Vous avez dit: "Nouvelle Turquie"? (I)
Publication: 17/09/2014 12h22 CEST Mis à jour: 17/09/2014 12h22 CEST
R. T. Erdogan aurait pu penser qu'avec l'élection au suffrage
universel il aurait les mains libres pour façonner la vie sociale,
museler l'opposition, réprimer la société civile et mettre au pas la
police et l'armée, mais, paradoxalement le nouveau locataire de
Çankaya rentre dans une phase très difficile pour lui et pourrait vite
atteindre la fin de sa vie politique.
Le slogan du candidat Erdogan lors de sa campagne pour les élections
présidentielles était "Sur la route d'une Nouvelle Turquie, toujours
en avant".
Or depuis son élection le 10 août dernier, les observateurs, aussi
bien en Turquie qu'à l'étranger, constatent plutôt une dérive
autocratique dangereuse et une régression pour les libertés
d'expression, du moins de ce qu'il en restait, et un recul sur le plan
de la laïcité.
Faire la liste de ce qui ne va pas, sur les plans politique,
géopolitique, social, économique, droits des minorités... exigerait un
petit livre. Nous allons donc dans ces pages ne prendre qu'un sujet,
fondamental s'il en est, l'éducation.
Lire aussi:
* Etat islamique: la Turquie, victime collatérale de la stratégie américaine?
* Turquie: la fuite en avant?
* L'opposition turque osera-t-elle enfin se réformer?
Dans deux articles, parus cette semaine dans le quotidien Taraf, le
Prof. Taner Akçam, se penche sur les manuels scolaires pour la rentrée
2014-2015. Akçam se réfère à une étude de Serdar Korucu, parue dans le
journal AGOS, concernant le traitement des questions arménienne et
assyro-chaldéenne dans les manuels.
Akçam s'est limité à la "Question arménienne", mais incite le lecteur
à examiner aussi le cas des tous les chrétiens, des Juifs, des Alévis
et autres minorités.
Projet pour "une nouvelle Turquie"
Le sujet est important dans le cadre du "Projet pour une nouvelle
Turquie" de l'AKP (le parti Justice et Développement). R. T. Erdogan a
mis en avant ce slogan lors de sa campagne et avait publié un document
intitulé "Une vision pour une nouvelle Turquie". Ahmet Davutoglu,
nommé Premier ministre, a d'ailleurs basé son programme sur ce
document. Certains intellectuels, proches du pouvoir, ont même lancé
des invitations aux minorités arménienne et juive pour qu'elles
participent à ce projet en tant qu'"éléments fondateurs". Le refus des
Arméniens et de quelques leaders d'opinion de participer à ce projet a
donné lieu à des critiques sévères.
Les manuels scolaires donnent des indications précieuses sur la
mentalité actuelle d'un pays et surtout sur la formation dispensée aux
jeunes générations qui vont construire l'avenir du pays. Or la
conclusion du Prof. Akçam est sans ambiguïté: en Turquie on veut
préparer les jeunes générations avec la "mentalité Ergenekon".
Autrement dit, une éducation fondée sur un ultra nationalisme alimenté
par une "menace permanente contre la sécurité nationale". Dans les
collèges on inculque aux cerveaux des jeunes que la sécurité nationale
de la Turquie doit faire face à trois menaces: la première est la
question arménienne, la deuxième est le terrorisme (entendez le PKK)
et la troisième ce sont les missionnaires!
"Vous avez bien lu!" écrit Akçam, "la perception des "menaces" qui a
poussé les ultras nationalistes liés à Ergenekon à égorger les trois
missionnaires protestants (un Allemand et deux Turcs convertis) à
Malatya et à assassiner en pleine rue le journaliste, d'origine
arménienne, Hrant Dink (deux crimes commis en 2007) est la même que
celle perçue aujourd'hui par les adeptes de la "Nouvelle Turquie". Et
les jeunes sont éduqués avec cette même doctrine."
