LE GENOCIDE DES ARMENIENS : LA CARICATURE >
Publie le : 17-02-2015
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=85800
Info Collectif VAN -www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire cette information publiee sur le site de la Mission du
centenaire de la Première Guerre mondiale.
Legende photo : Caricature "Intimes aus dem Weissen Hause", d'Olaf
Gulbransson, dans "Simplicissimus", 9 novembre 1915, p.383 / Caricature
anonyme "La deportation en Belgique et en France", dans "La Guerre
Illustree", mars 1917, Londres, Milford Lane, p.19.
(c) BfZ / BnF
14-18 Mission Centenaire
par Oliver Stein
Le 9 novembre 1915, le journal satirique allemand Simplicissimus
publie une caricature qui fait reference, sans en avoir l'air,
au genocide perpetre envers le peuple armenien, qui, a cette date,
suivait pleinement son cours depuis des mois. Le dessinateur Olaf
Gulbransson met en scène le president americain Woodrow Wilson,
s'adressant a son Ministre des Affaires etrangères : il ne sait pas
si les Turcs commettent des atrocites envers les Armeniens, mais
ce qui est insoutenable dans cette situation, dit-il, c'est que ces
atrocites ne sont pas commises avec des munitions americaines.
Le destinataire principal de la critique de cette caricature sont les
Etats-Unis, qui tout en se declarant neutres, s'etaient en realite
engages du côte des Armeniens - avant tout a travers les prises de
positions personnelles de leur ambassadeur a Constantinople, Henry
Morgenthau. On accuse ainsi la politique de Wilson et son ministre
d'une duplicite totalement hypocrite, ne visant qu'a soutenir une
soif de puissance indecente. Le motif de cette critique tient au fait
que malgre leur neutralite, les Etats-Unis fournissaient, en realite,
de grandes quantites d'armes et de munitions aux pays de l'Entente.
L'originalite de cette caricature reside moins dans l'accusation
qu'elle porte envers les Etats-Unis que dans le fait qu'elle evoque un
thème qui n'a publiquement ete aborde qu'avec d'extremes precautions
en Allemagne durant la Première Guerre mondiale : le genocide des
Armeniens dans l'Empire ottoman allie. À partir du printemps 1915,
les dirigeants Jeunes Turcs commencèrent a organiser la deportation
systematique et l'assassinat des Armeniens, qu'ils tenaient pour
des irredentistes et des allies potentiels des ennemis russes. La
population armenienne fut deportee dans le desert de Mesopotamie,
dans de terribles marches de la mort. Beaucoup furent massacres ou
perirent de fatigue durant ces marches, tandis que ceux qui avaient
survecu moururent finalement de faim ou de maladie dans des camps. Plus
d'un million d'Armeniens perdirent la vie.
Les Turcs ne purent pas empecher, meme après avoir interdit la
presence de temoins etrangers dans les regions où etaient commises ces
atrocites, que de nombreux Allemands assistent a ces exactions. Ils
etaient deja en poste dans ces regions, que ce soit en tant que
soldats, diplomates, ingenieurs, employes du train Berlin-Bagdad,
medecins ou missionnaires. Ils devinrent des chroniqueurs de ces
horreurs, qu'ils conservèrent a travers leurs rapports et leurs
photographies.
Un bon nombre de ces rapports etait destine au gouvernement allemand,
qui etait ainsi très precisement tenu au courant de l'ampleur des
massacres. Il devenait ainsi impossible de nier, dans cette situation,
que les deportations et les massacres n'etaient plus justifies par
les conditions de la guerre, mais qu'elles relevaient d'une volonte
de destruction systematique et totale. C'est le jugement que transmit
l'ambassadeur Hans von Wangenheim au Chancelier du Reich Theobald
von Bethmann Hollweg en juillet 1915. Bien que les evenements qui se
deroulaient dans l'Empire ottoman aient une repercussion importante en
Allemagne, les protestations repetees des diplomates allemands envers
le gouvernement ottoman restèrent relativement prudentes. Ce n'est que
le 31 octobre 1915 - soit une semaine et demie avant la publication
de la caricature du Simplicissimus - que Bethmann Hollweg nota :
"Il me semble qu'il est grand temps d'envoyer une note très claire a
la Turquie dans laquelle nous protesterons contre cette folie qui est
en train d'etre commise avec la persecution des Armeniens." Cependant,
alors que le nouvel ambassadeur a Constantinople, le comte Metternich,
proposa de publier une denonciation officielle dans le journal
semi-officiel Norddeutsche Allgemeine Zeitung, Bethmann Hollweg fit
passer le calcul politique en priorite. Compte-tenu de l'importance
strategique de l'Empire ottoman, il pensait devoir eviter tout ce qui
pourrait porter prejudice aux relations germano-ottomanes. "Notre
unique objectif", ecrivit-il en reaction au rapport de Metternich,
"est de garder la Turquie a nos côtes jusqu'a la fin de la guerre,
que les Armeniens dussent en mourir ou non".
