GROUPE MANOUCHIAN : PAS DE PANTHéON POUR LES RéSISTANTS éTRANGERS
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=78701
Publié le : 24-02-2014
Info Collectif VAN -www.collectifvan.org - Le Président de la
République, sollicité par l'Association Nationale des Anciens
Combattants et Résistants Arméniens (ANACRA) et l'Aumônerie
Israélite des Armées (AIA) pour présider l'hommage au Groupe
Manouchian le vendredi 21 février 2014 au Mont-Valérien, a saisi
l'opportunité qui lui était donnée, pour faire de ce premier
hommage national a des résistants étrangers morts pour la France
(essentiellement juifs, mais également arméniens avec notamment
Missak Manouchian qui a donné son nom au groupe qu'il dirigeait),
une cérémonie plutôt dédiée a quatre résistants francais dont il
a annoncé le transfert des cendres au Panthéon : Germaine Tillion,
Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay. Le
chef de l'Etat a été interpellé au terme de la cérémonie par
Séta Papazian, présidente du Collectif VAN, qui lui a demandé : Â"
Monsieur le Président, ne croyez-vous pas qu'il aurait été opportun
de donner un signal fort en transférant également au Panthéon un
résistant étranger, tel Missak Manouchian ? Â".
Devant l'insistance de son interlocutrice, Francois Hollande a
esquivé comme a l'accoutumée par une pirouette : Â" La prochaine
fois peut-être ! Â". Le discours que le Président de la République
avait prononcé auparavant en avait surpris plus d'un. Parlant de
Missak Manouchian, Francois Hollande avait déclaré : Â" Lorsque la
défaite, hélas, surgit, alors ses origines arméniennes, juives,
ses idées communistes faisaient de lui un suspect. Â" Il aurait
été plus inspiré de parler plutôt de tous les résistants juifs du
Groupe Manouchian, dont les origines ont - quant a elles - bel et bien
été effacées dans l'ensemble du discours. Par ailleurs, toujours
adepte du consensus, Francois Hollande - sans doute désireux de ne
pas mentionner le lieu (l'Empire ottoman) où fut commis le génocide
dont Missak Manouchian avait réchappé - fit de Manouchian un Â" fils
d'Arménie Â". Il est intéressant de signaler que Missak Manouchian
était originaire de Adıyaman, ville du sud de la Turquie. Selon le
Président de la République francaise, Adıyaman se situe donc en
Arménie. Pas sÃ"r qu'Ankara apprécie...
A l'occasion des 70 ans de l'exécution du Groupe Manouchian, nous
avons hélas constaté que les approximations et les erreurs n'ont
pas été le pré carré de nos institutions. Certains journalistes
ont rivalisé d'imagination comme en a témoigné le journal de RTL du
vendredi 21 février 2014 a 13h : Â" ... Les informations... Hommage
du président Francois Hollande au groupe d'André Manoukian, héros
de la nation fusillé il y a 70 ans... Â". Aucun rectificatif ne fut
apporté par la suite a cette énormité qui a fait d'un musicien,
jury de la Nouvelle Star et animateur sur France-Inter, un résistant,
mort pour la France il y a 70 ans... Â" L'Affiche rouge de honte Â"
ont commenté certains sur Facebook.
Le Collectif VAN publie ici le texte mis en ligne sur le site de
l'Elysée (on remarquera que la bourde du chef de l'Etat sur les
origines de Missak Manouchian n'est pas reprise dans cette version
finale).
Elysée.fr
Discours lors de la cérémonie d'hommage a la Résistance
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires et élus,
Mesdames, Messieurs les anciens combattants,
Mesdames, Messieurs,
Le 21 février 1944, il y a exactement soixante-dix ans, vingt-cinq
résistants étaient fusillés ici, au Mont Valérien. Vingt-deux
membres du réseau de Missak MANOUCHIAN et trois lycéens bretons
rassemblés la, dans la circonstance, pour être suppliciés a
quelques minutes d'intervalle. Tous sortis ce jour-la de prison,
menés jusqu'ici devant un peloton d'exécution. Ils le savaient.
J'ai lu et entendu avec vous leurs derniers mots, ces billets qu'ils
ont écrits a Fresnes au petit matin d'une ultime nuit. J'ai vu la
clairière où ils sont tombés, les yeux ouverts fixés sur leurs
bourreaux. J'ai vu la chapelle où ils s'étaient recueillis puis,
ensuite, où leurs corps ont été déposés. J'ai vu le monument où
chacun de leurs noms est désormais gravé dans le bronze, au milieu
de mille autres noms.
Des noms de femmes et d'hommes. Des noms difficiles a prononcer,
des noms qui expriment la diversité des origines, des parcours,
des histoires personnelles. Des noms qui évoquent la solidarité
internationale, des noms qui parlent de l'exil et qui évoquent des
pays lointains. Les noms des 1.010 fusillés du Mont-Valérien sans
que l'on soit sÃ"r qu'il n'en existe point d'autres.
Ces noms, tous ces noms, sont l'honneur de la France. Missak MANOUCHIAN
est mort pour la France. Ce fils d'Arménie que le génocide de 1915
avait laissé orphelin, Missak MANOUCHIAN avait a l'époque 9 ans. Dix
ans plus tard, il choisit la France, non par hasard, mais parce que
c'était la patrie qui correspondait a ses rêves d'émancipation et
de paix.
Missak MANOUCHIAN n'était pas le seul Arménien a avoir voulu vivre
en France. Il ne fut pas non plus le seul Arménien a vouloir combattre
pour la France.
En 1939, il demande a être mobilisé dans l'armée francaise. Lorsque
la défaite, hélas, surgit, alors ses origines arméniennes, ses
idées communistes faisaient de lui un suspect. Mais ce n'est pas
pour cela qu'il choisit la Résistance. Il la choisit parce qu'il
veut libérer la France. Il est arrêté le 16 novembre 1943, il
était alors le chef militaire du groupe parisien des Francs-Tireurs
et Partisans - Main d'Å"uvre immigrée.
Devant un tribunal -mais faut-il employer le mot de tribunal pour
ce qui n'était qu'une pantomime ?- vingt-trois sont condamnés
a mort. Â" Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Â",
comme le dit Aragon. Vingt-deux d'entre eux ont été fusillés au
Mont-Valérien ce 21 février 1944.
