommages et intérêts.
>, explique
Giuseppe Pio Torcicollo, son défenseur. Devant le tribunal, il
soutient qu'Aïcha a été dûment invitée à cette soirée de novembre 1958
par ses organisateurs, qu'elle les connaissait déjà, que sa cliente
était souffrante, qu'on lui aurait fait boire du champagne avec des > et qu'une > aurait fait glisser la fermeture
Eclair de sa robe. A son avocat, elle disait : >
Le jour du jugement, le 4 décembre 2013, un long cri s'est échappé de
la bouche d'Aïché Nana. Les juges n'ont pas voulu croire à cette
version et l'ont déboutée. Même le procureur a cherché à la consoler.
Souffrant du coeur depuis plusieurs années, elle continuait de fumer,
de descendre les escaliers du tribunal avec son déambulateur pour
nourrir les chats errants du quartier. Elle avait perdu son combat. Le
symbole qu'elle était devenue était bien plus fort qu'elle.
La nouvelle de sa mort a fait ressurgir une fois de plus les
troublantes photos de Tazio Secchiaroli. Les mêmes questions se sont à
nouveau posées. Qui était cette Aïché Nana que certaines biographies
font naître à Beyrouth, comme si sa vie ne contenait pas assez de
mystère ? Qui l'avait invitée ? Pourquoi a-t-elle passé sa vie à
combattre une image au risque de la ressusciter à chaque fois qu'elle
disait vouloir la fuir ? Et la dolce vita, c'était quoi ? Sur cette
question, Olghina di Robilant est définitive : >. Elsa Martinelli non plus : > (. Sara Pastore rappelle que sa mère avait
pris le surnom de Nana en hommage au roman d'Emile Zola. Une amie cite
un extrait d'un livre qu'Aïché écrivait et où elle disait qu'elle se
sentait >. Et puis,
alors que quatre croque-morts emportent le cercueil, le haut-parleur
crachote les notes de Que reste-t-il de nos amours, la chanson de
Charles Trenet, interprétée par Dalida : >
dimanche 23 février 2014,
Stéphane (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article - 321
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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LE MONDE | 05.02.2014 à 13h18 * Mis à jour le 05.02.2014 à 15h43 |
Par Philippe Ridet (Rome, correspondant)
Evidemment, ça commence au milieu des tombes, comme dans La Comtesse
aux pieds nus. Evidemment, il pleut. Dans le temple égyptien du
cimetière de Campo Verano, à Rome, il souffle un mauvais courant
d'air. Ce 1er février, une trentaine de personnes et un chat de
passage sont réunis pour cette cérémonie laïque autour d'un cercueil
de bois mat recouvert de fleurs et de photos noir et blanc.
La fille de la défunte, Sara Pastore, aurait préféré qu'il soit verni,
mais c'est trop tard. Soprano, elle chante une mélopée arménienne et
l'Ave Maria de Schubert. Chacun dit un mot. Une seule personne évoque
cette fameuse nuit, cinquante-cinq ans plus tôt, durant laquelle la
femme qu'on enterre est devenue le symbole de la dolce vita. Clap de
fin pour Aïché Nana, née Aysé Nur Nana le 10 février 1936, à Istanbul,
dans une famille aisée, francophile et arménienne, morte le 29 janvier
à l'Aurelia Hospital, à la périphérie de la Ville éternelle.
Pour savoir ce qu'elle fut, il faut remonter le temps et descendre le
cours du Tibre jusqu'au pont Garibaldi, tourner à droite sur viale
Trastevere et rejoindre la via della Lungaretta. Tout a commencé au
numéro 54. Le soir du 5 novembre 1958, la comtesse Olghina di Robilant
fête ses 25 ans au sous-sol du restaurant le Rugantino. Une soirée
privée dont elle a confié l'organisation à un agent, Peter Howard
Vanderbilt. Anita Ekberg, Laura Betti, Linda Christian, Elsa
Martinelli sont là, entraînant dans leur sillage une nuée de
paparazzis. , dit-il, puis il revient vers son hôte :
> En réalité, le plus gros scandale de l'année
1958, marquée, en Italie, par la fermeture des maisons closes et, au
Vatican, par l'agonie de Pie XII, vient d'éclater.
