Les Inrocks
10 avril 2015
Génocide des Arméniens: le mensonge d'un siècle
L'édito de Frédéric Bonnaud
24 avril 1915 : grande rafle des intellectuels et des notables
arméniens de Constantinople?; le génocide peut commencer. Cent ans
plus tard, le président de la République de Turquie, Recep Tayyip
Erdogan, continue d'exiger des preuves. Barack Obama, lui, a déjÃ
déclaré que le génocide arménien était une incontestable vérité
historique. Mais les Etats-Unis d'Amérique ne sont pas prêts à une
reconnaissance officielle, aujourd'hui moins que jamais. La Turquie
demeure un allié trop important, puissant et ombrageux, depuis trop
longtemps, un verrou stratégique qu'il convient de ménager. Cent ans
après le début des massacres, seule une vingtaine de pays ont reconnu
officiellement le génocide et la Turquie s'arcboute sur son
négationnisme d'Etat, fondateur de son existence même, sa colonne
vertébrale idéologique, comme si elle craignait de s'effondrer en
cessant de nier une si vieille évidence, pourtant irréfutable et
documentée.
Dans l'entretien qu'il nous a accordé (lire pp. 52-55), le
géopoliticien Gérard Chaliand considère que la position turque
officielle n'évoluera plus guère, malgré la demande pressante des
forces vives de la société. Il rappelle le temps infini qu'il a fallu,
après les premiers témoignages occidentaux sur le sort atroce réservé
aux Arméniens de Turquie et les procès ottomans de 1919 condamnant par
contumace les organisateurs du génocide ` qui avaient pris la fuite `,
pour que cette tragédie cesse d'être celle des seuls Arméniens,
abandonnés à leur douleur, uniques dépositaires d'une mémoire qui
aurait dû être partagée et entretenue par l'humanité tout entière.
Mais la Turquie moderne naissait en 1923, après les ultimes tueries,
nettoyée de ses Arméniens d'Anatolie ` mais où s'étaient-ils
volatilisés, tous ces Arméniens?? `, et Mustafa Kemal avait plus
besoin d'union sacrée que de vérité historique. Le mensonge
s'installa, puis le silence, un silence interminable et difficilement
imaginable aujourd'hui, un silence de cinquante ans, brisé peu à peu,
y compris par l'emploi de ce que Chaliand appelle `le terrorisme
publicitaire' de certaines organisations arméniennes.
`la dimension proprement totalitaire du phénomène'
En 1984, devant le Tribunal permanent des peuples, un tribunal
historique et symbolique réuni par Chaliand à la Sorbonne, Pierre
Vidal-Naquet déclarait : `Ce qui est important, voire capital, est que
le meurtre intentionnel des Juifs (et des Tsiganes) a, par contrecoup,
éclairé, défini, dans sa signification même, le massacre des Arméniens
comme massacre d'Etat, inaugurant la série déjà large du moderne
massacre d'Etat. C'est la dimension proprement totalitaire du
phénomène qui est commune aux deux génocides des Arméniens et des
Juifs.' Et le grand historien français, auteur des Assassins de la
mémoire et réfutateur infatigable des négationnistes ` et du plus
célèbre d'entre eux, Robert Faurisson `, ajoutait : `Mais l'Allemagne,
elle, a reconnu son crime. Imaginons ce que peuvent ressentir les
minorités arméniennes. Imaginons Faurisson ministre, Faurisson
président de la République, Faurisson général, Faurisson ambassadeur,
Faurisson président de la Commission historique turque, membre du
Sénat, de l'université d'Istanbul, membre influent des Nations unies,
Faurisson répondant dans la presse chaque fois qu'il est question du
génocide des Juifs. Bref un Faurisson d'Etat doublé d'un Faurisson
international.'
