Affaire Perinçek
La Loi sur la Liberté d'Expression et le Maintien de l'Ordre Public
Par Edmond Y. Azadian *
Éditorial
The Armenian Mirror
23 janvier 2014
Les lois, en particulier les lois du droit international, sensées
faire régner entre les nations des relations harmonieuses, sont faites
dans l'intérêt des puissants, tout comme les chaussures ou les
vêtements qui sont faits sur mesures pour s'adapter au mieux aux
dimensions personnelles des pays les plus puissants et des nantis.
L'illustration la plus éloquente de ce système inique a été faite par
le fabuliste français du 17ème siècle Jean de la Fontaine, pour qui
les arguments convaincants sont ceux des puissants [selon que vous
soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront noir
ou blanc].
Voilà qu'à présent, les Arméniens - qui ne sont, dans cette allégorie,
manifestement pas du côté des plus forts - sont mis en cause par la
très puissante Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui vient de
décider en décembre que Dogu Perincek, président du Parti des
Travailleurs de Turquie, ne peut pas être condamné en justice pour
avoir dit publiquement à Genève que ` le soi-disant Génocide arménien
est un mensonge impérialiste `.
Ce jugement est avant tout un camouflet pour le système judiciaire
suisse qui avait condamné Perincek parce qu'il avait nié le Génocide
arménien. L'incident avait eu lieu en 2007 et depuis, la Cour
Européenne avait gardé le silence ; on peut s'étonner des raisons qui
ont poussé ce tribunal à contredire le droit suisse.
La coïncidence n'échappera à personne. Depuis de nombreuses années,
l'Arménie négociait avec l'Union Européenne, mais brutalement, en
septembre de l'an passé, elle a pris un virage à cent quatre vingt
degrés et décidé d'adhérer à l'Union Douanière dirigée par Moscou.
C'était donc au moins en partie une décision politique, non vraiment
judiciaire. Les juges de haute volée à la Cour Européenne ont voulu
convaincre le peuple ordinaire du contraire. Le Conseil de
Coordination des Organisations Arméniennes de France, CCAF, a lancé
une pétition demandant à la Suisse de faire appel de la récente
décision de la Cour Européenne. Il s'agit sans aucun doute d'une rude
bataille à l'issue incertaine.
Les motivations de la Cour Européenne sont fondées sur la présomption
que la loi empiète sur la liberté d'expression, lorsqu'on aborde la
négation du Génocide.
La France donne un exemple typique de pratique discriminatoire de la
liberté d'expression. Tandis que clairement, la loi Gayssot en vigueur
permet de poursuivre les négationnistes de la Shoah, juste avant les
élections présidentielles, la loi parallèle que le parlement français
avait adoptée contre la négation du Génocide arménien a été mise à
néant par le Conseil Constitutionnel. La loi a été écartée par des
machinations politiques, les deux candidats s'étant engagés à la
soutenir. Les Arméniens à travers le monde ont été témoins du soutien
fervent de cette loi par les deux candidats ; François Hollande et le
président en exercice Nicolas Sarkozy juraient leur grands dieux
devant les Arméniens réunis, la larme presqu'à l'`il, qu'ils
approuveraient la loi votée par le parlement français. Sarkozy en
retardait de piteuse façon sa promulgation pour laisser le temps à
quelques élus de réunir les signatures et la porter devant le Conseil
Constitutionnel pour la déclarer inconstitutionnelle et contraire à la
liberté d'expression. Le président actuel Hollande semblait tout aussi
sincère dans son engagement de remettre une loi à l'ordre du jour,
mais rien n'a encore bougé dans ce sens. On n'a nul besoin d'être un
expert du droit pour déduire que si la loi Gayssot ne porte pas
atteinte à la liberté d'expression, l'interdiction de nier le génocide
relève exactement d'un raisonnement similaire.
Quelques politiciens, c'est le cas du président israélien Shimon
Peres, soutiennent que le massacre des Arméniens ne peut pas être
qualifié de génocide, afin d'éviter toute comparaison avec
l'Holocauste, ce qui pourrait compromettre l'application des lois
contre la négation de l'Holocauste.
La France a longtemps tenu les flambeaux de la liberté de penser et de
la liberté d'expression à travers les siècles, et ces idéaux sont
contenus dans les écrit du philosophe français Voltaire, dont l'une
des citations fameuses est ` Je suis en total désaccord avec ce que
vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour protéger votre
droit de le dire `.
