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Au pied d'une école turque, dix mille Arméniens morts toujours ignor

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  • Au pied d'une école turque, dix mille Arméniens morts toujours ignor

    Washington Post
    Au pied d'une école turque, dix mille Arméniens morts toujours ignorés


    Les trois étages de l'école primaire Yenikov s'élèvent, dominant ce
    haut-plateau du centre-sud de la Turquie. C'est le seul édifice dont
    on peut voir, à des kilomètres, les murs de la couleur jaune du maïs
    doux. Mais les balançoires et toboggans de l'aire de jeux attenante
    ont les couleurs de l'arc-en-ciel : le bleu d'un ciel azur. Le rouge
    vif d'un camion de pompier. L'orange d'un cône de circulation.
    Entourant l'aire de détente, par contre, il y a cette grille noire de
    sécurité en fer forgé. Pour quelle raison ? Parce que l'école et la
    cour de récréation sont tout près d'un ravin qui fait facilement
    trente mètres de profondeur. Au fond de ce ravin se trouve la crevasse
    de Dudan, un à-pic vertigineux qui plonge à au moins 100 mètres de
    plus. Je m'y suis rendu deux fois au cours des deux dernières années.
    En mais 2013, la première fois que j'y suis allé, l'école n'existait
    pas encore. En août dernier, elle était sortie de terre comme un
    champignon.

    Lorsqu'étant retourné au ravin j'ai vu l'école, la colère m'a envahi ;
    une colère fondée, ni sur la décision critiquable que des adultes ont
    pris de ménager une cour de récréation près d'un ravin dangereux, ni
    sur le fait que cette construction défigure un paysage naturel avenant
    - même si cela est vrai dans les deux cas.

    J'étais furieux parce que ce ravin est le lieu du dernier repos pour
    environ 10 000 de mes ancêtres, Arméniens de Chunkush, un village près
    de Yenikoy. À l'été 1915, les gendarmes turcs et des groupes de tueurs
    kurdes ont conduit pratiquement tous les Arméniens qui vivaient dans
    les environs du ravin. Là, ils ont été abattus à l'arme à feu ou à la
    baïonnette et leur corps poussé dans la crevasse. Finalement, les
    trois quarts des Arméniens vivant dans l'Empire ottoman ont été
    systématiquement anéantis par leur propre gouvernement au cours de la
    Première Guerre Mondiale : 1,5 million de personnes.

    La Turquie a une longue tradition de négation du Génocide arménien.
    Mais les chiffres ne mentent pas. En dehors d'Istanbul, la nation a
    fait l'objet du nettoyage ethnique de sa minorité chrétienne
    arménienne. Selon les chiffres du recensement du Patriarcat arménien,
    il y avait 124 000 Arméniens dans la province de Diyarbakir où se
    trouvent Yenikoy et Chunkush ; vers 1922, il étaient 3 000. Il n'en
    reste aujourd'hui qu'une poignée, tous descendants des survivants qui
    vécurent en Musulmans et qu'on qualifie quelquefois de " cachés ".

    Il n'y a aucune indication ou monument quelconques en Turquie
    commémorant les innombrables sites des massacres ( Il s'en trouve en
    Syrie, alors aux marches de l'Empire, où beaucoup d'Arméniens furent
    tués) ; imaginez Auschwitz sans même une pancarte ; imaginez
    Buchenwald sans même une plaque. Il n'est pas facile aux Arméniens de
    la diaspora, dont je fais partie, de retrouver ces lieux, qui furent
    notre patrie à l'époque.

    Mais nous y arrivons. Il y a de nombreux comptes-rendus de témoins directs.

    Quelques uns d'entre nous font un pèlerinage en des lieux tels la
    crevasse de Dudan pour rendre hommage aux morts. Nous avons visité les
    décombres et ce qui reste des églises qui accueillaient encore, il n'y
    a que 99 ans, des fidèles actifs, pleins de vie et ardents. Nous nous
    inclinons. Nous disons une prière. Nous amassons les détritus qui
    envahissent les autels comme de la mousse.

    Lorsque mes amis et moi avons demandé aux villageois kurdes ce qui
    selon eux avait pu se passer à proximité de la crevasse de Dudan, leur
    réponse a été le reflet de près d'un siècle de négation et de
    dissimulation. Ils disent parfois que des gens sont morts ici, mais
    qu'ils ignorent quand et qui ils étaient. Ils prétendent quelquefois
    ne rien savoir. Un jour, deux filles d'ge scolaire ont dit à un ami :
    " quelques Arméniens y sont tombés ".

    Le squelette en pierre d'une église arménienne massive et la structure
    d'un monastère sont à la lisière. Si vous demandez aux personnes
    vivant sur place où sont allés les 10 000 Arméniens de Chunkush,
    quelques ont vous diront sans sourciller qu'ils se sont installés aux
    États-Unis. Je ne sais pas ce qui a guidé le choix de cet emplacement
    pour la construction d'une école primaire de Yenikoy. Mais j'ai
    quelques soupçons. Je ne serais pas surpris que l'an prochain, lorsque
    je reviendrai, la crevasse n'ait été comblée : la preuve d'un crime de
    magnitude sismique pour toujours enterrée.

    L'ironie, cependant, est la suivante : il ne sera plus nécessaire de
    passer par un itinéraire compliqué ou de recourir au GPS pour trouver
    les 10 000 morts de Dudan, Il suffira de dire à quelqu'un que vous
    voulez visiter l'école primaire de Dudan. Rendez vous près de la cour
    de récréation. C'est là que sont les morts.

    Chris Bohjalian

    Washington Post

    5 septembre 2014

    Traduction Gilbert Béguian

    http://www.washingtonpost.com/opinions/near-a-turkish-school-10000-dead-armenians-are-still-ignored/2014/09/05/f0b7baa2-346c-11e4-a723-fa3895a25d02_story.html

    dimanche 14 septembre 2014,
    Stéphane (c)armenews.com
    http://www.armenews.com/article.php3?id_article=103217
    ________________________________

    L'école primaire Yenikoy, au centre-sud de la Turquie, s'élève
    au-dessus de la crevasse de Dudan, où furent tués, en 1915, environ 10
    000 Arméniens (photo George Aghjayan)

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