"Dans les manuels scolaires", écrit Akçam, "la "Question arménienne"
n'est pas mentionnée seulement comme une menace contre la sécurité
nationale, mais, de plus comme un élément à la solde de complots
d'étrangers pour morceler la nation. Les Arméniens sont présentés
comme des agresseurs et massacreurs de Turcs et de musulmans, et même,
pour atteindre leur objectif, comme des inventeurs du mensonge d'un
génocide."
Akçam balaie d'une main les possibles objections de ceux qui
mettraient en avant le fait que les manuels sont préparés un an à
l'avance, donc antérieur à ce projet de la "Nouvelle Turquie". "AKP
est au pouvoir depuis près de 14 ans" poursuit Prof. Akçam, "néanmoins
je suis prêt à accepter des excuses de la part du gouvernement pour ce
genre de propos écrits dans ces livres, comme (nous présentons nos
excuses, nous ferons le nécessaire pour changer le contenu des manuels
le plus rapidement possible). Il suffit qu'ils disent excusez-nous.
Puisque la seule chose acceptable pour ce genre d'écrit est de
demander pardon et de retirer les livres des étalages."
Question d'"éléments fondateurs" ou "Comment vivez-vous dans ce pays?"
"Quand on lit ce qui est écrit dans ces manuels scolaires on se pose
la question de savoir comment peut-on proposer à des Arméniens de
faire partie des "éléments fondateurs de la Nouvelle Turquie"",
poursuit Akçam. Il faudrait, selon lui, poser la question suivante:
"Citoyens de la République turque, honorables Arméniens, dans un pays
qui éduque ses jeunes en vous désignant comme des ennemis et des
menaces, comment vous sentez-vous?"
En résumé il n'y a rien de nouveau dans la "Vision pour une Nouvelle
Turquie". Sauf peut-être de la poudre aux yeux pour ceux qui veulent
encore y croire. Tout est une répétition du passé. Sauf que dans cette
répétition on ne trouve pas seulement les thèses dépassées de
nationalisme teintées de négationnisme, des gens comme Esat Uras,
Kamuran Gürün, Gündüz Aktan ou encore Yusuf Halaçoglu. S'y ajoute
l'idéologie Ergenekon, héritée du régime militariste. En une phrase:
les Arméniens sont des ennemis et une menace pour notre sécurité
nationale.
L'histoire de la révolution de la République turque et Ataturquisme
dans l'enseignement secondaire
L'ouvrage écrit par Salim Ülker, pour les élèves de la dernière année
du collège, est composé de deux volumes: le manuel et les travaux
pratiques. Le sujet qui nous préoccupe se trouve dans l'unité n°7 des
deux volumes dans le chapitre intitulé, La Turquie après Atatürk: la
2e Guerre et l'après. La leçon n°5 est Les Menaces contre la Turquie.
L'introduction décrit l'objectif: "Dans cette leçon, nous allons
apprendre les menaces internes et externes dirigées contre notre pays
et la vigilance nécessaire."
L'objectif de la menace est désigné comme "la désintégration du Régime
d'État". Et qu'est ce qui constitue la première et la plus importante
menace? "Les relations turco-arméniennes" et le sujet à débattre
demandé aux adolescents est "face aux allégations des Arméniens que
doit-on (devez-vous) faire pour défendre les droits de notre pays?
Une fois apprise la leçon des dangers envers le pays, le devoir donné
aux élèves dans le livre des TP est: "Complétez les phrases ci-dessous
avec les mesures que l'État et le citoyen devraient prendre contre les
menaces dirigées envers notre pays."
"Vous n'allez pas vous tromper si vous désignez comme première menace
la Question arménienne", écrit Akçam.
"Après avoir lu tout ça il est inutile que je rédige un texte pour
expliquer d'où sortent les personnes qui ont assassiné Hrant Dink"
conclut Taner Akçam, "nous les engendrons dans nos écoles!"
