DU GENOCIDE ARMENIEN AUX RACINES DU CONFLIT ISRAELO-ARABE
FRANCE
Philippe ALFROY (AFP)
Loin des tranchees de Verdun, la Première guerre mondiale est
directement a l'origine de deux crises majeures qui empoisonnent
toujours, un siècle après, les relations internationales : le genocide
armenien, et le conflit israelo-arabe.
Lorsque le sultan Mehmet V proclame la "guerre sainte" contre la
France, la Grande-Bretagne et la Russie le 24 novembre 1914, le
crepuscule est largement tombe sur l'empire ottoman, deja ampute de
la plupart de ses possessions europeennes.
Persuade de la victoire rapide de son allie allemand, le mouvement
"jeune turc" au pouvoir voit dans la guerre l'occasion de se liberer
de l'emprise de Paris et Londres et de reconquerir l'Asie centrale.
Si les troupes ottomanes reussissent a infliger une sevère defaite au
corps expeditionnaire franco-britannique dans les Dardanelles en 1915,
le conflit tourne au cauchemar face aux Russes sur le front de l'est.
Des dizaines de milliers de soldats y meurent et, surtout, les comites
revolutionnaires armeniens, allies des Russes, s'agitent.
"nettoyer ou etre nettoye" -
C'est le pretexte que va saisir la "Sublime porte" pour se debarrasser
de cette minorite. "Il y a deux possibilites. Soit ils vont nettoyer
les Turcs, soit ils vont etre nettoyes par les Turcs", ecrira le
gouverneur de Diyarbakir Mehmed Resid dans ses memoires. "Je me dis :
+plutôt qu'ils nous eliminent, nous devons les eliminer+".
Le 24 avril 1915, l'arrestation puis le massacre de plus de 2.000
responsables de la communaute armenienne a Constantinople (Istanbul)
donne le signal du premier genocide du 20e siècle, trente ans avant
celui de l'Allemagne nazie contre les Juifs. En moins d'un an, des
centaines de milliers de personnes sont deplacees de force, un grand
nombre sont tuees, la plupart de leurs biens confisques.
Un siècle plus tard, ces evenements font toujours l'objet d'une vive
polemique, tant politique qu'historique, qui vient regulièrement
perturber les relations entre la Turquie et les Occidentaux.
Genocide ou massacres ? -
Les Armeniens, rejoints depuis par nombre d'historiens et de Parlements
etrangers au grand dam d'Ankara, evaluent a plus d'un million et demi
le nombre des victimes et denoncent un "genocide".
La Turquie republicaine, qui a succede a l'empire ottoman, refuse
categoriquement ce terme et, si elle reconnaît des "massacres" de
grande ampleur, les justifie encore comme un geste d'autodefense face
a la menace russe.
"Des massacres d'Armeniens ont aussi eu lieu bien avant la Première
guerre mondiale", plaide aujourd'hui l'universitaire armenien Rouben
Safrastian, "la guerre n'etait qu'un bon pretexte pour realiser ce
plan criminel".
"Pour nous, cette question est aussi douloureuse qu'il y a cent
ans", rencherit le vice-president de l'Assemblee armenienne, Edouard
Charmazanov, "la Turquie doit mettre fin a sa politique de negation
et presenter ses excuses au peuple armenien".
Les autorites turques en sont encore loin. Meme si quelques pas ont
ete accomplis. Lors d'une visite fin 2013 a Erevan, le chef de la
diplomatie turque Ahmet Davutoglu a evoque les evenements de 1915-1916
comme une "erreur" et un "acte inhumain".
Lawrence d'Arabie et la revolte arabe-
La Première guerre mondiale a egalement bouleverse toute la carte du
Moyen-Orient, semant les germes du futur conflit israelo-arabe.
En 1916, les forces ottomanes dirigees par des generaux allemands
prennent le dessus sur les troupes britanniques en Mesopotamie et en
Palestine. C'est alors qu'entre en scène le fameux Lawrence d'Arabie.
