Le Figaro , France
Mardi 7 Janvier 2014
Aznavour, l'écorché vif
de Chabalier, Blaise
L'histoire d'un homme parti de rien et arrivé en haut de l'affiche
(...), l'histoire d'un homme qui s'est construit à la force de sa rage
quand personne ne croyait en lui. » Par ces mots prononcés au début du
documentaire diffusé ce mardi soir sur France 2, Marie Drucker touche
à ce qu'il y a de plus intime chez Charles Aznavour. Tout, dans le
portrait complexe que la journaliste brosse du monstre sacré de la
chanson française, gé de 89 ans, est lié, d'une façon ou d'une autre
à sa soif jamais assouvie de reconnaissance. C'est ce qu'il ressort
des propos du chanteur d'origine arménienne, mais aussi de ceux des
nombreux intervenants rencontrés par la journaliste.Les paroles de
Charles Aznavour recueillies par Marie Drucker et celles exprimées par
l'artiste autrefois se croisent. Les images du présent et du passé
s'entremêlent et laissent apparaître la cohérence et l'ambition d'un
personnage hors norme.
La force vitale de celui qui est né à Paris le 22 mai 1924, dans un
petit deux-pièces du Quartier latin, lui vient de l'amour et de la
joie qui régnaient dans sa famille. Ses parents, des artistes,
venaient de fuir la Turquie à la suite du génocide arménien
(1915-1916).Pendant leur périple jusqu'en France, ils avaient déjà mis
au monde une petite Aïda. Si les Aznavourian rêvaient d'Amérique, ils
s'installent finalement en France. Et Micha, le père, ouvre un
restaurant. Charles Aznavour se souvient de cette période difficile
mais heureuse : « On a connu la misère, mais nous n'avons pas crevé de
faim. Chez nous, l'amour était une chose importante. » Et Aïda,
toujours en pleine forme aujourd'hui, ajoute : « Nous n'avons jamais
senti le manque d'argent. (...) Tout ce qu'on avait, on le partageait.
Même des gens très aisés venaient faire la fête avec nous à Noël.
(...) Mon père prenait son instrument, mon frère sa batterie, je
jouais du piano et ma mère faisait le service en dansant. On était
très gais ! »Faute de moyens, les deux enfants arrêtent l'école très
vite. À 9 ans, Charles commence sa carrière dans la troupe où sa
grande soeur a été engagée. « Il faisait de l'imitation, par exemple
de Maurice Chevalier, mais aussi des acrobaties. J'étais très fière de
mon frère », dit Aïda. « C'est agréable pour un enfant de rapporter de
l'argent à la maison. On se sent important », glisse Charles
Aznavour.Pendant la guerre, alors que ses parents sont engagés dans la
Résistance, le petit Charles rencontre le chanteur et pianiste Pierre
Roche, avec lequel il va former un duo qui obtient un certain succès.
Ces deux-là chantent des airs rythmés à l'américaine. Huit ans plus
tard, ils se séparent. Charles Aznavour prend un nouveau départ, sous
la protection d'Édith Piaf. Il s'installe chez la star, lui compose
des chansons, tout en étant son secrétaire et son chauffeur. Seul
problème, à 26 ans, le petit Charles rêve de gloire. Or elle se fait
attendre.
Éternel insatisfait
Le chanteur confie à Marie Drucker : « Le parcours solo était
difficile. » Michel Drucker ajoute : « Il n'était pas bien dans sa
peau. » Mais malgré les critiques assassines de la presse, l'ambitieux
persévère avec rage. Même s'il est conscient de ses handicaps : sa
petite taille, mais aussi et surtout sa voix. « Il y a un voile entre
mes cordes vocales et ma bouche. (...) J'ai toujours lutté contre ma
voix. Je l'ai poussée au maximum. »Après un passage réussi par le
cinéma, c'est en 1960 qu'il fait un tabac comme chanteur, en
interprétant sur scène Je m'voyais déjà. Aznavour devient une vedette.
Il brille en France, mais aussi à l'étranger, en particulier aux
États-Unis. Mais l'insatisfaction rôde : il regrette de ne pas être
reconnu au niveau des Brel, Brassens, Ferrat. On lui reproche ses
Rolls, sa fierté de gagner beaucoup d'argent. En 1976, l'écorché vif
fuit la France et le fisc pour la Suisse. Aujourd'hui, Aznavour s'est
assagi mais affirme n'être toujours pas reconnu à sa juste valeur.
Dans son oeil rieur, la rage lance encore des éclairs !
