TURQUIE : VERS LA PAIX AVEC LES KURDES ?
REVUE DE PRESSE
Entretien avec Hamit Bozarslan, directeur d'études a l'EHESS. Ankara
et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont engagé depuis un
an des pourparlers pour mettre un terme au conflit kurde, qui a fait
plus de 40 000 morts depuis 1984. Un processus fragilisé puisque le
PKK a suspendu cet automne le retrait de ses rebelles de Turquie pour
dénoncer des promesses non tenues par le gouvernement.
Le processus de paix engagé entre le gouvernement turc et le PKK
a-t-il un avenir ? Personne ne le sait vraiment. Aujourd'hui, il y a
des frictions considérables au sein du pouvoir entre le courant Gulen
(voir ci-contre Â" â~@~HBras de ferâ~@~H Â"), une sorte d'Opus Dei
de l'Islam, et le parti AKP. Une partie de ces tensions peut avoir un
impact sur le dossier kurde. Très influent au sein du ministère de
l'Intérieur, le mouvement Gulen ne veut pas de ces négociations. Par
ailleurs, certains acteurs de l'opposition kémaliste adoptent
ouvertement une position anti-kurde. Enfin, l'Iran, qui compte
également une forte minorité kurde, tente lui aussi d'entraver ce
processus de paix. La situation est donc extrêmement complexe.
Pour quelles raisons le gouvernement a-t-il ouvert ces négociations ?
En février 2008, l'opération Soleil lancée par l'armée turque
au Kurdistan irakien contre les militants du PKK s'est soldée
par un fiasco, ce qui a considérablement ébranlé le prestige de
l'institution militaire dans la gestion de la question kurde. Cette
même année, le parti AKP au pouvoir a mis au pas la très puissante
armée turque a travers une série de procès. Par conséquent,
l'AKP avait les mains libres pour Â" résoudre Â" cette question. Je
pense aussi, qu'il y avait une volonté gouvernementale de renégocier
une sorte de contrat avec les Kurdes, lesquels représentent tout de
même quelque 20 % de la population. Enfin, bien sÃ"r la situation
syrienne a joué un rôle, la Turquie craignant de voir les Kurdes
syriens Â" s'autonomiser Â" complètement pour constituer un Ã~Itat
a ses frontières.
Ces négociations ont-elles commencé a porter des fruits ? Cela fait
un an qu'il n'y a pas eu d'affrontement lié a la question kurde. Le
21 mars dernier, Abdullah Ocalan, le dirigeant emprisonné du PKK,
a annoncé un cessez-le-feu. Cette situation de paix prolongée a
permis le déploiement d'une société civile extrêmement dynamique
et de classes moyennes kurdes avec des attentes en termes de confort
matériel, de services culturels, d'éducation. On assiste ainsi a une
floraison de cafés littéraires, de groupes de théâtre, de clubs de
danse, de maisons d'édition... Dans les villes du Sud-Est Mardin, Van,
Hakkari, les universités sont en pleine effervescence. Avant même
le lancement des négociations, les Kurdes avaient obtenu certains
droits : une radio et une télévision émettant en kurde, un site
dans leur langue au sein de l'agence de presse nationale (Anatolie),
des centres de recherche dans plusieurs villes. On peut aussi noter de
facto la banalisation du terme Kurdistan ou l'érection de statues a
la mémoire de leaders kurdes exécutés, ce qui était inimaginable
il y a quelques années.
Connaît-on les termes de la négociation ? Rien n'est écrit. Les
revendications du PKK semblent cependant plus claires. Elles recouvrent
une autonomie réelle, la possibilité pour les hommes et les femmes
politiques kurdes d'agir dans un cadre légal, la reconnaissance
du kurde comme langue du Kurdistan, et sans doute la légalisation
du PKK ou au moins la possibilité offerte a ses militants d'agir
en toute légalité. Du côté du gouvernement, le programme de
démocratisation annoncé le 30 septembre par le Premier ministre
Erdogan contenait quelques dispositions concernant les Kurdes,
notamment la permission de pratiquer une éducation en langue
maternelle dans les établissements privés, la possibilité d'user
officiellement des lettres spécifiques de leur alphabet (q, x, w),
la suppression du serment que les écoliers doivent réciter chaque
matin : Â" Je suis turc, je suis juste, je suis travailleur... Heureux
qui se dit Turc Â".
Mais ce paquet de réformes est jugé très insuffisant par le
PKK qui s'était engagé a se retirer derrière les frontières a
condition d'obtenir des concessions. En octobre dernier, le retrait des
combattants kurdes a été stoppé : quelque 20 % de ses combattants
(sur un total d'environ 5 000) se seraient pour le moment retirés
dans le Kurdistan irakien.