Pendant deux ans, cet archeologue britannique devenu officier de
liaison va piloter la revolte nationaliste des tribus arabes contre
les sultans.
Les combats tournent rapidement a l'avantage de la rebellion et de
ses parrains. En 1917, les Anglais prennent Bagdad et Jerusalem. En
1918, c'est au tour de Damas et de Mossoul (Irak). De leur côte,
les Francais occupent Beyrouth et Damas.
Car a l'insu des Arabes auxquels ils ont fait miroiter l'independance
pour obtenir leur soulèvement, les Britaniques se sont secrètement
entendus avec les Francais dès mai 1916 pour se repartir le
Proche-Orient, en vertu des accords Sykes-Picot : le Liban et la Syrie
a la France, la Jordanie, la Palestine et l'Irak a la Grande-Bretagne.
frustrations arabes -
Ce partage en règle va nourrir la frustration des Arabes qui croyaient
s'etre battus pour leur independance.
La fameuse "Declaration Balfour" (1917) va encore renforcer cette
frustration et ajouter a la confusion. En soutenant "l'etablissement
après la guerre d'un foyer national juif en Palestine", le ministre
britannique des Affaires etrangères pose les bases de la creation
trente ans plus tard de l'Etat d'Israël, et sème les germes d'un
conflit qui continue aujourd'hui a dechirer la region.
L'armistice signe a Moudros le 30 octobre 1918 avec les Allies annonce
l'effondrement et le depecage de l'empire ottoman après cinq siècles
d'existence.
Mais il ne met pas fin aux convulsions de cette region : il faudra
encore quatre ans d'une sanglante guerre de reconquete des territoires
perdus en Anatolie, notamment contre les Grecs, pour que le colonel
Mustafa Kemal, le futur Ataturk, puisse poser les fondations de la
Turquie moderne dans ses frontières actuelles.
AFP, 13 fevrier 2014
lundi 24 fevrier 2014, Stephane (c)armenews.com
FRANCE
Philippe ALFROY (AFP)
Loin des tranchees de Verdun, la Première guerre mondiale est
directement a l'origine de deux crises majeures qui empoisonnent
toujours, un siècle après, les relations internationales : le genocide
armenien, et le conflit israelo-arabe.
Lorsque le sultan Mehmet V proclame la "guerre sainte" contre la
France, la Grande-Bretagne et la Russie le 24 novembre 1914, le
crepuscule est largement tombe sur l'empire ottoman, deja ampute de
la plupart de ses possessions europeennes.
Persuade de la victoire rapide de son allie allemand, le mouvement
"jeune turc" au pouvoir voit dans la guerre l'occasion de se liberer
de l'emprise de Paris et Londres et de reconquerir l'Asie centrale.
Si les troupes ottomanes reussissent a infliger une sevère defaite au
corps expeditionnaire franco-britannique dans les Dardanelles en 1915,
le conflit tourne au cauchemar face aux Russes sur le front de l'est.
Des dizaines de milliers de soldats y meurent et, surtout, les comites
revolutionnaires armeniens, allies des Russes, s'agitent.
"nettoyer ou etre nettoye" -
C'est le pretexte que va saisir la "Sublime porte" pour se debarrasser
de cette minorite. "Il y a deux possibilites. Soit ils vont nettoyer
les Turcs, soit ils vont etre nettoyes par les Turcs", ecrira le
gouverneur de Diyarbakir Mehmed Resid dans ses memoires. "Je me dis :
+plutôt qu'ils nous eliminent, nous devons les eliminer+".
Le 24 avril 1915, l'arrestation puis le massacre de plus de 2.000
responsables de la communaute armenienne a Constantinople (Istanbul)
donne le signal du premier genocide du 20e siècle, trente ans avant
celui de l'Allemagne nazie contre les Juifs. En moins d'un an, des
centaines de milliers de personnes sont deplacees de force, un grand
nombre sont tuees, la plupart de leurs biens confisques.