Le 23ème était une femme. Elle sera décapitée a Stuttgart le 10
mai 1944, le jour anniversaire de ses 32 ans. Elle s'appelait Olga
BANCIC, elle venait de Roumanie.
Leurs noms avaient été placardés sur nos murs tout au long de la
semaine du 10 au 17 février 1944 comme des accusations. La propagande
nazie voulait faire de MANOUCHIAN et de ses camarades des bandits,
des criminels et des comploteurs. Ce fut l'Affiche rouge. Cette
affiche rouge devait faire peur. Elle en fit des héros.
Loin de susciter l'effroi, l'affiche rouge fut une promesse, un espoir,
parce que ces femmes, parce que ces hommes n'étaient pas l'armée
du crime comme le prétendaient les bourreaux, mais tout simplement
la possibilité désormais acquise de la libération. Ce jour-la,
ce 21 février 1944, c'est dans la poitrine de ces étrangers que
battait le cÅ"ur de la patrie.
Le destin a voulu que les vingt-deux membres du groupe MANOUCHIAN
soient suppliciés avec trois lycéens de Bretagne. Ils prononcèrent,
les uns et les autres, ces hommes venus parfois de loin, ces jeunes
venus de tout près, les mêmes mots au moment de mourir : Â" Vive
la France ! Â". Un même appel a l'unité, ce même mouvement pour
la liberté.
Georges GEFFROY, Pierre Le CORNEC, Yves SALAUN étaient des élèves
du lycée Le-Braz de Saint-Brieuc, ils étaient membres des jeunesses
patriotiques. Ils sont morts en soldats alors qu'ils venaient a
peine de quitter l'enfance et qu'ils n'avaient jamais revêtu quelque
uniforme que ce soit.
A la prison de Fresnes, Georges GEFFROY laissa derrière lui tout ce
qu'il possédait : un portefeuille, des stylos, une couverture blanche
et un sac de scout. Mais il a laissé bien davantage : une lettre
et surtout une volonté. Celle de permettre a ceux que nous sommes
aujourd'hui d'être libres et d'aspirer, de pouvoir aspirer au bonheur.
Le lycée Le-Braz est un établissement qui a marqué l'histoire
de la Résistance par l'ampleur du sacrifice qu'il a consenti a ce
combat. La meilleure preuve est, qu'au lendemain de la guerre, la croix
de guerre a justement été attribuée a l'établissement en 1948. Un
groupe de lycéens représente aujourd'hui cet établissement. Je
veux m'adresser a eux parce que les suppliciés avaient leur âge. Ils
auraient pu être leurs amis. Ils n'étaient pas différents d'eux. 18
ans comme Thomas ELEK, Roger ROUXEL et Wolf WAJSBROT, les camarades
de MANOUCHIAN qui tombèrent ici dans le même moment, dans le même
mouvement. Ils sont morts il y a 70 ans, ils se sont tus a jamais,
mais ils nous parlent encore.
Ecoutons-les. Ecoutons leur message. Ecoutons leurs mots, ceux qu'ils
nous ont laissés avant de quitter la prison. Que nous disaient-ils ?
Ils consolaient leurs proches, leur demandaient pardon de les
quitter si vite, exigeaient d'eux qu'ils n'aient pas de peine. Ils
les plaignaient, ils disaient qu'ils avaient été fiers de servir
leur pays, même pendant une vie si courte, et qu'ils avaient jusqu'au
bout, jusqu'a leur dernier souffle transmis ce qu'ils pouvaient faire
de mieux, c'est-a-dire que les vivants soient libres.
Ils disaient aussi ces mots simples : Â" nous allons tous mourir,
mourir pour la France Â" disait Pierre Le CORNEC, Â" et nous en
sommes fiers Â". Yves SALAUN ajoutait : Â" il est midi et je suis
étrangement calme, je suis sÃ"r de pouvoir chanter, même devant le
poteau d'exécution Â".
Il n'y a, dans ces lettres -comme d'ailleurs dans celles que nous
laisse MANOUCHIAN- aucune haine, aucun ressentiment a l'égard de ceux
qui vont leur ôter la vie. Juste l'affirmation tranquille de leur
certitude que la victoire est proche, que la France va se relever et
qu'il y a une issue qui donne un sens a leur mort.
C'est cette humanité que MANOUCHIAN exprime le même jour a sa femme.
Il y parle de l'enfant qu'il n'aura pas mais qu'il lui souhaite
d'avoir. Il y parle de sa famille en Arménie. Il y parle du soleil qui
brille dans le ciel, comme aujourd'hui, le soleil de MANOUCHIAN. C'est
la dernière chose qu'il verra de la vie.
Mais surtout il y parle de la paix et il s'adresse, pas simplement
aux vainqueurs dont il est, mais au peuple allemand et a tous les
autres peuples, pour qu'ils vivent en paix et en fraternité après
une guerre dont il est sÃ"r qu'elle ne durera pas très longtemps.
Ils allaient mourir et ils sont morts sereins puisque jusqu'au bout,
jusqu'a la clairière, la où ils vont tomber, ils sont sÃ"rs de la
justesse de leur cause.
Grâce a Serge KLARSFELD et a ceux qui poursuivent son Å"uvre de
mémoire, nous connaissons désormais le nom des 1.010 malheureux
qui ont été ici exécutés, au milieu des arbres, a quelques pas de
l'endroit où nous sommes. Grâce a Robert BADINTER, la République
a voulu qu'un monument rappelle leur mémoire. Il fut érigé sur le
même lieu que le mémorial de la France combattante. Cette cloche
sur laquelle sont inscrits les morts, et où est restée une place
pour celles et ceux que nous n'avons pas encore retrouvés.
Le 11 novembre 1945, les corps de 15 valeureux furent accompagnés
a travers Paris avant d'être déposés au Mont-Valérien. C'est
pourquoi nous sommes la.
En 1960, le Général DE GAULLE inaugura un mémorial a leur mémoire
pour qu'ils puissent représenter la France combattante dans toute sa
diversité : les soldats de la campagne de 1939-1945, ceux des Forces
francaises libres, les résistants de l'intérieur, les compagnons
de l'armée de Libération et même les déportés.
Soldats en uniformes, soldats de l'ombre, Forces francaises libres,
troupes coloniales, tous unis dans le même mouvement, dans le
même sacrifice. Ils venaient parfois de très loin, du Tchad, de
ce que l'on appelait a l'époque la Haute-Volta aussi, de Tunisie,
du Maroc. Tous sont morts pour la France.