Quel est le bilan de la guerre entre les Kurdes et l'Ã~Itat Turc
? Ce conflit a fait plus de 40 000 morts combattants et civils
kurdes. Près de 4 000 hameaux et villages dans l'Est et le Sud-Est
ont été détruits. En 2009 un ministre turc a déclaré que la
guerre avait coÃ"té 300 milliards de dollars au pays. Par le passé,
le PKK a également commis certaines exactions en particulier des
massacres dans certains villages en 1986 et 1987. Il y a aussi des
purges internes dans les rangs du parti.
On a souvent reproché au PKK de ne pas accepter le pluralisme... Le
PKK est désormais capable de construire un bloc hégémonique,
a l'instar de celui que l'AKP a établi en Turquie. Aujourd'hui,
il n'est plus besoin d'utiliser la force pour s'imposer comme la
référence dominante de l'espace kurde. Du coup, il accepte davantage
de pluralisme, que ce soit en termes politiques, dans la presse ou
dans la vie culturelle.
La paix entre le PKK et le gouvernement est souvent présentée comme
indispensable a un approfondissement de la démocratisation du pays.
Qu'en pensez-vous ? C'est vrai a ceci près que la démocratisation
n'est pas l'objectif de l'AKP qui est davantage dans une logique de
projection de puissance.
Propos recueillis par Aurélie Carton
REPERES
Population : 76 millions d'habitants Nature de l'Ã~Itat : république
centralisée. Nature du régime : parlementaire. Chef de l'Ã~Itat
: Abdullah Gul, président de la République depuis le 28 aoÃ"t
2007. Chef du gouvernement : Recep Tayyip Erdogan depuis le 14
mars 2003.
Principaux partis politiques au Parlement : â~@¢ AKP (Parti de
la justice et du développement) parti islamo-conservateur fondé
par Recep Tayyip Erdogan. â~@¢ CHP (Parti républicain du peuple)
: parti social-démocrate, nationaliste et laïque fondé par
Ataturk. â~@¢ MHP (Parti d'action nationaliste) : parti d'extrême
droite nationaliste. â~@¢ DTP (Parti de la société démocratique)
: parti de socialisme démocratique, autonomiste kurde. Kémalisme :
Mouvement politique inspiré par les six principes de Mustafa Kemal
dit Ataturk, fondateur de la Turquie moderne : le républicanisme,
le populisme, la laïcité, le révolutionnarisme, le nationalisme,
l'étatisme.
http://www.amnesty.fr/Informez-vous/Les-actus/Turquie-vers-la-paix-avec-les-kurdes-10688
lundi 3 mars 2014, Stéphane ©armenews.com
From: Baghdasarian
REVUE DE PRESSE
Entretien avec Hamit Bozarslan, directeur d'études a l'EHESS. Ankara
et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont engagé depuis un
an des pourparlers pour mettre un terme au conflit kurde, qui a fait
plus de 40 000 morts depuis 1984. Un processus fragilisé puisque le
PKK a suspendu cet automne le retrait de ses rebelles de Turquie pour
dénoncer des promesses non tenues par le gouvernement.
Le processus de paix engagé entre le gouvernement turc et le PKK
a-t-il un avenir ? Personne ne le sait vraiment. Aujourd'hui, il y a
des frictions considérables au sein du pouvoir entre le courant Gulen
(voir ci-contre Â" â~@~HBras de ferâ~@~H Â"), une sorte d'Opus Dei
de l'Islam, et le parti AKP. Une partie de ces tensions peut avoir un
impact sur le dossier kurde. Très influent au sein du ministère de
l'Intérieur, le mouvement Gulen ne veut pas de ces négociations. Par
ailleurs, certains acteurs de l'opposition kémaliste adoptent
ouvertement une position anti-kurde. Enfin, l'Iran, qui compte
également une forte minorité kurde, tente lui aussi d'entraver ce
processus de paix. La situation est donc extrêmement complexe.
Pour quelles raisons le gouvernement a-t-il ouvert ces négociations ?
En février 2008, l'opération Soleil lancée par l'armée turque
au Kurdistan irakien contre les militants du PKK s'est soldée
par un fiasco, ce qui a considérablement ébranlé le prestige de
l'institution militaire dans la gestion de la question kurde. Cette
même année, le parti AKP au pouvoir a mis au pas la très puissante
armée turque a travers une série de procès. Par conséquent,
l'AKP avait les mains libres pour Â" résoudre Â" cette question. Je
pense aussi, qu'il y avait une volonté gouvernementale de renégocier
une sorte de contrat avec les Kurdes, lesquels représentent tout de
même quelque 20 % de la population. Enfin, bien sÃ"r la situation
syrienne a joué un rôle, la Turquie craignant de voir les Kurdes
syriens Â" s'autonomiser Â" complètement pour constituer un Ã~Itat
a ses frontières.
