QUAND LA LIBERTE D'EXPRESSION DEVIENT UNE DANGEREUSE ABSTRACTION PAR LAURENT LEYLEKIAN
REVUE DE PRESSE
Et quand la Suisse decline a sa facon un arret de la Cour Europeenne
des Droits de l'Homme
"Liberte, liberte cherie" est une devise qu'il peut etre dangereux
de brandir lorsque cela est fait sans discernement. Mais ceux qui la
brandissent ainsi peuvent parfois etre surpris des consequences. C'est
peut-etre ce qui est survenu a la Cour Europeenne des Droits de
l'Homme dont un arret rendu a l'encontre de la Suisse a apparemment ete
decline avec soin par un tribunal helvetique. Certes, on ne saurait
affirmer formellement que les deux evènements soient lies mais -dans
cet univers où les batailles se mènent a fleurets mouchetes- c'est
au minimum possible.
Rappel des faits donc :
En 2005, Dogu Perincek, leader du Parti des Travailleurs turcs,
formation marxiste et ultranationaliste (en Turquie, c'est possible),
se rend a Lausanne avec l'intention annoncee d'y nier publiquement le
Genocide armenien et de provoquer la justice suisse. Le lieu n'a pas
ete choisi au hasard puisque Lausanne est l'endroit où fut signe le
traite fondateur de la Turquie "moderne" et la Suisse est alors le
seul pays où le code penal punit la negation de tous les genocides
par son article 261 bis. Dogu Perincek est donc le "fou" par lequel
l'Etat turc entend tester les capacites de resistance au negationnisme
des democraties europeennes sur l'echiquier de ses normes juridiques.
Nier un genocide, une liberte d'expression comme les autres ?
Perincek fait son discours. La justice helvetique fait diligence. Il
est condamne, fait appel, est recondamne et saisit donc en juin
2008 -c'etait le but de la manoeuvre- la Cour Europeenne des Droits
de l'Homme afin de casser la juridiction penale suisse punissant
le negationnisme. Pendant cinq ans rien ne se passe. Puis, le 17
decembre 2013, c'est la stupeur ! La CEDH publie un arret dans lequel
-par 5 voix contre 2-, elle reconnaît a Perincek le "droit" de nier
le Genocide armenien et estime que la Suisse a viole l'article 10 de
la Convention europeenne des Droits de l'Homme, celui garantissant la
liberte d'expression. Après quelques semaines de suspense, la Suisse
a finalement fait appel de l'arret de la Cour -appel accepte par
la Cour le 2 juin dernier-, et le cas Perincek sera donc reexamine
devant la Grande Chambre.
Rien n'est encore fait donc mais les attendus de l'arret Perincek
valent qu'on s'y arrete.
*On y remarque tout d'abord que l'Etat turc a plaide en faveur de
son ressortissant ce qui prouve, s'il existait encore un doute a ce
sujet, qu'il fait corps avec les positions de ce dernier. *On y note
ensuite que la Cour reconnaît que Perincek conteste la qualification de
genocide -une negation de l'intentionnalite qui caracterise precisement
l'une des methodes du negationnisme- mais estime curieusement que cela
ne peut etre interprete comme une activite visant a la destruction des
droits ou libertes reconnus dans la Convention. En clair, l'article
17 de la Convention qui exclut du champ de celle-ci les abus de droit
ne s'appliquerait.
La notion de "besoin imperieux" traitee avec desinvolture
On y remarque aussi la permissivite de la Cour aux thèses
negationnistes puisqu'elle nie que le Genocide armenien fasse consensus
en s'appuyant sur "de nombreuses sources invoquees par le requerant et
le gouvernement turc qui font etat d'avis divergents". A cet egard,
il est interessant de noter que la Cour -comme frappee de juridisme-
semble confondre realite des faits et qualification juridique
puisqu'elle prend bien garde de distinguer le cas Perincek du cas
Faurisson en notant a propos de ce dernier que "les faits historiques
remis en cause par les interesses avaient ete juges clairement etablis
par une juridiction internationale". S'abriter derrière le fait que le
Genocide armenien n'a pas ete (et ne sera sans doute desormais jamais)
reconnu comme tel par une juridiction internationale pour considerer
que son negationnisme n'en est pas un, c'est un peu comme affirmer
qu'avant l'invention du thermomètre, personne n'avait de fièvre.
On y lit enfin que la Cour "considère comme insuffisamment etayee la
thèse du Gouvernement [suisse] selon laquelle les propos du requerant
risquaient de mettre gravement l" ordre' en danger ". Elle se retranche
pour cela derrière le fait que la plupart des legislations nationales
ne sanctionnent pas la negation du Genocide armenien, apparemment
inconsciente du fait que celles-ci s'appuient ... sur la position de
la CEDH en la matière ! Un sinistre ping-pong juridique qui peut durer
encore longtemps et qui en dit surtout long sur les carences -ou pire,
sur la desinvolture- de la Cour a propos de la dangereuse propension
a l'armenophobie que cultivent soigneusement les ambassades d'Ankara
au sein des diasporas turques d'Europe.
