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Autour du Haut-Karabagh, d'inconciliables patriotismes

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  • Autour du Haut-Karabagh, d'inconciliables patriotismes

    Le Monde, France
    10 Jan 2014

    Autour du Haut-Karabagh, d'inconciliables patriotismes

    Alice Léna (Monde Académie)

    Depuis vingt cinq ans, l'Arménie et l'Azerbaïdjan se tournent le dos
    suite à la guerre du Haut - Karabagh. Trois photographes, deux
    Azerbaïdjanais et un Arménien, racontent.

    Dans le Sud Caucase, l'Arménie et l'Azerbaïdjan se disputent la
    montagne du Haut-Karabagh. Territoire offert à l'Azerbaïdjan par
    l'URSS en 1921, récupéré par l'Arménie au cours d'un violent conflit,
    la République du Haut-Karabakh est auto proclamée en 1991. Suite à la
    guerre et à des échanges de population, seuls des Arméniens y vivent
    désormais et l'Azerbaïdjan réclame le retour de ces territoires. Trois
    jeunes photographes, deux Azerbaïdjanais - Ilkin Huseynov, 22 ans, et
    Sitara Ibrahimova, 29 ans - et un Arménien - Karen Mirzoyan, 31 ans-
    racontent une impossible réconciliation.

    Pour ces artistes arméniens et azéris, c'est comme un devoir de
    travailler sur le Haut- Karabakh tant le destin de cette montagne est
    essentiel dans l'imaginaire national, après l'indépendance récente de
    ces pays, à la chute de l'Union Soviétique. « Personne ne sait où est
    ce Karabagh, personne n'en connaît l'existence. Et s'ils le savent,
    ils ignorent ce qu'il s'y passe, comment les gens y vivent ! »,
    s'indigne Sitara Ibrahimova, azerbaïdjanaise. Le Haut-Karabagh est au
    c`ur des préoccupations des habitants : en Arménie, il est symbole
    d'une revanche sur une histoire longue marquée par la perte de
    territoires, en Azerbaïdjan, cette défaite militaire a gché
    l'indépendance.

    Habiter le vide

    « Tous vivent dans de mauvaises conditions, des deux cotés. Notre
    génération doit commencer à vivre différemment », poursuit Sitara
    Ibrahimova. Leurs images veulent d'abord définir la nature d'un
    quotidien particulier, celui d'un Etat « de facto », c'est-à-dire non
    reconnu par la communauté internationale.

    Stepanakert, capitale de la république du Haut - Karabagh, crédit
    photo: mirzOyan

    Karen Mirzoyan, arménien, a choisi de montrer l'immobilité forcée due
    au fait de vivre à l'intérieur de ce « conflit gelé », en
    photographiant le stade de foot de la capitale, Stepanakert. Il
    raconte : « Comme le Haut-Karabagh n'est pas reconnu comme un Etat, ce
    stade ne peut être utilisé dans un cadre professionnel, contre
    d'autres clubs ou pays. C'est pourquoi la FIFA n'autorise pas d'y
    faire jouer d'autres équipes nationales. Tous les joueurs de
    Stepanakert, tous des vétérans de la guerre arméno - azérie, rêvent
    d'avoir un jour une équipe nationale. Pour le moment, c'est
    impossible. La seule chose possible est de jouer dans la ligue
    arménienne au titre d'un club arménien et seulement sur le territoire
    de la République d'Arménie ».

    Un match de football dans le stade de Stepenakert, crédit photo: mirzOyan

    De l'autre coté de la frontière, le village d'Aghdam est coupé en deux
    depuis la guerre. "Dans la partie azerbaïdjanaise, les villageois
    vivent toujours dans le risque, vous ne pouvez pas imaginer les
    terribles conditions de vie là-bas », explique Sitara Ibrahimova,
    faisant référence à la tension militaire permanente à la frontière,
    sur la « ligne de contact » bourrée de mines. Par la capture de scènes
    de vie et d'ornements d'un décor typiquement azéri, Sitara veut
    témoigner d'une culture et de traditions solides, malgré
    l'instabilité.

    Un mariage dans le village d'Aghdam, Azerbaïdjan, crédit photo: Sitara
    Ibrahimova.

