EDITORIAL
Haut-Karabagh et Nakhitchevan : l'étau pan turc se resserre, par Ara Toranian
Le 5 juin dernier, deux soldats arméniens ont été assassinés par un
sniper de l'armée azerbaïdjanaise sur la frontière sud-ouest de
l'Arménie avec le Nakhitchévan. L'événement est passé presque inaperçu
sur la scène politico-médiatique, malgré quelques dépêches d'agences
de presse, dont une de l'AFP. Cette agression contre l'Arménie, sans
aucun lien avec la question du Haut Karabagh, constitue pourtant une
initiative criminelle particulièrement grave. Non seulement, dans ses
conséquences humaines, puisqu'elle s'est soldée par le meurtre de deux
jeunes gens, Antranig Yehoyan (25 ans) et de Boris Kasparian (22 ans).
Mais aussi sur le plan du droit international où elle est assimilable
à un casus belli.
Se situant totalement en dehors du thétre des opérations du Haut
Karabagh, cette action se distingue en effet des multiples violations
du cessez-le-feu (plus de 2000 pour le seul mois de mai), qui
déstabilisent de plus en plus la ligne de contact. Elle se différencie
également des tirs récurrents contre les villages du Tavush, au
nord-est du pays, limitrophes de l'Azerbaïdjan. Prenant l'Arménie Ã
rebours, sur sa frontière sud-est, cette agression s'apparente plutôt
à l'ouverture d'un nouveau front, qui ciblerait au sud le couloir du
Zanguezour, et qui viserait à établir cette fameuse continuité
territoriale entre la Turquie, le Nakhitchevan et l'Azerbaïdjan, qui
constitue l'un des fondements du panturquisme et l'un des mobiles du
génocide des Arméniens.
Se trouve-t-on donc face aux prémices de cette guerre totale que nous
avait promises Zakir Hasanov, ministre de la Défense azerbaïdjanais,
en déclarant le 26 juin : > ? En tout état de cause, cette provocation donne une dimension
particulière à la logorrhée d'Ilham Aliev qui depuis plus d'un an
répète à l'envi que l'Arménie s'est construite sur des terres qui
appartiennent à l'Azerbaïdjan. Une rhétorique qui peut être non
seulement considérée comme l'expression de revendications
territoriales à l'égard de l'État arménien, mais également comme une
remise en cause de son droit à l'existence. S'inscrivant de surcroît
dans le prolongement de l'explosion du budget militaire de
l'Azerbaïdjan, ces événements devraient mobiliser les communautés
arméniennes, stimuler la vigilance internationale et pour le moins
permettre de dénoncer les conséquences criminelles des ventes d'armes
à Bakou.
C'est dans cet esprit que Nouvelles d'Arménie a demandé le 2 juillet
au porte-parole du Quai d'Orsay quelles initiatives comptaient prendre
la France pour prévenir les risques liés à cette escalade ? Sa réponse
s'est révélée en l'occurrence en deçà du niveau de réaction
qu'imposent en principe de telles exactions. Pour mémoire, le
ministère des Affaires étrangères avait clairement condamné le meurtre
d'un soldat israélien tué le 16 décembre 2013 par un tir venant du
Liban. Pourquoi dans le cas du Nakhitchevan un simple appel à la
retenue alors que, mutatis mutandis, les circonstances sont
comparables ? Cette modération, qui se veut peut-être opportune pour
un pays médiateur dans le conflit, ne risque-t-elle pas d'être
interprétée par les agresseurs comme un signe d'apathie, voire
d'indifférence ?
La diaspora qui s'était mobilisée à juste titre pour dénoncer
l'occupation de Kessab en Syrie par les djihadistes devrait quant Ã
elle se maintenir en état d'alerte par rapport à cette nouvelle
menace. Qu'y a-t-il en effet à attendre, sinon de la haine et des
actions criminelles, de cette république autonome d'Azerbaïdjan, fief
du clan Aliev, qui s'était tristement distinguée en procédant en
décembre 2005 à la profanation du cimetière arménien de Julfa ,
laquelle s'était soldée par la destruction de milliers de Khatchkars
(grandes croix de pierre), datant des XVe et XVIe siècles qui
représentaient un des trésors de la culture arménienne. On se souvient
qu'en 1914, cette région (historiquement un canton de la province
arménienne du Vaspourakan), hébergeait 81 300 Azéris et 53 700
Arméniens. En 2009, elle ne recensait plus aucun Arménien et comptait
400 000 Azéris.