Dans la crypte, le dernier caveau, c'est celui de Renée LEVY. Elle a
été décapitée en Allemagne en aoÃ"t 1943, comme Olga BANCIC, parce
que le droit militaire nazi interdisait de fusiller une femme. Etrange
scrupule d'un régime abject, qui avait fait de la destruction
industrielle des plus faibles l'aboutissement ultime de sa barbarie.
Cette année, Mesdames et Messieurs, nous allons commémorer le 70ème
anniversaire de la Libération de la France. Cette année, nous
allons célébrer un esprit, celui qui doit d'ailleurs nous animer
a chaque instant, l'esprit de Résistance, l'esprit de grandeur et
de dépassement, porté par des hommes et des femmes dont tous les
récits - et je souhaite qu'ils puissent être retracés - portent
l'héroïsme et soulèvent l'admiration.
Des mots sont difficiles a utiliser pour rappeler ce qu'ont été ces
hommes ou ces femmes. On se pose la question, toujours la même :
comment ont-ils pu trouver en eux-mêmes cette capacité d'agir,
ce courage, cette bravoure ? Régis DEBRAY a eu les mots pour
qualifier ces hommes ou ces femmes : Â" ordinaires qui ont accompli
l'extraordinaire Â". Des hommes et des femmes qui ont obéi a ce
qu'il y a de plus noble en chacun d'entre nous. Qu'ont-ils cherché
? A servir le destin collectif de la Nation, a porter la résistance
face a l'occupant, face a toutes les oppressions, sÃ"rement.
Ce sont des exemples dont nous avons besoin encore aujourd'hui pour
nous dépasser, parce que c'est le sens de l'action que nous devons
engager, et nous réconcilier autour d'une même fierté, celle de
porter des valeurs. C'est le sens de la cérémonie qui aura lieu
pour faire entrer de nouvelles figures au Panthéon. J'ai souhaité,
j'ai voulu, que ce soit l'esprit de résistance, en cet anniversaire
de la Libération, qui puisse être salué pour accueillir de
nouvelles personnalités qui seront autant d'exemples pour la Nation
au Panthéon.
Le Panthéon, c'est le lieu où la patrie affirme sa reconnaissance
a des hommes, a des femmes, -très peu de femmes, deux seulement
aujourd'hui- qui ont, par leur courage ou par leur génie, permis
a la France d'être la France, pour la France et au-dela de la
France. C'est notre génie national que de pouvoir parler bien
au-dela de nos frontières, a tous les peuples qui se battent encore
aujourd'hui pour affirmer leur liberté et leur aspiration a être
traités comme des peuples dignes de l'être.
C'est cela le message de la France. En Europe, en Afrique, dans le
monde entier. C'est ce message-la que nous continuons a exprimer a
travers ces évocations, ces cérémonies, ces rituels. Aux Francais
pour qu'ils en aient bien conscience et au monde entier qui nous
attend.
Le Panthéon ne peut pas être un mausolée. Le Panthéon, c'est un
lieu de vie, un lieu d'éducation, un lieu que l'on visite ou que l'on
doit visiter davantage. Un lieu de culture. Un lieu où la République
s'incarne et se partage. Un lieu où chacun doit ressentir, quand il
y pénètre, a la fois l'inspiration, l'émotion et l'exemple.
J'ai décidé de faire entrer au Panthéon, l'année prochaine, quatre
grandes figures qui évoquent l'esprit de résistance, notamment
de cette période où ils se sont illustrés : Germaine TILLION,
Geneviève de GAULLE-ANTHONIOZ, Pierre BROSSOLETTE, Jean ZAY.
Deux femmes et deux hommes qui ont incarné les valeurs de la France
quand elle était a terre ; deux femmes et deux hommes qui se sont
dressés a leur facon, chacun a sa manière, face a la collaboration,
a l'abandon, a la barbarie, au nazisme.
Deux femmes aussi, pour rappeler la contribution de toutes celles,
anonymes le plus souvent, qui ont fait partie de l'armée des ombres.
Ces femmes qui n'ont jamais rien eu, aucune reconnaissance. Comme
le disait si bien Cécile ROL-TANGUY, que j'ai distinguée hier,
ces femmes qui n'ont jamais rien eu et qui, la guerre finie, sont
rentrées ou plutôt restées chez elles et ont repris leur vie sans
jamais être reconnues.
Deux femmes, Germaine TILLION, Geneviève de GAULLE-ANTHONIOZ, deux
survivantes, qui ont pourtant connu le martyr de la déportation. Deux
femmes qui incarnent, représentent, les deux phases de ces
années noires : l'abîme, celle des camps et aussi l'horizon de
la Libération.
Germaine TILLION, c'est l'égalité. L'égalité entre les hommes
et les femmes, l'égalité entre les cultures, l'égalité entre
les peuples.
Germaine TILLION sera résistante, elle l'a toujours été,
sans attendre. Déportée a Ravensbruck, elle traverse l'enfer
en s'accrochant a l'art autant qu'a son courage : elle ramènera
même de son calvaire une opérette, pour bien montrer que l'on
pouvait avoir aussi l'aspiration au bonheur dans ce moment où le
fatal était le plus probable. Revenue a la vie et au monde, elle
entretiendra la mémoire de cette expérience concentrationnaire en
luttant contre les tortures, contre toutes les exactions. Elle sera
l'une des premières a lutter pour l'émancipation du peuple algérien,
auprès de ses hommes, de ses femmes et de ses enfants.
Ce fut aussi une grande scientifique, une ethnologue réputée qui
était partie a la rencontre des Chaouias, dans les Aurès, d'où
son attachement a l'Algérie.
C'est Geneviève ANTHONIOZ-DE GAULLE qui remettra a Germaine TILLION
la Grand-Croix de la Légion d'Honneur. C'était le 23 décembre 1999.
Geneviève ANTHONIOZ-DE GAULLE, c'est la fraternité. La fraternité
dans la Résistance, fraternité dans la déportation, la fraternité
pour la condition humaine. Elle consacra, au lendemain de la guerre,
toute sa vie pour aller vers les plus pauvres, les oubliés,
les exclus, les relégués. Elle avait su répondre a l'appel du
Général DE GAULLE. Elle l'avait sans doute entendu au plus près,
c'était son oncle.
