Le Figaro, France
Vendredi 10 Janvier 2014
Liberté d'expression : qui décide de ce qui peut se dire ?
par Boyer, Valérie et Torossian, Sévag
La députée des Bouches-du-Rhône et l'avocat s'interrogent sur la
cohérence du gouvernement à travers trois événements : la profanation
de l'église de la Madeleine par une Femen, l'affaire Dieudonné et
l'arrêteuropéen sur la négation du génocide arménien. En matière
d'expression publique, trois événements sans lien apparent sont venus
clore l'année 2013, dessinant les tendances lourdes de l'incohérence
du gouvernement actuel.Le premier est la profanation de l'église de la
Madeleine à Paris par le mouvement Femen importé d'Ukraine et se
revendiquant féministe. Voilà que quelques jours avant Noël, une femme
membre du mouvement s'immisce dans une messe, poitrine dénudée, mimant
un avortement sur l'autel avec un morceau de viande à la main, dans
l'objectif de faire « annuler Noël » et insultant de ce fait des
millions de chrétiens, dans l'indifférence générale et un silence
politico-médiatique assourdissant.Quelques jours plus tard, le
ministre de l'Intérieur annonce son intention de faire interdire les
spectacles du très controversé Dieudonné par voie de circulaire au nom
des limites à la liberté d'expression. On connaît la suite. Le maire
de Marseille demande également, à juste titre, à la préfecture
l'annulation du spectacle de Dieudonné au Silo.Au nom de la liberté
d'expression la plus effrénée, la Cour européenne des droits de
l'homme (CEDH) rend, à la mi-décembre, un arrêt alarmant sur l'absence
de « besoin social impérieux » de condamner le négationnisme du
génocide arménien.
Tous les génocides, y compris ceux reconnus par la loi, ne seraient
donc pas égaux, selon la CEDH, qui organise ainsi la concurrence des
mémoires.Entre ces trois événements à première vue éloignés, où est la
cohérence en matière de liberté d'expression ? C'est qu'à l'heure
actuelle la cohérence n'est plus un critère de l'action
gouvernementale. Qui décide aujourd'hui de l'admissibilité de
l'expression publique et des limites à sa liberté ?Le législateur vote
la loi, conformément à son mandat. Le Conseil constitutionnel la
valide ou l'invalide, conformément à sa mission. Le juge l'interprète
et l'applique selon une époque donnée, conformément à sa fonction
créatrice de jurisprudence. Et aujourd'hui, l'exécutif, quant à lui,
l'instrumentalise : il pioche dans ce qui l'intéresse, sans aucune
vision d'avenir et en mettant en danger sa légitimité.Avec ses effets
d'annonce, Manuel Valls joue un jeu dangereux, cherchant l'opération
de communication à tout prix, en véritable consommateur médiatique. Au
regard de la jurisprudence actuelle de la CEDH, extrêmement
protectrice de la liberté d'expression, la bataille juridique qui
s'engage risque soit d'être courte et décevante, si le juge
administratif donne raison à Dieudonné - qui contestera sans nul doute
chacun des arrêtés municipaux qui interdiront son spectacle -, soit
longue et dangereuse, car le juge de Strasbourg pourrait un jour
rendre un « arrêt Dieudonné » dramatique.Pour l'heure, le ministre de
l'Intérieur semble ne pas mesurer l'ampleur des conséquences
juridiques pouvant découler de sa circulaire, mais la publicité prime
aujourd'hui sur l'efficacité, la justice et la morale. Les limites à
la liberté d'expression sont déjà fixées par la loi de 1881 ; la
circulaire Valls n'est qu'un dangereux coup médiatique surabondant.Il
est par ailleurs étonnant de constater que les nombreuses sanctions
pénales et fiscales prises à l'encontre de Dieudonné ne sont pas
appliquées. Peut-être qu'avant de brandir une nouvelle circulaire le
gouvernement devrait simplement se préoccuper de faire appliquer les
lois qui existent dans notre pays. Pourquoi ne pas simplement y avoir
recours, plutôt que de s'adonner au matraquage médiatique ?Cela étant,
pour le gouvernement actuel, la réussite ou l'échec n'est plus un
paramètre : seul compte l'impact immédiat sur l'opinion publique. Le
spectacle d'un pseudo-humoriste qui fait de l'antisémitisme un fonds