Mais aujourd'hui, les tribunaux français ne suivent pas la philosophie
des lumières de Voltaire ; au lieu de cela, ils sont motivés par leur
agenda politique. Et au lieu de cela, ces jours-ci, un autre scandale
s'est emparé des média et les tribunaux autour d'un humoriste
populaire, Dieudonné (Dieu donné) M'Bala M'Bala.
Les tribunaux français et le gouvernement, défenseurs très zélés de la
liberté d'expression des citoyens, sont saisis pour interdire à
Dieudonné d'apparaître à la TV et dans les salles de spectacle,
liberté d'expression en dépit du fait qu'il soit accusé
d'antisémitisme. De nos jours, critiquer les actes du gouvernement
israélien contre les Palestiniens peut-être qualifié d'antisémitisme.
La question ici n'est pas de défendre Dieudonné, qui s'est moqué et
qui a dénigré l'Holocauste et ses victimes tout en présentant sa
propre conception pervertie du statut des nazis. En aucune façon, il
s'agit de défendre ses propos. En fait, les Arméniens, en tout
particulier, se doivent de prendre ses déclarations pour ce qu'elles
sont : des offenses insupportables. Mais les tribunaux français ont
emprunté des chemins inhabituels pour réduire Dieudonné au silence et
fouler aux pieds sa liberté d'expression.
Le 6 janvier 2014, le ministre de l'intérieur de France Manuel Vals a
dit que les spectacles considérés comme antisémites pourraient être
interdits par les autorités locales. Au soutien de cette mesure, Valls
a adressé un mémorandum de trois pages à tous les préfets de France
titré : ` La lutte contre le racisme et l'antisémitisme, dans les
manifestations et les réactions publiques, spectacles de M. Dieudonné
M'Bala M'Bala `.
Concernant la liberté d'expression en France et les interdictions de
spectacle avant qu'ils aient lieu, Valls a dit : ` la lutte contre le
racisme et l'antisémitisme est une préoccupation essentielle du
gouvernement et elle exige des réponses vigoureuses `. Le ministre
prend note de la liberté d'expression en France mais continue en
affirmant que dans des circonstances exceptionnelles, la police est
investie du pouvoir d'interdire une manifestation si son intention est
d'éviter une ` atteinte grave à l'ordre public ` et il cite la loi de
1993 au soutien de sa position.
Même le président Hollande, prenant le temps entre une visite à sa
maîtresse et à sa copine, a offert son soutien au ministre de
l'intérieur, pressant ` les représentants de l'état, en particulier
les préfets, d'être vigilants et inflexibles ` au regard de ` toutes
les violations des principes de la République `.
Incidemment, les origines de Dieudonné sont africaines ; il est né en
France d'un père camerounais et d'une mère française. On ne voit pas
clairement si c'est ce qui lui vaut d'être un citoyen français de
deuxième classe.
Depuis toujours et encore, la communauté arménienne de France a montré
la robustesse de son militantisme politique. Et en dépit de ses
divisions internes, ses membres ont été capables de réunir leurs
forces pour la cause commune. Mais cette fois, c'est un sérieux défi
qui a été adressé à cette communauté forte de 400 000 Arméniens, en
tant que force politique, pour répondre aux lois discriminatoires
créées pour les puissants.
Traduction Gilbert Béguian pour Armenews
* Essayiste, et Editorialiste dans l'hebdomadaire The Armenian Mirror
Spectator publié aux Etats-Unis, Edmond Azadian aborde depuis 1965,
semaine après semaine, la nouvelle Question arménienne sous plusieurs
angles ; l'Arménie d'abord, indépendante depuis 1991, la diaspora
ensuite, par rapport à ses relations avec la mère patrie et des défis
qui doit relever, sans oublier la Cause arménienne qui englobe, entre
autres la reconnaissance du génocide arménien, mais aussi la sécurité
et la pérennité de l'Arménie, le statut du Haut-Karabagh, les
relations avec les Etats voisins, les problèmes au sein de différentes
Eglises, etc.