A Ravensbruck, porter le nom de DE GAULLE lui avait valu encore
davantage d'épreuves, notamment l'isolement. Ce fut ce qu'elle avait
appelé elle-même la Â" Traversée de la Nuit Â". Je le disais,
plusieurs années plus tard, elle visite un camp, un autre camp,
rien a voir.
Celui-la, c'est un bidonville. Quand elle voit les visages de ces
hommes, de ces femmes, de ces enfants, elle répond a un autre appel,
celui du Père WRESINSKY, pour mener un autre combat, une autre guerre
- celle-la plus pacifique - pour apaiser les détresses, les misères
et la pauvreté.
Pour cette cause, elle s'est dévouée. Elle a lancé, a son tour,
des appels. En 1997, aux représentants de la Nation pour qu'une loi
puisse être votée contre l'exclusion. Cet appel fut entendu et le
Gouvernement de Lionel JOSPIN fit adopter un an plus tard cette loi
qui fait, elle aussi, honneur a la République.
Pierre BROSSOLETTE, lui, c'est la liberté. Liberté d'expression :
journaliste, il était journaliste jusqu'au bout il sera. Liberté de
la pensée : Pierre BROSSOLETTE est un intellectuel qui écrit, qui
réfléchit, qui imagine le monde de demain. Liberté de l'action :
Pierre BROSSOLETTE est un résistant mais, avant, est un soldat. Lui
qui avait tellement souhaité la réconciliation avant-guerre entre
la France et l'Allemagne rejoint dès 1939 l'armée. Il est ensuite,
hélas pour lui, libéré de ses entraves militaires. Il revient a ses
travaux, il est membre de ce groupe du Musée de l'Homme, il participe
a la formation des groupes de résistance Libération Nord, se rend
a Londres en 1942, retrouve le Général DE GAULLE, est un portevoix
sur la BBC de ceux qu'il appelait les Â" soutiers de la Gloire Â". Il
est parachuté en France a trois reprises, il est arrêté au début
de l'année 1944, il est torturé et il préfère se donner la mort
plutôt que de risquer de parler. Liberté de choisir jusqu'au bout,
y compris sa propre fin.
Jean ZAY, c'est la République. L'école de la République. Celle
pour laquelle, comme ministre de l'Education du Front Populaire, il en
dessine déja la réforme, sans doute pour que d'autres s'en inspirent.
Il veut qu'elle soit, cette République et cette école, a la
hauteur des valeurs d'égalité qu'elle proclame. La laïcité de
la République pour laquelle il lutte, non pas pour opposer mais
pour réconcilier.
La culture, c'est aussi pour lui la République. Pas pour en faire
une propagande mais pour en donner l'image la plus belle qu'il soit,
celle de la liberté, pour que le beau soit a la portée du plus
grand nombre.
Jean ZAY réfléchit pendant toute cette période de la captivité. Il
n'avait que cela a faire. Subir et néanmoins imaginer, inventer
la République nouvelle. Il en fit le récit dans Â" Souvenirs et
solitude Â". Néanmoins, il ne la vit jamais cette République a
laquelle il avait rêvé.
Il fut exécuté par la Milice en juin 1944. Sorti de sa prison,
conduit a un lieu-dit, le Puits du Diable, il savait ce qui pouvait
l'attendre. Il eut le temps de crier lui aussi au moment d'expirer :
Â" Vive la France !Â".
C'est ce cri prononcé par tant d'autres, ici même, au Mont-Valérien,
que nous devons une nouvelle fois entendre.
La France, pour eux, était le bien le plus précieux.
La France, ce n'était pas simplement leur pays et pas toujours.
La France, c'était une idée, c'était des valeurs, des principes au
nom desquels ils étaient fiers de mourir. Voila pourquoi, nous devons
savoir, avec conscience, que pour nous ces valeurs nous permettent
de vivre.
L'amour de la patrie et de la liberté s'inscrivent - ce sont
les mots de Robert BADINTER - dans l'amour de l'humanité toute
entière. J'aime la France parce que j'aime l'humanité. Je suis
Francais donc je suis au service de l'humanité. Je porte des valeurs
qui sont celles de l'humanité et qui font que la France a une place
et un rôle particuliers dans le monde.
C'est le sens de cette évocation de la Résistance a travers les
quatre grandes figures de la République dont je viens ici de rappeler
trop brièvement l'histoire. Cette entrée au Panthéon aura lieu le 27
mai 2015, c'est-a-dire lors de la journée nationale de la Résistance.
Je sais bien que d'autres figures auraient pu, pour ce même esprit,
cette même évocation, entrer également dans ce grand monument de
la mémoire nationale. Des femmes ou des hommes célèbres ou des
anonymes qui par leurs engagements, leur courage, leurs sacrifices,
leurs idées ont sauvé l'honneur du pays.
Pourquoi ce choix ? Deux femmes, deux femmes inséparables dans la vie,
dans l'épreuve, dans les souffrances et la déportation. Deux femmes
qui se sont battues pour l'émancipation et la dignité humaine,
qui n'ont jamais dévié, jamais abandonné, jamais renoncé. Ces
deux femmes-la ont leur place au Panthéon.
Deux hommes, deux hommes jeunes au moment où ils ont été
suppliciés, qui avaient déja servi la République mais qui auraient
pu tant donner s'ils avaient pu survivre. Deux hommes qui avaient
éclairé de leur intelligence le chemin de la France vers le progrès.
Le Panthéon, c'est un lieu de mémoire pour célébrer les morts
illustres, mais c'est aussi un lieu où reposent ceux qui nous
harcèlent a chaque instant, qui nous rappellent ce que nous leur
devons sans doute, ce que nous devons faire pour être fidèles a
leur exemple.
Le Panthéon, c'est un lieu qui a la fois célèbre l'histoire, la
nôtre, l'histoire nationale, la République et, en même temps,
ce doit être un lieu où ceux qui regardent le monument pensent
aux figures qui y sont accueillies, se disent qu'ils n'ont pas la
conscience toujours en paix tant qu'existent des inégalités, des
injustices et tant de progrès a accomplir.
La Panthéon est fait pour que la France soit a la hauteur
d'elle-même, pour que la République soit toujours prometteuse, et
pour que, aussi, la France continue de porter des valeurs qu'elle
incarne dans le monde et qu'elle mette au service de sa propre
réussite.
Le Panthéon, c'est un monument pour que la France prenne conscience
qu'elle est un grand pays avec une belle histoire mais aussi un avenir
où le bonheur est possible.