Il s'agit de sortir de ce cauchemar. Il s'agit de lire Chaliand, Yves
Ternon ou Vincent Duclert (La France face au génocide des arméniens,
Fayard). Comme nous lisons Jean Hatzfeld sur le Rwanda ou Rithy Panh
sur le Cambodge. Pour que le génocide arménien fasse désormais
pleinement partie de notre histoire commune.
http://www.lesinrocks.com/2015/04/07/actualite/700730-11700730/
10 avril 2015
Génocide des Arméniens: le mensonge d'un siècle
L'édito de Frédéric Bonnaud
24 avril 1915 : grande rafle des intellectuels et des notables
arméniens de Constantinople?; le génocide peut commencer. Cent ans
plus tard, le président de la République de Turquie, Recep Tayyip
Erdogan, continue d'exiger des preuves. Barack Obama, lui, a déjÃ
déclaré que le génocide arménien était une incontestable vérité
historique. Mais les Etats-Unis d'Amérique ne sont pas prêts à une
reconnaissance officielle, aujourd'hui moins que jamais. La Turquie
demeure un allié trop important, puissant et ombrageux, depuis trop
longtemps, un verrou stratégique qu'il convient de ménager. Cent ans
après le début des massacres, seule une vingtaine de pays ont reconnu
officiellement le génocide et la Turquie s'arcboute sur son
négationnisme d'Etat, fondateur de son existence même, sa colonne
vertébrale idéologique, comme si elle craignait de s'effondrer en
cessant de nier une si vieille évidence, pourtant irréfutable et
documentée.
Dans l'entretien qu'il nous a accordé (lire pp. 52-55), le
géopoliticien Gérard Chaliand considère que la position turque
officielle n'évoluera plus guère, malgré la demande pressante des
forces vives de la société. Il rappelle le temps infini qu'il a fallu,
après les premiers témoignages occidentaux sur le sort atroce réservé
aux Arméniens de Turquie et les procès ottomans de 1919 condamnant par
contumace les organisateurs du génocide ` qui avaient pris la fuite `,
pour que cette tragédie cesse d'être celle des seuls Arméniens,
abandonnés à leur douleur, uniques dépositaires d'une mémoire qui
aurait dû être partagée et entretenue par l'humanité tout entière.
Mais la Turquie moderne naissait en 1923, après les ultimes tueries,
nettoyée de ses Arméniens d'Anatolie ` mais où s'étaient-ils
volatilisés, tous ces Arméniens?? `, et Mustafa Kemal avait plus
besoin d'union sacrée que de vérité historique. Le mensonge
s'installa, puis le silence, un silence interminable et difficilement
imaginable aujourd'hui, un silence de cinquante ans, brisé peu à peu,
y compris par l'emploi de ce que Chaliand appelle `le terrorisme
publicitaire' de certaines organisations arméniennes.
`la dimension proprement totalitaire du phénomène'
En 1984, devant le Tribunal permanent des peuples, un tribunal
historique et symbolique réuni par Chaliand à la Sorbonne, Pierre
Vidal-Naquet déclarait : `Ce qui est important, voire capital, est que
le meurtre intentionnel des Juifs (et des Tsiganes) a, par contrecoup,
éclairé, défini, dans sa signification même, le massacre des Arméniens
comme massacre d'Etat, inaugurant la série déjà large du moderne
massacre d'Etat. C'est la dimension proprement totalitaire du
phénomène qui est commune aux deux génocides des Arméniens et des
Juifs.' Et le grand historien français, auteur des Assassins de la
mémoire et réfutateur infatigable des négationnistes ` et du plus
célèbre d'entre eux, Robert Faurisson `, ajoutait : `Mais l'Allemagne,
elle, a reconnu son crime. Imaginons ce que peuvent ressentir les
minorités arméniennes. Imaginons Faurisson ministre, Faurisson
président de la République, Faurisson général, Faurisson ambassadeur,
Faurisson président de la Commission historique turque, membre du
Sénat, de l'université d'Istanbul, membre influent des Nations unies,
Faurisson répondant dans la presse chaque fois qu'il est question du
génocide des Juifs. Bref un Faurisson d'Etat doublé d'un Faurisson
international.'
Il s'agit de sortir de ce cauchemar. Il s'agit de lire Chaliand, Yves
Ternon ou Vincent Duclert (La France face au génocide des arméniens,
Fayard). Comme nous lisons Jean Hatzfeld sur le Rwanda ou Rithy Panh
sur le Cambodge. Pour que le génocide arménien fasse désormais
pleinement partie de notre histoire commune.
http://www.lesinrocks.com/2015/04/07/actualite/700730-11700730/