de commerce mobilise ; l'« expression » outrancière et haineuse des
activistes Femen et leur intrusion dans un lieu de culte conduisant à
un dépôt de plainte de la paroisse de la Madeleine ne suscitent
paradoxalement aucune réaction du gouvernement.Encore une fois, le «
deux poids deux mesures » qui caractérise l'action du gouvernement
actuel sur bien des sujets n'est en aucun cas acceptable et choque
profondément. Si ces méthodes laissent indifférents les médias et une
grande partie de la classe politique, nombreux sont nos concitoyens
qui sont simplement scandalisés et expriment leur mécontentement.Il ne
s'agit pas de tout autoriser ou de tout interdire. La liberté
d'expression comme ses limites doivent être protégées. La liberté ne
s'affranchit pas de la légalité, et il appartient au gouvernement de
prendre ses responsabilités en autorisant, s'il en est besoin, la
représentation nationale à fixer le cadre et les limites de la liberté
d'expression, qui est une liberté relative et non absolue et qui doit
respecter les croyances et la mémoire des victimes.Le problème réside
dans le fait que le choix de l'expression acceptable s'opère désormais
en fonction de l'impact médiatique. Hélas, dans cette démarche
démagogique, le juge n'est pas tout à fait innocent. Celui de
Strasbourg a ainsi cru comprendre que nier le génocide arménien
n'avait aucune conséquence, ce qui revient à cautionner une
autorisation de causer de la douleur aux victimes. Et là aussi, ni le
gouvernement ni même François Hollande, qui s'étaient pourtant engagés
à punir la contestation de ce génocide, ne s'en sont émus. Pas un mot
!Une seule question doit se poser : qui décide de l'expression
publique et de ce qu'il est acceptable de dire ou de ne pas dire
?Est-ce l'intérêt immédiat du politique ? Le gouvernement actuel est
un consommateur de communication qui n'a aucun problème à afficher son
incohérence, jusqu'à ce que les tweets atteignent le seuil d'alarme ou
que les réactions de la population le contraignent. Ce management
attentiste, qui manque cruellement de personnalité et de conviction,
n'est que le miroir de la perte de repères dans laquelle s'engouffre
la France actuelle.Avec ses effets d'annonce, Manuel Valls joue un jeu
dangereux, cherchant l'opération de communication à tout prix, en
véritable consommateur médiatique
http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2014/01/09/10001-20140109ARTFIG00495-liberte-d-expression-qui-decide-de-ce-qui-peut-se-dire.php
Vendredi 10 Janvier 2014
Liberté d'expression : qui décide de ce qui peut se dire ?
par Boyer, Valérie et Torossian, Sévag
La députée des Bouches-du-Rhône et l'avocat s'interrogent sur la
cohérence du gouvernement à travers trois événements : la profanation
de l'église de la Madeleine par une Femen, l'affaire Dieudonné et
l'arrêteuropéen sur la négation du génocide arménien. En matière
d'expression publique, trois événements sans lien apparent sont venus
clore l'année 2013, dessinant les tendances lourdes de l'incohérence
du gouvernement actuel.Le premier est la profanation de l'église de la
Madeleine à Paris par le mouvement Femen importé d'Ukraine et se
revendiquant féministe. Voilà que quelques jours avant Noël, une femme
membre du mouvement s'immisce dans une messe, poitrine dénudée, mimant
un avortement sur l'autel avec un morceau de viande à la main, dans
l'objectif de faire « annuler Noël » et insultant de ce fait des
millions de chrétiens, dans l'indifférence générale et un silence
politico-médiatique assourdissant.Quelques jours plus tard, le
ministre de l'Intérieur annonce son intention de faire interdire les
spectacles du très controversé Dieudonné par voie de circulaire au nom
des limites à la liberté d'expression. On connaît la suite. Le maire
de Marseille demande également, à juste titre, à la préfecture
l'annulation du spectacle de Dieudonné au Silo.Au nom de la liberté
d'expression la plus effrénée, la Cour européenne des droits de
l'homme (CEDH) rend, à la mi-décembre, un arrêt alarmant sur l'absence
de « besoin social impérieux » de condamner le négationnisme du
génocide arménien.