Vive la République ! Vive la France !
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Publié le : 24-02-2014
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République, sollicité par l'Association Nationale des Anciens
Combattants et Résistants Arméniens (ANACRA) et l'Aumônerie
Israélite des Armées (AIA) pour présider l'hommage au Groupe
Manouchian le vendredi 21 février 2014 au Mont-Valérien, a saisi
l'opportunité qui lui était donnée, pour faire de ce premier
hommage national a des résistants étrangers morts pour la France
(essentiellement juifs, mais également arméniens avec notamment
Missak Manouchian qui a donné son nom au groupe qu'il dirigeait),
une cérémonie plutôt dédiée a quatre résistants francais dont il
a annoncé le transfert des cendres au Panthéon : Germaine Tillion,
Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay. Le
chef de l'Etat a été interpellé au terme de la cérémonie par
Séta Papazian, présidente du Collectif VAN, qui lui a demandé : Â"
Monsieur le Président, ne croyez-vous pas qu'il aurait été opportun
de donner un signal fort en transférant également au Panthéon un
résistant étranger, tel Missak Manouchian ? Â".
Devant l'insistance de son interlocutrice, Francois Hollande a
esquivé comme a l'accoutumée par une pirouette : Â" La prochaine
fois peut-être ! Â". Le discours que le Président de la République
avait prononcé auparavant en avait surpris plus d'un. Parlant de
Missak Manouchian, Francois Hollande avait déclaré : Â" Lorsque la
défaite, hélas, surgit, alors ses origines arméniennes, juives,
ses idées communistes faisaient de lui un suspect. Â" Il aurait
été plus inspiré de parler plutôt de tous les résistants juifs du
Groupe Manouchian, dont les origines ont - quant a elles - bel et bien
été effacées dans l'ensemble du discours. Par ailleurs, toujours
adepte du consensus, Francois Hollande - sans doute désireux de ne
pas mentionner le lieu (l'Empire ottoman) où fut commis le génocide
dont Missak Manouchian avait réchappé - fit de Manouchian un Â" fils
d'Arménie Â". Il est intéressant de signaler que Missak Manouchian
était originaire de Adıyaman, ville du sud de la Turquie. Selon le
Président de la République francaise, Adıyaman se situe donc en
Arménie. Pas sÃ"r qu'Ankara apprécie...
A l'occasion des 70 ans de l'exécution du Groupe Manouchian, nous
avons hélas constaté que les approximations et les erreurs n'ont
pas été le pré carré de nos institutions. Certains journalistes
ont rivalisé d'imagination comme en a témoigné le journal de RTL du
vendredi 21 février 2014 a 13h : Â" ... Les informations... Hommage
du président Francois Hollande au groupe d'André Manoukian, héros
de la nation fusillé il y a 70 ans... Â". Aucun rectificatif ne fut
apporté par la suite a cette énormité qui a fait d'un musicien,
jury de la Nouvelle Star et animateur sur France-Inter, un résistant,
mort pour la France il y a 70 ans... Â" L'Affiche rouge de honte Â"
ont commenté certains sur Facebook.
Le Collectif VAN publie ici le texte mis en ligne sur le site de
l'Elysée (on remarquera que la bourde du chef de l'Etat sur les
origines de Missak Manouchian n'est pas reprise dans cette version
finale).
Elysée.fr
Discours lors de la cérémonie d'hommage a la Résistance
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires et élus,
Mesdames, Messieurs les anciens combattants,
Mesdames, Messieurs,
Le 21 février 1944, il y a exactement soixante-dix ans, vingt-cinq
résistants étaient fusillés ici, au Mont Valérien. Vingt-deux
membres du réseau de Missak MANOUCHIAN et trois lycéens bretons
rassemblés la, dans la circonstance, pour être suppliciés a
quelques minutes d'intervalle. Tous sortis ce jour-la de prison,
menés jusqu'ici devant un peloton d'exécution. Ils le savaient.
J'ai lu et entendu avec vous leurs derniers mots, ces billets qu'ils
ont écrits a Fresnes au petit matin d'une ultime nuit. J'ai vu la
clairière où ils sont tombés, les yeux ouverts fixés sur leurs
bourreaux. J'ai vu la chapelle où ils s'étaient recueillis puis,
ensuite, où leurs corps ont été déposés. J'ai vu le monument où
chacun de leurs noms est désormais gravé dans le bronze, au milieu
de mille autres noms.
Des noms de femmes et d'hommes. Des noms difficiles a prononcer,
des noms qui expriment la diversité des origines, des parcours,
des histoires personnelles. Des noms qui évoquent la solidarité
internationale, des noms qui parlent de l'exil et qui évoquent des
pays lointains. Les noms des 1.010 fusillés du Mont-Valérien sans
que l'on soit sÃ"r qu'il n'en existe point d'autres.
Ces noms, tous ces noms, sont l'honneur de la France. Missak MANOUCHIAN
est mort pour la France. Ce fils d'Arménie que le génocide de 1915
avait laissé orphelin, Missak MANOUCHIAN avait a l'époque 9 ans. Dix
ans plus tard, il choisit la France, non par hasard, mais parce que
c'était la patrie qui correspondait a ses rêves d'émancipation et
de paix.
Missak MANOUCHIAN n'était pas le seul Arménien a avoir voulu vivre
en France. Il ne fut pas non plus le seul Arménien a vouloir combattre
pour la France.
En 1939, il demande a être mobilisé dans l'armée francaise. Lorsque
la défaite, hélas, surgit, alors ses origines arméniennes, ses
idées communistes faisaient de lui un suspect. Mais ce n'est pas
pour cela qu'il choisit la Résistance. Il la choisit parce qu'il
veut libérer la France. Il est arrêté le 16 novembre 1943, il
était alors le chef militaire du groupe parisien des Francs-Tireurs
et Partisans - Main d'Å"uvre immigrée.
Devant un tribunal -mais faut-il employer le mot de tribunal pour
ce qui n'était qu'une pantomime ?- vingt-trois sont condamnés
a mort. Â" Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Â",
comme le dit Aragon. Vingt-deux d'entre eux ont été fusillés au
Mont-Valérien ce 21 février 1944.
Le 23ème était une femme. Elle sera décapitée a Stuttgart le 10
mai 1944, le jour anniversaire de ses 32 ans. Elle s'appelait Olga
BANCIC, elle venait de Roumanie.