    « Aujourd'hui, ces villageois sont menacés de coups de feu, menacés
    d'être réfugiés encore une fois », explique Ilkin Huseynov,
    azerbaïdjanais. Dans son travail photographique, il décrit la
    condition de ces «déplacés internes », réfugiés sans avoir traversé de
    frontière internationale. Aujourd'hui le pouvoir azerbaïdjanais les
    soutient tout en les entretenant dans cette condition, car leur misère
    et la pitié soudent la solidarité du pays, détournant l'attention de
    la population d'autres sujets (droits de l'Homme, redistribution des
    ressources pétrolières). Mais ces questions préoccupent peu le
    photographe, les Azerbaïdjanais et ces réfugiés. Ces derniers « sont
    extrêmement reconnaissants au président Aliev, ils le remercient tous
    les jours d'avoir du gaz, de l'eau courante, un revenu », raconte
    Ilkin.

    Le fils de Vefa Qulieva, 72 ans, et père de Kamil Quliev, 8 ans, a été
    tué pendant le conflit , village d'Aghdam, Azerbaïdjan, crédit photo:
    Ilkin Huseynov

    « Dans le Caucase, l'ennemi, c'est le voisin »

    « Je n'ai pas envie d'avoir peur d'être amie avec un Arménien. Je ne
    peux pas haïr ainsi, ce n'est pas normal », explique à mots couverts
    Sitara Ibrahimova. Est-ce une voix divergente parmi la population ?

    Sans doute, car les relations entre les deux Etats sont gelées et il
    n'existe quasiment pas d'initiatives de dialogue mutuel entre ces
    sociétés civiles. En Arménie, la rhétorique officielle consolide une
    représentation de l'Arménie comme unifiée avec le Haut-Karabagh. En
    Azerbaïdjan, la nouvelle génération a été éduquée en voyant l'autre
    comme un ennemi. Elle n'a pas eu l'opportunité de rencontrer des
    Arméniens, comme la génération d'avant. "Aujourd'hui on dit aux gens «
    allez va tuer des Arméniens ! ». Ils ne savent pas qui ils sont »,
    témoigne Ilkin Huseynov.

    Un mur criblé de balles, gardé intact en mémoire du conflit, dans le
    village d'Agdham, Azerbaïdjan. crédit photo: Sitara Ibrahimova

    Selon lui, ces siècles de cohabitation ont pourtant forgé une culture
    caucasienne dans la mentalité, dans l'esthétisme, la façon de décorer
    les tombes, dans la musique, la nourriture. Quant à Karen Mirzoyan,
    il est dubitatif. Il ne croit pas en une quelconque identité
    régionale. «Nos cultures et nos éducations sont différentes, les
    similarités, s'il y en a eu, ont été forcées par le régime
    soviétique», explique t-il.

    Pour Sitara Ibrahimova, si on demandait aux gens s'ils
    retourneraient faire la guerre si c'était nécessaire, ils répondraient
    d'emblée positivement, "mais en vrai, je ne pense pas qu'ils iraient.
    C'est de la politique stupide » dit-elle. Ilkin explique que « dans
    l'histoire, entre peuples caucasiens, nous sommes soit les meilleurs
    ennemis, soit les meilleurs amis ». Sitara acquiesce : «Dans le
    Caucase, l'ennemi c'est le voisin, depuis l'empire russe, on nous
    force à nous battre entre nous, c'est mieux pour eux». Car les pays
    du Sud Caucase, carrefour stratégique à la limite d'empires (ottoman,
    perse, russe...), ont toujours dû négocier leur existence face à la
    menace coloniale. Sitara a bien conscience que son pays et le voisin
    ne sont que l`instrument de la maxime «diviser pour mieux régner».

    Gayané Gevorgyan, une institutrice arménienne de 55 ans rencontrée à
    Erevan, éclaire le point de vue de cette jeune génération, des deux
    cotés. Elle explique que si les deux peuples se tournent désormais le
    dos, tant pis, car « aujourd'hui, ce qui compte pour nous, c'est
    d'exister, d'avoir un pays ».

    http://mondeacinter.blog.lemonde.fr/2014/01/10/autour-du-haut-karabagh-dinconciliables-patriotismes/



    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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