Tous les génocides, y compris ceux reconnus par la loi, ne seraient
donc pas égaux, selon la CEDH, qui organise ainsi la concurrence des
mémoires.Entre ces trois événements à première vue éloignés, où est la
cohérence en matière de liberté d'expression ? C'est qu'à l'heure
actuelle la cohérence n'est plus un critère de l'action
gouvernementale. Qui décide aujourd'hui de l'admissibilité de
l'expression publique et des limites à sa liberté ?Le législateur vote
la loi, conformément à son mandat. Le Conseil constitutionnel la
valide ou l'invalide, conformément à sa mission. Le juge l'interprète
et l'applique selon une époque donnée, conformément à sa fonction
créatrice de jurisprudence. Et aujourd'hui, l'exécutif, quant à lui,
l'instrumentalise : il pioche dans ce qui l'intéresse, sans aucune
vision d'avenir et en mettant en danger sa légitimité.Avec ses effets
d'annonce, Manuel Valls joue un jeu dangereux, cherchant l'opération
de communication à tout prix, en véritable consommateur médiatique. Au
regard de la jurisprudence actuelle de la CEDH, extrêmement
protectrice de la liberté d'expression, la bataille juridique qui
s'engage risque soit d'être courte et décevante, si le juge
administratif donne raison à Dieudonné - qui contestera sans nul doute
chacun des arrêtés municipaux qui interdiront son spectacle -, soit
longue et dangereuse, car le juge de Strasbourg pourrait un jour
rendre un « arrêt Dieudonné » dramatique.Pour l'heure, le ministre de
l'Intérieur semble ne pas mesurer l'ampleur des conséquences
juridiques pouvant découler de sa circulaire, mais la publicité prime
aujourd'hui sur l'efficacité, la justice et la morale. Les limites à
la liberté d'expression sont déjà fixées par la loi de 1881 ; la
circulaire Valls n'est qu'un dangereux coup médiatique surabondant.Il
est par ailleurs étonnant de constater que les nombreuses sanctions
pénales et fiscales prises à l'encontre de Dieudonné ne sont pas
appliquées. Peut-être qu'avant de brandir une nouvelle circulaire le
gouvernement devrait simplement se préoccuper de faire appliquer les
lois qui existent dans notre pays. Pourquoi ne pas simplement y avoir
recours, plutôt que de s'adonner au matraquage médiatique ?Cela étant,
pour le gouvernement actuel, la réussite ou l'échec n'est plus un
paramètre : seul compte l'impact immédiat sur l'opinion publique. Le
spectacle d'un pseudo-humoriste qui fait de l'antisémitisme un fonds
de commerce mobilise ; l'« expression » outrancière et haineuse des
activistes Femen et leur intrusion dans un lieu de culte conduisant à
un dépôt de plainte de la paroisse de la Madeleine ne suscitent
paradoxalement aucune réaction du gouvernement.Encore une fois, le «
deux poids deux mesures » qui caractérise l'action du gouvernement
actuel sur bien des sujets n'est en aucun cas acceptable et choque
profondément. Si ces méthodes laissent indifférents les médias et une
grande partie de la classe politique, nombreux sont nos concitoyens
qui sont simplement scandalisés et expriment leur mécontentement.Il ne
s'agit pas de tout autoriser ou de tout interdire. La liberté
d'expression comme ses limites doivent être protégées. La liberté ne
s'affranchit pas de la légalité, et il appartient au gouvernement de
prendre ses responsabilités en autorisant, s'il en est besoin, la
représentation nationale à fixer le cadre et les limites de la liberté
d'expression, qui est une liberté relative et non absolue et qui doit
respecter les croyances et la mémoire des victimes.Le problème réside
dans le fait que le choix de l'expression acceptable s'opère désormais
en fonction de l'impact médiatique. Hélas, dans cette démarche
démagogique, le juge n'est pas tout à fait innocent. Celui de
Strasbourg a ainsi cru comprendre que nier le génocide arménien
n'avait aucune conséquence, ce qui revient à cautionner une
autorisation de causer de la douleur aux victimes. Et là aussi, ni le
gouvernement ni même François Hollande, qui s'étaient pourtant engagés
à punir la contestation de ce génocide, ne s'en sont émus. Pas un mot
!Une seule question doit se poser : qui décide de l'expression
publique et de ce qu'il est acceptable de dire ou de ne pas dire
?Est-ce l'intérêt immédiat du politique ? Le gouvernement actuel est
un consommateur de communication qui n'a aucun problème à afficher son
incohérence, jusqu'à ce que les tweets atteignent le seuil d'alarme ou
que les réactions de la population le contraignent. Ce management
attentiste, qui manque cruellement de personnalité et de conviction,
n'est que le miroir de la perte de repères dans laquelle s'engouffre
la France actuelle.Avec ses effets d'annonce, Manuel Valls joue un jeu
dangereux, cherchant l'opération de communication à tout prix, en
véritable consommateur médiatique
http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2014/01/09/10001-20140109ARTFIG00495-liberte-d-expression-qui-decide-de-ce-qui-peut-se-dire.php