Leurs noms avaient été placardés sur nos murs tout au long de la
semaine du 10 au 17 février 1944 comme des accusations. La propagande
nazie voulait faire de MANOUCHIAN et de ses camarades des bandits,
des criminels et des comploteurs. Ce fut l'Affiche rouge. Cette
affiche rouge devait faire peur. Elle en fit des héros.
Loin de susciter l'effroi, l'affiche rouge fut une promesse, un espoir,
parce que ces femmes, parce que ces hommes n'étaient pas l'armée
du crime comme le prétendaient les bourreaux, mais tout simplement
la possibilité désormais acquise de la libération. Ce jour-la,
ce 21 février 1944, c'est dans la poitrine de ces étrangers que
battait le cÅ"ur de la patrie.
Le destin a voulu que les vingt-deux membres du groupe MANOUCHIAN
soient suppliciés avec trois lycéens de Bretagne. Ils prononcèrent,
les uns et les autres, ces hommes venus parfois de loin, ces jeunes
venus de tout près, les mêmes mots au moment de mourir : Â" Vive
la France ! Â". Un même appel a l'unité, ce même mouvement pour
la liberté.
Georges GEFFROY, Pierre Le CORNEC, Yves SALAUN étaient des élèves
du lycée Le-Braz de Saint-Brieuc, ils étaient membres des jeunesses
patriotiques. Ils sont morts en soldats alors qu'ils venaient a
peine de quitter l'enfance et qu'ils n'avaient jamais revêtu quelque
uniforme que ce soit.
A la prison de Fresnes, Georges GEFFROY laissa derrière lui tout ce
qu'il possédait : un portefeuille, des stylos, une couverture blanche
et un sac de scout. Mais il a laissé bien davantage : une lettre
et surtout une volonté. Celle de permettre a ceux que nous sommes
aujourd'hui d'être libres et d'aspirer, de pouvoir aspirer au bonheur.
Le lycée Le-Braz est un établissement qui a marqué l'histoire
de la Résistance par l'ampleur du sacrifice qu'il a consenti a ce
combat. La meilleure preuve est, qu'au lendemain de la guerre, la croix
de guerre a justement été attribuée a l'établissement en 1948. Un
groupe de lycéens représente aujourd'hui cet établissement. Je
veux m'adresser a eux parce que les suppliciés avaient leur âge. Ils
auraient pu être leurs amis. Ils n'étaient pas différents d'eux. 18
ans comme Thomas ELEK, Roger ROUXEL et Wolf WAJSBROT, les camarades
de MANOUCHIAN qui tombèrent ici dans le même moment, dans le même
mouvement. Ils sont morts il y a 70 ans, ils se sont tus a jamais,
mais ils nous parlent encore.
Ecoutons-les. Ecoutons leur message. Ecoutons leurs mots, ceux qu'ils
nous ont laissés avant de quitter la prison. Que nous disaient-ils ?
Ils consolaient leurs proches, leur demandaient pardon de les
quitter si vite, exigeaient d'eux qu'ils n'aient pas de peine. Ils
les plaignaient, ils disaient qu'ils avaient été fiers de servir
leur pays, même pendant une vie si courte, et qu'ils avaient jusqu'au
bout, jusqu'a leur dernier souffle transmis ce qu'ils pouvaient faire
de mieux, c'est-a-dire que les vivants soient libres.
Ils disaient aussi ces mots simples : Â" nous allons tous mourir,
mourir pour la France Â" disait Pierre Le CORNEC, Â" et nous en
sommes fiers Â". Yves SALAUN ajoutait : Â" il est midi et je suis
étrangement calme, je suis sÃ"r de pouvoir chanter, même devant le
poteau d'exécution Â".
Il n'y a, dans ces lettres -comme d'ailleurs dans celles que nous
laisse MANOUCHIAN- aucune haine, aucun ressentiment a l'égard de ceux
qui vont leur ôter la vie. Juste l'affirmation tranquille de leur
certitude que la victoire est proche, que la France va se relever et
qu'il y a une issue qui donne un sens a leur mort.
C'est cette humanité que MANOUCHIAN exprime le même jour a sa femme.
Il y parle de l'enfant qu'il n'aura pas mais qu'il lui souhaite
d'avoir. Il y parle de sa famille en Arménie. Il y parle du soleil qui
brille dans le ciel, comme aujourd'hui, le soleil de MANOUCHIAN. C'est
la dernière chose qu'il verra de la vie.
Mais surtout il y parle de la paix et il s'adresse, pas simplement
aux vainqueurs dont il est, mais au peuple allemand et a tous les
autres peuples, pour qu'ils vivent en paix et en fraternité après
une guerre dont il est sÃ"r qu'elle ne durera pas très longtemps.
Ils allaient mourir et ils sont morts sereins puisque jusqu'au bout,
jusqu'a la clairière, la où ils vont tomber, ils sont sÃ"rs de la
justesse de leur cause.
Grâce a Serge KLARSFELD et a ceux qui poursuivent son Å"uvre de
mémoire, nous connaissons désormais le nom des 1.010 malheureux
qui ont été ici exécutés, au milieu des arbres, a quelques pas de
l'endroit où nous sommes. Grâce a Robert BADINTER, la République
a voulu qu'un monument rappelle leur mémoire. Il fut érigé sur le
même lieu que le mémorial de la France combattante. Cette cloche
sur laquelle sont inscrits les morts, et où est restée une place
pour celles et ceux que nous n'avons pas encore retrouvés.
Le 11 novembre 1945, les corps de 15 valeureux furent accompagnés
a travers Paris avant d'être déposés au Mont-Valérien. C'est
pourquoi nous sommes la.
En 1960, le Général DE GAULLE inaugura un mémorial a leur mémoire
pour qu'ils puissent représenter la France combattante dans toute sa
diversité : les soldats de la campagne de 1939-1945, ceux des Forces
francaises libres, les résistants de l'intérieur, les compagnons
de l'armée de Libération et même les déportés.
Soldats en uniformes, soldats de l'ombre, Forces francaises libres,
troupes coloniales, tous unis dans le même mouvement, dans le
même sacrifice. Ils venaient parfois de très loin, du Tchad, de
ce que l'on appelait a l'époque la Haute-Volta aussi, de Tunisie,
du Maroc. Tous sont morts pour la France.
