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Syrie : la logique du pire

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  • Syrie : la logique du pire

    EDITORIAL
    Syrie : la logique du pire


    Les États-Unis et l'OTAN ne pouvaient pas rester longtemps sans réagir
    après la séparation de la Crimée d'avec l'Ukraine et son rattachement
    à la Russie, suite au mouvement pro-européen de la place Maydan à
    Kiev. La riposte se devait d'intervenir quelque part. Et c'est
    visiblement en Syrie qu'elle a eu lieu, avec l'attaque du 21 mars
    contre la région de Kessab et le port de Lattaquié, non loin de la
    base militaire russe de Tartous sur la Méditerranée. Cette agression
    contre le régime d'Assad, un des protégés de Vladimir Poutine, frappé
    au coeur d'une région de la Syrie peuplée d'Alaouites et considérée
    comme son bastion, revêt en effet tous les aspects d'une mesure de
    représailles à l'encontre d'une diplomatie russe aussi offensive
    qu'envahissante, dans tous les sens du mot, et qui mène la danse sur
    la scène internationale.

    Elle a été rendue possible par la participation et le soutien
    militaire d'un pouvoir turc par nature expansionniste et qui était
    trop content de voir là, une occasion de se sortir de ses difficultés
    internes, tout en se réhabilitant aux yeux de l'Occident. Mis à mal
    par une forte contestation sociale et sociétale doublée d'une grave
    crise financière, le système Erdogan s'est donc semble-t-il laissé
    tenter par une fuite en avant militariste. Un classique des
    gouvernements fascisants, qui trouve dans un pays à grande tradition
    nationaliste et même impériale comme la Turquie, un terrain de
    prédilection privilégiée. En prêtant son concours à l'opération lancée
    contre la Syrie, Erdogan possède une bonne occasion de détourner
    l'attention de son peuple, et de lui faire oublier ses dérives
    autoritaires dont il justifiera plus que jamais les excès eu égard au
    péril extérieur. Mais surtout, il offre à ses troupes entretenues dans
    les mythes de l'idéologie néo-ottomaniste dont il s'est fait le
    champion, un trophée pan turc de choix : l'anéantissement du village
    de Kessab, dernière survivance arménienne dans la région.

    Mais, plus grave encore dans ce drame, on ne peut hélas pas ne pas
    envisager que cette attaque contre un bourg arménien pacifique, resté
    neutre dans le conflit, et dont la population civile ne demandait qu'à
    vivre, n'ait pas été intégrée et théorisée comme un dommage collatéral
    nécessaire par les forces qui veulent à tout prix en découdre avec
    Bachar El Assad au nom de la démocratie et des droits de l'homme.

    Qu'elles soient internes ou externes, leur silence et leur passivité à
    l'égard de cet événement en disent long sur la réalité de leurs
    intentions. Mais ce faisant, en optant aussi clairement pour le choix
    du cynisme et de la Realpolitik, ne se mettent-elles pas au niveau du
    mal qu'elles prétendent combattre ? Ne souillent-elles pas leurs
    idéaux proclamés du sang d'innocents, exactement de la même manière
    que ce qu'elles reprochent au camp d'en face ?

    En tout cas les Arméniens de Kessab n'avaient aucune raison
    d'accueillir en libérateur ces troupes qui ont attaqué leur paisible
    village à coup de roquettes et de lance-missiles. Et sans doute la
    minorité Alaouites qui les entoure, elle-même opprimée pendant des
    siècles, non plus. Ce qui tend à prouver que ce conflit a perdu depuis
    longtemps sa dimension originelle de révolution du printemps arabe,
    pour devenir le champ clos d'un énième affrontement inter-ethnique sur
    un arrière-fond de guerre froide.

    Dans cette perspective, il est hélas tout à fait possible que les
    forces occidentales aient eu d'autant moins de scrupules à > Kessab et, une nouvelle fois, les Arméniens, qu'Erevan a
    rompu l'été dernier avec sa politique de complémentarité entre l'Est
    et l'Ouest, en tournant le dos au programme de partenariat occidental
    avec l'Union européenne au profit de l'Union douanière avec la Russie.
    Un choix imposé par Moscou, au terme d'une offre que Serge Sarkissian
    ne > et qui de fil en aiguille a amené le pays
    à faire partie le 27 mars, avec l'Iran, la Corée du Nord, le Belarus
    et...la Syrie, de ceux qui ont voté contre la résolution de l'ONU sur
    l'Ukraine. Fut-ce à son corps défendant. Mais tant que l'hypothèque
    panturque pèsera sur son droit à l'existence, tant que sa sécurité
    militaire dépendra du bon vouloir de la Russie, à quelle marge de
    manoeuvre diplomatique peut prétendre Erevan ?

    Toujours est-il que ces dramatiques événements jettent une lumière
    particulièrement crue sur la condition des Arméniens à la veille de
    2015. Cent ans après le génocide, les mêmes causes sont toujours
    susceptibles de produire les mêmes effets, que ce soit pour l'Etat
    arménien, ou pour les populations arméniennes rescapées qui avaient
    trouvé refuge dans la région.

    Qu'en Syrie, leurs vies soient menacées par des mouvements
    djihadistes, armés via les monarchies du golf avec la bénédiction de
    l'Occident, dont le quai d'Orsay, en dit long non seulement sur
    l'absence de déontologie politique de ces Etats, mais aussi sur leur
    imprévision. Car ceux qui font aujourd'hui la chasse aux chrétiens
    sont en réalité les ennemis les plus irréductibles de la démocratie.
    Et il n'est évidemment pas exclu que les armes dernier cri dont on les
    a généreusement gratifiés ne finissent tôt ou tard par se retourner
    contre ceux là même qui les leur ont fournis, directement ou
    indirectement.

    On peut même dire que c'est écrit. Comme il était écrit qu'avec le
    déclenchement de l'insurrection syrienne, Kessab, les Arméniens de
    Syrie, finiraient tôt ou tard par être pris pour cible. Et que
    personne hormis les Arméniens eux-mêmes ne lèverait le petit doigt
    pour leur venir en aide. Selon une tradition bien établie.

    Ara Toranian

    samedi 29 mars 2014,
    Ara (c)armenews.com
    http://www.armenews.com/article.php3?id_article=98534

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