Ces négociations ont-elles commencé a porter des fruits ? Cela fait
un an qu'il n'y a pas eu d'affrontement lié a la question kurde. Le
21 mars dernier, Abdullah Ocalan, le dirigeant emprisonné du PKK,
a annoncé un cessez-le-feu. Cette situation de paix prolongée a
permis le déploiement d'une société civile extrêmement dynamique
et de classes moyennes kurdes avec des attentes en termes de confort
matériel, de services culturels, d'éducation. On assiste ainsi a une
floraison de cafés littéraires, de groupes de théâtre, de clubs de
danse, de maisons d'édition... Dans les villes du Sud-Est Mardin, Van,
Hakkari, les universités sont en pleine effervescence. Avant même
le lancement des négociations, les Kurdes avaient obtenu certains
droits : une radio et une télévision émettant en kurde, un site
dans leur langue au sein de l'agence de presse nationale (Anatolie),
des centres de recherche dans plusieurs villes. On peut aussi noter de
facto la banalisation du terme Kurdistan ou l'érection de statues a
la mémoire de leaders kurdes exécutés, ce qui était inimaginable
il y a quelques années.
Connaît-on les termes de la négociation ? Rien n'est écrit. Les
revendications du PKK semblent cependant plus claires. Elles recouvrent
une autonomie réelle, la possibilité pour les hommes et les femmes
politiques kurdes d'agir dans un cadre légal, la reconnaissance
du kurde comme langue du Kurdistan, et sans doute la légalisation
du PKK ou au moins la possibilité offerte a ses militants d'agir
en toute légalité. Du côté du gouvernement, le programme de
démocratisation annoncé le 30 septembre par le Premier ministre
Erdogan contenait quelques dispositions concernant les Kurdes,
notamment la permission de pratiquer une éducation en langue
maternelle dans les établissements privés, la possibilité d'user
officiellement des lettres spécifiques de leur alphabet (q, x, w),
la suppression du serment que les écoliers doivent réciter chaque
matin : Â" Je suis turc, je suis juste, je suis travailleur... Heureux
qui se dit Turc Â".
Mais ce paquet de réformes est jugé très insuffisant par le
PKK qui s'était engagé a se retirer derrière les frontières a
condition d'obtenir des concessions. En octobre dernier, le retrait des
combattants kurdes a été stoppé : quelque 20 % de ses combattants
(sur un total d'environ 5 000) se seraient pour le moment retirés
dans le Kurdistan irakien.
Quel est le bilan de la guerre entre les Kurdes et l'Ã~Itat Turc
? Ce conflit a fait plus de 40 000 morts combattants et civils
kurdes. Près de 4 000 hameaux et villages dans l'Est et le Sud-Est
ont été détruits. En 2009 un ministre turc a déclaré que la
guerre avait coÃ"té 300 milliards de dollars au pays. Par le passé,
le PKK a également commis certaines exactions en particulier des
massacres dans certains villages en 1986 et 1987. Il y a aussi des
purges internes dans les rangs du parti.
On a souvent reproché au PKK de ne pas accepter le pluralisme... Le
PKK est désormais capable de construire un bloc hégémonique,
a l'instar de celui que l'AKP a établi en Turquie. Aujourd'hui,
il n'est plus besoin d'utiliser la force pour s'imposer comme la
référence dominante de l'espace kurde. Du coup, il accepte davantage
de pluralisme, que ce soit en termes politiques, dans la presse ou
dans la vie culturelle.
La paix entre le PKK et le gouvernement est souvent présentée comme
indispensable a un approfondissement de la démocratisation du pays.
Qu'en pensez-vous ? C'est vrai a ceci près que la démocratisation
n'est pas l'objectif de l'AKP qui est davantage dans une logique de
projection de puissance.
Propos recueillis par Aurélie Carton
REPERES
Population : 76 millions d'habitants Nature de l'Ã~Itat : république
centralisée. Nature du régime : parlementaire. Chef de l'Ã~Itat
: Abdullah Gul, président de la République depuis le 28 aoÃ"t
2007. Chef du gouvernement : Recep Tayyip Erdogan depuis le 14
mars 2003.
Principaux partis politiques au Parlement : â~@¢ AKP (Parti de
la justice et du développement) parti islamo-conservateur fondé
par Recep Tayyip Erdogan. â~@¢ CHP (Parti républicain du peuple)
: parti social-démocrate, nationaliste et laïque fondé par
Ataturk. â~@¢ MHP (Parti d'action nationaliste) : parti d'extrême
droite nationaliste. â~@¢ DTP (Parti de la société démocratique)
: parti de socialisme démocratique, autonomiste kurde. Kémalisme :
Mouvement politique inspiré par les six principes de Mustafa Kemal
dit Ataturk, fondateur de la Turquie moderne : le républicanisme,
le populisme, la laïcité, le révolutionnarisme, le nationalisme,
l'étatisme.
http://www.amnesty.fr/Informez-vous/Les-actus/Turquie-vers-la-paix-avec-les-kurdes-10688
lundi 3 mars 2014, Stéphane ©armenews.com
From: Baghdasarian