Un siècle plus tard, ces evenements font toujours l'objet d'une vive
polemique, tant politique qu'historique, qui vient regulièrement
perturber les relations entre la Turquie et les Occidentaux.
Genocide ou massacres ? -
Les Armeniens, rejoints depuis par nombre d'historiens et de Parlements
etrangers au grand dam d'Ankara, evaluent a plus d'un million et demi
le nombre des victimes et denoncent un "genocide".
La Turquie republicaine, qui a succede a l'empire ottoman, refuse
categoriquement ce terme et, si elle reconnaît des "massacres" de
grande ampleur, les justifie encore comme un geste d'autodefense face
a la menace russe.
"Des massacres d'Armeniens ont aussi eu lieu bien avant la Première
guerre mondiale", plaide aujourd'hui l'universitaire armenien Rouben
Safrastian, "la guerre n'etait qu'un bon pretexte pour realiser ce
plan criminel".
"Pour nous, cette question est aussi douloureuse qu'il y a cent
ans", rencherit le vice-president de l'Assemblee armenienne, Edouard
Charmazanov, "la Turquie doit mettre fin a sa politique de negation
et presenter ses excuses au peuple armenien".
Les autorites turques en sont encore loin. Meme si quelques pas ont
ete accomplis. Lors d'une visite fin 2013 a Erevan, le chef de la
diplomatie turque Ahmet Davutoglu a evoque les evenements de 1915-1916
comme une "erreur" et un "acte inhumain".
Lawrence d'Arabie et la revolte arabe-
La Première guerre mondiale a egalement bouleverse toute la carte du
Moyen-Orient, semant les germes du futur conflit israelo-arabe.
En 1916, les forces ottomanes dirigees par des generaux allemands
prennent le dessus sur les troupes britanniques en Mesopotamie et en
Palestine. C'est alors qu'entre en scène le fameux Lawrence d'Arabie.
Pendant deux ans, cet archeologue britannique devenu officier de
liaison va piloter la revolte nationaliste des tribus arabes contre
les sultans.
Les combats tournent rapidement a l'avantage de la rebellion et de
ses parrains. En 1917, les Anglais prennent Bagdad et Jerusalem. En
1918, c'est au tour de Damas et de Mossoul (Irak). De leur côte,
les Francais occupent Beyrouth et Damas.
Car a l'insu des Arabes auxquels ils ont fait miroiter l'independance
pour obtenir leur soulèvement, les Britaniques se sont secrètement
entendus avec les Francais dès mai 1916 pour se repartir le
Proche-Orient, en vertu des accords Sykes-Picot : le Liban et la Syrie
a la France, la Jordanie, la Palestine et l'Irak a la Grande-Bretagne.
frustrations arabes -
Ce partage en règle va nourrir la frustration des Arabes qui croyaient
s'etre battus pour leur independance.
La fameuse "Declaration Balfour" (1917) va encore renforcer cette
frustration et ajouter a la confusion. En soutenant "l'etablissement
après la guerre d'un foyer national juif en Palestine", le ministre
britannique des Affaires etrangères pose les bases de la creation
trente ans plus tard de l'Etat d'Israël, et sème les germes d'un
conflit qui continue aujourd'hui a dechirer la region.
L'armistice signe a Moudros le 30 octobre 1918 avec les Allies annonce
l'effondrement et le depecage de l'empire ottoman après cinq siècles
d'existence.
Mais il ne met pas fin aux convulsions de cette region : il faudra
encore quatre ans d'une sanglante guerre de reconquete des territoires
perdus en Anatolie, notamment contre les Grecs, pour que le colonel
Mustafa Kemal, le futur Ataturk, puisse poser les fondations de la
Turquie moderne dans ses frontières actuelles.
AFP, 13 fevrier 2014
lundi 24 fevrier 2014, Stephane (c)armenews.com