Le Monde, France
26 avril 2014 samedi
Pour Paris, les " condoléances " d'Ankara sur le génocide arménien ne
suffisent pas
Thomas Wieder
M. Hollande cherche à sortir de l'impasse juridique sur la
pénalisation des propos négationnistes
Comment sortir d'une impasse juridique sans perdre politiquement la
face ? C'est la question à laquelle François Hollande s'est efforcé de
répondre, jeudi 24 avril, à l'occasion des commémorations du 99e
anniversaire du génocide perpétré contre les Arméniens dans les
dernières années de l'Empire ottoman.
Dans un discours d'un quart d'heure prononcé au pied de la statue de
Komitas (1869-1935), ce prêtre et musicien arménien rescapé des
massacres qui a donné son visage au monument honorant la mémoire des
victimes, à deux pas du pont des Invalides, à Paris, le chef de l'Etat
a esquissé une voie pour sortir du casse-tête que constitue pour lui,
depuis plus de deux ans, le débat sur la pénalisation de la négation
du génocide.
Cette voie de sortie a un nom : l'Europe. En décembre 2013, la Cour
européenne des droits de l'homme (CEDH) avait désavoué la Suisse après
la condamnation par celle-ci d'un nationaliste turc, Dogu Perinçek,
qui avait nié l'existence du génocide des Arméniens. Depuis, la Suisse
a décidé de faire appel, en demandant le renvoi de cette affaire
devant la Grande Chambre de la CEDH. Dans cette nouvelle bataille qui
s'engage, François Hollande a déclaré que la France " interviendrait
aux côtés de la Suisse ".
Bien que procédurale, cette annonce du chef de l'Etat a été très
applaudie par les quelques centaines de personnes, en grande majorité
des représentants de la communauté arménienne, venues l'écouter jeudi
en fin de journée. Si la CEDH donne finalement gain de cause à la
Suisse, c'est en effet le combat de ceux qui, en France, souhaitent
que soit pénalisée la négation du génocide qui pourrait se trouver
facilité.
Pour l'heure, ce combat est dans l'impasse. Il l'est en fait depuis
février 2012, quand le Conseil constitutionnel a censuré une loi
visant à pénaliser la négation des génocides, adoptée quelques
semaines plus tôt par l'Assemblée nationale et le Sénat. Alors
candidat à la présidentielle, François Hollande s'était engagé à ce
que, une fois élu, un nouveau projet de loi allant dans ce sens soit
déposé, malgré les protestations et menaces de représailles de la
Turquie. La parole a été tenue, mais un an plus tard, en avril 2013,
le Conseil d'Etat a donné un avis défavorable au nouveau texte qui lui
fut transmis par le gouvernement, au motif que celui-ci méconnaissait
le principe de prévisibilité de la loi pénale.
Plutôt que de prendre le risque d'une nouvelle censure du Conseil
constitutionnel, le gouvernement a finalement décidé de ne pas déposer
le projet de loi au Parlement. La décision de la CEDH l'a conforté
dans sa prudence. " Cela n'aurait aucun sens de déposer un projet de
loi compte tenu des positions du Conseil constitutionnel, du Conseil
d'Etat et maintenant de la Cour européenne des droits de l'homme ",
explique-t-on à l'Elysée.
Soucieux de ne pas laisser s'installer l'idée qu'il renonce à une
promesse de campagne juridiquement difficile à honorer, François
Hollande a multiplié les gestes, jeudi, visant à montrer qu'il
continue, comme président de la République, de défendre la cause
arménienne avec la même ardeur qu'à l'époque où il dirigeait le Parti
socialiste.
D'où son engagement à ce que soit inauguré à Paris, pour le centenaire
du génocide, en 2015, un Centre de mémoire et de civilisation
arménien. D'où sa promesse de revenir à Erevan, où il doit déjà se
rendre le 12 mai, pour les cérémonies du centenaire. D'où, enfin, sa
réaction aux " condoléances " présentées la veille par le premier
ministre turc Recep Tayyip Erdogan aux " petits-enfants des Arméniens
tués en 1915 " : " C'est un mot qu'il faut entendre mais qui ne peut
pas suffire ", a estimé le président français. A quinze jours de son
déplacement en Arménie, François Hollande ne pouvait pas dire mieux
pour s'y garantir un accueil des plus chaleureux.