Dans la crypte, le dernier caveau, c'est celui de Renée LEVY. Elle a
été décapitée en Allemagne en aoÃ"t 1943, comme Olga BANCIC, parce
que le droit militaire nazi interdisait de fusiller une femme. Etrange
scrupule d'un régime abject, qui avait fait de la destruction
industrielle des plus faibles l'aboutissement ultime de sa barbarie.
Cette année, Mesdames et Messieurs, nous allons commémorer le 70ème
anniversaire de la Libération de la France. Cette année, nous
allons célébrer un esprit, celui qui doit d'ailleurs nous animer
a chaque instant, l'esprit de Résistance, l'esprit de grandeur et
de dépassement, porté par des hommes et des femmes dont tous les
récits - et je souhaite qu'ils puissent être retracés - portent
l'héroïsme et soulèvent l'admiration.
Des mots sont difficiles a utiliser pour rappeler ce qu'ont été ces
hommes ou ces femmes. On se pose la question, toujours la même :
comment ont-ils pu trouver en eux-mêmes cette capacité d'agir,
ce courage, cette bravoure ? Régis DEBRAY a eu les mots pour
qualifier ces hommes ou ces femmes : Â" ordinaires qui ont accompli
l'extraordinaire Â". Des hommes et des femmes qui ont obéi a ce
qu'il y a de plus noble en chacun d'entre nous. Qu'ont-ils cherché
? A servir le destin collectif de la Nation, a porter la résistance
face a l'occupant, face a toutes les oppressions, sÃ"rement.
Ce sont des exemples dont nous avons besoin encore aujourd'hui pour
nous dépasser, parce que c'est le sens de l'action que nous devons
engager, et nous réconcilier autour d'une même fierté, celle de
porter des valeurs. C'est le sens de la cérémonie qui aura lieu
pour faire entrer de nouvelles figures au Panthéon. J'ai souhaité,
j'ai voulu, que ce soit l'esprit de résistance, en cet anniversaire
de la Libération, qui puisse être salué pour accueillir de
nouvelles personnalités qui seront autant d'exemples pour la Nation
au Panthéon.
Le Panthéon, c'est le lieu où la patrie affirme sa reconnaissance
a des hommes, a des femmes, -très peu de femmes, deux seulement
aujourd'hui- qui ont, par leur courage ou par leur génie, permis
a la France d'être la France, pour la France et au-dela de la
France. C'est notre génie national que de pouvoir parler bien
au-dela de nos frontières, a tous les peuples qui se battent encore
aujourd'hui pour affirmer leur liberté et leur aspiration a être
traités comme des peuples dignes de l'être.
C'est cela le message de la France. En Europe, en Afrique, dans le
monde entier. C'est ce message-la que nous continuons a exprimer a
travers ces évocations, ces cérémonies, ces rituels. Aux Francais
pour qu'ils en aient bien conscience et au monde entier qui nous
attend.
Le Panthéon ne peut pas être un mausolée. Le Panthéon, c'est un
lieu de vie, un lieu d'éducation, un lieu que l'on visite ou que l'on
doit visiter davantage. Un lieu de culture. Un lieu où la République
s'incarne et se partage. Un lieu où chacun doit ressentir, quand il
y pénètre, a la fois l'inspiration, l'émotion et l'exemple.
J'ai décidé de faire entrer au Panthéon, l'année prochaine, quatre
grandes figures qui évoquent l'esprit de résistance, notamment
de cette période où ils se sont illustrés : Germaine TILLION,
Geneviève de GAULLE-ANTHONIOZ, Pierre BROSSOLETTE, Jean ZAY.
Deux femmes et deux hommes qui ont incarné les valeurs de la France
quand elle était a terre ; deux femmes et deux hommes qui se sont
dressés a leur facon, chacun a sa manière, face a la collaboration,
a l'abandon, a la barbarie, au nazisme.
Deux femmes aussi, pour rappeler la contribution de toutes celles,
anonymes le plus souvent, qui ont fait partie de l'armée des ombres.
Ces femmes qui n'ont jamais rien eu, aucune reconnaissance. Comme
le disait si bien Cécile ROL-TANGUY, que j'ai distinguée hier,
ces femmes qui n'ont jamais rien eu et qui, la guerre finie, sont
rentrées ou plutôt restées chez elles et ont repris leur vie sans
jamais être reconnues.
Deux femmes, Germaine TILLION, Geneviève de GAULLE-ANTHONIOZ, deux
survivantes, qui ont pourtant connu le martyr de la déportation. Deux
femmes qui incarnent, représentent, les deux phases de ces
années noires : l'abîme, celle des camps et aussi l'horizon de
la Libération.
Germaine TILLION, c'est l'égalité. L'égalité entre les hommes
et les femmes, l'égalité entre les cultures, l'égalité entre
les peuples.
Germaine TILLION sera résistante, elle l'a toujours été,
sans attendre. Déportée a Ravensbruck, elle traverse l'enfer
en s'accrochant a l'art autant qu'a son courage : elle ramènera
même de son calvaire une opérette, pour bien montrer que l'on
pouvait avoir aussi l'aspiration au bonheur dans ce moment où le
fatal était le plus probable. Revenue a la vie et au monde, elle
entretiendra la mémoire de cette expérience concentrationnaire en
luttant contre les tortures, contre toutes les exactions. Elle sera
l'une des premières a lutter pour l'émancipation du peuple algérien,
auprès de ses hommes, de ses femmes et de ses enfants.
Ce fut aussi une grande scientifique, une ethnologue réputée qui
était partie a la rencontre des Chaouias, dans les Aurès, d'où
son attachement a l'Algérie.
C'est Geneviève ANTHONIOZ-DE GAULLE qui remettra a Germaine TILLION
la Grand-Croix de la Légion d'Honneur. C'était le 23 décembre 1999.
Geneviève ANTHONIOZ-DE GAULLE, c'est la fraternité. La fraternité
dans la Résistance, fraternité dans la déportation, la fraternité
pour la condition humaine. Elle consacra, au lendemain de la guerre,
toute sa vie pour aller vers les plus pauvres, les oubliés,
les exclus, les relégués. Elle avait su répondre a l'appel du
Général DE GAULLE. Elle l'avait sans doute entendu au plus près,
c'était son oncle.
A Ravensbruck, porter le nom de DE GAULLE lui avait valu encore
davantage d'épreuves, notamment l'isolement. Ce fut ce qu'elle avait
appelé elle-même la Â" Traversée de la Nuit Â". Je le disais,
plusieurs années plus tard, elle visite un camp, un autre camp,
rien a voir.
