Atlantico, France
29 mar 2014
La Turquie, nouveau sponsor du terrorisme international
La Turquie devient une base arrière pour les rebelles au régime
syrien, d'où les combattants islamistes radicaux organisent leurs
attaques. Le tout dans l'apparente indifférence de la communauté
internationale.
Laurent Leylekian - Fabrice Balanche
es derniers événements d'Ukraine ont provisoirement relché
l'attention de la communauté internationale sur les développements en
cours de la crise syrienne, et en particulier sur les combats se
déroulant actuellement à la frontière turque. C'est tout juste si une
dépêche de presse a relaté que l'armée turque a abattu un chasseur
syrien qui y bombardait des rebelles.
L'implication croissante de la Turquie dans ce conflit devrait
pourtant constituer un motif supplémentaire de préoccupation. Car si
l'objectif conjoncturel d'Ankara d'abattre le régime de Bachar
El-Assad est éventuellement conforme aux souhaits des Occidentaux, les
méthodes employées devraient susciter la plus grande inquiétude. La
Turquie est en effet en passe de devenir l'un des principaux >
régionaux du terrorisme international, loin devant d'autres Etats qui
ont pu trainer cette réputation.
Le dernier exemple des pratiques turques en la matière a débuté ce 21
mars. Au petit matin, des islamistes radicaux ont pénétré en
territoire syrien à partir de trois bases situées en Turquie pour y
attaquer le canton de Kessab. A cet effet, les combattants islamistes
identifiés comme appartenant à Jabhat Al-Nosra, récemment rebaptisé
Al-Qaïda au Levant, sont nécessairement passés entre les casernements
de l'armée turque. Les combats sont encore en cours mais on rapporte
de sources sûres que les blessés islamistes ont été rapatriés en
Turquie où des soins leur sont prodigués. C'est dans ce contexte
qu'est survenu l'épisode de l'avion abattu.
Kessab n'est pas n'importe quel village de Syrie. C'était en vérité la
dernière bourgade de l'Arménie ottomane : par une bizarrerie
administrative, Kessab fut le seul village rattaché à la Syrie lorsque
la France a honteusement abandonné le Sandjak d'Alexandrette aux
kémalistes en 1938. C'était, parce que la quasi-totalité de ses
habitants - des Arméniens de Syrie donc - ont fui ou ont été évacués
sur Lattaquié. En favorisant l'attaque de Kessab, par ailleurs sans
intérêt stratégique, on voit donc comment la Turquie profite de la
conjoncture chaotique pour effacer aujourd'hui les traces vivantes du
génocide de 1915 que sont ces populations descendant des rescapés. Au
demeurant le nom même de l'opération militaire- al Anfal, >
- en dit long sur l'état d'esprit qui prévaut parmi les assaillants et
constitue un rappel de sinistre mémoire pour leurs proies.
Plus généralement, l'AKP en général et le Premier ministre Erdogan en
particulier ont fait montre ces dernière années d'une singulière
mansuétude envers le terrorisme international. Dans un rapport de
février 2014 de la Foundation for Defense of Democracies, Jonathan
Schanzer, expert du Trésor américain en matière de financement du
terrorisme, pointe les liens accablant entre Erdogan et Yasin al-Qadi,
un saoudien proche de Ben Laden qui semble bénéficier de privilèges
diplomatiques en Turquie. Ce rapport pointe également le fait que de
nombreux autres terroristes bénéficient de villégiatures dans ce pays,
à l'instar de Saleh al-Aruri, le financier du Hamas qui y
commanditerait des opérations contre Israël. Enfin, M. Schanzer
indique qu'en février dernier, la Turquie est passé à deux doigts
d'être inscrite sur la liste du Financial Action Task Force (FATF),
une structure internationale destinés à lutter contre les circuits
financiers du terrorisme. La liste du FAFT comprend aujourd'hui l'Iran
et la Corée du Nord.
L'ensemble de ces agissements devraient conduire la communauté
internationale à condamner le régime d'Ankara et à prendre de
sérieuses mesures d'endiguement et de rétorsion à son endroit. Le fait
que cela n'advienne jamais ôte toute crédibilité aux appels au droit
international que ladite communauté peut par ailleurs opportunément
lancer.