26 avril 2014 samedi
Pour Paris, les " condoléances " d'Ankara sur le génocide arménien ne
suffisent pas
Thomas Wieder
M. Hollande cherche à sortir de l'impasse juridique sur la
pénalisation des propos négationnistes
Comment sortir d'une impasse juridique sans perdre politiquement la
face ? C'est la question à laquelle François Hollande s'est efforcé de
répondre, jeudi 24 avril, à l'occasion des commémorations du 99e
anniversaire du génocide perpétré contre les Arméniens dans les
dernières années de l'Empire ottoman.
Dans un discours d'un quart d'heure prononcé au pied de la statue de
Komitas (1869-1935), ce prêtre et musicien arménien rescapé des
massacres qui a donné son visage au monument honorant la mémoire des
victimes, à deux pas du pont des Invalides, à Paris, le chef de l'Etat
a esquissé une voie pour sortir du casse-tête que constitue pour lui,
depuis plus de deux ans, le débat sur la pénalisation de la négation
du génocide.
Cette voie de sortie a un nom : l'Europe. En décembre 2013, la Cour
européenne des droits de l'homme (CEDH) avait désavoué la Suisse après
la condamnation par celle-ci d'un nationaliste turc, Dogu Perinçek,
qui avait nié l'existence du génocide des Arméniens. Depuis, la Suisse
a décidé de faire appel, en demandant le renvoi de cette affaire
devant la Grande Chambre de la CEDH. Dans cette nouvelle bataille qui
s'engage, François Hollande a déclaré que la France " interviendrait
aux côtés de la Suisse ".
Bien que procédurale, cette annonce du chef de l'Etat a été très
applaudie par les quelques centaines de personnes, en grande majorité
des représentants de la communauté arménienne, venues l'écouter jeudi
en fin de journée. Si la CEDH donne finalement gain de cause à la
Suisse, c'est en effet le combat de ceux qui, en France, souhaitent
que soit pénalisée la négation du génocide qui pourrait se trouver
facilité.
Pour l'heure, ce combat est dans l'impasse. Il l'est en fait depuis
février 2012, quand le Conseil constitutionnel a censuré une loi
visant à pénaliser la négation des génocides, adoptée quelques
semaines plus tôt par l'Assemblée nationale et le Sénat. Alors
candidat à la présidentielle, François Hollande s'était engagé à ce
que, une fois élu, un nouveau projet de loi allant dans ce sens soit
déposé, malgré les protestations et menaces de représailles de la
Turquie. La parole a été tenue, mais un an plus tard, en avril 2013,
le Conseil d'Etat a donné un avis défavorable au nouveau texte qui lui
fut transmis par le gouvernement, au motif que celui-ci méconnaissait
le principe de prévisibilité de la loi pénale.
Plutôt que de prendre le risque d'une nouvelle censure du Conseil
constitutionnel, le gouvernement a finalement décidé de ne pas déposer
le projet de loi au Parlement. La décision de la CEDH l'a conforté
dans sa prudence. " Cela n'aurait aucun sens de déposer un projet de
loi compte tenu des positions du Conseil constitutionnel, du Conseil
d'Etat et maintenant de la Cour européenne des droits de l'homme ",
explique-t-on à l'Elysée.
Soucieux de ne pas laisser s'installer l'idée qu'il renonce à une
promesse de campagne juridiquement difficile à honorer, François
Hollande a multiplié les gestes, jeudi, visant à montrer qu'il
continue, comme président de la République, de défendre la cause
arménienne avec la même ardeur qu'à l'époque où il dirigeait le Parti
socialiste.
D'où son engagement à ce que soit inauguré à Paris, pour le centenaire
du génocide, en 2015, un Centre de mémoire et de civilisation
arménien. D'où sa promesse de revenir à Erevan, où il doit déjà se
rendre le 12 mai, pour les cérémonies du centenaire. D'où, enfin, sa
réaction aux " condoléances " présentées la veille par le premier
ministre turc Recep Tayyip Erdogan aux " petits-enfants des Arméniens
tués en 1915 " : " C'est un mot qu'il faut entendre mais qui ne peut
pas suffire ", a estimé le président français. A quinze jours de son
déplacement en Arménie, François Hollande ne pouvait pas dire mieux
pour s'y garantir un accueil des plus chaleureux.