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En Turquie, la crise gouvernementale révèle la fragilité de M. Erdog

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    REVUE DE PRESSE
    En Turquie, la crise gouvernementale révèle la fragilité de M. Erdogan


    Depuis le mois de juin, le gouvernement de M. Erdogan fait face à de
    spectaculaires expressions de mécontentement populaire. Touché dans
    son autorité, le charismatique premier ministre subit un nouvel échec.
    La justice vient de mettre en examen pour corruption ses plus proches
    collaborateurs, dont trois de ses principaux ministres, qui viennent
    de donner leur démission.

    Depuis le 17 décembre, la coalition officieuse au pouvoir entre l'AKP
    et le mouvement de Fethullah Gülen vole en éclats. Tapi dans l'ombre,
    Gülen est une énigmatique figure religieuse, mais il est surtout à la
    tête d'un mouvement tentaculaire dont l'influence croissante est
    omniprésente en Turquie. Dans ce bras de fer, Recep Tayyip Erdogan a
    autant à perdre que Gülen.

    SOUTIEN MASSIF DE LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE

    Depuis 2002, l'AKP, parti dirigé par le premier ministre et issu de
    l'islam politique, gouverne la Turquie. Il jouit du soutien massif de
    la communauté religieuse fondée par l'influent Fethullah Gülen, et
    dont de nombreux sympathisants sont soupçonnés de noyauter la police
    et la justice. Cette coalition était cohérente à plus d'un titre.

    D'abord, ils partagent la même base sociale et incarnent le même islam
    : modéré, teinté de nationalisme, représentatif de l'Anatolie
    profonde, tout en étant ancré dans la modernité. Tous deux
    ambitionnent d'arrimer la nouvelle bourgeoisie conservatrice à
    l'économie mondiale. Tous deux sont les grands promoteurs de l'entrée
    du capital international en Turquie et s'opposaient au même
    adversaire, l'establishment kémaliste incarné par l'armée.

    Or, après dix ans d'harmonie de façade, l'union sacrée s'est effritée.
    D'abord, l'armée et la bureaucratie kémalistes ont été marginalisées,
    et ont perdu la suprématie qu'elles avaient tant sur la gestion du
    pays que sur l'orientation de sa politique. Près de 300 hauts gradés
    et hauts fonctionnaires sont en prison pour tentative de coup d'Etat.

    L'armée muselée est déjà une victoire encourageante pour la
    démocratie, et la Turquie le doit à cette alliance Erdogan-Gülen. Or,
    des voix s'élèvent pour critiquer le remplacement de l'ancien système
    sécuritaire militaire par un nouveau système tout aussi autoritaire et
    centré sur le règne sans partage du premier ministre.

    Les alliés gülenistes se méfient de cette dérive et ont engagé la
    résistance. Le combat par médias interposés révèle leur vraie nature.
    Rendu paranoïaque par le « printemps arabe », la crise en Syrie, le
    coup d'Etat en Egypte qui souligne l'échec du modèle AKP pour le monde
    arabe, les mouvements de protestation de juin 2013 qui ont réuni
    l'opposition contre sa politique, M. Erdogan s'est enfermé dans une
    dérive autoritaire.

    FRUSTRATION VIS-À-VIS DU POUVOIR

    Désorganisée et déconsidérée à cause de ses liens historiques avec le
    régime kémaliste dont elle n'arrive pas à faire la critique,
    l'opposition kémaliste s'est montrée incapable de contrer cette
    dérive, du moins jusqu'à ce jour. La seule résistance salutaire est
    venue du mouvement de Gülen, sans toutefois servir la démocratie.

    En effet, le mouvement de Gülen, infiltrant l'appareil judiciaire et
    policier, exerce une influence sur l'exécutif. Mais, par tradition, il
    agit dans le secret, loin de l'`il public, ce qui nourrit une
    frustration vis-à-vis du pouvoir.

    Le vaste coup de filet du 17 décembre contre des dizaines de proches
    de M. Erdogan est l'`uvre de procureurs et d'officiers de police
    proches de M. Gülen. Le fait est louable, mais il n'a été révélé au
    public qu'a posteriori. Il répond en représailles à la décision du
    premier ministre de fermer un vaste réseau de centres éducatifs qui
    font la force économique et sociale du mouvement en Turquie.

    Après la démission de trois de ses ministres le 25 décembre, le
    premier ministre turc doit faire face à de vives critiques et certains
    exigent que sa tête tombe. Cette crise sans précédent fragilise, voire
    met en danger l'avenir du premier ministre turc, de son parti AKP,
    mais elle pèse également sur l'image et le rôle régional de la
    Turquie.

    M. Erdogan crie au complot et jure vengeance, en sous-entendant qu'il
    s'agit d'une machination de déstabilisation ourdie par des forces
    obscures jalouses du succès sans pareil de l'AKP. Ce discours
    va-t-en-guerre et ses gesticulations de déni ne font que trahir un peu
    plus sa faiblesse.

