HOLLANDE ET LE GENOCIDE ARMENIEN
Le Nouvel Observateur
29 jan 2014
Lors de sa visite d'Etat en Turquie, le president n'a pas prononce le
mot mais s'est pose en defenseur de la reconnaissance du genocide. De
notre correspondante.
Le chef de l'Etat francais a menage la susceptibilite des Turcs et n'a
pas prononce le mot qui fâche, celui de "genocide". Mais les massacres
et deportations de centaines de milliers d'Armeniens ordonnes par
les autorites ottomanes pendant la Première guerre mondiale l'ont
accompagne tout au long de sa visite en Turquie.
Lundi, lors de la conference de presse avec Abdullah Gul, son
homologue, Francois Hollande a ainsi declare : "Le travail de memoire
est toujours douloureux mais il doit etre fait. Ce que nous avons
a mener, c'est la reconciliation a travers la recherche de ce qui
s'est produit et la reconnaissance de ce qui s'est fait." A Istanbul
le lendemain, a l'universite de Galatasaray, il a poursuivi dans la
meme veine, en affirmant qu'un "peuple qui fait cet effort douloureux
se grandit".
Tourner la page d'annees de brouille
Evoquer ou ne pas evoquer le sujet qui electrise les relations
entre les deux pays ? La reponse n'etait pas evidente car l'objet
de la venue de Francois Hollande sur les rives du Bosphore etait
justement de tourner la page d'annees de brouille. Renforcee certes
par l'opposition viscerale de Nicolas Sarkozy a l'entree de la Turquie
dans l'Union europeenne, elle se nourrit des demarches legislatives
successives des parlementaires francais sur le genocide armenien.
"Nous avons fait le choix de dire ce que nous avions a dire,
de l'assumer, pas de nous cacher derrière notre petit doigt",
explique-t-on dans l'entourage du president. Comme le montre cependant
l'ajout a la dernière minute de la rencontre en tete-a-tete entre
Francois Hollande et Rakel Dink, la veuve du journaliste armenien
abattu devant son hebdomadaire "Agos" par un nationaliste turc, le 19
janvier 2007, la strategie n'a pas ete simple a assumer. Car meme si
la rhetorique negationniste de l'Etat turc s'est un peu assouplie,
Ankara continue de nier le caractère genocidaire des massacres de
1915 et se heurte toujours a la position francaise.
Le tabou du genocide a saute
Les entreprises tricolores ont ainsi largement ete ecartees des gros
appels d'offres publics turcs depuis une decennie. Le boycott a demarre
avec la loi reconnaissant le genocide armenien en 2001. Nouvel accès
de fièvre des Turcs après une tentative de penaliser son deni en 2006,
puis en decembre 2011 lorsque le Palais Bourbon vote une loi en ce
sens... qui sera finalement rejetee par le Conseil constitutionnel
en fevrier 2012. Francois Hollande n'est pas le premier chef d'Etat
etranger a appeler la Turquie a accomplir son devoir de memoire.
Barack Obama avait fait de meme devant la Grande assemblee nationale
a Ankara, en 2009.
Mais si cette posture morale, qui est un gage donne a la diaspora
armenienne de France, passe sans trop de couacs aujourd'hui, c'est
aussi parce que le tabou du genocide a saute en Turquie ces dernières
annees. Et a un an de la commemoration du centenaire de 1915, les
autorites turques ont conscience que leur discours negationniste
caricatural n'est plus audible sur la scène internationale.
Un arret de la Cour europeenne des droits de l'homme (CEDH), en
decembre, affirmant que la negation du genocide armenien ne constitue
pas un delit, donne egalement de l'assurance aux autorites turques : il
rend quasiment impossible un nouveau texte criminalisant un tel deni.
A Ankara, Francois Hollande a annonce que la decision-cadre europeenne
de 2008 qui punit "l'apologie, la negation ou la banalisation grossière
publiques des crimes de genocide" serait transposee dans le droit
francais (la France a obligation de le faire). Mais Turcs et Francais
savent bien que la decision de CEDH risque fort d'en exclure celui
des Armeniens.