Ce double mouvement de développement démographique pour les uns et
d'éradication totale pour les autres donne la mesure de l'espérance de
vie à laquelle nous vouent le clan Aliev. Le risque que fait peser
l'axe Ankara-Bakou sur le destin de l'Arménie est certes réduit du
fait de l'alliance stratégique qui lie Erevan à Moscou jusqu'en 2044.
Mais il demeure néanmoins réel pour la République du Haut-Karabagh,
dont l'absence de statut diplomatique fragilise la sécurité.
Alors que le monde s'apprête à commémorer les cent ans du génocide, un
parfum de précarité continue donc de flotter autour des Arméniens de
la région. Comme si aucune leçon n'avait été tirée des tragédies du
passé, comme si le devoir de mémoire n'induisait pas naturellement une
exigence de prévention. Incorrigible, le pouvoir en place à Bakou, qui
s'avère autant totalitaire à l'intérieur qu'il est belliqueux Ã
l'extérieur, n'a jamais été aussi éloigné des valeurs démocratiques
que depuis qu'il a pris au mois de mai la présidence tournante du
Conseil de l'Europe. Une fonction dont on aurait pu espérer qu'elle
l'amènerait à faire preuve de plus de sens des responsabilités, mais
dont, en bon tyran, Alyev a visiblement cru qu'elle lui conférait plus
de droits et de pouvoir. Il y a donc urgence à lui apporter un démenti
en ce domaine. Et à le faire redescendre sur terre.
Ara Toranian
samedi 5 juillet 2014,
Ara (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=101386
Haut-Karabagh et Nakhitchevan : l'étau pan turc se resserre, par Ara Toranian
Le 5 juin dernier, deux soldats arméniens ont été assassinés par un
sniper de l'armée azerbaïdjanaise sur la frontière sud-ouest de
l'Arménie avec le Nakhitchévan. L'événement est passé presque inaperçu
sur la scène politico-médiatique, malgré quelques dépêches d'agences
de presse, dont une de l'AFP. Cette agression contre l'Arménie, sans
aucun lien avec la question du Haut Karabagh, constitue pourtant une
initiative criminelle particulièrement grave. Non seulement, dans ses
conséquences humaines, puisqu'elle s'est soldée par le meurtre de deux
jeunes gens, Antranig Yehoyan (25 ans) et de Boris Kasparian (22 ans).
Mais aussi sur le plan du droit international où elle est assimilable
à un casus belli.
Se situant totalement en dehors du thétre des opérations du Haut
Karabagh, cette action se distingue en effet des multiples violations
du cessez-le-feu (plus de 2000 pour le seul mois de mai), qui
déstabilisent de plus en plus la ligne de contact. Elle se différencie
également des tirs récurrents contre les villages du Tavush, au
nord-est du pays, limitrophes de l'Azerbaïdjan. Prenant l'Arménie Ã
rebours, sur sa frontière sud-est, cette agression s'apparente plutôt
à l'ouverture d'un nouveau front, qui ciblerait au sud le couloir du
Zanguezour, et qui viserait à établir cette fameuse continuité
territoriale entre la Turquie, le Nakhitchevan et l'Azerbaïdjan, qui
constitue l'un des fondements du panturquisme et l'un des mobiles du
génocide des Arméniens.