POUR LIRE LA SUITE CLIQUER SUR LE LIEN
http://www.huffingtonpost.fr/laurent-leylekian/liberte-dexpression-cour-europeennes-des-droits-de-lhomme_b_5547602.html
jeudi 3 juillet 2014, Stephane (c)armenews.com
From: A. Papazian
REVUE DE PRESSE
Et quand la Suisse decline a sa facon un arret de la Cour Europeenne
des Droits de l'Homme
"Liberte, liberte cherie" est une devise qu'il peut etre dangereux
de brandir lorsque cela est fait sans discernement. Mais ceux qui la
brandissent ainsi peuvent parfois etre surpris des consequences. C'est
peut-etre ce qui est survenu a la Cour Europeenne des Droits de
l'Homme dont un arret rendu a l'encontre de la Suisse a apparemment ete
decline avec soin par un tribunal helvetique. Certes, on ne saurait
affirmer formellement que les deux evènements soient lies mais -dans
cet univers où les batailles se mènent a fleurets mouchetes- c'est
au minimum possible.
Rappel des faits donc :
En 2005, Dogu Perincek, leader du Parti des Travailleurs turcs,
formation marxiste et ultranationaliste (en Turquie, c'est possible),
se rend a Lausanne avec l'intention annoncee d'y nier publiquement le
Genocide armenien et de provoquer la justice suisse. Le lieu n'a pas
ete choisi au hasard puisque Lausanne est l'endroit où fut signe le
traite fondateur de la Turquie "moderne" et la Suisse est alors le
seul pays où le code penal punit la negation de tous les genocides
par son article 261 bis. Dogu Perincek est donc le "fou" par lequel
l'Etat turc entend tester les capacites de resistance au negationnisme
des democraties europeennes sur l'echiquier de ses normes juridiques.
Nier un genocide, une liberte d'expression comme les autres ?
Perincek fait son discours. La justice helvetique fait diligence. Il
est condamne, fait appel, est recondamne et saisit donc en juin
2008 -c'etait le but de la manoeuvre- la Cour Europeenne des Droits
de l'Homme afin de casser la juridiction penale suisse punissant
le negationnisme. Pendant cinq ans rien ne se passe. Puis, le 17
decembre 2013, c'est la stupeur ! La CEDH publie un arret dans lequel
-par 5 voix contre 2-, elle reconnaît a Perincek le "droit" de nier
le Genocide armenien et estime que la Suisse a viole l'article 10 de
la Convention europeenne des Droits de l'Homme, celui garantissant la
liberte d'expression. Après quelques semaines de suspense, la Suisse
a finalement fait appel de l'arret de la Cour -appel accepte par
la Cour le 2 juin dernier-, et le cas Perincek sera donc reexamine
devant la Grande Chambre.
Rien n'est encore fait donc mais les attendus de l'arret Perincek
valent qu'on s'y arrete.
*On y remarque tout d'abord que l'Etat turc a plaide en faveur de
son ressortissant ce qui prouve, s'il existait encore un doute a ce
sujet, qu'il fait corps avec les positions de ce dernier. *On y note
ensuite que la Cour reconnaît que Perincek conteste la qualification de
genocide -une negation de l'intentionnalite qui caracterise precisement
l'une des methodes du negationnisme- mais estime curieusement que cela
ne peut etre interprete comme une activite visant a la destruction des
droits ou libertes reconnus dans la Convention. En clair, l'article
17 de la Convention qui exclut du champ de celle-ci les abus de droit
ne s'appliquerait.
La notion de "besoin imperieux" traitee avec desinvolture
On y remarque aussi la permissivite de la Cour aux thèses
negationnistes puisqu'elle nie que le Genocide armenien fasse consensus
en s'appuyant sur "de nombreuses sources invoquees par le requerant et
le gouvernement turc qui font etat d'avis divergents". A cet egard,
il est interessant de noter que la Cour -comme frappee de juridisme-
semble confondre realite des faits et qualification juridique
puisqu'elle prend bien garde de distinguer le cas Perincek du cas
Faurisson en notant a propos de ce dernier que "les faits historiques
remis en cause par les interesses avaient ete juges clairement etablis
par une juridiction internationale". S'abriter derrière le fait que le
Genocide armenien n'a pas ete (et ne sera sans doute desormais jamais)
reconnu comme tel par une juridiction internationale pour considerer
que son negationnisme n'en est pas un, c'est un peu comme affirmer
qu'avant l'invention du thermomètre, personne n'avait de fièvre.
On y lit enfin que la Cour "considère comme insuffisamment etayee la
thèse du Gouvernement [suisse] selon laquelle les propos du requerant
risquaient de mettre gravement l" ordre' en danger ". Elle se retranche
pour cela derrière le fait que la plupart des legislations nationales
ne sanctionnent pas la negation du Genocide armenien, apparemment
inconsciente du fait que celles-ci s'appuient ... sur la position de
la CEDH en la matière ! Un sinistre ping-pong juridique qui peut durer
encore longtemps et qui en dit surtout long sur les carences -ou pire,
sur la desinvolture- de la Cour a propos de la dangereuse propension
a l'armenophobie que cultivent soigneusement les ambassades d'Ankara
au sein des diasporas turques d'Europe.
POUR LIRE LA SUITE CLIQUER SUR LE LIEN
http://www.huffingtonpost.fr/laurent-leylekian/liberte-dexpression-cour-europeennes-des-droits-de-lhomme_b_5547602.html
jeudi 3 juillet 2014, Stephane (c)armenews.com
From: A. Papazian