LA TURQUIE A PERDU LA BATAILLE DE LA VERITE AUTOUR DU GENOCIDE ARMENIEN
TURQUIE
Politologue a l'universite privee Sabanci d'Istanbul, Cengiz Aktar a
defraye la chronique en Turquie en signant en 2008 avec trois autres
intellectuels un fameux appel, "je demande pardon", où il priait ses
compatriotes de reconnaître le genocide armenien.
A la veille des commemorations des massacres de 1915, il juge que
son pays a definitivement perdu la "bataille de la verite" autour
de ces evenements et se rejouit de la lente evolution de la societe
civile turque autour de ce qui etait encore, il y a quelques annees,
un tabou absolu.
Comment jugez-vous les violentes reactions de deni des autorites
turques ?
Je crois que la Turquie a perdu la bataille de la verite. Personne
ne croit a ce negationnisme primitif, le cadavre est tellement grand
qu'il ne rentre plus dans le placard.
Ce gouvernement ne peut pas aller au-dela de ce qu'a deja dit
Erdogan l'an dernier, en presentant ses condoleances aux victimes
armeniennes... et turques. C'est mieux que rien mais encore très loin
de ce qu'imposerait l'ampleur du crime commis en 1915.
Il a pourtant fait plus que tous ses predecesseurs pour faire tomber
les tabous autour de la fondation de la Republique mais il s'est
arrete en cours de route (...) il manque en Turquie un homme d'Etat
visionnaire qui accepterait d'aborder de front cette question. Pas
evident ! Le seul objectif du gouvernement turc en cette annee 2015,
c'est de limiter les degâts, d'en prendre le moins possible...
Tout ce que je peux encore attendre de lui, c'est qu'il n'empeche plus
le travail de memoire en Turquie. Certains s'y emploient toujours. Par
exemple, l'article 305 du code penal qui interdit l'utilisation du
mot genocide existe toujours, meme s'il n'est plus utilise.
Comment expliquez-vous ce blocage ?
"Il y a d'abord un deficit d'education. Les Turcs ne savent pas ce
qui s'est passe, pour beaucoup d'entre eux +Armenien+ est simplement
une insulte. Et quand il y a un peu d'education, elle est tellement
erronee, falsifiee que c'en est une honte.
On explique toujours ce qui s'est passe par ces quatre arguments
sans cesse rabâches : la revolte des Armeniens contre l'Etat,
leur collaboration avec la Russie tsariste, les provocations des
imperialistes et l'autovictimisation sur le thème +ce sont les
Armeniens qui nous ont massacre+. On ne va pas loin avec ca. Il y a
aussi la peur, très repandue parmi les Turcs, que les Armeniens vont
recuperer les biens et les terres qui leur ont ete voles en 1915. La
spoliation a une echelle inouïe est un des elements fondamentaux
du genocide.
Et puis surtout, il y a le fait que la Turquie moderne s'est construite
sur l'exclusion et l'annihilation des non-musulmans qui vivaient en
Anatolie. Remettre ca en cause, c'est remettre en cause les fondements
memes de la nation turque et, pour l'instant, c'est impossible.
D'où peut venir une evolution des esprits sur ce sujet ?
J'attends beaucoup de la societe civile turque. Les seminaires,
colloques, publications continueront a faciliter le travail de memoire
et de pedagogie sur ce qui s'est passe. Un recent sondage montre qu'il
n'y a que 9% des Turcs qui sont favorables a la reconnaissance du
genocide. Meme si on ne dispose pas des instruments pour s'en assurer,
je suis persuade que c'est beaucoup plus qu'il y a seulement cinq ans.
Les djinns sont sortis de la bouteille. L'evolution sera lente mais
elle se produira, j'en suis persuade.
AFP
vendredi 24 avril 2015, Stephane (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=110766
TURQUIE
Politologue a l'universite privee Sabanci d'Istanbul, Cengiz Aktar a
defraye la chronique en Turquie en signant en 2008 avec trois autres
intellectuels un fameux appel, "je demande pardon", où il priait ses
compatriotes de reconnaître le genocide armenien.
A la veille des commemorations des massacres de 1915, il juge que
son pays a definitivement perdu la "bataille de la verite" autour
de ces evenements et se rejouit de la lente evolution de la societe
civile turque autour de ce qui etait encore, il y a quelques annees,
un tabou absolu.
Comment jugez-vous les violentes reactions de deni des autorites
turques ?
Je crois que la Turquie a perdu la bataille de la verite. Personne
ne croit a ce negationnisme primitif, le cadavre est tellement grand
qu'il ne rentre plus dans le placard.
Ce gouvernement ne peut pas aller au-dela de ce qu'a deja dit
Erdogan l'an dernier, en presentant ses condoleances aux victimes
armeniennes... et turques. C'est mieux que rien mais encore très loin
de ce qu'imposerait l'ampleur du crime commis en 1915.
Il a pourtant fait plus que tous ses predecesseurs pour faire tomber
les tabous autour de la fondation de la Republique mais il s'est
arrete en cours de route (...) il manque en Turquie un homme d'Etat
visionnaire qui accepterait d'aborder de front cette question. Pas
evident ! Le seul objectif du gouvernement turc en cette annee 2015,
c'est de limiter les degâts, d'en prendre le moins possible...
Tout ce que je peux encore attendre de lui, c'est qu'il n'empeche plus
le travail de memoire en Turquie. Certains s'y emploient toujours. Par
exemple, l'article 305 du code penal qui interdit l'utilisation du
mot genocide existe toujours, meme s'il n'est plus utilise.
Comment expliquez-vous ce blocage ?
"Il y a d'abord un deficit d'education. Les Turcs ne savent pas ce
qui s'est passe, pour beaucoup d'entre eux +Armenien+ est simplement
une insulte. Et quand il y a un peu d'education, elle est tellement
erronee, falsifiee que c'en est une honte.
On explique toujours ce qui s'est passe par ces quatre arguments
sans cesse rabâches : la revolte des Armeniens contre l'Etat,
leur collaboration avec la Russie tsariste, les provocations des
imperialistes et l'autovictimisation sur le thème +ce sont les
Armeniens qui nous ont massacre+. On ne va pas loin avec ca. Il y a
aussi la peur, très repandue parmi les Turcs, que les Armeniens vont
recuperer les biens et les terres qui leur ont ete voles en 1915. La
spoliation a une echelle inouïe est un des elements fondamentaux
du genocide.
Et puis surtout, il y a le fait que la Turquie moderne s'est construite
sur l'exclusion et l'annihilation des non-musulmans qui vivaient en
Anatolie. Remettre ca en cause, c'est remettre en cause les fondements
memes de la nation turque et, pour l'instant, c'est impossible.
D'où peut venir une evolution des esprits sur ce sujet ?
J'attends beaucoup de la societe civile turque. Les seminaires,
colloques, publications continueront a faciliter le travail de memoire
et de pedagogie sur ce qui s'est passe. Un recent sondage montre qu'il
n'y a que 9% des Turcs qui sont favorables a la reconnaissance du
genocide. Meme si on ne dispose pas des instruments pour s'en assurer,
je suis persuade que c'est beaucoup plus qu'il y a seulement cinq ans.
Les djinns sont sortis de la bouteille. L'evolution sera lente mais
elle se produira, j'en suis persuade.
AFP
vendredi 24 avril 2015, Stephane (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=110766