Le Monde.fr, France
Samedi 4 Janvier 2014
La Turquie emprisonne un intellectuel pour des 'constructions illégales'
par Guillaume Perrier
Depuis jeudi 2 janvier , Sevan Nisanyan dort en prison, près d'Izmir.
Ce célèbre intellectuel arménien de Turquie, écrivain, linguiste et
hôtelier gé de 57 ans, doit purger une peine d'au moins deux ans
d'incarcérations. Après des années de harcèlement judiciaire, le
tribunal de Selçuk (Ouest) l'a condamné, mi-décembre 2013, pour avoir
construit sans permis une maisonnette de pierre et une tour de guet,
dans le village touristique de Sirince, où il a élu domicile il y a
vingt ans.
La sentence a de quoi surprendre, 'dans un pays où tout est construit
illégalement' selon M. Nisanyan, et où un scandale retentissant de
corruption et de malversations éclabousse l'entourage du premier
ministre Recep Tayyip Erdogan, notamment pour avoir délivré des permis
de construire complaisants à des promoteurs immobiliers. 'Il n'y a pas
de loi en Turquie. Le système judiciaire est une plaisanterie. Il
serait ridicule de parler d'Etat de droit et d'égalité devant la
justice. Ce pays est gouverné en fonction des affinités personnelles
ou politiques', assène le condamné, joint par téléphone, la veille de
sa mise en détention.
Cela fait longtemps déjà que l'Etat turc s'obstine à vouloir faire
taire cet esprit boulimique et provocateur, diplômé de Yale et de
Harvard, tour à tour génial et agaçant. Spécialiste de la langue
turque, dont il a rédigé l'un des premiers dictionnaires
étymologiques, cet Arménien né à Istanbul mène aussi un combat
intellectuel contre les dogmes dominants - le kémalisme et l'islamisme
- et pour la reconnaissance de l'identité multiculturelle de
l'Anatolie, s'employant à déconstruire l'histoire officielle et les
légendes nationalistes dont la Turquie est bercée.
UN INDEX DES VILLES ET VILLAGES DONT LE NOM A ÉTÉ TURQUIFIÉ
Sur Internet, il constitue un index toponymique qui regroupe les
villes et villages dont le nom a été turquifié. Il sillonne le pays en
voiture pour recenser les hôtels de charme et les tables
gastronomiques. Dans les années 1990, il s'installe dans le village de
Sirince, autrefois peuplé de Grecs, et se met à restaurer des maisons
anciennes pour les transformer en pensions touristiques. Avec son ami
Aziz Nesin, mathématicien de renommée mondiale, il btit une école où
des étudiants du monde entier viennent apprendre les sciences et la
philosophie.
Les ennuis se sont précisés pour lui après la publication, en 2008, de
La Fausse République, une critique féroce du régime kémaliste. 'Un
mois après, le premier procès a été ouvert. Une armée d'inspecteurs a
défilé dans le village. Depuis, j'ai eu 19 procès, qui se sont tous
terminés par une condamnation avec au total vingt-quatre ans de
prison', résume M. Nisanyan, qui assure avoir 'commencé cette bataille
avec la pleine conscience des possibles conséquences'. Car finalement
rien ne le flatte plus que d'apparaître comme celui qui confronte la
Turquie à ses démons.
En mai 2013, il a été condamné à treize mois de prison pour avoir
prétendument 'insulté le prophète Mahomet'. Lui se défend de tout
blasphème. ' J'ai critiqué l'intolérance religieuse et le premier
ministre a voulu ma condamnation. ' Et puis Sevan Nisanyan est
arménien, une circonstance 'indiscutablement' aggravante. 'En Turquie,
les Arméniens doivent baisser la tête. Il n'est pas convenable de
parler aussi directement de choses publiques. '
Samedi 4 Janvier 2014
La Turquie emprisonne un intellectuel pour des 'constructions illégales'
par Guillaume Perrier
Depuis jeudi 2 janvier , Sevan Nisanyan dort en prison, près d'Izmir.
Ce célèbre intellectuel arménien de Turquie, écrivain, linguiste et
hôtelier gé de 57 ans, doit purger une peine d'au moins deux ans
d'incarcérations. Après des années de harcèlement judiciaire, le
tribunal de Selçuk (Ouest) l'a condamné, mi-décembre 2013, pour avoir
construit sans permis une maisonnette de pierre et une tour de guet,
dans le village touristique de Sirince, où il a élu domicile il y a
vingt ans.
La sentence a de quoi surprendre, 'dans un pays où tout est construit
illégalement' selon M. Nisanyan, et où un scandale retentissant de
corruption et de malversations éclabousse l'entourage du premier
ministre Recep Tayyip Erdogan, notamment pour avoir délivré des permis
de construire complaisants à des promoteurs immobiliers. 'Il n'y a pas
de loi en Turquie. Le système judiciaire est une plaisanterie. Il
serait ridicule de parler d'Etat de droit et d'égalité devant la
justice. Ce pays est gouverné en fonction des affinités personnelles
ou politiques', assène le condamné, joint par téléphone, la veille de
sa mise en détention.
Cela fait longtemps déjà que l'Etat turc s'obstine à vouloir faire
taire cet esprit boulimique et provocateur, diplômé de Yale et de
Harvard, tour à tour génial et agaçant. Spécialiste de la langue
turque, dont il a rédigé l'un des premiers dictionnaires
étymologiques, cet Arménien né à Istanbul mène aussi un combat
intellectuel contre les dogmes dominants - le kémalisme et l'islamisme
- et pour la reconnaissance de l'identité multiculturelle de
l'Anatolie, s'employant à déconstruire l'histoire officielle et les
légendes nationalistes dont la Turquie est bercée.
UN INDEX DES VILLES ET VILLAGES DONT LE NOM A ÉTÉ TURQUIFIÉ
Sur Internet, il constitue un index toponymique qui regroupe les
villes et villages dont le nom a été turquifié. Il sillonne le pays en
voiture pour recenser les hôtels de charme et les tables
gastronomiques. Dans les années 1990, il s'installe dans le village de
Sirince, autrefois peuplé de Grecs, et se met à restaurer des maisons
anciennes pour les transformer en pensions touristiques. Avec son ami
Aziz Nesin, mathématicien de renommée mondiale, il btit une école où
des étudiants du monde entier viennent apprendre les sciences et la
philosophie.
Les ennuis se sont précisés pour lui après la publication, en 2008, de
La Fausse République, une critique féroce du régime kémaliste. 'Un
mois après, le premier procès a été ouvert. Une armée d'inspecteurs a
défilé dans le village. Depuis, j'ai eu 19 procès, qui se sont tous
terminés par une condamnation avec au total vingt-quatre ans de
prison', résume M. Nisanyan, qui assure avoir 'commencé cette bataille
avec la pleine conscience des possibles conséquences'. Car finalement
rien ne le flatte plus que d'apparaître comme celui qui confronte la
Turquie à ses démons.
En mai 2013, il a été condamné à treize mois de prison pour avoir
prétendument 'insulté le prophète Mahomet'. Lui se défend de tout
blasphème. ' J'ai critiqué l'intolérance religieuse et le premier
ministre a voulu ma condamnation. ' Et puis Sevan Nisanyan est
arménien, une circonstance 'indiscutablement' aggravante. 'En Turquie,
les Arméniens doivent baisser la tête. Il n'est pas convenable de
parler aussi directement de choses publiques. '