Mardi 7 Janvier 2014
Aznavour, l'écorché vif
de Chabalier, Blaise
L'histoire d'un homme parti de rien et arrivé en haut de l'affiche
(...), l'histoire d'un homme qui s'est construit à la force de sa rage
quand personne ne croyait en lui. » Par ces mots prononcés au début du
documentaire diffusé ce mardi soir sur France 2, Marie Drucker touche
à ce qu'il y a de plus intime chez Charles Aznavour. Tout, dans le
portrait complexe que la journaliste brosse du monstre sacré de la
chanson française, gé de 89 ans, est lié, d'une façon ou d'une autre
à sa soif jamais assouvie de reconnaissance. C'est ce qu'il ressort
des propos du chanteur d'origine arménienne, mais aussi de ceux des
nombreux intervenants rencontrés par la journaliste.Les paroles de
Charles Aznavour recueillies par Marie Drucker et celles exprimées par
l'artiste autrefois se croisent. Les images du présent et du passé
s'entremêlent et laissent apparaître la cohérence et l'ambition d'un
personnage hors norme.
La force vitale de celui qui est né à Paris le 22 mai 1924, dans un
petit deux-pièces du Quartier latin, lui vient de l'amour et de la
joie qui régnaient dans sa famille. Ses parents, des artistes,
venaient de fuir la Turquie à la suite du génocide arménien
(1915-1916).Pendant leur périple jusqu'en France, ils avaient déjà mis
au monde une petite Aïda. Si les Aznavourian rêvaient d'Amérique, ils
s'installent finalement en France. Et Micha, le père, ouvre un
restaurant. Charles Aznavour se souvient de cette période difficile
mais heureuse : « On a connu la misère, mais nous n'avons pas crevé de
faim. Chez nous, l'amour était une chose importante. » Et Aïda,
toujours en pleine forme aujourd'hui, ajoute : « Nous n'avons jamais
senti le manque d'argent. (...) Tout ce qu'on avait, on le partageait.
Même des gens très aisés venaient faire la fête avec nous à Noël.
(...) Mon père prenait son instrument, mon frère sa batterie, je
jouais du piano et ma mère faisait le service en dansant. On était
très gais ! »Faute de moyens, les deux enfants arrêtent l'école très
vite. À 9 ans, Charles commence sa carrière dans la troupe où sa
grande soeur a été engagée. « Il faisait de l'imitation, par exemple
de Maurice Chevalier, mais aussi des acrobaties. J'étais très fière de
mon frère », dit Aïda. « C'est agréable pour un enfant de rapporter de
l'argent à la maison. On se sent important », glisse Charles
Aznavour.Pendant la guerre, alors que ses parents sont engagés dans la
Résistance, le petit Charles rencontre le chanteur et pianiste Pierre
Roche, avec lequel il va former un duo qui obtient un certain succès.
Ces deux-là chantent des airs rythmés à l'américaine. Huit ans plus
tard, ils se séparent. Charles Aznavour prend un nouveau départ, sous
la protection d'Édith Piaf. Il s'installe chez la star, lui compose
des chansons, tout en étant son secrétaire et son chauffeur. Seul
problème, à 26 ans, le petit Charles rêve de gloire. Or elle se fait
attendre.
Éternel insatisfait
Le chanteur confie à Marie Drucker : « Le parcours solo était
difficile. » Michel Drucker ajoute : « Il n'était pas bien dans sa
peau. » Mais malgré les critiques assassines de la presse, l'ambitieux
persévère avec rage. Même s'il est conscient de ses handicaps : sa
petite taille, mais aussi et surtout sa voix. « Il y a un voile entre
mes cordes vocales et ma bouche. (...) J'ai toujours lutté contre ma
voix. Je l'ai poussée au maximum. »Après un passage réussi par le
cinéma, c'est en 1960 qu'il fait un tabac comme chanteur, en
interprétant sur scène Je m'voyais déjà. Aznavour devient une vedette.
Il brille en France, mais aussi à l'étranger, en particulier aux
États-Unis. Mais l'insatisfaction rôde : il regrette de ne pas être
reconnu au niveau des Brel, Brassens, Ferrat. On lui reproche ses
Rolls, sa fierté de gagner beaucoup d'argent. En 1976, l'écorché vif
fuit la France et le fisc pour la Suisse. Aujourd'hui, Aznavour s'est
assagi mais affirme n'être toujours pas reconnu à sa juste valeur.
Dans son oeil rieur, la rage lance encore des éclairs !