Celui-la, c'est un bidonville. Quand elle voit les visages de ces
hommes, de ces femmes, de ces enfants, elle répond a un autre appel,
celui du Père WRESINSKY, pour mener un autre combat, une autre guerre
- celle-la plus pacifique - pour apaiser les détresses, les misères
et la pauvreté.
Pour cette cause, elle s'est dévouée. Elle a lancé, a son tour,
des appels. En 1997, aux représentants de la Nation pour qu'une loi
puisse être votée contre l'exclusion. Cet appel fut entendu et le
Gouvernement de Lionel JOSPIN fit adopter un an plus tard cette loi
qui fait, elle aussi, honneur a la République.
Pierre BROSSOLETTE, lui, c'est la liberté. Liberté d'expression :
journaliste, il était journaliste jusqu'au bout il sera. Liberté de
la pensée : Pierre BROSSOLETTE est un intellectuel qui écrit, qui
réfléchit, qui imagine le monde de demain. Liberté de l'action :
Pierre BROSSOLETTE est un résistant mais, avant, est un soldat. Lui
qui avait tellement souhaité la réconciliation avant-guerre entre
la France et l'Allemagne rejoint dès 1939 l'armée. Il est ensuite,
hélas pour lui, libéré de ses entraves militaires. Il revient a ses
travaux, il est membre de ce groupe du Musée de l'Homme, il participe
a la formation des groupes de résistance Libération Nord, se rend
a Londres en 1942, retrouve le Général DE GAULLE, est un portevoix
sur la BBC de ceux qu'il appelait les Â" soutiers de la Gloire Â". Il
est parachuté en France a trois reprises, il est arrêté au début
de l'année 1944, il est torturé et il préfère se donner la mort
plutôt que de risquer de parler. Liberté de choisir jusqu'au bout,
y compris sa propre fin.
Jean ZAY, c'est la République. L'école de la République. Celle
pour laquelle, comme ministre de l'Education du Front Populaire, il en
dessine déja la réforme, sans doute pour que d'autres s'en inspirent.
Il veut qu'elle soit, cette République et cette école, a la
hauteur des valeurs d'égalité qu'elle proclame. La laïcité de
la République pour laquelle il lutte, non pas pour opposer mais
pour réconcilier.
La culture, c'est aussi pour lui la République. Pas pour en faire
une propagande mais pour en donner l'image la plus belle qu'il soit,
celle de la liberté, pour que le beau soit a la portée du plus
grand nombre.
Jean ZAY réfléchit pendant toute cette période de la captivité. Il
n'avait que cela a faire. Subir et néanmoins imaginer, inventer
la République nouvelle. Il en fit le récit dans Â" Souvenirs et
solitude Â". Néanmoins, il ne la vit jamais cette République a
laquelle il avait rêvé.
Il fut exécuté par la Milice en juin 1944. Sorti de sa prison,
conduit a un lieu-dit, le Puits du Diable, il savait ce qui pouvait
l'attendre. Il eut le temps de crier lui aussi au moment d'expirer :
Â" Vive la France !Â".
C'est ce cri prononcé par tant d'autres, ici même, au Mont-Valérien,
que nous devons une nouvelle fois entendre.
La France, pour eux, était le bien le plus précieux.
La France, ce n'était pas simplement leur pays et pas toujours.
La France, c'était une idée, c'était des valeurs, des principes au
nom desquels ils étaient fiers de mourir. Voila pourquoi, nous devons
savoir, avec conscience, que pour nous ces valeurs nous permettent
de vivre.
L'amour de la patrie et de la liberté s'inscrivent - ce sont
les mots de Robert BADINTER - dans l'amour de l'humanité toute
entière. J'aime la France parce que j'aime l'humanité. Je suis
Francais donc je suis au service de l'humanité. Je porte des valeurs
qui sont celles de l'humanité et qui font que la France a une place
et un rôle particuliers dans le monde.
C'est le sens de cette évocation de la Résistance a travers les
quatre grandes figures de la République dont je viens ici de rappeler
trop brièvement l'histoire. Cette entrée au Panthéon aura lieu le 27
mai 2015, c'est-a-dire lors de la journée nationale de la Résistance.
Je sais bien que d'autres figures auraient pu, pour ce même esprit,
cette même évocation, entrer également dans ce grand monument de
la mémoire nationale. Des femmes ou des hommes célèbres ou des
anonymes qui par leurs engagements, leur courage, leurs sacrifices,
leurs idées ont sauvé l'honneur du pays.
Pourquoi ce choix ? Deux femmes, deux femmes inséparables dans la vie,
dans l'épreuve, dans les souffrances et la déportation. Deux femmes
qui se sont battues pour l'émancipation et la dignité humaine,
qui n'ont jamais dévié, jamais abandonné, jamais renoncé. Ces
deux femmes-la ont leur place au Panthéon.
Deux hommes, deux hommes jeunes au moment où ils ont été
suppliciés, qui avaient déja servi la République mais qui auraient
pu tant donner s'ils avaient pu survivre. Deux hommes qui avaient
éclairé de leur intelligence le chemin de la France vers le progrès.
Le Panthéon, c'est un lieu de mémoire pour célébrer les morts
illustres, mais c'est aussi un lieu où reposent ceux qui nous
harcèlent a chaque instant, qui nous rappellent ce que nous leur
devons sans doute, ce que nous devons faire pour être fidèles a
leur exemple.
Le Panthéon, c'est un lieu qui a la fois célèbre l'histoire, la
nôtre, l'histoire nationale, la République et, en même temps,
ce doit être un lieu où ceux qui regardent le monument pensent
aux figures qui y sont accueillies, se disent qu'ils n'ont pas la
conscience toujours en paix tant qu'existent des inégalités, des
injustices et tant de progrès a accomplir.
La Panthéon est fait pour que la France soit a la hauteur
d'elle-même, pour que la République soit toujours prometteuse, et
pour que, aussi, la France continue de porter des valeurs qu'elle
incarne dans le monde et qu'elle mette au service de sa propre
réussite.
Le Panthéon, c'est un monument pour que la France prenne conscience
qu'elle est un grand pays avec une belle histoire mais aussi un avenir
où le bonheur est possible.
Vive la République ! Vive la France !
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Source/Lien : Elysée.fr