Perspectives arméniennes... 322 pages, Editions Sigest
samedi 25 janvier 2014,
Jean Eckian ©armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article-761
La Loi sur la Liberté d'Expression et le Maintien de l'Ordre Public
Par Edmond Y. Azadian *
Éditorial
The Armenian Mirror
23 janvier 2014
Les lois, en particulier les lois du droit international, sensées
faire régner entre les nations des relations harmonieuses, sont faites
dans l'intérêt des puissants, tout comme les chaussures ou les
vêtements qui sont faits sur mesures pour s'adapter au mieux aux
dimensions personnelles des pays les plus puissants et des nantis.
L'illustration la plus éloquente de ce système inique a été faite par
le fabuliste français du 17ème siècle Jean de la Fontaine, pour qui
les arguments convaincants sont ceux des puissants [selon que vous
soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront noir
ou blanc].
Voilà qu'à présent, les Arméniens - qui ne sont, dans cette allégorie,
manifestement pas du côté des plus forts - sont mis en cause par la
très puissante Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui vient de
décider en décembre que Dogu Perincek, président du Parti des
Travailleurs de Turquie, ne peut pas être condamné en justice pour
avoir dit publiquement à Genève que ` le soi-disant Génocide arménien
est un mensonge impérialiste `.
Ce jugement est avant tout un camouflet pour le système judiciaire
suisse qui avait condamné Perincek parce qu'il avait nié le Génocide
arménien. L'incident avait eu lieu en 2007 et depuis, la Cour
Européenne avait gardé le silence ; on peut s'étonner des raisons qui
ont poussé ce tribunal à contredire le droit suisse.
La coïncidence n'échappera à personne. Depuis de nombreuses années,
l'Arménie négociait avec l'Union Européenne, mais brutalement, en
septembre de l'an passé, elle a pris un virage à cent quatre vingt
degrés et décidé d'adhérer à l'Union Douanière dirigée par Moscou.
C'était donc au moins en partie une décision politique, non vraiment
judiciaire. Les juges de haute volée à la Cour Européenne ont voulu
convaincre le peuple ordinaire du contraire. Le Conseil de
Coordination des Organisations Arméniennes de France, CCAF, a lancé
une pétition demandant à la Suisse de faire appel de la récente
décision de la Cour Européenne. Il s'agit sans aucun doute d'une rude
bataille à l'issue incertaine.
Les motivations de la Cour Européenne sont fondées sur la présomption
que la loi empiète sur la liberté d'expression, lorsqu'on aborde la
négation du Génocide.
La France donne un exemple typique de pratique discriminatoire de la
liberté d'expression. Tandis que clairement, la loi Gayssot en vigueur
permet de poursuivre les négationnistes de la Shoah, juste avant les
élections présidentielles, la loi parallèle que le parlement français
avait adoptée contre la négation du Génocide arménien a été mise à
néant par le Conseil Constitutionnel. La loi a été écartée par des
machinations politiques, les deux candidats s'étant engagés à la
soutenir. Les Arméniens à travers le monde ont été témoins du soutien
fervent de cette loi par les deux candidats ; François Hollande et le
président en exercice Nicolas Sarkozy juraient leur grands dieux
devant les Arméniens réunis, la larme presqu'à l'`il, qu'ils
approuveraient la loi votée par le parlement français. Sarkozy en
retardait de piteuse façon sa promulgation pour laisser le temps à
quelques élus de réunir les signatures et la porter devant le Conseil
Constitutionnel pour la déclarer inconstitutionnelle et contraire à la
liberté d'expression. Le président actuel Hollande semblait tout aussi
sincère dans son engagement de remettre une loi à l'ordre du jour,
mais rien n'a encore bougé dans ce sens. On n'a nul besoin d'être un
expert du droit pour déduire que si la loi Gayssot ne porte pas
atteinte à la liberté d'expression, l'interdiction de nier le génocide
relève exactement d'un raisonnement similaire.
Quelques politiciens, c'est le cas du président israélien Shimon
Peres, soutiennent que le massacre des Arméniens ne peut pas être
qualifié de génocide, afin d'éviter toute comparaison avec
l'Holocauste, ce qui pourrait compromettre l'application des lois
contre la négation de l'Holocauste.
La France a longtemps tenu les flambeaux de la liberté de penser et de
la liberté d'expression à travers les siècles, et ces idéaux sont
contenus dans les écrit du philosophe français Voltaire, dont l'une
des citations fameuses est ` Je suis en total désaccord avec ce que
vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour protéger votre
droit de le dire `.