Ce principe pourrait d'ailleurs servir a decrire la couverture des
evenements par la presse allemande. Suite a une recommandation faite
le 7 octobre 1915, la censure s'appliquait sur cette thematique et les
evenements ne pouvaient etre qu'evoques superficiellement. Les articles
qui furent rendus publics faisaient en grande majorite reference
aux articles accusateurs publies par les journaux de l'Entente,
qui utilisaient le genocide dans l'Empire ottoman a des fins de
propagande anti-allemande et laissaient entendre que les Allemands
etaient les instigateurs reels du massacre. Les denegations allemandes
insistaient souvent sur le fait que les rapports sur les assassinats
relevaient de la propagande de guerre et que les decisions du pouvoir
turc visaient a empecher un soulèvement de la population armenienne. La
caricature de Gulbransson ne cherche pas a justifier quoi que ce soit,
mais entoure les evenements d'un brouillard d'incertitude. La realite
des evenements dans l'Empire ottoman fut cependant decrite et publiee
en 1915 dans la presse missionnaire chretienne, notamment dans le
journal Die christliche Welt. Ce n'est que vers la fin de l'annee
1915 que les cercles ecclesiastiques et les affaires etrangères se
mirent d'accord pour que de tels rapports arretent de paraître, si,
en retour, on arretait de publier des rapports hostiles aux Armeniens
dans la presse allemande. Malgre cet accord, un pretre comme Johannes
Lepsius, entre autres, a contribue, a travers un travail intensif
de publication de brochures et de bulletins, a mettre en lumière le
destin des Armeniens auprès de l'opinion publique allemande pendant
les annees de guerre.
Traduit de l'allemand
Lire aussi :
> vs >
Agenda - Paris : Colloque international sur le genocide des Armeniens
Source/Lien : 14-18 Mission Centenaire
From: A. Papazian
Publie le : 17-02-2015
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invite a lire cette information publiee sur le site de la Mission du
centenaire de la Première Guerre mondiale.
Legende photo : Caricature "Intimes aus dem Weissen Hause", d'Olaf
Gulbransson, dans "Simplicissimus", 9 novembre 1915, p.383 / Caricature
anonyme "La deportation en Belgique et en France", dans "La Guerre
Illustree", mars 1917, Londres, Milford Lane, p.19.
(c) BfZ / BnF
14-18 Mission Centenaire
par Oliver Stein
Le 9 novembre 1915, le journal satirique allemand Simplicissimus
publie une caricature qui fait reference, sans en avoir l'air,
au genocide perpetre envers le peuple armenien, qui, a cette date,
suivait pleinement son cours depuis des mois. Le dessinateur Olaf
Gulbransson met en scène le president americain Woodrow Wilson,
s'adressant a son Ministre des Affaires etrangères : il ne sait pas
si les Turcs commettent des atrocites envers les Armeniens, mais
ce qui est insoutenable dans cette situation, dit-il, c'est que ces
atrocites ne sont pas commises avec des munitions americaines.
Le destinataire principal de la critique de cette caricature sont les
Etats-Unis, qui tout en se declarant neutres, s'etaient en realite
engages du côte des Armeniens - avant tout a travers les prises de
positions personnelles de leur ambassadeur a Constantinople, Henry
Morgenthau. On accuse ainsi la politique de Wilson et son ministre
d'une duplicite totalement hypocrite, ne visant qu'a soutenir une
soif de puissance indecente. Le motif de cette critique tient au fait
que malgre leur neutralite, les Etats-Unis fournissaient, en realite,
de grandes quantites d'armes et de munitions aux pays de l'Entente.