    Par réflexe d'autodéfense, dès que l'affaire a été rendue publique, il
    a procédé à des limogeages et des remaniements au sein de l'Etat pour
    enrayer la machine, fait peu glorieux pour un homme qui se veut
    démocrate.

    ANTI-MODÈLE DÉMOCRATIQUE À LA POUTINE

    La manière dont il vient de réorganiser son équipe trahit sa peur
    paranoïaque : sur les vingt ministres nommés, dix sont de nouvelles
    têtes. A ces purges peu honorables s'ajoute le doute chez un homme de
    plus en plus vulnérable et à l'image ternie. Son autoritarisme
    inflexible dans la gestion des manifestations massives contre son
    autorité au mois de juin ne l'a rendu que plus fébrile encore et a
    discrédité l'AKP aux yeux de ses électeurs, si bien que, depuis cette
    date, les expressions populaires anti-Erdogan sont légion.

    Se faisant, il s'éloigne à grands pas de son image modèle de leader
    musulman modéré et démocrate, et de force d'inspiration pour les
    dirigeants du monde arabo-musulman. Par ces choix politiques, M.
    Erdogan montre qu'il préfère emprunter une autre voie, celle
    autoritaire et arrogante d'un anti-modèle démocratique à la Poutine.

    Au-delà de sa personne, de sa fonction et de son parti, l'AKP, c'est
    tout le soft power de la Turquie, son image de pays stable, prospère
    et médiateur dans la région, qui va en ptir.

    La rupture entre Erdogan et Gülen apparaît définitive, et tous deux en
    sortent perdants. M. Erdogan est estampillé comme autoritaire et à la
    tête d'un gouvernement corrompu. Il a beau crier au complot, il n'en
    dément pas moins des faits de corruption indéniables.

    Quant à Gülen, il se présente comme un héraut de la lutte
    anticorruption et garant de la démocratie, mais il se discrédite en
    révélant son rôle dans les arcanes de l'Etat. Erdogan et Gülen perdant
    de leur prestige, les Turcs cherchent le troisième homme, intègre et
    droit, pour reprendre les rênes d'un Etat à la dérive.

    L'HOMME PROVIDENTIEL

    Pareil homme providentiel pourrait venir du camp séculier et laïc,
    mais cette gauche turque ne semble pas saisir une telle opportunité
    historique. En revanche, nombreux sont ceux qui misent sur le
    président de la République actuel, Abdullah Gül.

    Fidèle d'Erdogan, avec qui il a fondé l'AKP en 2001, il pourrait bien,
    en cas d'aggravation de la crise, devenir l'homme providentiel pour
    sortir la Turquie de son marasme. Modéré, il est apprécié par une
    vaste proportion de la population. Lors de la révolte en juin, il
    avait tenu des propos d'apaisement qui avaient contrasté par leur
    sagesse avec ceux, vindicatifs, du premier ministre.

    En réponse au coup de tonnerre du 17 décembre, il s'est exprimé pour
    déclarer que si affaire de corruption il y a, une enquête doit
    clarifier les choses. 2014 et 2015 seront riches en élections
    (municipales puis présidentielle et générales). Le mandat d'Abdullah
    Gül arrive à terme à l'été 2014, et il intéresse M. Erdogan à
    condition que la Constitution révisée confère plus de pouvoirs à la
    fonction.

    Or, cette révision, voulue par M. Erdogan pour lui tailler une
    présidence forte, à la française, pourrait ne pas répondre à ses
    attentes, tant les secousses politiques pèsent sur le pays. Dans ce
    cas, M. Erdogan pourrait être tenté d'inverser les rôles : prendre la
    présidence, à condition qu'Abdullah Gül en premier ministre se laisse
    à nouveau assujettir et joue l'homme de paille pour un président de
    fait omnipotent.

    L'homme sage et modéré qui occupe la fonction présidentielle jusqu'en
    août 2014 est-il prêt à ce nouveau sacrifice ou se révélera-t-il
    ambitieux ? La sanction des urnes parlera bientôt, promet des
    campagnes acharnées et un débat riche.

    Toutefois, la crise est d'une telle ampleur qu'elle pourrait
    bouleverser toutes les échéances. Dans cette bataille où Erdogan et
    Gülen n'ont pas fini de s'étriper, rien n'indique que d'autres
    affaires de corruption ne verront pas le jour. En Turquie comme
    ailleurs, celles-ci surgissent plus fréquemment en période
    préélectorale.

    Bayram Balci (Chercheur à la Fondation Carnegie pour la paix
    internationale (Washington))

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/12/30/en-turquie-la-crise-gouvernementale-revele-la-fragilite-de-m-erdogan_4340729_3232.html

    dimanche 5 janvier 2014,
    Stéphane ©armenews.com

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