Laurent Leylekian est analyste politique, spécialiste de la Turquie
Fabrice Balanche est spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de
recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO)
http://www.atlantico.fr/decryptage/turquie-nouveau-sponsor-terrorisme-international-laurent-leylekian-francis-balanche-1025947.html
29 mar 2014
La Turquie, nouveau sponsor du terrorisme international
La Turquie devient une base arrière pour les rebelles au régime
syrien, d'où les combattants islamistes radicaux organisent leurs
attaques. Le tout dans l'apparente indifférence de la communauté
internationale.
Laurent Leylekian - Fabrice Balanche
es derniers événements d'Ukraine ont provisoirement relché
l'attention de la communauté internationale sur les développements en
cours de la crise syrienne, et en particulier sur les combats se
déroulant actuellement à la frontière turque. C'est tout juste si une
dépêche de presse a relaté que l'armée turque a abattu un chasseur
syrien qui y bombardait des rebelles.
L'implication croissante de la Turquie dans ce conflit devrait
pourtant constituer un motif supplémentaire de préoccupation. Car si
l'objectif conjoncturel d'Ankara d'abattre le régime de Bachar
El-Assad est éventuellement conforme aux souhaits des Occidentaux, les
méthodes employées devraient susciter la plus grande inquiétude. La
Turquie est en effet en passe de devenir l'un des principaux >
régionaux du terrorisme international, loin devant d'autres Etats qui
ont pu trainer cette réputation.
Le dernier exemple des pratiques turques en la matière a débuté ce 21
mars. Au petit matin, des islamistes radicaux ont pénétré en
territoire syrien à partir de trois bases situées en Turquie pour y
attaquer le canton de Kessab. A cet effet, les combattants islamistes
identifiés comme appartenant à Jabhat Al-Nosra, récemment rebaptisé
Al-Qaïda au Levant, sont nécessairement passés entre les casernements
de l'armée turque. Les combats sont encore en cours mais on rapporte
de sources sûres que les blessés islamistes ont été rapatriés en
Turquie où des soins leur sont prodigués. C'est dans ce contexte
qu'est survenu l'épisode de l'avion abattu.
Kessab n'est pas n'importe quel village de Syrie. C'était en vérité la
dernière bourgade de l'Arménie ottomane : par une bizarrerie
administrative, Kessab fut le seul village rattaché à la Syrie lorsque
la France a honteusement abandonné le Sandjak d'Alexandrette aux
kémalistes en 1938. C'était, parce que la quasi-totalité de ses
habitants - des Arméniens de Syrie donc - ont fui ou ont été évacués
sur Lattaquié. En favorisant l'attaque de Kessab, par ailleurs sans
intérêt stratégique, on voit donc comment la Turquie profite de la
conjoncture chaotique pour effacer aujourd'hui les traces vivantes du
génocide de 1915 que sont ces populations descendant des rescapés. Au
demeurant le nom même de l'opération militaire- al Anfal, >
- en dit long sur l'état d'esprit qui prévaut parmi les assaillants et
constitue un rappel de sinistre mémoire pour leurs proies.
Plus généralement, l'AKP en général et le Premier ministre Erdogan en
particulier ont fait montre ces dernière années d'une singulière
mansuétude envers le terrorisme international. Dans un rapport de
février 2014 de la Foundation for Defense of Democracies, Jonathan
Schanzer, expert du Trésor américain en matière de financement du
terrorisme, pointe les liens accablant entre Erdogan et Yasin al-Qadi,
un saoudien proche de Ben Laden qui semble bénéficier de privilèges
diplomatiques en Turquie. Ce rapport pointe également le fait que de
nombreux autres terroristes bénéficient de villégiatures dans ce pays,
à l'instar de Saleh al-Aruri, le financier du Hamas qui y
commanditerait des opérations contre Israël. Enfin, M. Schanzer
indique qu'en février dernier, la Turquie est passé à deux doigts
d'être inscrite sur la liste du Financial Action Task Force (FATF),
une structure internationale destinés à lutter contre les circuits
financiers du terrorisme. La liste du FAFT comprend aujourd'hui l'Iran
et la Corée du Nord.
L'ensemble de ces agissements devraient conduire la communauté
internationale à condamner le régime d'Ankara et à prendre de
sérieuses mesures d'endiguement et de rétorsion à son endroit. Le fait
que cela n'advienne jamais ôte toute crédibilité aux appels au droit
international que ladite communauté peut par ailleurs opportunément
lancer.
Laurent Leylekian est analyste politique, spécialiste de la Turquie
Fabrice Balanche est spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de
recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO)
http://www.atlantico.fr/decryptage/turquie-nouveau-sponsor-terrorisme-international-laurent-leylekian-francis-balanche-1025947.html