À suivre...
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From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
Publication: 17/09/2014 12h22 CEST Mis à jour: 17/09/2014 12h22 CEST
R. T. Erdogan aurait pu penser qu'avec l'élection au suffrage
universel il aurait les mains libres pour façonner la vie sociale,
museler l'opposition, réprimer la société civile et mettre au pas la
police et l'armée, mais, paradoxalement le nouveau locataire de
Çankaya rentre dans une phase très difficile pour lui et pourrait vite
atteindre la fin de sa vie politique.
Le slogan du candidat Erdogan lors de sa campagne pour les élections
présidentielles était "Sur la route d'une Nouvelle Turquie, toujours
en avant".
Or depuis son élection le 10 août dernier, les observateurs, aussi
bien en Turquie qu'à l'étranger, constatent plutôt une dérive
autocratique dangereuse et une régression pour les libertés
d'expression, du moins de ce qu'il en restait, et un recul sur le plan
de la laïcité.
Faire la liste de ce qui ne va pas, sur les plans politique,
géopolitique, social, économique, droits des minorités... exigerait un
petit livre. Nous allons donc dans ces pages ne prendre qu'un sujet,
fondamental s'il en est, l'éducation.
Lire aussi:
* Etat islamique: la Turquie, victime collatérale de la stratégie américaine?
* Turquie: la fuite en avant?
* L'opposition turque osera-t-elle enfin se réformer?
Dans deux articles, parus cette semaine dans le quotidien Taraf, le
Prof. Taner Akçam, se penche sur les manuels scolaires pour la rentrée
2014-2015. Akçam se réfère à une étude de Serdar Korucu, parue dans le
journal AGOS, concernant le traitement des questions arménienne et
assyro-chaldéenne dans les manuels.
Akçam s'est limité à la "Question arménienne", mais incite le lecteur
à examiner aussi le cas des tous les chrétiens, des Juifs, des Alévis
et autres minorités.
Projet pour "une nouvelle Turquie"
Le sujet est important dans le cadre du "Projet pour une nouvelle
Turquie" de l'AKP (le parti Justice et Développement). R. T. Erdogan a
mis en avant ce slogan lors de sa campagne et avait publié un document
intitulé "Une vision pour une nouvelle Turquie". Ahmet Davutoglu,
nommé Premier ministre, a d'ailleurs basé son programme sur ce
document. Certains intellectuels, proches du pouvoir, ont même lancé
des invitations aux minorités arménienne et juive pour qu'elles
participent à ce projet en tant qu'"éléments fondateurs". Le refus des
Arméniens et de quelques leaders d'opinion de participer à ce projet a
donné lieu à des critiques sévères.
Les manuels scolaires donnent des indications précieuses sur la
mentalité actuelle d'un pays et surtout sur la formation dispensée aux
jeunes générations qui vont construire l'avenir du pays. Or la
conclusion du Prof. Akçam est sans ambiguïté: en Turquie on veut
préparer les jeunes générations avec la "mentalité Ergenekon".
Autrement dit, une éducation fondée sur un ultra nationalisme alimenté
par une "menace permanente contre la sécurité nationale". Dans les
collèges on inculque aux cerveaux des jeunes que la sécurité nationale
de la Turquie doit faire face à trois menaces: la première est la
question arménienne, la deuxième est le terrorisme (entendez le PKK)
et la troisième ce sont les missionnaires!
"Vous avez bien lu!" écrit Akçam, "la perception des "menaces" qui a
poussé les ultras nationalistes liés à Ergenekon à égorger les trois
missionnaires protestants (un Allemand et deux Turcs convertis) à
Malatya et à assassiner en pleine rue le journaliste, d'origine
arménienne, Hrant Dink (deux crimes commis en 2007) est la même que
celle perçue aujourd'hui par les adeptes de la "Nouvelle Turquie". Et
les jeunes sont éduqués avec cette même doctrine."