L'originalite de cette caricature reside moins dans l'accusation
qu'elle porte envers les Etats-Unis que dans le fait qu'elle evoque un
thème qui n'a publiquement ete aborde qu'avec d'extremes precautions
en Allemagne durant la Première Guerre mondiale : le genocide des
Armeniens dans l'Empire ottoman allie. À partir du printemps 1915,
les dirigeants Jeunes Turcs commencèrent a organiser la deportation
systematique et l'assassinat des Armeniens, qu'ils tenaient pour
des irredentistes et des allies potentiels des ennemis russes. La
population armenienne fut deportee dans le desert de Mesopotamie,
dans de terribles marches de la mort. Beaucoup furent massacres ou
perirent de fatigue durant ces marches, tandis que ceux qui avaient
survecu moururent finalement de faim ou de maladie dans des camps. Plus
d'un million d'Armeniens perdirent la vie.
Les Turcs ne purent pas empecher, meme après avoir interdit la
presence de temoins etrangers dans les regions où etaient commises ces
atrocites, que de nombreux Allemands assistent a ces exactions. Ils
etaient deja en poste dans ces regions, que ce soit en tant que
soldats, diplomates, ingenieurs, employes du train Berlin-Bagdad,
medecins ou missionnaires. Ils devinrent des chroniqueurs de ces
horreurs, qu'ils conservèrent a travers leurs rapports et leurs
photographies.
Un bon nombre de ces rapports etait destine au gouvernement allemand,
qui etait ainsi très precisement tenu au courant de l'ampleur des
massacres. Il devenait ainsi impossible de nier, dans cette situation,
que les deportations et les massacres n'etaient plus justifies par
les conditions de la guerre, mais qu'elles relevaient d'une volonte
de destruction systematique et totale. C'est le jugement que transmit
l'ambassadeur Hans von Wangenheim au Chancelier du Reich Theobald
von Bethmann Hollweg en juillet 1915. Bien que les evenements qui se
deroulaient dans l'Empire ottoman aient une repercussion importante en
Allemagne, les protestations repetees des diplomates allemands envers
le gouvernement ottoman restèrent relativement prudentes. Ce n'est que
le 31 octobre 1915 - soit une semaine et demie avant la publication
de la caricature du Simplicissimus - que Bethmann Hollweg nota :
"Il me semble qu'il est grand temps d'envoyer une note très claire a
la Turquie dans laquelle nous protesterons contre cette folie qui est
en train d'etre commise avec la persecution des Armeniens." Cependant,
alors que le nouvel ambassadeur a Constantinople, le comte Metternich,
proposa de publier une denonciation officielle dans le journal
semi-officiel Norddeutsche Allgemeine Zeitung, Bethmann Hollweg fit
passer le calcul politique en priorite. Compte-tenu de l'importance
strategique de l'Empire ottoman, il pensait devoir eviter tout ce qui
pourrait porter prejudice aux relations germano-ottomanes. "Notre
unique objectif", ecrivit-il en reaction au rapport de Metternich,
"est de garder la Turquie a nos côtes jusqu'a la fin de la guerre,
que les Armeniens dussent en mourir ou non".
Ce principe pourrait d'ailleurs servir a decrire la couverture des
evenements par la presse allemande. Suite a une recommandation faite
le 7 octobre 1915, la censure s'appliquait sur cette thematique et les
evenements ne pouvaient etre qu'evoques superficiellement. Les articles
qui furent rendus publics faisaient en grande majorite reference
aux articles accusateurs publies par les journaux de l'Entente,
qui utilisaient le genocide dans l'Empire ottoman a des fins de
propagande anti-allemande et laissaient entendre que les Allemands
etaient les instigateurs reels du massacre. Les denegations allemandes
insistaient souvent sur le fait que les rapports sur les assassinats
relevaient de la propagande de guerre et que les decisions du pouvoir
turc visaient a empecher un soulèvement de la population armenienne. La
caricature de Gulbransson ne cherche pas a justifier quoi que ce soit,
mais entoure les evenements d'un brouillard d'incertitude. La realite
des evenements dans l'Empire ottoman fut cependant decrite et publiee
en 1915 dans la presse missionnaire chretienne, notamment dans le
journal Die christliche Welt. Ce n'est que vers la fin de l'annee
1915 que les cercles ecclesiastiques et les affaires etrangères se
mirent d'accord pour que de tels rapports arretent de paraître, si,
en retour, on arretait de publier des rapports hostiles aux Armeniens
dans la presse allemande. Malgre cet accord, un pretre comme Johannes
Lepsius, entre autres, a contribue, a travers un travail intensif
de publication de brochures et de bulletins, a mettre en lumière le
destin des Armeniens auprès de l'opinion publique allemande pendant
les annees de guerre.
Traduit de l'allemand
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From: A. Papazian