La Croix, France
Vendredi 25 Avril 2014
LA QUESTION DU JOUR Jacques Sémelin. Professeur à Sciences-Po,
spécialiste des crimes de masse: Quelle portée auront les condoléances
d'Erdogan?
Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a présenté avant-hier
les condoléances de la Turquie aux Arméniens, pour les massacres de
1915. Il n'a pas, pour autant, reconnu le génocide. Le département
d'État américain y voit une « étape positive », mais le Conseil de
coordination des organisations arméniennes de France a dénoncé une «
opération de communication » visant à « rendre obsolète la
reconnaissance du génocide arménien » . Pour l'universitaire Jacques
Sémelin, il s'agit d'un pas inédit et symbolique, qui demande à être
concrétisé.
« Cette déclaration a surpris, elle était inattendue. Il s'agit d'un
premier pas, inédit et symbolique. Elle est d'ailleurs tombée le 23
avril, c'est-à-dire la veille du début des commémorations du génocide.
C'est une première brèche dans la posture de négation qu'Erdogan a
toujours eue jusqu'à présent. Toutefois, il est encore trop tôt pour
connaître les conséquences concrètes que ses propos pourront avoir.
Il faut bien souligner qu'en utilisant le terme de condoléances ,
Erdogan n'exprime ni une reconnaissance ni des regrets . Il ne remet
pas non plus en question la position turque officielle, qui reconnaît
qu'il y a eu des morts. Il n'accepte pas de reconnaître qu'il y a eu
un génocide. C'est sans doute basé sur un calcul politique, celui de
bien se faire voir des dirigeants européens.
Il faudrait dès maintenant le prendre au mot et lui demander de passer
aux regrets, ou du moins de donner une suite à ce premier pas. On
pourrait, par exemple, l'appeler à encourager les recherches sur cette
période. Elles pourraient associer les historiens turcs qui se sont
déjà penchés sur cette période et qui pour certains d'entre eux ont
lancé une pétition en 2008, Nous demandons pardon , pour réclamer la
reconnaissance du génocide aux historiens arméniens. On pourrait aussi
lui demander d'édifier un mémorial pour commémorer ces massacres.
Avec le centenaire du génocide, qui aura lieu l'année prochaine, le
premier ministre subit aussi une certaine pression internationale. À
cette occasion, sa déclaration pourrait lui revenir comme un
boomerang. Et alors, soit il devra poursuivre sur sa lancée et faire
un pas supplémentaire, soit il devra refermer la brèche qu'il a
entrouverte. Mais la diaspora arménienne ne se satisfera sans doute
pas de cette déclaration. »
Vendredi 25 Avril 2014
LA QUESTION DU JOUR Jacques Sémelin. Professeur à Sciences-Po,
spécialiste des crimes de masse: Quelle portée auront les condoléances
d'Erdogan?
Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a présenté avant-hier
les condoléances de la Turquie aux Arméniens, pour les massacres de
1915. Il n'a pas, pour autant, reconnu le génocide. Le département
d'État américain y voit une « étape positive », mais le Conseil de
coordination des organisations arméniennes de France a dénoncé une «
opération de communication » visant à « rendre obsolète la
reconnaissance du génocide arménien » . Pour l'universitaire Jacques
Sémelin, il s'agit d'un pas inédit et symbolique, qui demande à être
concrétisé.
« Cette déclaration a surpris, elle était inattendue. Il s'agit d'un
premier pas, inédit et symbolique. Elle est d'ailleurs tombée le 23
avril, c'est-à-dire la veille du début des commémorations du génocide.
C'est une première brèche dans la posture de négation qu'Erdogan a
toujours eue jusqu'à présent. Toutefois, il est encore trop tôt pour
connaître les conséquences concrètes que ses propos pourront avoir.
Il faut bien souligner qu'en utilisant le terme de condoléances ,
Erdogan n'exprime ni une reconnaissance ni des regrets . Il ne remet
pas non plus en question la position turque officielle, qui reconnaît
qu'il y a eu des morts. Il n'accepte pas de reconnaître qu'il y a eu
un génocide. C'est sans doute basé sur un calcul politique, celui de
bien se faire voir des dirigeants européens.
Il faudrait dès maintenant le prendre au mot et lui demander de passer
aux regrets, ou du moins de donner une suite à ce premier pas. On
pourrait, par exemple, l'appeler à encourager les recherches sur cette
période. Elles pourraient associer les historiens turcs qui se sont
déjà penchés sur cette période et qui pour certains d'entre eux ont
lancé une pétition en 2008, Nous demandons pardon , pour réclamer la
reconnaissance du génocide aux historiens arméniens. On pourrait aussi
lui demander d'édifier un mémorial pour commémorer ces massacres.
Avec le centenaire du génocide, qui aura lieu l'année prochaine, le
premier ministre subit aussi une certaine pression internationale. À
cette occasion, sa déclaration pourrait lui revenir comme un
boomerang. Et alors, soit il devra poursuivre sur sa lancée et faire
un pas supplémentaire, soit il devra refermer la brèche qu'il a
entrouverte. Mais la diaspora arménienne ne se satisfera sans doute
pas de cette déclaration. »