Se trouve-t-on donc face aux prémices de cette guerre totale que nous
avait promises Zakir Hasanov, ministre de la Défense azerbaïdjanais,
en déclarant le 26 juin : > ? En tout état de cause, cette provocation donne une dimension
particulière à la logorrhée d'Ilham Aliev qui depuis plus d'un an
répète à l'envi que l'Arménie s'est construite sur des terres qui
appartiennent à l'Azerbaïdjan. Une rhétorique qui peut être non
seulement considérée comme l'expression de revendications
territoriales à l'égard de l'État arménien, mais également comme une
remise en cause de son droit à l'existence. S'inscrivant de surcroît
dans le prolongement de l'explosion du budget militaire de
l'Azerbaïdjan, ces événements devraient mobiliser les communautés
arméniennes, stimuler la vigilance internationale et pour le moins
permettre de dénoncer les conséquences criminelles des ventes d'armes
à Bakou.
C'est dans cet esprit que Nouvelles d'Arménie a demandé le 2 juillet
au porte-parole du Quai d'Orsay quelles initiatives comptaient prendre
la France pour prévenir les risques liés à cette escalade ? Sa réponse
s'est révélée en l'occurrence en deçà du niveau de réaction
qu'imposent en principe de telles exactions. Pour mémoire, le
ministère des Affaires étrangères avait clairement condamné le meurtre
d'un soldat israélien tué le 16 décembre 2013 par un tir venant du
Liban. Pourquoi dans le cas du Nakhitchevan un simple appel à la
retenue alors que, mutatis mutandis, les circonstances sont
comparables ? Cette modération, qui se veut peut-être opportune pour
un pays médiateur dans le conflit, ne risque-t-elle pas d'être
interprétée par les agresseurs comme un signe d'apathie, voire
d'indifférence ?
La diaspora qui s'était mobilisée à juste titre pour dénoncer
l'occupation de Kessab en Syrie par les djihadistes devrait quant Ã
elle se maintenir en état d'alerte par rapport à cette nouvelle
menace. Qu'y a-t-il en effet à attendre, sinon de la haine et des
actions criminelles, de cette république autonome d'Azerbaïdjan, fief
du clan Aliev, qui s'était tristement distinguée en procédant en
décembre 2005 à la profanation du cimetière arménien de Julfa ,
laquelle s'était soldée par la destruction de milliers de Khatchkars
(grandes croix de pierre), datant des XVe et XVIe siècles qui
représentaient un des trésors de la culture arménienne. On se souvient
qu'en 1914, cette région (historiquement un canton de la province
arménienne du Vaspourakan), hébergeait 81 300 Azéris et 53 700
Arméniens. En 2009, elle ne recensait plus aucun Arménien et comptait
400 000 Azéris.
Ce double mouvement de développement démographique pour les uns et
d'éradication totale pour les autres donne la mesure de l'espérance de
vie à laquelle nous vouent le clan Aliev. Le risque que fait peser
l'axe Ankara-Bakou sur le destin de l'Arménie est certes réduit du
fait de l'alliance stratégique qui lie Erevan à Moscou jusqu'en 2044.
Mais il demeure néanmoins réel pour la République du Haut-Karabagh,
dont l'absence de statut diplomatique fragilise la sécurité.
Alors que le monde s'apprête à commémorer les cent ans du génocide, un
parfum de précarité continue donc de flotter autour des Arméniens de
la région. Comme si aucune leçon n'avait été tirée des tragédies du
passé, comme si le devoir de mémoire n'induisait pas naturellement une
exigence de prévention. Incorrigible, le pouvoir en place à Bakou, qui
s'avère autant totalitaire à l'intérieur qu'il est belliqueux Ã
l'extérieur, n'a jamais été aussi éloigné des valeurs démocratiques
que depuis qu'il a pris au mois de mai la présidence tournante du
Conseil de l'Europe. Une fonction dont on aurait pu espérer qu'elle
l'amènerait à faire preuve de plus de sens des responsabilités, mais
dont, en bon tyran, Alyev a visiblement cru qu'elle lui conférait plus
de droits et de pouvoir. Il y a donc urgence à lui apporter un démenti
en ce domaine. Et à le faire redescendre sur terre.
Ara Toranian
samedi 5 juillet 2014,
Ara (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=101386