Le Monde.fr
Jeudi 24 Avril 2014
M. Erdogan présente ses condoléances aux Arméniens pour les massacres de 1915
par Guillaume Perrier
Pour la première fois depuis 1915, la Turquie, dans un communiqué
officiel publié mercredi 23 avril sur le site du premier ministre, a
présenté ses 'condoléances' aux descendants des 900000Arméniens,
massacrés il y a près d'un siècle par les troupes ottomanes. 'Nous
souhaitons que les Arméniens qui ont perdu la vie dans les
circonstances qui ont marqué le début du XXesiècle reposent en paix et
nous exprimons nos condoléances à leurs petits-enfants', a déclaré
Recep Tayyip Erdogan dans cette longue mise au point, qui a été rendue
publique la veille du 24 avril, le jour annuel de commémoration.
Le reste de son message est plus conforme à la ligne de déni
poursuivie par l'Etat turc depuis sa fondation en 1923. La
reconnaissance du caractère génocidaire de ces crimes et la question
des responsabilités sont loin d'être à l'agenda. Mais pour le
journaliste arménien d'Istanbul Etyen Mahçupyan, l'acte est 'très
important': 'Cette allusion est une première, même symbolique'.
' TRAVAIL DE MÉMOIRE'
L'annonce a été publiée en huit langues, dont l'arménien, pour donner
une portée internationale au message. Par cette opération, le premier
ministre turc et le ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu
-dont le style transparaît tout au long du texte- ont pris tout le
monde de court et ont pimenté la tache des conseillers de Barack Obama
et de François Hollande. Les présidents américain et français doivent
tous deux prononcer une allocution jeudi.
La Maison Blanche marque chaque année le 24 avril mais évite
généralement de prononcer le mot génocide. M.Hollande participe, lui,
à une cérémonie officielle à Paris, quelques mois après une visite en
Turquie au cours de laquelle il avait appelé Ankara à 'faire son
travail de mémoire'. A Istanbul, une cérémonie publique en mémoire des
victimes du génocide se tient sur la place Taksim, à 19h15.
La prise de position d'Ankara a été accueillie avec scepticisme par
les Arméniens à travers le monde et par la société civile turque qui
s'est engagée dans la reconnaissance du génocide de 1915. Pour le
politologue Cengiz Aktar, l'un des intellectuels turcs qui avaient
initié une demande publique de 'pardon' aux Arméniens en 2008, 'il ne
faut pas tirer de conclusion htive sur une reconnaissance dans la
perspective du centenaire'. 'Les condoléances ne sont pas des
excuses', souligne pour sa part l'universitaire Ahmet Insel, autre
acteur de cette évolution. 'C'est un petit pas, mais pas une rupture
profonde. C'est le pas en avant, très lent, de la société turque sur
la question.'
'PRÉTEXTE'
L'homme d'affaires et mécène Osman Kavala note que, dans le discours
de M.Erdogan, 'les Arméniens ont perdu la vie, mais on ne sait pas
comment ils l'ont perdue et qui la leur a prise'. La Turquie admet en
partie les déportations et les massacres mais refuse catégoriquement
le qualificatif de génocide. Au contraire, M.Erdogan fustige toujours
les revendications de ceux qui 'utilisent les événements de 1915 comme
prétexte pour créer de l'hostilité contre la Turquie'.
Politiquement, l'appel lancé par le premier ministre turc est 'une
répétition pour 2015, car la Turquie se positionne pour tenter de
sortir de l'affrontement stérile entre la revendication et la posture
négationniste', estime M.Insel.
Ankara s'inquiète devant la campagne de mobilisation et d'information
qui s'annonce à travers le monde, mais aussi en Turquie, pour l'année
du centenaire. Et sous l'impulsion de M.Davutoglu, elle a essayé
d'affiner sa stratégie. La nouvelle rhétorique turque parle de
'souffrances partagées' des citoyens de l'empire ottoman et met sur le
même plan le sort des Arméniens et celui des 'musulmans' victimes de
massacres dans les Balkans. Les descendants des victimes n'y voient
souvent qu'une forme plus sophistiquée de négation. 'Reconnaître les
souffrances de chacun n'exclut pas de reconnaître les spécificités de
chacune de ces souffrances', a répondu mercredi, depuis Erevan, Giro
Manoyan, le secrétaire général de la Fédération révolutionnaire
arménienne, qui possède de solides réseaux dans la diaspora.
En 2015, Ankara pourrait aussi jouer la carte de la concurrence des
mémoires, sur fond de centenaire de la première guerre mondiale. De
fastueuses cérémonies, en présence de nombreuses délégations
étrangères, sont prévues pour l'anniversaire du déclenchement de la
bataille des Dardanelles, le 25 avril.