LA >
Tazio Secchiaroli a été le plus malin. Ce photographe surnommé le > connaît toutes les ficelles du métier, tous
les serveurs des bars chics de la via Veneto, tous les concierges des
grands hôtels et tous les horaires des vols venant de Los Angeles et
de New York, qui convoient par Constellation entiers les stars
américaines à Cinecitta, la nouvelle Mecque du Technicolor.
Ses rouleaux de pelloche, il les a confiés à son copain Enrico
Lucherini, attaché de presse.
Si la soirée du Rugantino est encore dans tous les esprits, c'est à
cause de Federico Fellini. En 1958, le maestro travaille déjà à son
film La Dolce Vita, qui sortira deux ans plus tard. Il se documente
sur un sujet qu'il connaît finalement assez peu. Recueille les
articles de journaux, des photos dont il nourrit ses rêves féconds. Le
strip-tease d'Aïché Nana y tient bonne place. Dans le film, son rôle
est interprété par Nadia Gray, mais l'effet reste le même : une femme
sculpturale danse en culotte noire sous le regard des hommes attirés
par cette nudité provocante. > Mais son thétre doit fermer, faute
d'argent. On l'oublie. Elle s'en va vivre à Nettuno, au bord de la
mer, avec ses chiens et ses chats. >, cingle-t-elle.
>
Or la > n'en finit pas de rebondir. En 2007, le
réalisateur Pier Francesco Pingitore tourne un téléfilm, Vita da
paparazzo, inspirée de Tazio Secchiaroli, mort en 1998. Aïché Nana y
est présentée comme une intrigante cherchant à se faire de la
publicité, une effeuilleuse professionnelle, une intruse. C'en est
trop ! Elle prend un avocat, attaque, cherche à bloquer la diffusion
du film et réclame un million d'euros de dommages et intérêts.
>, explique
Giuseppe Pio Torcicollo, son défenseur. Devant le tribunal, il
soutient qu'Aïcha a été dûment invitée à cette soirée de novembre 1958
par ses organisateurs, qu'elle les connaissait déjà, que sa cliente
était souffrante, qu'on lui aurait fait boire du champagne avec des > et qu'une > aurait fait glisser la fermeture
Eclair de sa robe. A son avocat, elle disait : >
Le jour du jugement, le 4 décembre 2013, un long cri s'est échappé de
la bouche d'Aïché Nana. Les juges n'ont pas voulu croire à cette
version et l'ont déboutée. Même le procureur a cherché à la consoler.
Souffrant du coeur depuis plusieurs années, elle continuait de fumer,
de descendre les escaliers du tribunal avec son déambulateur pour
nourrir les chats errants du quartier. Elle avait perdu son combat. Le
symbole qu'elle était devenue était bien plus fort qu'elle.
La nouvelle de sa mort a fait ressurgir une fois de plus les
troublantes photos de Tazio Secchiaroli. Les mêmes questions se sont à
nouveau posées. Qui était cette Aïché Nana que certaines biographies
font naître à Beyrouth, comme si sa vie ne contenait pas assez de
mystère ? Qui l'avait invitée ? Pourquoi a-t-elle passé sa vie à
combattre une image au risque de la ressusciter à chaque fois qu'elle
disait vouloir la fuir ? Et la dolce vita, c'était quoi ? Sur cette
question, Olghina di Robilant est définitive : >. Elsa Martinelli non plus : > (. Sara Pastore rappelle que sa mère avait
pris le surnom de Nana en hommage au roman d'Emile Zola. Une amie cite
un extrait d'un livre qu'Aïché écrivait et où elle disait qu'elle se
sentait >. Et puis,
alors que quatre croque-morts emportent le cercueil, le haut-parleur
crachote les notes de Que reste-t-il de nos amours, la chanson de
Charles Trenet, interprétée par Dalida : >
dimanche 23 février 2014,
Stéphane (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article - 321
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