L'Humanité, France
Mardi 31 Mars 2015
Un cercle sans craie tracé avec le sang des Arméniens
Belle création au Thétre de Nice, que dirige Irina Brook, le Cercle
de l'ombre, mise en scène par Hovnatan Avédikian, qui évoque le
génocide perpétré il y a un siècle.
Issu d'une famille arménienne ayant fui le génocide de 1915, Hovnatan
Avédikian n'a eu de cesse de s'interroger sur ce drame humain, le
premier de cette ampleur au XXe siècle, de «se souvenir de ce que je
n'ai pas vécu», comme il le dit si joliment en ajoutant: «Je veux
donner du sens à ma mémoire, calmer certaines angoisses. Interroger le
noir mystère.» Voilà pour les fondements de ce travail dont le titre,
le Cercle de l'ombre, emprunte à Omar Khayyam, le poète persan. «Nul
parmi ceux qui ont interrogé le noir mystère n'a fait un pas hors du
cercle de l'ombre.»
Comment appréhender ce qui est histoire personnelle et histoire
universelle? Comment donner à voir et à comprendre, avec les moyens du
thétre, ces crimes commis par l'État turc qu'il se refuse toujours Ã
reconnaître? Avédikian s'est appuyé sur deux chapitres des Quarante
Jours du Musa Dagh, de Franz Werfel. Deux chapitres consacrés au
pasteur allemand Johannes Lepsius, missionnaire dans l'Empire ottoman,
témoin des massacres, qui a tenté de convaincre le parti les
Jeunes-Turcs, puis son propre gouvernement de faire cesser les
exactions et les déportations d'Arméniens. En vain! Rejeté des deux
côtés, menacé lui-même, il ne devra sa survie qu'à l'aide d'une
confrérie soufie, les derviches, aussi persécutée par le pouvoir
central d'Istanbul.
Par sa mise en scène, Hovnatan Avédikian a su éviter les écueils
inhérents à une telle navigation, entre pathos et discours didactique.
Pour cela, il a opté pour un certain minimalisme dans la scénographie.
Le décor est léger, simple, évoquant les lieux où se trouve le pasteur
(une chambre d'hôtel à Istanbul, le Bosphore, le sérail,
l'Orient-Express ou la chancellerie allemande). Les costumes situent
l'époque. Le missionnaire, remarquablement campé par Jeremias
Nussbaum, est d'un naturalisme extrême qui s'oppose au cynisme et à la
morgue de ses interlocuteurs qui paraissent ainsi, dans un jeu
tragi-comique, hors de ce cercle de l'ombre où est enfermé Lepsius. Un
cercle où passe, repasse, voire trépasse cette me arménienne, ces
fantômes qui hantent la scène dans une gestuelle acrobatique,
désarticulée, représentés par un personnage au visage masqué. Rien que
de très classique, direz-vous. Ce serait vrai si l'ensemble n'était
pas soutenu par une présence musicale qui, à elle seule, porte et
transporte cet épisode horrible et réel. La violoncelliste Astrig
Siranossian, par ses mélopées, donne chair à la souffrance et au
souvenir de ce génocide. Les comédiens (Jean-Baptiste Tur, Joris
Frigério, Jérôme Kogaoglu, Pascal Réva) sont remarquables d'aisance
dans cette approche historique mais distanciée dont l'écho a une
résonance toute particulière et actuelle puisqu'elle se situe dans une
région (la Turquie, le Caucase et le nord de la Syrie) encore déchirée
et en proie aux pires des atrocités.
Jusqu'au 1eravril. Thétre national de Nice, qui assure la production
de cette création. Tournée en cours.
Pierre Barbancey
Mardi 31 Mars 2015
Un cercle sans craie tracé avec le sang des Arméniens
Belle création au Thétre de Nice, que dirige Irina Brook, le Cercle
de l'ombre, mise en scène par Hovnatan Avédikian, qui évoque le
génocide perpétré il y a un siècle.
Issu d'une famille arménienne ayant fui le génocide de 1915, Hovnatan
Avédikian n'a eu de cesse de s'interroger sur ce drame humain, le
premier de cette ampleur au XXe siècle, de «se souvenir de ce que je
n'ai pas vécu», comme il le dit si joliment en ajoutant: «Je veux
donner du sens à ma mémoire, calmer certaines angoisses. Interroger le
noir mystère.» Voilà pour les fondements de ce travail dont le titre,
le Cercle de l'ombre, emprunte à Omar Khayyam, le poète persan. «Nul
parmi ceux qui ont interrogé le noir mystère n'a fait un pas hors du
cercle de l'ombre.»
Comment appréhender ce qui est histoire personnelle et histoire
universelle? Comment donner à voir et à comprendre, avec les moyens du
thétre, ces crimes commis par l'État turc qu'il se refuse toujours Ã
reconnaître? Avédikian s'est appuyé sur deux chapitres des Quarante
Jours du Musa Dagh, de Franz Werfel. Deux chapitres consacrés au
pasteur allemand Johannes Lepsius, missionnaire dans l'Empire ottoman,
témoin des massacres, qui a tenté de convaincre le parti les
Jeunes-Turcs, puis son propre gouvernement de faire cesser les
exactions et les déportations d'Arméniens. En vain! Rejeté des deux
côtés, menacé lui-même, il ne devra sa survie qu'à l'aide d'une
confrérie soufie, les derviches, aussi persécutée par le pouvoir
central d'Istanbul.
Par sa mise en scène, Hovnatan Avédikian a su éviter les écueils
inhérents à une telle navigation, entre pathos et discours didactique.
Pour cela, il a opté pour un certain minimalisme dans la scénographie.
Le décor est léger, simple, évoquant les lieux où se trouve le pasteur
(une chambre d'hôtel à Istanbul, le Bosphore, le sérail,
l'Orient-Express ou la chancellerie allemande). Les costumes situent
l'époque. Le missionnaire, remarquablement campé par Jeremias
Nussbaum, est d'un naturalisme extrême qui s'oppose au cynisme et à la
morgue de ses interlocuteurs qui paraissent ainsi, dans un jeu
tragi-comique, hors de ce cercle de l'ombre où est enfermé Lepsius. Un
cercle où passe, repasse, voire trépasse cette me arménienne, ces
fantômes qui hantent la scène dans une gestuelle acrobatique,
désarticulée, représentés par un personnage au visage masqué. Rien que
de très classique, direz-vous. Ce serait vrai si l'ensemble n'était
pas soutenu par une présence musicale qui, à elle seule, porte et
transporte cet épisode horrible et réel. La violoncelliste Astrig
Siranossian, par ses mélopées, donne chair à la souffrance et au
souvenir de ce génocide. Les comédiens (Jean-Baptiste Tur, Joris
Frigério, Jérôme Kogaoglu, Pascal Réva) sont remarquables d'aisance
dans cette approche historique mais distanciée dont l'écho a une
résonance toute particulière et actuelle puisqu'elle se situe dans une
région (la Turquie, le Caucase et le nord de la Syrie) encore déchirée
et en proie aux pires des atrocités.
Jusqu'au 1eravril. Thétre national de Nice, qui assure la production
de cette création. Tournée en cours.
Pierre Barbancey