From: A. Papazian
Jeudi 24 Avril 2014
M. Erdogan présente ses condoléances aux Arméniens pour les massacres de 1915
par Guillaume Perrier
Pour la première fois depuis 1915, la Turquie, dans un communiqué
officiel publié mercredi 23 avril sur le site du premier ministre, a
présenté ses 'condoléances' aux descendants des 900000Arméniens,
massacrés il y a près d'un siècle par les troupes ottomanes. 'Nous
souhaitons que les Arméniens qui ont perdu la vie dans les
circonstances qui ont marqué le début du XXesiècle reposent en paix et
nous exprimons nos condoléances à leurs petits-enfants', a déclaré
Recep Tayyip Erdogan dans cette longue mise au point, qui a été rendue
publique la veille du 24 avril, le jour annuel de commémoration.
Le reste de son message est plus conforme à la ligne de déni
poursuivie par l'Etat turc depuis sa fondation en 1923. La
reconnaissance du caractère génocidaire de ces crimes et la question
des responsabilités sont loin d'être à l'agenda. Mais pour le
journaliste arménien d'Istanbul Etyen Mahçupyan, l'acte est 'très
important': 'Cette allusion est une première, même symbolique'.
' TRAVAIL DE MÉMOIRE'
L'annonce a été publiée en huit langues, dont l'arménien, pour donner
une portée internationale au message. Par cette opération, le premier
ministre turc et le ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu
-dont le style transparaît tout au long du texte- ont pris tout le
monde de court et ont pimenté la tache des conseillers de Barack Obama
et de François Hollande. Les présidents américain et français doivent
tous deux prononcer une allocution jeudi.
La Maison Blanche marque chaque année le 24 avril mais évite
généralement de prononcer le mot génocide. M.Hollande participe, lui,
à une cérémonie officielle à Paris, quelques mois après une visite en
Turquie au cours de laquelle il avait appelé Ankara à 'faire son
travail de mémoire'. A Istanbul, une cérémonie publique en mémoire des
victimes du génocide se tient sur la place Taksim, à 19h15.
La prise de position d'Ankara a été accueillie avec scepticisme par
les Arméniens à travers le monde et par la société civile turque qui
s'est engagée dans la reconnaissance du génocide de 1915. Pour le
politologue Cengiz Aktar, l'un des intellectuels turcs qui avaient
initié une demande publique de 'pardon' aux Arméniens en 2008, 'il ne
faut pas tirer de conclusion htive sur une reconnaissance dans la
perspective du centenaire'. 'Les condoléances ne sont pas des
excuses', souligne pour sa part l'universitaire Ahmet Insel, autre
acteur de cette évolution. 'C'est un petit pas, mais pas une rupture
profonde. C'est le pas en avant, très lent, de la société turque sur
la question.'
'PRÉTEXTE'
L'homme d'affaires et mécène Osman Kavala note que, dans le discours
de M.Erdogan, 'les Arméniens ont perdu la vie, mais on ne sait pas
comment ils l'ont perdue et qui la leur a prise'. La Turquie admet en
partie les déportations et les massacres mais refuse catégoriquement
le qualificatif de génocide. Au contraire, M.Erdogan fustige toujours
les revendications de ceux qui 'utilisent les événements de 1915 comme
prétexte pour créer de l'hostilité contre la Turquie'.
Politiquement, l'appel lancé par le premier ministre turc est 'une
répétition pour 2015, car la Turquie se positionne pour tenter de
sortir de l'affrontement stérile entre la revendication et la posture
négationniste', estime M.Insel.
Ankara s'inquiète devant la campagne de mobilisation et d'information
qui s'annonce à travers le monde, mais aussi en Turquie, pour l'année
du centenaire. Et sous l'impulsion de M.Davutoglu, elle a essayé
d'affiner sa stratégie. La nouvelle rhétorique turque parle de
'souffrances partagées' des citoyens de l'empire ottoman et met sur le
même plan le sort des Arméniens et celui des 'musulmans' victimes de
massacres dans les Balkans. Les descendants des victimes n'y voient
souvent qu'une forme plus sophistiquée de négation. 'Reconnaître les
souffrances de chacun n'exclut pas de reconnaître les spécificités de
chacune de ces souffrances', a répondu mercredi, depuis Erevan, Giro
Manoyan, le secrétaire général de la Fédération révolutionnaire
arménienne, qui possède de solides réseaux dans la diaspora.
En 2015, Ankara pourrait aussi jouer la carte de la concurrence des
mémoires, sur fond de centenaire de la première guerre mondiale. De
fastueuses cérémonies, en présence de nombreuses délégations
étrangères, sont prévues pour l'anniversaire du déclenchement de la
bataille des Dardanelles, le 25 avril.
From: A. Papazian