Mais aujourd'hui, les tribunaux français ne suivent pas la philosophie
des lumières de Voltaire ; au lieu de cela, ils sont motivés par leur
agenda politique. Et au lieu de cela, ces jours-ci, un autre scandale
s'est emparé des média et les tribunaux autour d'un humoriste
populaire, Dieudonné (Dieu donné) M'Bala M'Bala.
Les tribunaux français et le gouvernement, défenseurs très zélés de la
liberté d'expression des citoyens, sont saisis pour interdire à
Dieudonné d'apparaître à la TV et dans les salles de spectacle,
liberté d'expression en dépit du fait qu'il soit accusé
d'antisémitisme. De nos jours, critiquer les actes du gouvernement
israélien contre les Palestiniens peut-être qualifié d'antisémitisme.
La question ici n'est pas de défendre Dieudonné, qui s'est moqué et
qui a dénigré l'Holocauste et ses victimes tout en présentant sa
propre conception pervertie du statut des nazis. En aucune façon, il
s'agit de défendre ses propos. En fait, les Arméniens, en tout
particulier, se doivent de prendre ses déclarations pour ce qu'elles
sont : des offenses insupportables. Mais les tribunaux français ont
emprunté des chemins inhabituels pour réduire Dieudonné au silence et
fouler aux pieds sa liberté d'expression.
Le 6 janvier 2014, le ministre de l'intérieur de France Manuel Vals a
dit que les spectacles considérés comme antisémites pourraient être
interdits par les autorités locales. Au soutien de cette mesure, Valls
a adressé un mémorandum de trois pages à tous les préfets de France
titré : ` La lutte contre le racisme et l'antisémitisme, dans les
manifestations et les réactions publiques, spectacles de M. Dieudonné
M'Bala M'Bala `.
Concernant la liberté d'expression en France et les interdictions de
spectacle avant qu'ils aient lieu, Valls a dit : ` la lutte contre le
racisme et l'antisémitisme est une préoccupation essentielle du
gouvernement et elle exige des réponses vigoureuses `. Le ministre
prend note de la liberté d'expression en France mais continue en
affirmant que dans des circonstances exceptionnelles, la police est
investie du pouvoir d'interdire une manifestation si son intention est
d'éviter une ` atteinte grave à l'ordre public ` et il cite la loi de
1993 au soutien de sa position.
Même le président Hollande, prenant le temps entre une visite à sa
maîtresse et à sa copine, a offert son soutien au ministre de
l'intérieur, pressant ` les représentants de l'état, en particulier
les préfets, d'être vigilants et inflexibles ` au regard de ` toutes
les violations des principes de la République `.
Incidemment, les origines de Dieudonné sont africaines ; il est né en
France d'un père camerounais et d'une mère française. On ne voit pas
clairement si c'est ce qui lui vaut d'être un citoyen français de
deuxième classe.
Depuis toujours et encore, la communauté arménienne de France a montré
la robustesse de son militantisme politique. Et en dépit de ses
divisions internes, ses membres ont été capables de réunir leurs
forces pour la cause commune. Mais cette fois, c'est un sérieux défi
qui a été adressé à cette communauté forte de 400 000 Arméniens, en
tant que force politique, pour répondre aux lois discriminatoires
créées pour les puissants.
Traduction Gilbert Béguian pour Armenews
* Essayiste, et Editorialiste dans l'hebdomadaire The Armenian Mirror
Spectator publié aux Etats-Unis, Edmond Azadian aborde depuis 1965,
semaine après semaine, la nouvelle Question arménienne sous plusieurs
angles ; l'Arménie d'abord, indépendante depuis 1991, la diaspora
ensuite, par rapport à ses relations avec la mère patrie et des défis
qui doit relever, sans oublier la Cause arménienne qui englobe, entre
autres la reconnaissance du génocide arménien, mais aussi la sécurité
et la pérennité de l'Arménie, le statut du Haut-Karabagh, les
relations avec les Etats voisins, les problèmes au sein de différentes
Eglises, etc.
Perspectives arméniennes... 322 pages, Editions Sigest
samedi 25 janvier 2014,
Jean Eckian ©armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article-761