Laure Marchand - Le Nouvel Observateur
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20140129.OBS4196/hollande-et-le-genocide-armenien.html
Le Nouvel Observateur
29 jan 2014
Lors de sa visite d'Etat en Turquie, le president n'a pas prononce le
mot mais s'est pose en defenseur de la reconnaissance du genocide. De
notre correspondante.
Le chef de l'Etat francais a menage la susceptibilite des Turcs et n'a
pas prononce le mot qui fâche, celui de "genocide". Mais les massacres
et deportations de centaines de milliers d'Armeniens ordonnes par
les autorites ottomanes pendant la Première guerre mondiale l'ont
accompagne tout au long de sa visite en Turquie.
Lundi, lors de la conference de presse avec Abdullah Gul, son
homologue, Francois Hollande a ainsi declare : "Le travail de memoire
est toujours douloureux mais il doit etre fait. Ce que nous avons
a mener, c'est la reconciliation a travers la recherche de ce qui
s'est produit et la reconnaissance de ce qui s'est fait." A Istanbul
le lendemain, a l'universite de Galatasaray, il a poursuivi dans la
meme veine, en affirmant qu'un "peuple qui fait cet effort douloureux
se grandit".
Tourner la page d'annees de brouille
Evoquer ou ne pas evoquer le sujet qui electrise les relations
entre les deux pays ? La reponse n'etait pas evidente car l'objet
de la venue de Francois Hollande sur les rives du Bosphore etait
justement de tourner la page d'annees de brouille. Renforcee certes
par l'opposition viscerale de Nicolas Sarkozy a l'entree de la Turquie
dans l'Union europeenne, elle se nourrit des demarches legislatives
successives des parlementaires francais sur le genocide armenien.
"Nous avons fait le choix de dire ce que nous avions a dire,
de l'assumer, pas de nous cacher derrière notre petit doigt",
explique-t-on dans l'entourage du president. Comme le montre cependant
l'ajout a la dernière minute de la rencontre en tete-a-tete entre
Francois Hollande et Rakel Dink, la veuve du journaliste armenien
abattu devant son hebdomadaire "Agos" par un nationaliste turc, le 19
janvier 2007, la strategie n'a pas ete simple a assumer. Car meme si
la rhetorique negationniste de l'Etat turc s'est un peu assouplie,
Ankara continue de nier le caractère genocidaire des massacres de
1915 et se heurte toujours a la position francaise.
Le tabou du genocide a saute
Les entreprises tricolores ont ainsi largement ete ecartees des gros
appels d'offres publics turcs depuis une decennie. Le boycott a demarre
avec la loi reconnaissant le genocide armenien en 2001. Nouvel accès
de fièvre des Turcs après une tentative de penaliser son deni en 2006,
puis en decembre 2011 lorsque le Palais Bourbon vote une loi en ce
sens... qui sera finalement rejetee par le Conseil constitutionnel
en fevrier 2012. Francois Hollande n'est pas le premier chef d'Etat
etranger a appeler la Turquie a accomplir son devoir de memoire.
Barack Obama avait fait de meme devant la Grande assemblee nationale
a Ankara, en 2009.
Mais si cette posture morale, qui est un gage donne a la diaspora
armenienne de France, passe sans trop de couacs aujourd'hui, c'est
aussi parce que le tabou du genocide a saute en Turquie ces dernières
annees. Et a un an de la commemoration du centenaire de 1915, les
autorites turques ont conscience que leur discours negationniste
caricatural n'est plus audible sur la scène internationale.
Un arret de la Cour europeenne des droits de l'homme (CEDH), en
decembre, affirmant que la negation du genocide armenien ne constitue
pas un delit, donne egalement de l'assurance aux autorites turques : il
rend quasiment impossible un nouveau texte criminalisant un tel deni.
A Ankara, Francois Hollande a annonce que la decision-cadre europeenne
de 2008 qui punit "l'apologie, la negation ou la banalisation grossière
publiques des crimes de genocide" serait transposee dans le droit
francais (la France a obligation de le faire). Mais Turcs et Francais
savent bien que la decision de CEDH risque fort d'en exclure celui
des Armeniens.
Laure Marchand - Le Nouvel Observateur
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20140129.OBS4196/hollande-et-le-genocide-armenien.html