"Dans les manuels scolaires", écrit Akçam, "la "Question arménienne"
n'est pas mentionnée seulement comme une menace contre la sécurité
nationale, mais, de plus comme un élément à la solde de complots
d'étrangers pour morceler la nation. Les Arméniens sont présentés
comme des agresseurs et massacreurs de Turcs et de musulmans, et même,
pour atteindre leur objectif, comme des inventeurs du mensonge d'un
génocide."
Akçam balaie d'une main les possibles objections de ceux qui
mettraient en avant le fait que les manuels sont préparés un an à
l'avance, donc antérieur à ce projet de la "Nouvelle Turquie". "AKP
est au pouvoir depuis près de 14 ans" poursuit Prof. Akçam, "néanmoins
je suis prêt à accepter des excuses de la part du gouvernement pour ce
genre de propos écrits dans ces livres, comme (nous présentons nos
excuses, nous ferons le nécessaire pour changer le contenu des manuels
le plus rapidement possible). Il suffit qu'ils disent excusez-nous.
Puisque la seule chose acceptable pour ce genre d'écrit est de
demander pardon et de retirer les livres des étalages."
Question d'"éléments fondateurs" ou "Comment vivez-vous dans ce pays?"
"Quand on lit ce qui est écrit dans ces manuels scolaires on se pose
la question de savoir comment peut-on proposer à des Arméniens de
faire partie des "éléments fondateurs de la Nouvelle Turquie"",
poursuit Akçam. Il faudrait, selon lui, poser la question suivante:
"Citoyens de la République turque, honorables Arméniens, dans un pays
qui éduque ses jeunes en vous désignant comme des ennemis et des
menaces, comment vous sentez-vous?"
En résumé il n'y a rien de nouveau dans la "Vision pour une Nouvelle
Turquie". Sauf peut-être de la poudre aux yeux pour ceux qui veulent
encore y croire. Tout est une répétition du passé. Sauf que dans cette
répétition on ne trouve pas seulement les thèses dépassées de
nationalisme teintées de négationnisme, des gens comme Esat Uras,
Kamuran Gürün, Gündüz Aktan ou encore Yusuf Halaçoglu. S'y ajoute
l'idéologie Ergenekon, héritée du régime militariste. En une phrase:
les Arméniens sont des ennemis et une menace pour notre sécurité
nationale.
L'histoire de la révolution de la République turque et Ataturquisme
dans l'enseignement secondaire
L'ouvrage écrit par Salim Ülker, pour les élèves de la dernière année
du collège, est composé de deux volumes: le manuel et les travaux
pratiques. Le sujet qui nous préoccupe se trouve dans l'unité n°7 des
deux volumes dans le chapitre intitulé, La Turquie après Atatürk: la
2e Guerre et l'après. La leçon n°5 est Les Menaces contre la Turquie.
L'introduction décrit l'objectif: "Dans cette leçon, nous allons
apprendre les menaces internes et externes dirigées contre notre pays
et la vigilance nécessaire."
L'objectif de la menace est désigné comme "la désintégration du Régime
d'État". Et qu'est ce qui constitue la première et la plus importante
menace? "Les relations turco-arméniennes" et le sujet à débattre
demandé aux adolescents est "face aux allégations des Arméniens que
doit-on (devez-vous) faire pour défendre les droits de notre pays?
Une fois apprise la leçon des dangers envers le pays, le devoir donné
aux élèves dans le livre des TP est: "Complétez les phrases ci-dessous
avec les mesures que l'État et le citoyen devraient prendre contre les
menaces dirigées envers notre pays."
"Vous n'allez pas vous tromper si vous désignez comme première menace
la Question arménienne", écrit Akçam.
"Après avoir lu tout ça il est inutile que je rédige un texte pour
expliquer d'où sortent les personnes qui ont assassiné Hrant Dink"
conclut Taner Akçam, "nous les engendrons dans nos écoles!"
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From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress